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fO p 33. 37K M
Harvard Collège
Library
FKOM THE BEQUBST OF
JOHN HARVEY TREAT
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SAINTE EUSÉBIE
ET 'SES 40 COMPAGNES- MARTYRES
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MARSEILLE
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ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSEILLE
SAINTE EUSEBIE
Abbesse
ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSI-:iLLK
L'Abbé S. VERNE
Sttltur dt la Paroisse Saiatt-Eusibît, à Montrtdoa
TeneU tradilionts.
1 Uardtz vos traditions >
(Il AD THBSS.,2, 14.)
MARSEILLE
Rue Sainte, 3g
1891
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Conformément aux décrets du pape Urbain VIII, nous décla-
rons ne vouloir préjuger en rien les décisions de l'Eglise au
sujet des faits et des appréciations contenus dans cet ouvrage
et soumettre celui-ci à l'autorité doctrinale de notre Evèque,
rejetant et condamnant tout ce 'qu'il désirerait nous voir
rejeter et condamner.
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JNIVERSITY
LI-' vary
DÉDIÉ
SA GRANDEUR MONSEIGNEUR ROBERT
ÉYÊQUE DE MARSEILLE
ÊVÊCHÉ Marseille, le 12 Novembre 18 go,
DE
MARSEILLE
Mon bien cher Curé,
Vous venez de terminer heureusement, après plusieurs
années d'un travail infatigable, l'œuvre qu'a inspirée à
votre foi et à votre piété le culte de sainte Eusébie,
titulaire de votre chère paroisse.
Votre étude historique accuse de savantes et de profon-
des recherches. Il y a surtout un sentiment pieux, qui fait
du bien à l'âme. Les solutions que vous donnez à des
points douteux pourront paraître contestables à quelques-
uns ; mais cela n'empêchera pas que votre livre ne soit
lu de tous avec grand intérêt et, ce qui vaut mieux encore,
avec beaucoup d'édification. Vos paroissiens notamment
trouveront dans cette lecture le moyen de bien connaître
et d'aimer, comme ils le doivent, celle que l'Eglise leur a
donnée pour patronne et pour modèle.
Combien il serait désirable que les prêtres occupent
leurs loisirs, ainsi que vous l'avez fait, à recueillir avec
respect et amour ce qui intéresse l'histoire de leur paroisse !
Nous aurions bientôt une série de monographies parois-
siales fort utile pour l'histoire générale du diocèse.
L'exemple que vous donnez portera ses fruits, j'en ai la
confiance, et ce ne sera pas l'un des moindres résultats de
votre savant et religieux travail.
Recevez, mon bien cher Curé, avec mes sincères félici-
tations, la nouvelle expression de mon affectueux attache-
ment en Notre Seigneur.
•J- LOUIS, évêque de Marseille.
PRÉFACE
Nous avons à dire l'humble genèse de ce modeste travail.
Une légende antique de l'histoire de Marseille, le mas-
sacre de sainte Eusébie et de ses compagnes par les Sar-
rasins, nous a toujours charmé. Enfant, ce nous était un
doux plaisir de l'entendre raconter par les vieillards ;
plus tard, lorsque nous ne savons quel ouvrage nous eut
appris qu'une tradition indiquait les bords de la mer, la
plage au bout du Prado, comme le théâtre de cet événe-
ment, nous cherchions à refaire dans notre imagination
les phases diverses de cette scène désolante.
Prêtre et vicaire à Saint-Giniez, la légende nous capti-
vait. Bien des fois, nous avons parcouru cette partie de
nos rivages et, nous reportant à onze ou douze siècles en
arrière, nous revoyions par la pensée le moutier d'Eusé-
bie, auquel les bois, les prairies, les vignes et la mer fai-
saient une verte et gracieuse ceinture. Nous prêtions
l'oreille, et nous croyions entendre, comme un doux mur-
mure qui arrivait jusqu'à nous, les chants et les prières
des Cassianites. Soudain ce spectacle ravissant se chan-
geait en scène lugubre. Les douces compagnes d'Eusébie,
Eusébie avec elles, nous les voyions fuir éperdues dans la
chapelle de leur monastère, poursuivies par de farouches
envahisseurs. Nous entendions leurs cris de désolation,
leurs appels suppliants, nous étions témoin d'un acte
héroïque. Puis le silence le plus profond ! Et les vaisseaux
qui portaient les barbares regagnaient la haute mer, ou
disparaissaient derrière les collines qui bornent au sud le
terroir de Marseille. Curé à Montredon, et notre église
étant dédiée à la chère sainte Eusébie, nous étions tout à
la joie d'habiter près de ces lieux bénis que l'héroïque
martyre avait foulés de ses pas .
VI
* Quel ne fat pas notre étonnement de lire un jour, dans
la Vie des Saints de Marseille (1), que cette tradition qui
faisait vivre et mourir sainte Eusébie dans un monastère
cassianite, aux bords de l'Huveaune, n'avait aucun fonde-
ment et qu'il fallait céder à d'autres lieux, plus proches de
Marseille, la gloire d'avoir été le théâtre d'un si glorieux
martyre. Nos plus beaux rêves se dissipaient ! Il n'y avait
pas à en vouloir à l'auteur de l'excellent ouvrage cité plus
haut : écrivant la Vie des Saints les plus connus dans
notre Eglise, il ne pouvait entrer dans tous les détails et
discuter à fond les points douteux qui pouvaient se pré-
senter .
Notre ligne de conduite était toute tracée. Il nous fallait
étudier sur quelles bases s'appuyait la vieille légende deis
Desnarrados (2) et peut-être mettre par écrit le résultat de
nos recherches. Nous le devions à nos rêves d'enfant. A
titre d'ancien vicaire de Saint-Giniez, nous avions à le
faire. Depuis notre arrivée à Montredon, il nous semblait
entendre la chère sainte Eusébie nous le demander cha-
que jour.
Ce fut le motif qui nous fit entreprendre d'écrire ees
pages.
Mais, nous l'avouons simplement, c'était une simple
brochure que nous désirions offrir aux amateurs des
« choses marseillaises ». Or, les détails se présentèrent si
nombreux, que la brochure devint un petit livre.
Notre tâche était à peu près achevée, lorsque parurent,
dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, quelques ex-
traits d'une monographie de l'abbaye de Saint- Victor-lez-
Marseille (3). L'estimable M. Grinda en était l'auteur.
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille. — Sainte Eusébie et ses
compagnes, vierges et martyres, 11 octobre.
(2) Leis desnarrados ou desnazados, c'esl-à-dire sans nez. Allusion
évidente au genre de martyre qu'ont enduré sainte Eusébie et ses com-
pagnes.
(3) Echo de Notre-Dame de la Garde, année 1888.
VII
Tout en assurant que son but était de mettre à l'abri de
la critique impie notre tradition* sur sainte Eusébie, il la
découronnait cependant, à notre avis. Si l'on voulait re-
garder, en effet, l'inscription lapidaire d'Eusébie comme
Tépitaphe de notre sainte héroïne marseillaise,il fallait pla-
cer le martyre au Ve siècle et fouler aux pieds ce point de
notre tradition qui attribue aux Sarrasins le martyre des
Cassianites. Si Ton voulait, au contraire, attribuer à ces
barbares ce fait odieux, il fallait renoncer à voir dans cette
inscription funéraire la légende de notre sainte Eusébie.
Nous avons remis notre travail sur le métier et de notre
œuvre première ainsi remaniée il en est sorti, hélas, un
bien gros livre ! !
En toute confiance nous le livrons à la bienveillance
comme à la critique de nos lecteurs. Ce qui nous rassure
c'est que nous n'avons pas la prétention d'avoir trouvé la
vérité, de la faire toucher du doigt. Non. Ce point de nos
annales est trop difficile à éclaircir. On se heurte à la nuit
des temps barbares. Il faut lutter avec les tâtonnements,
les contradictions, les objections des auteurs, souffrir de
la pénurie presque complète des documents, car il ne
reste que l'inscription lapidaire du tombeau de sainte
Eusébie, et, disons-le, elle n'est pas hors de toute
conteste. De plus savants et de plus habiles que nous ont
cherché longtemps à déchiffrer cette énigme, et ils n'ont
pas réussi. Humble pionnier, armé d'outils bien faibles,
pouvions-nous espérer de découvrir le trésor? et, ouvrier
malhabile, de conduire l'édifice à son achèvement ? Ne
risquions-nous pas de nous égarer loin du filon précieux,
et nos matériaux seraient-ils toujours de premier choix ?
C'était là le danger !
Nous voulons être sincère- Il nous a été impossible de
découvrir un document précis, authentique sur lequel on
pût établir un argument péremptoire, relativement aux
deux questions qui vont nous occuper. Nous n'avons pas
VIII
de preuve certaine, irréfragable de ce que nous soute-
nons. C'est, d'ailleurs, ce que Ton nous avait prédit.
Nous avons dû nous contenter de réunir et de classer
tout ce que l'histoire pouvait nous offrir de faits, de docu-
ments, de souvenirs et d'en dégager une somme de pro-
babilités assez sérieuses, croyons-nous, en faveur de notre
thèse.
Cependant, par l'étude que nous avons faite de cette
question, un coin du voile qui s'obstine à la recouvrir
aura été peut-être quelque peu soulevé, et nous aurons
apporté une petite pierre à l'édifice qu'un autre, nous
l'espérons, achèvera plus tard. Nous avons pu nous lais-
ser induire en erreur ; mais ce qui est sûr, qu'on le sache
bien, c'est que nous ne voulons point faire parade d'éru-
dition, et que si nous nous sommes trompé nous serons
heureux de le reconnaître. Si quelqu'un plus habile, mieux
servi par les circonstances, plus favorisé que nous,
découvrait de nouveaux documents et nous donnait des
preuves solides, contraires à la solution que nous pré-
sentons, nous ne ferions nulle difficulté de nous ranger à
son avis. La gloire de notre chère sainte Eusébie nous
tient plus à cœur que la nôtre propre, et rien n'honore
les saints comme la vérité.
Maintenant, comme Duns Scot, accourant à l'Univer-
sité défendre le privilège de l'Immaculée Conception,
disait, en passant devant une statue de la Vierge Marie :
Da mihi virtutem contra hostes tuos (1), volontiers,
offrant à la sainte patronne de notre église ces quelques
pages, nous lui dirions : Bonne sainte Eusébie, c'est de
vous qu'il s'agit, venez-nous en aide et guidez notre
plume ! !
S. V.
(1) c Donnez-moi la force pour lutter contre vos ennemis. » Paroles
tirées de l'office de la Sainte Vierge.
SAINTE EUSÉBIE
ABBBSSE
ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSEILLE
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER
L'Abbaye Cassianite des Bords de l'Huveaune
LE TERROIR. DK SAINT-GïNIEZ.— LE CŒNOBIUM CASSIANITE DE FILLES,
AUX BORDS DE L'HUVEAUNE. — DYNAMIUS, BIENFAITEUR DU CŒNO-
BIUM. — LETTRE DU PAPE GRÉGOIRE LE GRAND A L'ABBESSB
RESPECTA.
Là, où de nos jours l'avenue du Prado étale ses frais ombra-
ges et groupe ses plus riantes villas; dans l'espace que limi-
tent, au nord, les dernières pentes de la colline de Notre-Dame
de la Garde ; à l'est, le cours du Jarret ; au sud, les collines de
Sainte-Marguerite, de Mazargues et de Montredon, se déroulait
jadis une plaine immense que l'Huveaune, dans son cours lent
et sinueux, partageait en deux moitiés à peu près égales.
Le paysage qui s'offrait aux regards, pour être sévère, triste,
monotone, n'était pas cependant dépourvu de majesté et de
grandeur. Ici, vers Montredon, de vastes et sauvages grèves,
sur lesquelles la mer roulait ses vagues, tantôt impétueuses
et tantôt caressantes; là, sur le terroir de Bonneveine, des
— 2 —
»
landes sablonneuses et incultes que battaient sans trêve ni
repos les brises du large ou les rafales du mistral ; d'un côté,
sur le versant méridional de la Garde, des bois épais de pins qui
descendaient jusqu'aux berges de l'Huveaune ; de l'autre, vers
le Rouet, le Rond-Point et Saint-Giniez, des marais stagnants
que formaient des ruisseaux sans déversement, ou les eaux de
l'Huveaune, refoulées à certains jours par la mer soulevée (1).
Avec les siècles cependant, la civilisation avait pris pied
dans ce désert. Où se trouvaient jadis un bois sacré, un oratoire
païen, se dressa bientôt une modeste église : celle de Saint-
Giniez (2). Où s'étendaient des terres incultes, se formèrent de
puissants domaines, peuplés de serfs et de colons : Carvillan
et Romagnac, d'un côté de l'Huveaune (3), Fabias et Consuas
de l'autre (4); les bois, les marécages, les plus minces filets
(1) Nous devons prévenir nos lecteurs que dans ces pages ils trouve-
ront un certain nombre d'assertions dont la preuve est faite seulement
dans notre ouvrage intitulé : Sainte Eusèbie, abbesse, et ses 40 compa-
gnes martyres,
(2) Notice historique, topographique et hagiologique sur Saint-
Giniez, par M. l'abbé Daspres, p. 11. M. Daspres était curé de Saint-Gi-
niez, quand il composa cette notice, remplie de détails précieux, sur ce
point du terroir marseillais.
(3) Carvillan, « in suburbio Massiliense, villam que dicitur Carvil-
lianus, id est, casis astantibus et dirutis, terris cultis et incultis,
vineis, pratis, pascuis, etc., etc. » Cartulaire de Saint-Victor, charte 28,
du 24 juin 840, et charte 27, de 1020.
Le territoire désigné sous ce nom de Carvillan comprenait une
partie du terroir de Sainte-Marguerite. — Lire les pages pleines d'intérêt
qu'a écrites M. l'abbé E. Arnaud, curé de Sainte-Marguerite, sur Carvil-
lan, dans la Notice historique sur Sainte-Marguerite, ch. 2, p. 26
etsuiv.— Notice historique sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 83
et suiv. — Dictionnaire topographique de l'arrondissement de Marseille,
par J.-B. Mortreuil, au mot Carvillian, p. 86.
Romagnac. « Super fluvium Vuelne, in locis his nominibus desi-
gnatis : Romagnac, Ligus Pinis, Fabias.* Cartulaire de Saint-Victor,
ch. 29, de 965. Cette terre était une partie du terroir actuel de Bonne-
veine, lequel était appelé dans d'autres chartes Gas de Romagnana, gué
ou passage de Romagnac sur l'Huveaune, ou gast de Romagnana, terre
inculte, stérile de Romagnac. — Notice historique sur Saint-Giniez,
par l'abbé Daspres, p. 88. — Dictionnaire topographique de Mortreuil,
au mot Romagnana, p. 313.
(4) Fabias: terroir situé entre le Rouet et Saint-Giniez. Cartulaire de
— 3 —
d'eau prenaient un nom. Le Ligus Pinis désignait le versant
boisé de la Garde (1) ; le palud des bords de l'Huveaune
s'appelait Arculens (2) ; celui du Rond -Point, Antignane (3) ;
celui des environs du Rouet, Framaud, Frémautou Formai (4);
le pelit ruisseau d'Antignane même avait sa place dans les
chartes de l'époque.
8aint- Victor, ch. 29. — Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres,
p. 111.— Dictionnaire topographique de Mortreuil, v. Fabias, p. 147.
CoDsuas : portion du terroir sur lequel est construit actuellement le
château Talabot. Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 102.
— Dictionnaire topographique de Mortreuil, v. la Conseillère, p. 117.
(1) Ligus Pinis, quartier sur le versant méridional de Notre-Dame de
la Garde. Cartulaire, ch. 29. —Notice sur Saint-Giniez, p. 15, 104. —
Dictionnaire de Mortreuil, v. la Pinède, p. 280. C'est bien à tort, croyons-
nous, que le Dictionnaire géographique, placé en appendice au tome II
du Cartulaire de Saint-Victor, affirme que le Ligus Pinis est le village
actuel de la Pêne, près Saint-Marcel.
(2) Arcuîens, Arcollens, Arcola, Arcoulens, Arquolens, RecoUens,
autant de mots qui désignent un môme quartier de Saint-Giniez, situé
sur le bord de l'Huveaune, prés de l'ancien gué et du pont, qui, aujour-
d'hui, conduit au parc Borély. Au XVII* siècle, on le regardait comme
taisant partie du terroir de Bonneveine : Bone vene, Arcollens, Arquo-
lens, frive Bonevene, RecoUens ou Bonneveine. Cartulaire de Saint-
Victor, ch. 52, de 1040.— Dictionnaire géographique du Cartulaire, t. II,
▼. Arcolœ. — Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 66, 87, 88.
141, U2.
(3) Antignane, Antignana, Antinana, fons d' Antinana* palus
à: Antinana. C'est tantôt dans les chartes un quartier, tantôt un marais
ou un ruisseau, alimenté par une source, qui portait le même nom : fon*
Antinana; dans le XI* siècle, ce marais s'appela indifféremment: \8
palud de Saint-Giniez ou le palud d'Antignane, — Notice sur Saint-
Giniez, par l'abbé Daspres, p. 192, 138 et suiv. — Dictionnaire topogra- -
phique de Mortreuil, v. Antignane.
(4) Le palud de Formai, Framald, Frémaut devait être situé entre
Saint-Giniez, le Bouet, la Capelette. «Moi, Lambertus Dodo,\e donne une
pièce de terre, prés l'église de Saint-Giniez ; elle se termine d'un côté
à la terre d'Adalugi, de l'autre au chemin qui va à Marseille, et de l'autre
au palud de Framaut (Framaldi). . . Moi, Virfred et Bostagnus A m al rie,
donnons cette terre qui est située dans le palud de Formai. » Ch. de 1097.
Nous donnons en appendice cette charte dans notre ouvrage : Sainte
Euzébie et ses 40 compagnes martyres. Elle est cotée aux archives de
là Préfecture, n* 789, au diocèse de Marseille, n* 317. — Notice sur
Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, charte de 1097, p. 141. — Dictionnaire
topographique de Mortreuil, v. Framaud, p. 164.
— 4 —
Une tradition dont nous établirons ailleurs les preuves
nous dit que ce fut cet humble coin de terre que choisit saint
Cassien pour les religieuses qu'il venait d'établir à Marseille.
Sur la rive droite de l'Huveaune, à quelques pas de ses bords,
non loin de la plage sablonneuse s'éleva le monastère de Tordre
naissant. Dans cette solitude, à la grande voix de la mer, au
mugissement de la tempête, à travers la forêt, se joignirent
désormais une voix plus douce : celle de la prière, et un mur-
mure bien suave : le chant des bymnes saintes que les Gas-
sianites faisaient monter chaque jour vers Dieu.
Le Gœnobium de l'Huveaune fut placé, au début de sa fonda-
tion, sous le vocable de la sainte Vierge (1). La haute piété,
les douces vertus des religieuses qui y vivaient, autant que le
désir de se sanctifier à l'école du patriarche de la vie monas-
tique (2), avaient attiré en ce lieu béni de nobles âmes. Elles y
accouraient, avides de sacrifices et de renoncement. Nulle part
ailleurs, à Marseille du moins, elles n'auraient trouvé une
source aussi limpide pour y boire à longs traits la perfection
chrétienne qu'elles rêvaient, et y apaiser la soif qu'elles
avaient de servir Dieu uniquement (3).
(1) Ruffl, Histoire de Marseille, t, II, p. 57. — L'Antiquité de l'Eglise
de Marseille, par Mgr de Belsunce, t. I. p. 258. — André, Histoire
de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur de Marseille, p. 3. —
Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 28. — Les Saints de
V Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 225.
*(2) C'est vers 415 ou 420, que Cassien établit à Marseille deux monas-
tères, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes. On peut l'appeler
à juste titre le fondateur dans notre ville de la vie cénobitique. Avant lui,
il y avait peut-être dans les grottes et les bois environnants des soli-
taires, des anachorètes, des ermites, adonnés à la contemplation et à la
pénitence. Mais il n'y avait pas, à proprement parler, de monastères,
c'est-à-dire de religieux vivant en commun sous le même toit et soumis
à une même règle.
(3) Sur divers points de la Gaule ou de la Provence s'élevaient déjà
des monastères. Vers 405, saint Honorât, qui fut plus tard évoque d'Arles,
avait fondé celui de Lérins, dans l'île de ce nom. En 360, saint Martin de
Tours avait fondé celui de Ligugé, près de Poitiers, et un peu plus tard,
celui de Marmoutier, près de Tours.
En Italie, la vie monastique jetait aussi un vif éclat. Sur le mont
Aventin, à Rome, la patricienne Marcella avait fait de son palais un
— 5 -
Au début du VI" sièole, on comptait parmi ces cœurs d'élite,
la jeune Césarie, sœur de l'évoque d'Arles, saint Césaire. Elle
vint demander aux vierges de l'Huveaune de lui apprendre la
pratique de cette vie religieuse, que plus tard elle devait
enseigner à d'autres. L'évêque d'Arles, saint Césaire, l'avait
voulu ainsi, tant il avait en estime la sainteté des filles de
Cassien (1).
Cette renommée si justement acquise valut au monastère
de nombreux bienfaiteurs. Deux personnages illustres de Mar-
seille au VIe siècle, Dynamius et Aurelius, en avaient agrandi
les constructions, en cédant une de leurs maisons que
Ton unit par un corps de bâtisse aux appartenances de
l'abbaye (2). La dévotion spéciale que ces donateurs profes-
cœnobium de vierges et de saintes veuves. A Milan, saint Ambroise fon-
dait un monastère de filles. En Afrique, «saint Augustin en fondait un
pour les hommes, à Tagaste. En Espagne, dès 380, un concile de Sarra-
gosse parle des moines et des religieuses qui vivent dans les monastères
de celte contrée.
Cet élan vers la vie monastique, en Occident, avait été déterminé par
les merveilles de sainteté et de vertu, que saint Athanase, exilé d'Alexan-
drie, et venu à Trêves en 336, à Rome eu 340, avait racontées des reli-
gieux vivant dans les cœnobia des bords du Nil. — Histoire de l'Eglise,
par le cardinal Hergenroether, t. II, p. 592. — Histoire de sainte Poule,
par l'abbé Lagrange, p. 85. — Histoire de l'Eglise, par l'abbé Darras,
t IX, p. 551. — Ozanam, La civilisation au V9 siècle, leçon XII,.t. II,
p 31. — * Histoire du monastère de Lérins, par l'abbé Alliez, t. I, p. 14.
(1) c Evocataque eMassiliensi cœnobio venerabili sorore sua Gffisaria,
< quam ideirco eo miserat, ut disceret quod doceret, et prius esset disci-
t pula quam magistra. » Vie de saint Césaire, par Gypricn, son disci-
ple, dans Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis, par Barralis,
p. 237. — Patrologie latine, édit. Migne, t. 67, OperaS.Cœsarii, col. 1013.
Mabillon dit de saint Césaire d'Arles que : « Perfecto monasterio,
t 8ororem Gœsariam a Massiliensi Parthenone, quo eam monasticis
c ritibus informandam direxerat,revooatam prœfuit. » Annales Ordinis
S. Benedicti, t. I, p. 22. — « Evocat e monasterio venerabilem germa-
t nam suam Caesariam, quam inibi direxerat. » En note, Mabillon
ajoute : « Nempe in Parthenone a Joanne Gassiano sanctimonialibus
« erecto in agro Massilise suburbano ad Yvelinum amnem, unde nomen
« esnobio. » Annales Sanctorum Ordinis Benedictini, Vie de saint
Césaire, 1. 1, p. 642. — Histoire de saint Césaire, évéque d'Arles, par
l'abbé VU) e vieille, p. 129.
P) « ... Juxta petitionem filiomm nostrorum Dynamii atque Aure-
_ 6 —
saient pour le bienheureux Gassien, avait été le motif d'un tel
acte de générosité. C'était sans doute aussi dans l'intention
d'offrir un abri plus vaste, plus spacieux aux filles de Gassien,
dont le nombre au monastère augmentait sans cesse. 11 ne se
passait pas de jour, qu'une âme, fatiguée du monde, dégoûtée
de sa corruption, désireuse de vivre sous le regard de Dieu,
n'accourût y demander asile.
Elles étaient nombreuses, en effet, les Gassianites au Cœno-
bium de l'Huveaune.
En 597, le pape saint Grégoire leur permit d'élire parmi
elles, et à l'exclusion de toute religieuse d'un autre monas-
tère, leur abbesse (1). Un tel privilège n'aurait pas eu sa raison
d'être, si le Gœnobium n'avait compté qu'un nombre restreint
de vierges consacrées à Dieu.
« liani, qui id reiigiosa devotione domuî sui juris junctis uniisse aedi-
« ficiis comprobantur... » Lettre de saint Grégroire à Respecta. Ces
deux personnages de Marseille étaient peut-être deux frères, peut-être
le frère et la sœur, car certains auteurs Usent Au relise ou Aurelianae,
au lieu de Aurelius. Nous ne savons pas grand'chose d'Aurelius. Dans
une lettre à un personnage de ce nom, saint Grégoire le Grand l'exhorte
à continuer la vie de pénitence et de charité qu'il avait embrassée. Quant
à Dynamius, il a eu, semble-t-il, une carrière assez mouvementée. D'a-
bord gouverneur de Marseille, sous Gontran, roi de Bourgogne, il per-
sécuta bien vivement saint Théodore, alors évêque de cette même ville.
Il était en même temps administrateur des biens de l'Eglise romaine
dans les Gaules. A plusieurs reprises, saint Grégoire parle de lui dans
ses lettres en termes excellents. Retiré des affaires publiques, il s'adonna
aux œuvres de bien et de charité. Dans une lettre du pape, adressée à
Respecta, il est dit que Dynamius avait donné sa maison pour agran-
dir le monastère, in honore sancti Cassiani constructum. Selon quel-
ques auteurs, Dynamius mourut en 601 . Son épitaphe et celle d'Euche-
ria, son épouse, font savoir qu'il mourut à l'âge de 50 ans et qu'il fut
enterré avec son épouse dans une église dédiée à saint Hippolyte,
martyr. St Grégoire, Lettres (passim) ; Patroi. lat., édit. Migne, t. 77.—
Ed. Leblant, Inscrip. chrét. de la Gaule, t. II, n# 641. — Guesnay, Pro-
vincial Massiliensis annales, p. 224. — Mgr de Belsuoce, Antiquité de
l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 227-258. — André, Histoire de V abbaye de
Saint-Sauveur, p. 4 et aux pièces justificatives A. — Les Saints de
l'Eglise de Marseille, saint Théodore, sainte Eusébie.
(1) « ... Gonstituentes ut obeunte antedicti monasterii abbatissa, non
« extranea sed quam congregatio sibi de suis elegerit ordinetur. ...»
Lettre de saint Grégoire le Grand àl'abbesse Respecta... André, His-
toire de l'abbaye de Saint-Sauveur, appendice, pièces justificatives A.
— 7 —
Vastes et étendues devaient être aussi les possessions de
l'abbaye (l). Les règles de l'Eglise et la simple prudence dé-
fendaient d'accepter plus de religieuses que les ressources du
monastère ne permettaient d'en nourrir (2). Dès le principe,
Gassien et les premiers abbés de Saint-Victor, ses successeurs,
durent être les administrateurs de ces biens. Au milieu du
VI' siècle, ce furent les évoques de Marseille. En 597, la lettre
du Pape saint Grégoire le Grand fait connaître que c'était Tab-
besse seule qui en avait la gestion (3). Ni l'ordinaire du lieu,
(1) Les fragments d'un polyptique découverts jadis par Ruffl et rédigés
dans le courant du IX* siècle, indiquent, en effet, qu'à cette époque,
l'abbaye cassianite de femmes possédait quelques biens ; à l'origine de sa
fondation, des gens pieux durent doter le monastère, dont ravoir s'accrut
ainsi avec les siècles. Voir ces fragments dans V Armoriai et sigillo-
graphie des Evéques de Marseille, par M. le cbanoine Albanés, p. 30.
(2) Le concile de Mayence, de l'an 813, défendait dans son 19* canon :
« Qu'on n'envoyât jamais dans les monastères plus de chanoines ou de
moines, ou de religieuses, que la maison ne saurait en nourrir. » De
même le concile d'Aix-la-Chapelle, de 816, article 118, celui de Gliffe, en
Angleterre, en 747, canon 28. Histoire chronologique et dogmatique des
conciles de la chrétienté, par Roisselet de Sauclières, t. IN.
(3) c ... In rébus autem vel in dispositione monasterii ejusdem, nec
« episeopum neque ecclesiasticorum quemquam aliquam habere decer-
c ni mus potestatem, sed haec ad sollicitudinis tuée, vel ejus quœ post te
c in eodem loco fuerit abbatissa, curam statuimus per omnia habere.. . »
Aux premiers temps de la vie cénobitique, la plupart des monastères
de vierges ayant été fondés par des moines, il est croyable que ceux-
ci avaient l'administration des biens de ces monastères. Nous savons,
en effet, que saint Facôme établit des couvents de religieuses, qui
étaient pourvus du nécessaire par les couvents des moines, pour lesquels
elles travaillaient de leur côté. De plus, ce que Ton appelait en Orient les
monastères doubles, c'est-à-dire les couvents de moines et de religieuses,
bâtis à proximité les uns des autres, n'avaient d'autre raison d'être que
la facilité de s'entr'aider mutuellement pour les choses nécessaires à la
vie. Gassien donc, établissant à Marseille deux couvents, l'un pour les
hommes, l'autre pour les filles, dut s'inspirer des mêmes idées. Peu à peu
cependant, l'influence et l'autorité des évêques se répandant sur les mo-
nastères, l'administration des biens passa entre leurs mains. Le V*
concile d'Arles, en 554, l'ordonna en termes formels pour les monastères
de filles, t Ut episcopi de puellarum mouasteriis quse in sua civitate
t constituta sunt curam gérant. » C. 5. Mais, pour remédier à certains
abus qui s'étaient glissés, sans que l'on puisse dire de qui ils pro-
venaient, le Pape saint Grégoire le Grand, en 597, ordonna que l'abbaye
— 8 —
ni qui que ce fût, désigné par lui, n'avait le droit d'y pré-
tendre (1). Preuve, d'ailleurs, que tout dans l'abbaye suivait
une marche régulière, et que les difficultés n'étaient pas à ce
point compliquées, qu'il fallût une autorité, une vigilance,
une direction autre que celle d'une simple abbesse.
À celle-ci encore de conduire son petit troupeau et de tout
régler dans l'intérieur du monastère. L'Evêque cependant
avait la haute surveillance de la conduite et des actions des
servantes de Dieu et de l'abbesse. Il devait, le cas échéant,
punir, selon la rigueur des saints canons, celles qui auraient
pu tomber dans quelques graves manquements.
A l'abbaye cassianite était joint un oratoire. Chaque jour,
un prêtre, commis à cet effet par l'Ordioaire, y célébrait la
en l'honneur de saint Cassien, à Marseille, gérerait ses propres affaires.
Histoire de l'Eglise, par Hergenroether, t. II, p. 583. — Histoire des
conciles, par Roisselet de Sauclières, t. IT, p. 488. — L'Antiquité de
l'Eglise de Marseille, par M*r de Belsunce, 1. 1, p. 233. — Lettre de saint
Grégoire à Respecta, dans Histoire de Saint-Sauveur, par André, Pièces
justificatives A.
(1) Combien d'années le monastère cassianite de Marseille jouit de ce
privilège d'exemption que lui accorda le Pape saint Grégoire, en 597 ?
D'une part, ce pontife ne voulait pas crue les religieuses s'occupassent
du temporel de leurs monastères; il ordonnait à l'archevêque de Gagliari
de « choisir dans son clergé un homme que son âge et sa probité missent
à l'abri de tout soupçon et qui prît soin des affaires matérielles des mo-
nastères de son diocèse. » D'autre part, le II* concile de Sévi) le, de l'an
619, ordonnait que : « l'administration des biens des monastères de
filles fût confiée aux moines. » G. H. Quoi qu'il en soit, au lendemain
des invasions sarrasines, ce privilège n'existait plus. Les évêques de
Marseille avaient pris l'administration des biens de l'abbaye de Saint-
Victor. Or « l'abbaye marseillaise des religieuses était alors en un état
plus triste encore que celle des hommes, et devait autant que celle-ci
se trouver sous l'autorité épiscopale. » Au sortir des invasions, quelques
années après la restauration de cette abbaye sous le titre de Saint-Sau-
veur, en 1069, l'évéque de Marseille la soumit à la juridiction temporelle
de l'abbé de Saint-Victor. Mais ce ne fut que pour quelques années. Bien-
tôt l'évéque dut en prendre la direction, sous peine de voir labbaye dis-
paraître. Vie de saint Grégoire le Grand, par l'abbé Glausier, p. 252.
— Histoire des Conciles, par Roisselet de Sauclières, t. II, p. 572. —
Armonial et sigillographie des Evêques de Marseille, par M. le cha-
noine Albanés, chap. XXIV. — Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur,
par André, p. 21-24.
— 9 —
messe. A l'anniversaire de la fondation du monastère ou de la
dédicace de cette église, l'Evêque y officiait. Ce jour-là, en
signe de juridiction, la cathedra y était dressée. Mais, suivant
la prescription de saint Grégoire, elle devait être enlevée au
départ de l'Evêque (1).
C'est à peu près tout ce que l'histoire nous a gardé de sou-
venirs sur l'antique Cœnobium des bords de l'Huveaune.
(1) « ... Die siquidem natalis vel dedicationis supradicti monasterii,
c episcopus il lue missarum sacra conveniat solemnia celebrare ; a quo
c tamen ita est hoc officium exsolvendum ut cathedra ejus nisi prsedictis
c diebus dum illic missarum solemnia célébrât, non ponatur. Quo disce-
c dente similiter etiam cathedra illius de eodem oratorio auferatur.
c Caeteris vero diebus, per presbyte ru m, qui ab eodem episcopo fuerit
c deputatus missarum officia peragentur. . • »
Ce n'était pas une exception laite en laveur seulement du monas-
tère que gouvernait Respecta, à Marseille, mais bien une loi quasi géné-
rale que le Pape saint Grégoire devait formuler en 601, au V* concile de
Rome ou de Latran : c Nous défendons à l'évêque de faire l'inventaire
des biens ou titres du monastère, même après la mort de l'abbé ; nous
lui défendons aussi d'y célébrer des messes publiques, d'y établir sa
chaire. . .» Histoire des Conciles, par Roisselet de Sauclières, t. II, p. 558.
CHAPITRE II
L' Abbesse Eusébie
EUSÉBIE AU CŒNOBIUM DE i/HUVBÀUNB. — OCCUPATIONS DBS RELI-
GIEUSES DANS LES MONASTÈRES, A CETTE ÉPOQUE : PRIÈRE, LECTURE
DES LIVRES SAINTS, TRAVAIL MANUEL, COPIE DBS MANUSCRITS. —
EUSÉBIE S'ADONNE A CBS TRAVAUX. — ELLE REÇOIT LE VOILE DB8
VIERGES. — EUSÉBIE RELIGIEUSE, ABBESSR. — SES COMPAGNES. —
ELLES ÉTAIENT QUARANTE. — DIGNITÉ, CHARGES, DEVOIRS D'UNE
ABBESSB.
Or, vers la fin du VII' siècle, une jeune fille, presque une
enfant, se présentait à l'abbesse du monastère des bords de
THuveaune, la suppliant de l'admettre au nombre des servan-
tes de Dieu qui vivaient sous sa direction. Elle avait quatorze
ans, était de bonne famille, et portait un nom prédestiné :
Eusébia.
Plusieurs saintes, en effet, se sont appelées de même nom
dans l'Eglise de Dieu et l'ont rendu illustre par l'éclat de leurs
vertus.
Telle sainte Eusébie, abbesse du monastère d'Hamage
(diocèse de Cambrai), qui mourut à trente-trois ans, en 680,
lis embaumé que le divin Epoux voulut cueillir aux jardins
de celte terre pour le transporter dans son jardin du ciel (1).
Telle, quelques siècles plus tôt, Eusébie, la vierge et martyre
de Bergame, qui, sollicitée d'aimer un autre époux que Jésus-
Ci) Sainte Eusébie, abbesse d 'Ha m âge, dans le diocèse de Cambrai,
était fille d'Adalbaud et de Rictrude, sœur d'un saint moine du nom de
Mauront, et de deux autres saintes religieuses appelées Glotsende et
Adalsende. Elle gouverna ce monastère durant 23 ans. Elle mourut,
en 680, à peine âgée de 33 ans. On célèbre sa fête le 14 mars.Acta Sanc-
torum Ordinis S. Benedicti, t. II, p. 924. — Bolland, Act. Eusebice Ha-
maticensis, 14 mars.
— il —
Christ, préféra le bûcher et la mort aux délices et aux char-
mes des joies de la vie (1). '
Or, Dieu a voulu, semble-t-il, que notre Eusébie de Mar-
seille réunit, dans sa propre vie, les vertus et les mérites de
chacune de ces saintes, dont elle portait le glorieux nom.
Elle aussi avait dit adieu au brillant avenir que sa famille
peut-être lui destinait. Elle aussi avait été choisie par Dieu,
pour être le modèle et l'exemple de ses compagnes (2). Elle
aussi donna généreusement sa vie pour Jésus-Christ.
L'abbesse des bords de THuveaune devina-telle ce qu'il y
avait en cette enfant de grâces de prédilection et de vertus
singulières ? Nous ne saurions le dire. Mais celui qui dirige
la volonté et incline les cœurs de ceux qui commandent,
permit qu'un bon accueil fût fait à la jeune Eusébie.
Toute heureuse, elle franchit le seuil du monastère et se
donna au Seigneur. Elle répondait ainsi à cette voix douce et
pressante que Dieu fait entendre à toute âme qu'il appelle à
lui et choisissait la meilleure part que Dieu lui offrait, de préfé-
rence à d'autres. Se dérobant aux embrassements des siens,
renonçant généreusement à ce qu'elle pouvait posséder, elle
vint cacher sa vie derrière les murailles du paisible moutier.
Celui-ci à cette époque était placé sous le vocable nouveau
de Saint-Cyr, jeune martyr d'Antioche (3). C'avait été sans
doute à l'occasion de quelque relique de ce saint, donnée au
monastère, que ce vocable avait été substitué à l'ancien.
D'après ce que nous avons dit plus haut, Eusébie y trouva un
(1) Sainte Eusébie de Bergame souffrit le martyre, le 29 octobre 307,
sous Maximien Hercule. On célèbre sa fête ce môme jour. Bol I and, 29 oct.
On honore à Constantinople, le 6 juin, une sainte femme du nom
(TEusébie ou de Zénide. Elle était disciple d'un saint évoque de Tauro-
menium (Taormine). Le 24 janvier, on célèbre encore la fête d'une
Eusébie ou Xéné, vierge de M y les, en Carie. Elle vivait au V* siècle, au
rapport deNicépbore. Bolland, 6 juin et 24 janvier.
(2) Et ubi a domino electa est, dit, de notre Eusébie, l'inscription
qui jadis se trouvait sur son tombeau, à Saint-Victor.
(3) Saint Gyr, fils de sainte Julitte, fut martyrisé, âgé à peine de trois
ans, avec sa mère, sous Maximien et Dioctétien, par Tordre d'Alexandre,
gouverneur d'isaurie, dans la ville de Tarse, en Gilicie, en 305, le 16 juin.
On célèbre sa fête ce même jour. Bolland, t. III, de juin, le 16 juin.
— 12 —
grand renom de sainteté et de perfection. C'était encore une
pépinière de saintes âmes, et de son temps, comme jadis au
V"* siècle, beaucoup avaient puisé à cette source féconde la
sainteté la plu3 consommée et s'en étaient allées porter sous
d'autres cieux ces hauts enseignements de la vie religieuse.
Nul ne sut mieux mettre à profit ces riches trésors et s'ins-
pirer de ces nobles traditions que la jeune Eusébie. L'inscrip-
tion, placée jadis sur son tombeau, à Saint-Victor, l'appelle :
a Ancella Domini.D Servante du Seigneur, elle le fut vraiment.
' Dans le Cœnobium de l'Huveaune, comme dans tous les
monastères de l'époque, le temps était partagé entre la prière,
la lecture des livres saints et le travail des mains. A Bethléem,
dans le monastère que, suivant les conseils de saint Jérôme,
la patricienne Paula avait fondé, près de la grotte de la
Nativité, « on se réunissait dès le matin, puis à la troisième
heure, à la sixième, à la neuvième, et enfin le soir, pour
chanter les psaumes, et, au milieu de la nuit, les voix des
filles de Paula s'élevaient encore pour redire les belles
hymnes du prophète de Bethléem (1). »
Il en était de même dans le monastère de sainte Césarie, à
Arles. Suivant la règle que le saint évéque Césaire avait
écrite (2), à certaines heures de la journée on se réunissait
dans l'oratoire du monastère pour la psalmodie. Une sœur,
debout au milieu de ses compagnes, récitait les psaumes, les
autres écoutaient. Aux grandes fêtes, telles que la Noël, l'Epi-
phanie, les veilles se prolongeaient davantage. A la psalmodie
s'ajoutaient alors la lecture et l'oraison.
Sur les bords de l'Huveaune les anges de Dieu étaient chaque
jour les heureux témoins d'un aussi ravissant spectacle. Les
échos de nos bois et de nos rivages retentissaient des mêmes
chants et des mêmes prières. Notre cœnobium en effet, avait
dû, comme tant d'autres monastères des Gaules, accueillir
avec empressement la règle de saint Césaire, remplaçant ainsi
(1) Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, chapitre M,
p. 392 et suiv.
(2) Histoire de saint Césaire, évéque d'Arles, par l'abbé Villevieille,
p. 138. — Patrol.lat., édit. Mig ne, t. 67, saint Césaire, régula, cc.,8,13, 18,
col. 1109.
— 13 —
d'une manière avantageuse, au point de vue de la pratique de
la perfection religieuse, l'abrégé des institutions et des confé-
rences de Cassien, qui jusqu'alors en avaient tenu lieu (1).
Il nous est donc permis de suivre la jeune Eusébie à l'ora-
toire du monastère, de prêter l'oreille au son de sa voix alors
quelle lisait la psalmodie, ou chantait les hymnes sacrées.
Quel esprit de foi, quel maintien pieul en chacune de
ces saintes actions 1 Pénétrée de la pensée que c'était bien
l'œuvre de Dieu, opus Dei(2), comme l'avait défini la règle de
saint Césaire, qu'elle accomplissait, elle y apportait tout le zèle
d'une véritable servante du Seigneur.
La lecture des livres saints et les occupations manuelles
remplissaient le reste de la journée d'une religieuse, à cette
époque primitive. Dans le monastère de Paula encore, rapporte
saint Jérôme, toutes les sœurs étaient obligées d'apprendre
chaque jour quelque chose des divines Ecritures (3). A Arles,
on consacrait les deux premières heures de la journée à lire, à
écrire, à étudier les lettres, c'est-à-dire la grammaire et les
autres éléments de la littérature ; cela afin de pouvoir vaquer
(1) Saint Gésaire, évoque d'Arles, écrivit vers 520 ou 530 une régie pour
le monastère de vierges qu'il fonda dans sa ville épiscopale, et à la tête
duquel il avait placé Césaric, sa sœur. Avant saint Gésaire, il n'existait
pas de règle uniforme. Chaque monastère avait la sienne, rédigée par le
fondateur et qui ne lui survivait guère, sauf pour les prescriptions gêné-'
raies, communes nécessairement à toutes les règles. Celle de saint Césaire
a eu la gloire de lui survivre, d'être acceptée et observée durant bien
longtemps par la plupart des monastères de la Gaule, et louée par les
papes, les évêques, les conciles du V> et du VII* siècle. Et même après
que saint Benoit et saint Golomban eurent écrit leurs constitutions,
toujours, il est fait mention par ceux qui rédigent de nouveaux statuts
pour les monastères des Vierges, de la règle de l 'Evoque d'Arles, à côté
de celles de saint Benoit et de saint Golomban. Histoire de l'Eglise, par
le cardinal Hergenroether, t. Il, p. 595. — Histoire de saint Césaire, par
rabbé Villevieille, p. 1 33 et suiv.
(2) c Quse signo tacto tardius ad opus Dei... venerit, correptioni
« digna erit. » Opus Dei, idest divinum officium, dicit Coïntius. Régula
Cesarii ad Virgines. Patrol. lat., édit. Migne, t. 67. col. 1109.
(3) « Nec licebat cuiquam sororum ignorare psalmos et non de scrip-
« turis sacris quotidie aliquid discere. » Saint Jérôme, épitapbe de Paula.
Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, p. 392.
— 14 —
avec profit à la lecture des saints livres, que Ton faisait à
haute voix durant les heures de travail, et à la méditation de
chaque jour (i).
De plus, en Orient comme en Occident, les heures et le
genre de travail étaient bien réglés. A Bethléem, le dimanche,
au retour de la messe, chaque sœur du monastère recevait sa
tâche pour la semaine. C'était d'ordinaire des vêtements à
confectionner pour les pauvres de la contrée, ou pour les habi-
tants du monastère (2). A Arles, auprès de sainte Césarie,
mêmes habitudes. Une sœur lisait à haute voix pendant le
travail qui se faisait dans une salle commune. Plusieurs
étaient occupées à confectionner et à réparer les vêtements
pour l'usage des religieuses, d'autres étaient chargées des
différents services de la maison (3).
Mais dans tous les monastères, un plus noble travail encore
était départi à beaucoup. Sous la direction et la surveillance
de saint Jérôme, on commença dans les couvents de Bethléem
« ce travail de copie des Saintes Ecritures, qui devint plus
tard une loi universelle pour tous les religieux. Loi, dit
Ozanam, la plus utile qui ait jamais été portée, si on considère
ce qu'elle a sauvé. * Ainsi les vierges romaines, compagnes de
Paula, a dans la cellule monastique qui avait remplacé leurs
palais opulents, entourées de volumineux manuscrits grecs,
hébreux, latins, mettaient au net avec un soin intelligent et
pieux ces psaumes que nous chantons encore aujourd'hui (4). »
Même travail à Arles. La règle de saint Césaire le prescri-
vait. Le biographe du saint évêque (5) nous apprend que,
(1) Histoire de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, p. 187.
— c Omnea litteras discant, omni tempore duabus horis, hoc est, a
c marie usque ad horam secundam lectioni vacent. . . i — « Légère discant
c dicit Golntius. » — c Reliquis in unum operantibus, una de sororibus
c usque ad tertiam légat.» Patrol. lat. édit. Migne, t. 67 régula ad virgi-
nes, c. 17, etc., col. 1109, etc.
(2) Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, p. 393.
(3) Histoire de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, p. 138.
— Patrol. lat., édit. Migne, t. 67, régula, ce, 18,25,26, col. 1109,1111, 1112.
(4) Histoire de sainte Paule% par l'abbé Lagrange, p. 406.
(5) c Gujus Cœsariae opus cum sodalibus tam prsecipum viget et inter
« psalmos atque jejunia, vigilias quoque et lectiones, libros divinos
— 15 —
sous la conduite de Césarie leur abbesse, « quelques-unes des
religieuses transcrivaient les livres saints avec de beaux carac-
tères pour en multiplier les copies. » Labeur fécond qui
faisait des monastères de la Gaule autant de ruches d'or, d'où
s'échappaient, comme des essaims d'abeilles, chargées d'un
miel exquis, des recueils d'homélies, des évangéliaires, des
manuscrits sans nombre. Disséminés plus tard sur tous les
points du monde chrétien, ils apportaient avec eux la
connaissance de la foi et l'amour de Jésus-Christ.
Marseille, aussi heureuse qu'Arles, sa voisine, et que Beth-
léem,, avait aussi sa ruche animée, sur les bords de PHuveaune,
et la jeune Eusébie en était l'abeille «industrieuse (1). » Pen-
dant quelques années, se trouvant la plus jeune des religieuses
du monastère, elle devait, debout au milieu de ses compagnes,
faire, avec piété et onction, la lecture, durant le travail. Peut-
être aussi l'abbesse la prenait avec elle, lorsque le soin et la
visite des pauvres, des serfs, des colons de l'abbaye l'ame-
naient au dehors. Des mains d'Eusébie alors, passaient dans
celles des pauvres serfs, ces vêtements que ses compagnes
avaient tissés, la nourriture qu'elles avaient préparée. Ainsi,
son jeune âge et sa piété, que le nom d'Eusébie semblait lui
rendre naturelle (2), faisaient de la jeune enfant la douce
messagère des autres religieuses auprès des malheureux.
Un peu plus tard, nous aimons à la voir penchée sur un
manuscrit, le copiant, l'enjolivant à l'exemple de ses com-
pagnes. C'était peut-être la règle du Cœnobium pour quelque
< scripsissent virgines Christi, ipsam matrera magistram habentes. »
Vita Cœsarii a Cypriano, Messiano et Stephano discipulis ejus, dans
Ckronologia Sanct. insulœ Lerinensi à Barrali, 1. 1, p. 247.— Histoire
de saint Césaire, par l'abbé Villevieille, p. 138.
(1) t Apis argumentosa. » On a dit de sainte Cécile qu'elle avait été
apis argumentosa, tant elle avait contribué par ses prières, par ses ins-
tructions, à la conversion de Valérien, son époux et de Tiburce, son
beau-frère. Office de sainte Cécile, antienne des Laudes.
(2) cEnsebia.» Ce nom, comme on sait, a une étymologie grecque;
totftut, piété, (Eu, bien, aeâbpai, vénérer.) Le moine Hucbald écrit
de Sainte Eusébie d'Hamage : « Busebia bona Dei cultrix, secundum
ioterpretationem sui nominis. » Hucbaldus, Vita Sanctœ Rictrudis.
Patrol. Ut. édit. Migne, 1. 132, col. 834.
- 16 -
monastère gui allait se fonder (1), l'homélie d'un saint Evoque,
un extrait du Bienheureux Cassien ou quelque page de l'Evan-
gile, s'attachant surtout à graver dans son cœur ce que sa
plume confiait au parchemin déroulé devant elle.
Dans ces occupations multiples, un certain nombre d'années
s'écoulèrent. Eusébie avait franchi le cycle de la jeunesse,
et atteint l'âge mûr. L'heure allait sonner bientôt, où sa consé-
cration au Seigneur serait définitive.
Il était d'usage, en effet, dans l'Eglise à cette époque, du
moins en France, en Espagne, en Italie, de ne bénir les vierges
et de ne leur donner le voile qu'après une longue probation,
et pas avant l'âge de 40 ans. Quelque remplie d'oeuvres et de
vertus que fût leur vie, quelque éprouvées que fussent leurs
mœurs, à moins de circonstances impérieuses, telles que le
danger d'une mort prochaine ou le péril certain de perdre la
* chasteté, on ne pouvait les admettre à cet honneur (2). L'Eglise
les considérait bien comme vouées à Dieu, soumises à la
(1) On sait que Radegonde, fondatrice du monastère de Sainte-Croix,
à Poitiers, vint à Arles, avec Agnès, l'abbesse qu'elle avait fait choisir
pour ce monastère, et en rapporta la règle de saint Césaire et de la
bienheureuse Césarie. Grégoire de Tours, Hisl. Francorum,\AX. —
Histoire de saint Césaire, par l'abbé Villevieille, p. 144.
(2) La discipline a varié dans l'Eglise sur ce point, suivnnt les époques
et suivant les pays. En Afrique, le concile d'Hippone de 393, canon 1,
ceux de tîarthage en 397, canon 4, de 418, canon 10, de 419, canon 16,
défendent de donner le voile aux vierges avant l'âge de. 2 5 ans, à moins
de circonstances spéciales. En Espagne, le concile de Sarragosse, en 381,
canon 8, voulait que l'on retardât jusqu'à 40 ans. En Italie, le Pape saint
Léon le Grand et l'empereur Majorien ne le permettaient pas avant cet
âge. En France, le concile d'Agde, que présidait saint Césaire, en 506,
canon 19, statue qu'on ne donnerait pas le voile avant 40 ans, quelque
éprouvées que fussent les mœurs et la vie de la postulante. En Alle-
magne, le concile de Francfort, en 794, canon 46, permettait cette céré-
monie dès l'âge de 25 ans. En France encore, le concile de Tours, en 813,
canon 28, s'en tenait à cet âge de 25 ans. Mais en 858, un autre concile de
Tours, canon 28, réclamait l'Age de trente ans. Enfin, celui de Thionville,
en 805, caaon 14, ne le permettait pas avant que la jeune vierge eût
atteint l'âge de raison, et celui de Tribur, en 895, canon 24, le permettait
à 12 ans, si c'était de son plein gré qu'une enfant le demandât. Histoire
de l'Eglise, par le cardinal Hergenroether, t. II, p. 595. — Leçons du II*
nocturne de l'office de saint Léon, Pape. — Histoire des Conciles, par
Roisselet de Sauclières, t. II, III, IV.
— 17 —
règle du monastère, et aux obligations qui découlaient de cet
état de vie (1), mais la consécration officielle manquait.
Au jour fixé, c'était ordinairement à la fête de l'Epiphanie,
de Pâques ou des saints apôtres (2), relue, non point parée des
ornements du siècle, mais humblement revêtue de l'habit
qu'elle devait porter le reste de sa vie, dans le monastère (3),
paraissait devant l'Evoque, seul autorisé par les saints canons
à procéder à la cérémonie (4). Celui-ci bénissait le voile et
l'imposait à la nouvelle épouse de Jésus- Christ. Dès ce moment,
l'adieu au monde devenait éternel. Il n'était plus permis à la
vierge consacrée à Dieu de sortir du monastère, si ce n'est pour
des raisons très graves, approuvées par l'Evêque. Les peines
canoniques les plus sévères lui étaient réservées, si elle violait
ses vœux ou quittait le monastère (5).
(1) Saint Léon le Grand ne fait pas de différence officielle entre les reli-
gieuses : a Quae virginitatis propositum atque habitum susceperunt,
etiamsi coDsecratio, non accessit, » et celles qui ont reçu la consécration.
Histoire de l'Eglise, par le card. Hergenroether, t. II. p. 595.
(2) Histoire de l'Eglise, par le card. Hergenroether, t. II, p. 595.
(3) Le IV* concile de Carthage, en 358, canon 11, dit : a Sanctimonialis
« virgo cum ad consecrationem suo episcopo offertur in talibus vestibus
< appltcetur, qualibus semper usura est professioni et sanctimoniali»
i aptis. Summa conciliorum collecta per F. Barth. Caranzam Mirend.
« 0. P. p. 155. » — Histoire des Conciles, par Roisselet, t. II, p. 112.
Le concile de Constantinople, appelé in Trullo ou guinisexte, confirma
cette décision, canon 45: cQuoniamintelleximus in nonnullis mulierum
« monasteriis, mulieres quae sacro illo amictu dignse habentur, prius
« sericis et omnis generis vestibus, prseterea autem et mundis auro et
« gemmis variegatis, ab eis qui illos ducunt exomari et sic ad altare acce-
« dentés exui tanto materiae apparatu, et statim in il lis fieri habitûs
« benedictionem, illasquenigro amictu indui : statut mus ne hoc deinceps
« fiât. » La raison que donne le concile est celle-ci: «De peur de donnera
croire que ces religieuses quittent le monde à regret. » Summa conci-
liorum, ut supra, p. 499. — Histoire des Conciles, par Roisselet, t. III,
p. 138.
(4) Le concUe 1" de Carthage en 390, le 2" en 390, canon 3, le 2- de
SéTille en 619, canon 7, de Rouen, en 650, canon 9, défendaient aux prê-
tres de bénir et consacrer les vierges, réservant cette fonction à l'évoque.
Le3~ de Carthage en 397, canon 36, ne le permettait aux prêtres qu'avec
l'autorisation de l'ôvêque. Histoire des Conciles, par Roisselet, t. II
et III.— Histoire de l'Eglise, par Hergenroether, t. il, p. 594.
(5) Les Conciles de Tours, 567 ; de Lyon, 583 ; de Paris, 615, les frap-
paient d'excommunication. Histoire des Conciles, par Roisselet. t. II.
2
- 18 —
En quelle fête, sainte Eusébie reçut-elle le voile des vierges
sacrées, des mains de l'Evéque de Marseille ? Nous ne savons.
Ce que nous devinons, c'est qu'il y eut grande joie au Cœno-
bium de l'Huveaune. Les religieuses qui y vivaient remer-
ciaient Dieu d'appeler au rang de ses épouses une de leurs
compagnes si avancée en piété et en vertu.
Ce que nous devinons encore, c'est qu'il y eut une joie pro-
fonde au cœur d'Eusébie. Relisant en ce jour les lettres et les
discours de saint Césaire aux religieuses d'Arles, véritables
traités de la vie monastique, notre chère sainte y trouvait
ces lignes sur lesquelles son regard devait s'arrêter avec
bonheur (1) : a Mes filles, aimez le Christ, si vous voulez
garder fidèlement cette virginité que vous lui avez consacrée
avec tant d'ardeur. Réjouissez-vous, rendez d'éternelles
actions de grâces au Christ qui a daigné vous retirer d'un
monde orageux et vous conduire dans ce port tranquille.
Voyez ce que vous avez laissé derrière vous et ce que vous
avez gagné. Vous avez quitté les ténèbres du monde pour com-
templer, heureuses, la radieuse lumière de Jésus-Christ. Vous
avez dédaigné les plaisirs amers des passions pour goûter la
douceur et les charmes de la chasteté. Et s'il vous faut lutter
jusqu'à la fin de votre vie, avec le concours de Dieu cependant,
nous sommes sûrs de la victoire. . . Mais je vous en prie, mes
filles, si le passé inspire à vos cœurs une douce confiance, que
l'avenir, du moins, soit l'objet de votre sollicitude. Déposer les
vêtements du siècle et revêtir ceux de la religion, c'est l'affaire
d'un moment. Mais conserver des habitudes vraiment saintes,
combattre ses inclinations mauvaises, fuir les plaisirs si
amers de ce monde, c'est le travail de toute une vie, et vous
le savez, ce n'est pas celui qui commence, mais celui qui per-
sévère jusqu'à la fin qui sera sauvé. »
La lutte jusqu'à la fin de la vie, la persévérance jusqu'au
boutl II nous semble que ces paroles simples en elles-mêmes
durent captiver l'attention d'Eusébie, ce jour-là, d'une ma-
(1) Epistolall, Sancti Cœsarii ad Virgines, col. 1129, t. 67, Patrol
lat., édit. Migne.
— 19 -
nière singulière. Ne lui parurent-elles point le présage secret
de lointains événements ?
De nouvelles années de calme, de paix, de tranquillité se
levèrent pour notre chère sainte. Dieu avait ses desseins. Il
voulait qu'Eusébie, comme l'avait déjà fait une des gloires du
Cœnobium de l'Huveaune, sainte Césarie, apprît ce que plus
tard elle devait enseigner, et qu'elle fût disciple avant de
devenir maltresse dans la vie de perfection.
Or à une époque, l'abbesse, peut-être celle qui avait accueilli
la jeune Eusébie au monastère, vint à mourir. Suivant la
règle de saint Césaire et le rescrit de saint Grégoire le Grand
à Respecta, on dut procéder à l'élection pour la remplacer. On
ne pouvait la choisir dans un autre monastère (1). Mais
qu'était-il besoin d'une semblable prescription? Le Cœnobium
de l'Huveaune possédait une fleur de vertu et de piété. Les
religieuses le savaient. D'une voix unanime elles élurent leur
compagne Eusébie. Le plan de Dieu se dessinait. Longtemps
elle avait appris à l'école de Notre-Seigneur. De discipula
qu'elle avait été jusqu'à cette heure, elle devenait magistra.
A quel moment de sa vie l'élévation à cette dignité vint la
surprendre ? Impossible de le dire. Dans une de ses lettres, le
Pape saint Grégoire le Grand écrivait : « Nous défendons très
énergiquemdùt que l'on nomme de jeunes femmes abbesses. »
Et il requérait' l'âge de soixante ans, et une renommée irré-
prochable (2).
Avant saint Grégoire cette prohibition n'a pas toujours été
en vigueur dans l'Eglise. En effet, l'homonyme de notre sainte,
Eusébie d'Hamage, diocèse de Cambrai, n'avait que trente-
trois ans lorsqu'elle mourut et elle avait gouverné ce monas-
tère en qualité d'abbesse durant vingt-un ans. Elle n'avait
(1) Règle de saint Césaire. — Lettre de saint Grégoire le Grand à Res-
pecta, citée plus haut.
(2) Saint Grégoire le Grand, pape et docteur de VEglise, par l'abbé
Qausier, pubUé par l'abbé Odelin, p. 252. — « Juvenculas abbatissas fieri
« vehementissime prohibemus, nullum igitur episcopum patemitas tua,
« nisi sexagenariam virginem, eu jus setas hoc atque mores exigerint,
« velare permittat...» (Velare in abbatissam, dit une note). Patrol. lat.,
Mit. Migne, t. 77, saint Grégoire, pape, lib. VI, épist. 11.
— 20 —
donc que douze ans lorsque ses compagnes la choisirent pour
supérieure (1). Admettons que ce soit unç exception, motivée
par la sainteté éminente et manifeste de cette enfant.
Gésarie, la sœur de saint Césaire, évêque d'Arles, et plus jeune
que lui, fut dix -huit ans abbesse du monastère établi par
celui-ci dans sa ville épiscopale, et mourut douze ans
avant son frère, en 503 (2) . Sûrement donc, elle fut abbesse
avant l'âge de soixante ans. Gésarie la jeune, nièce du môme
saint Césaire, et de la même Césarie, la remplaça comme
abbesse du monastère d'Arles. Sûrement encore elle n'avait
pas soixante ans. Sainte Radegonde fonda vers 544 un monas-
tère de filles, à Poitiers. Ne voulant pas accepter la direction
de jeunes filles de toutes les conditions, qui l'avaient suivie,
elle fit nommer abbesse Agnès, qu'elle avait formée par ses
leçons. Or, cette Agnès n'avait pas soixante ans.
Depuis saint Grégoire ce décret fut-il observé ? Il semble
que non. A Marseille, Tillisiola, qui vivait de la moitié du
VP siècle environ au milieu du VII% mourut à 70 ans, et elle
fut abbesse 'durant quarante ans, dit l'inscription de son tom-
beau (3). Elle n'avait donc pas atteint l'âge fixé par saint Gré-
Ci) Acta Sanctorum Ordinis S, £., t. II., p. 924. — Bolland, Act.
Eusebiœ, 14 mars.
(2) Vie de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, passim.
(3) Voici l'inscription de Tillisiola :
• i + T
IN HOC TVMVLO SITA EST TILLISIOLA
ABBATISSA QVE NOMINIS SVI DBCVS
VITA FACTIS QUE 8EBVABIT
CRISTIGBNÀQ. MABIAM MENTE
SBCTVATA FIDELI VIBOO
VIBGINIBVS SACBIS XL PB^FV
IT ANNI8 VIXIT ANN LXX...
DP EIVS. VII ID. APBL IND VIII
Nous faisons remarquer que le premier nous donnons la vraie lec-
ture de ce texte épigraphique. D'éminents auteurs l'ont vu et l'ont
laissé de côté ou l'ont donné incomplet. Ce D'est pas à nous, cependant,
qu'en revient l'honneur, mais bien au savant historiographe de notre
diocèse, à M. le chanoine Albanés. Ses recherches patientes et habiles
le lui ont fait découvrir, l'affection qu'il a pour tout ce qui intéresse l'his-
— 21 —
goire. Ainsi on ne saurait dire d'une manière certaine si notre
Eusébie était aussi avancée en âge, lorsque, d'une voix una-
nime, ses compagnes l'appelèrent à les diriger.
I/Evêque de Marseille, tout heureux de ratifier un tel choix,
vint, quelques jours après, bénir la nouvelle élue (1), en
plaçant entre ses mains la crosse abbatiale, symbole de son
autorité, lui confia l'administration du monastère et le gouver^
nement des servantes de Dieu. Mieux que toute autre, peut-
être, Eusébie comprit ce que cette dignité lui imposait de
sollicitude. Ce n'était plus seulement de la perfection de son
âme qu'elle devait avoir souci; mais la responsabilité de la
sanctification, de la persévérance dans le bien de celles que sa
dignité lui permettait d'appeler ses' filles, pesait sur elle d'un
poids bien lourd.
Quarante religieuses habitaient le cœnobium de l'Huveaune.
Deux chartes du XV* siècle, en effet, parlant des reliques en
vénération à Saint- Victor, à cette époque, citent les corps de
sainte Eusébie et de ses quarante compagnes (2). Une autre charte,
toire de l'Eglise de Marseille le lui a fait recueillir. M. le chanoine Albanés
a bien voulu nous communiquer ce précieux document et nous permettre
d'en orner notre modeste travail. Nous ne savons comment le remercier
d'une telle obligeance à notre endroit !
(1) C'était à l'Evêque de bénir l'abbesse nouvellement élue. La lettre de
saint Grégoire le Grand à l'abbesse Respecta reconnaît ce droit : « Cons-
« tituentes ut, obeunte antedicti monasterii abbatissâ, non extranea,
« sed quam congregatio sibi de suis elegerit, ordinetur, quam tamen,
« si digna huic ministerio judicata fuerit, ejusdem loci Episcopus
c ordioet. i André, Hiètoire de l'abbaye de Saint-Sauveur, pièces
justificatives A.
(2) La charte de 1431 est l'autorisation donnée par l'abbé de Saint- Vic-
tor, Guillaume Dulac, à une noble Dame, Marie d'Espinosiis, veuve du
chevalier de Lumere, d'habiter et de posséder, moyennant une petite
redevance annuelle, le prieuré et l'église dédiés à la Sainte-Vierge, sous
le titre de Sainte-Marie de la Petite-Baume. Celle de 1446 est la conces-
sion du privilège d'être inhumé dans le cimetière de Paradis, accordée
aux confrères de l'association de N.-D. de Confession, par l'abbé de
Saint- Victor, Pierre Dulac. Dans ce document, comme dans celui de
1431, il est parlé de c Eusebia cum XLU aliis virginibus et martyribus. »
—Recueil de chartes par dom Lefournier, t. III. — Notice sur les cryp-
tes de Saint- Victor, par Kothen (appendice). — Guesnay, Gass. illust.,
p. 642, 704.
— 22 -
antérieure de quelques années à celles-ci et que dom Lefour-
nier a conservée dans son recueil, parle aussi des corps des
quarante religieuses martyres, qui sont ensevelis devant la
chapelle de Notre-Dame de Confession, et du corps d'Eusébie,
leur abbes^e, qui est inhumé à part, non loin de l'autel de la
Sainte- Vierge (1).
C'est fort probablement le nombre exact des religieuses
qu'Eusébie conduisait et dirigeait dans son monastère.
Eusébie fut, nous pouvons le dire, à la hauteur de sa mission.
Sous son gouvernement, la vertu et la piété ne firent que s'ac-
croître. De son côté, quelle exactitude et quel soin dans l'accom-
plissement des devoirs de sa charge I Son titre d'abbesse faisait
d'elle la mère de ses compagnes (2). A elle donc de veiller à leur
santé, à leur nourriture, à leur travailla leur sûreté, à leur
sanctification. Aussi, pas de ménagements, pas d'attentions
qu'elle n'eût pour ses filles malades. La nourriture de chaque
jour était saine et abondante, et, aux jours de fête, elle se faisait
une joie d'ajouter, suivant la prescription de la règle, quel-
ques douceurs au menu (3).
Chaque jour elle distribuait à ses filles la tâche à accomplir,
veillant darîs sa charité délicate et prévenante à ne pas imposer
une trop lourde part à celles que la fatigue ou la maladie
aurait pu affaiblir. C'était à l'abbesse de garder en dépôt
pendant la nuit les clefs du monastère; et à ces époques de
(1) Charte sans date, recueillie par dom Lefournier, dans son recueil.
Voir la page de notre travail où cette charte est citée.
(2) La règle de saint Gésaire appelle l'abbesse la mère des religieuses,
c Mat ri post Deum omnes obediant. » Régula, cap. 16. — « Quia mater
monasterii necesse habeat pro animarum salute sollicitudinem gerere...»
Gap. 25. Patrol. lat., éd. Migne, t. 67, saint Césaire, col. 1109.
(3) Règle de saint Gésaire. « Sanctœ Abbatissœ cura. . . ut vinumprovi-
deat unde aut infirma?, aut illae, quse sunt delicatius nutritae palpentur.
Gap. 28. — Pulli vero infirmis praebeantur. Gap. 17. — In ipsis laniflciis
faciendum, pensum saum quotidianum cum humilitate accipiant.
Gap. 14. — In festivitatibus majoribus ad prandium et ad cœnam fercula
addantur, et recedentibus de eà dulceamina addenda sunt. Gan. 16. —
Janua monasterii vespertinis, ac nocturnis ac meridianis horis nun-
quam pateat, ita tamen ut ipsis horis quando reficitur, claves apud se
abbatissa habeat. » Gap. 9, récapitulatif Patrol. lat. éd. Migne, saint Gé-
saire, t. 67, col. 1109, etc.
— 23 —
troubles, de guerres, il nous semble bien qu'Eusébie ne devait
prendre son repos qu'après s'être assurée par elle-même que
le moindre danger ne menaçait ses filles.
Et la sainteté de leurs âmes et leur avancement dans la
vertu et leur persévérance dans l'esprit de leur vocation,
quel soin continuel elle en avait ! Personne, ni hommes, ni
femmes, ni laïques, ni prêtres, à l'exception de TEvêque et
de ses ministres à certains jours de fête, ne pouvait entrer
au monastère. La clôture inviolable et perpétuelle était en
vigueur à cette époque (1). Notre abbesse, qui avait quitté
bien jeune le monde, devait être éloquente pour en peindre
àses filles les dangers et les périls, leur recommander la soli-
tude, le silence, la retraite, qui faisaient de leur paisible
cœnobium un arche de salut.
À Tabbesse encore de régler les jeûnes nombreux prescrits
par la règle, les jours d'abstinence et le genre de mortifica-
(1) c Nullus virorum in sécréta parte in monasterio et in oratorio
« introeat, exceptisepiscopo... presbytero, diacono et uno vel duobus
« lectoribus, qui aliquoties missas facere debeant. » G. 33. Régula ad
rirgines, S. Césaire, Patrol. lat. édit. Migne, t. 67. — € Nulla ex vobis
« usque ad mortem suam de monasterio egredi aut permittatur aut per
« seipsam prsesumat exire. »C. 1, recapitulatio. Patrol. lat. ut supra.
- Le biographe de saint Césaire d'Arles, le diacre Cyprien, dit, des
vierges que l'Evéque avait réunies dans le monastère d'Arles : c Erant
« auteminillo loco adeo inclusse, ut usque ad supremum vitse diem nulli
*. earum f as esse t extra monasterii ostium progredi.» Barralis, Chronolo-
« gia Sanctorum insulœ Lerinensis, t. 1, p. 237. La régie de saint
Césaire ayant été écrite vers 530, la clôture existait donc déjà dans toute
sa rigueur pour le monastère de filles, à l'époque de sainte Eusébie.
Bien antérieurement à cette époque, on vit les conciles chercher à l'éta-
blir tantôt par une prescription, tantôt par une autre. Les conciles d'Hip-
poneen 393, can. 26, de Carthage en 397, canon 25, défendent aux moines,
clercs, prêtres, évéques de visiter souvent les vierges consacrées à Dieu.
Un concile d'Irlande, présidé par saint Patrice, vers 450 ou 456, défend
aux moines et aux religieuses de vivre dans la môme maison ; celui
d'Agde, 506, can. 28, recommande d'éloigner les monastères des filles
de ceux des hommes. Ceux d'Epaone 517, can. 38, de Mâcon 582, c. 2, de
Rouen 650, c. 10, de Trullo691, can. 48, sont plus précis: l'entrée des mo-
nastères de filles est formellement interdite aux clercs, aux laïques, à
moins de nécessité et avec la permission de l'évêque. — Histoire des
Concile» par Roisselet de Sauclières, t. II, III. Passim.
— 24 —
tion. A Pabbesse, enfin, de faire les remontrances et d'infliger
les punitions à celles que l'orgueil ou la vanité portait à ne
pas obéir (1). Autant de détails dans lesquels Eusébie avait le
devoir de descendre, mais dont sa douceur, sa bonté savait
tempérer la rigueur.
Sous la direction si maternelle de leur abbesse, les quarante
vierges du cœnobium de l'Huveaune étaient heureuses. En l'en-
tendant leur redire sans cesse cette parole de saint Jérôme : a Je
ne puis me résigner à rien voir en vous de médiocre, je voudrais
que tout y fût exquis et parfait,» elles devaient avoir à cœur de
réaliser ces ascensions sublimes qui conduisent à la perfection.
Des bords de THuveaune, comme plus tard des champs qui
avoisinaient Saint-Victor, on pouvait dire déjà, à cause des
saintes âmes qui y vivaient dans la pratique des vertus les
plus belles, qu'ils étaient le Paradis, la porte du Paradis.
(1) a Si qua pro quacumque re excommunicata fuerit, remota a
« congregatione, in loco quo abbatissa jusserit. » G. 31. Pat roi. lat.
ut supra.
CHAPITRE III
Martyre de sainte Eusébie et de ses 40 compagnes
PREMIÈRES INCUB8I0NS DBS SARRASINS EN FRANCE. — RECÈLEMENT DES
CORPS SAINTS EN PROVENGE. — LES SARRASINS EN PROVENCE. — MAU-
RONTE APPELLE LES SARRASINS A MARSEILLE. — L'ABBBSSE EUSÉBIE
AU CŒNOBIOM DE L'HUVEAUNE. — LES SARRASINS ATTAQUENT LE
MONASTERE. — MARTYRE DE SAINTE EUSÉBIE ET DE SES COMPAGNES.
C'était au début du VIII* siècle. De bien longues années
s'étaient écoulées depuis le jour où le seuil du monastère de
l'Huveaune s'était ouvert à la jeune Eusébie. L'antique gloire
de l'abbaye cassianite n'avait fait que grandir ; les vertus de
la nouvelle servante de Dieu lui avaient donné un lustre et un
éclat dont jusqu'à la fin des temps on gardera le souvenir.
Des jours lugubres cependant s'étaient levés sur la Gaule.
Comme ce souffle de vent qui, aux jours d'été, passant bas et
rapide sur les campagnes, présage l'orage et la tempête, un
bruit sinistre avait couru. Les rares porteurs de nouvelles b,
cette époque, les voyageurs ou les moines, qui allaient de
monastère en monastère, racontaient des scènes sanglantes
qui jetaient le frisson dans les cœurs. C'était le pillage des
églises, l'incendie des monastères, de barbares et d'igno-
minieux traitements, plus terribles que la mort, infligés aux
moines, aux vierges consacrées à Dieu ; les chrétiens égorgés,
les femmes menées en esclavage, les enfants contraints à
l'apostasie. Chaque nouveau messager annonçait de nouveaux
désastres, et, détail plus poignant, que les Sarrasins, c'était
d'eux qu'il s'agissait, avançaient toujours ; qu'ils avaient
franchi les Pyrénées, qu'ils foulaient le sol de la Gaule I
Vers 716, sur Tordre des évoques, on avait enfoui les reliques
des saints et les trésors des églises (1). A Saint-Maximin, on
(1) A vrai dire, cet avertissement vint peut-être du ciel. L'anonyme de
— 26 —
recouvrait d'un amas de décombres la crypte où reposaient les
restes de sainte Marie-Magdeleine (1). On fit de même à Ta-
rascon> pour le corps de sainte Marthe (2), et au petit hameau
de Notre-Dame de la Barque, en Camargue, pour les corps des
saintes Maries (3). A Marseille, on prit les mêmes précautions.
L'église cathédrale mit à l'abri le corps de saint Lazare (4) ;
les moines de Saint- Victor, les reliques du prolecteur de leur
abbaye ; puis ceux-ci fermèrent les cryptes et réparèrent leurs
murailles. A l'abbaye cassianite de l'Huveaune, la tradition
nous dit que Ton procéda à une semblable opération. La croix
de saint André, que Ton conservait à Saint- Victor, fut portée
de ce monastère à celui de l'Huveaune, et cachée dans un
endroit ignoré (5).
A l'annonce de ces terrifiantes nouvelles, durant ces prépa-
ratifs hâtés, signes avant-coureurs de bien tristes événements,
de quelles angoisses l'âme d'Eusébie devait être remplie ! Elle
la vie de saint Porcaire de Lérins rapporte que ce saint abbé connut, par
la révélation que lui en fit un ange, la destruction prochaine de son mo-
nastère, et reçut l'ordre de cacher les reliques des Saints : « Gum gens
< agarenorum furens, omnem depopulasset Provinciam, angélus Do~
c mini... apparuit in sommis S. Porcario, dicens : Surge velociter, et
a occulta reliquias, quasin hac sacra insula decrevit Dominusper multa
« tempora observandas... S. Porcarius dicit : Occultemus, viri fra-
c très, venerafbiles reliquias, ne a sacrilegis contingantur. » Chrono-
logies sanctorum insulœ Lerinensis a Barrali, 1. 1, p. 221. — Paillon,
Monuments inédits. . . 1. 1, col. 681 .
(1) Cette opération fut faite durant une nuit de décembre de l'an 716,
sous le règne d'Eudes, duc d'Aquitaine, par les religieux cassianites de
Saint-Maximin.
(2) L'abbé Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte
Magdeleine, 1. 1, col. 682-690. — Légendes et traditions provençales,
par le marquis de Virieu, p. 11^.
(3) Faillon, op. cit., 1. 1, col. 1280. — De Virieu, op. cit., p. 98.
(4) Et pour les mettre plus en sûreté, Gérard de Roussillon, comte de
Provence, les transporte à Autun, un peu plus tard, à l'exception du chef
du saint évêque martyr, que deux chanoines de Marseille purent ravir à
celui qui emportait les vénérables reliques.
(5) Vesuntio civitas imperialis, par J.-J, Ghifflet, p. 199 et suivantes.
Sacrum gynœcœum, au 30 décembre, par Arthur de Monestier, —
Martyrologium Gallicanum* par de Saussay, natalis eancti Andreœ. —
Cassianus illustratus, par Guesnay, p, 475.
— 27 —
était, par le fait de sa charge, la gardienne de ses filles ; qu'al-
laient-elles devenir, si les flots de la barbarie arrivaient sous
les murs du monastère ! Quel triste sort leur était réservé !
Aussi la sainte abbesse passait de longues heures prosternée
au pied de l'autel, recommandant à l'Hôte du tabernacle
celles qu'elle appelait ses filles, mais dont il avait daigné faire
ses épouses privilégiées.
Un moment l'orage sembla devoir s'éloigner de la Provence.
Un joyeux message, en effet, celui de la victoire de Poitiers,
gagnée par Charles- Martel, était arrivé en 732, rassérénant les
cœurs et calmant les alarmes (1). Que d'actions de grâces
durent être adressées à Dieu et à Marie, qui déjà se consacrait
le mois d'octobre par l'écrasement de la barbarie (2). Hélas,
ce ne fut qu'une éclaircie dans la tempête! Les jours rede-
vinrent mauvais. Les Sarrasins avançaient, et, successivement,
on apprenait, en 736, qu'ils étaient aux portes de la Provence ;
qu'ils y avaient pénétré, en franchissant le Rhône; qu'Avignon
était tombé entre leurs mains ; que le gouverneur de Mar-
seille, Mauronte, trahissant son prince, vendant sa patrie, les
avait appelés !
« Deus, adjuva nos, » dut s'écrier la chère sainte Eusébie,
à cette nouvelle, «Dieu venez à notre aide, car ceux qui
doivent nous garder abandonnent notre cause ! » Il sembla
que cette prière fût entendue, car, vers 737, celui que l'on
appelait le Marteau, le bras de fer, Charles Martel, accourut en
Provence et les Barbares reculèrent. De quel poids immense
durent être soulagés tous les cœurs 1 Hélas encore, la joie de
tous fut de courte durée 1 Obligé de quitter la Provence, en
738, Charles Martel, la terreur des Sarrasins, remonta vers le
(!) c Du champ de bataille même, Charles Martel expédia à Grégoire III,
à Rome, des messagers, pour lui annoncer la victoire de l'armée chré-
tienne. . . Leur rapide passage à travers les populations, que l'invasion
musulmane avait frappées d'épouvante, fut une course triomphale. Dans
toutes les églises de France et d'Italie on rendit à Dieu de solennelles
actions de grâces.» Dan-as, Histoire générale de l'Eglise, t. XVII, p. 41 .
(2) L'abbé Darras prouve en note, dans son Histoire générale de
l'Eglise, t. XVII, p. 93, que la bataille de Poitiers a été livrée le samedi
tt octobre 732.
— 28 —
Nord. Aussitôt les Barbares reprirent leur marche en avant.
En quelques mois, Avignon, Arles, Marseille et les contrées
environnantes devinrent la proie de leurs fureurs, sans que
Hauronte, qui les avait appelés, pût en être le maître.
A cette heure critique, n'allons pas croire que l'affolement et
la terreur envahirent le monastère de l'Huireaune. C'est le pro-
pre des âmes basses et criminelles de trembler ; les âmes fortes
et chrétiennes relèvent la tête. Lisant au ciel la volonté de
Dieu, elles l'adorent, l'acceptent et se mettent en mesure de
l'accomplir. En retour Dieu envoie la force et le courage qui
trempent les volontés et raffermissent les cœurs.
On se trouvait dans cette disposition d'esprit au cœnobium
de rHuveaune. Eusébie voyait venir le martyre. Prête pour sa
part à l'endurer, elle y préparait ses compagnes. Nous devi-
nons sans peine le sujet habituel des exhortations de l'abbesse
à ses filles : le martyre, la gloire de le souffrir pour conserver
intacte cette belle fleur de virginité qu'elles avaient vouée à
Dieu.
Cependant, les nouvelles devenaient chaque jour plus affli-
geantes. Où aller, où se réfugier ? Marseille était envahie par
les Barbares. D'affreuses scènes de carnage, que Mauronte ne
pouvait empêcher, y avaient lieu. Les routes étaient cou-
vertes de fuyards, les campagnes sil lonnées pa r les maraudeurs.
Déjà même du haut des murailles de l'abbaye on pouvait aper-
cevoir des coureurs isolés, des bandes détachées, qui, se cachant
durant le jour dans les bois avoisinants, venaient le soir, à la
faveur des ténèbres, épier le monastère sans défense, calculer
ce qu'il devait receler de trésors et ce qu'il pouvait procurer
de basses satisfactions aux instincts brutaux et sanguinaires de
ceux qui le prendraient d'assaut.
Chère sainte Eusébie, quel long et douloureux martyre Dieu
vous faisait souffrir 1 A la pensée du sort ignominieux dont les
ennemis de votre Dieu vous menaçaient, vous et vos com-
pagnes, quelle pâleur parfois sur votre front, et quelles larmes
dans vos yeux 1 !
L'heure du sacrifice cependant avait sonné.
Un soir, pendant que les vierges de l'Huveaune, réunies
dans leur chapelle, prolongeaient leur sainte veillée, comme
- 29 —
si elles se doutaient que ce dût être la dernière, une rumeur
sourde, vague, lointaine se fit entendre au dehors ; le vent
qui gémit dans la forêt apporte des sons inarticulés, des cris
étouffés, parfois le heurt retentissant d'une armure, et puis. . .
le silence le plus profond. Seul le bruit du flot qui se brise sur
les rochers ou qui expire sur la grève vient le troubler à in-
tervalles réguliers. Des ombres de plus en plus nombreuses
errent d'ici de là. Sur la mer, à quelques encablures de la
côte, de lourds navires croisent dans l'obscurité, tandis qu'en-
tre les berges de l'Huveaune des barques défilent et remontent
le courant. Et tout ce murmure confus, indécis, insaisissable,
augmente et se rapproche insensiblement.
Soudain une clameur féroce, sauvage retentit. A ce signal,
de tous côtés les Sarrasins bondissent. Il en sort des profon-
deurs du bois, il en accourt des barques amarrées au rivage, à
l'embouchure du fleuve ou le long de ses bords. Le monastère
est entouré. Des torches s'allument, les glaives brillent, les
lances s'agitent, les boucliers s'entre-choquent ; des cris, des
imprécations, des blasphèmes se font entendre. Une bande
plus acharnée se met à la recherche de la porte du monastère.
Les vierges du Christ, comme de timides colombes que l'ou-
ragan a surprises, se pressent autour de leur abbesse. Elles
murmurent, les yeux levés au ciel, cette parole de nos saints
livres : a Ne livrez pas, Seigneur, aux botes impures les âmes
qui se sont confiées en vous ! »
La porte du monastère est trouvée! Sous une violente
poussée, elle vole en éclats et la horde sauvage s'élance, se
répand de tous côtés, liais personne.dans les cloîtres, dans les
salles basses, dans les cellules I . . . Les Sarrasins, interdits,
troublés, furieux, s'arrêtent.
Un chant plaintif et suave arrive à ce moment jusqu'à eux.
Ils prêtent l'oreille. La faible lueur qui s'échappe d'une des
ouvertures de l'oratoire leur indique l'endroit où se trouve ce
qu'ils recherchent. Ils se précipitent vers l'église. La porte,
plus solide cette fois, résiste à leurs efforts. Ils redoublent de
blasphèmes, et poussent plus violemment ; ils ne peuvent que
l'ébranler.
Dans l'intérieur de la chapelle, quel spectacle émouvant !
>
— 30 —
Debout au milieu de ses filles, au pied de la croix, devant
l'autel , Eusébie tient dans sa main un fer meurtrier. Prévoyant
la honte et l'ignominie du supplice que les barbares réservent
à ses compagnes, elle brandit, avec une sainte énergie, ce
glaive d'un nouveau genre, et de ses lèvres autant que de son
cœur, s'échappent ces nobles accents: « 0 mes filles 1 l'heure
est venue de mouiir pour notre Dieu et notre époux céleste,
Jésus-Christ I Gardons- lui nos cœurs sans tache et sans souil-
lure. Si ses ennemis veulent nous arracher à son amour,
trompons en cet instant leurs perfides desseins. Mille fois la
mort plutôt que le déshonneur et le péché ! Voici un glaive,
mes filles, défigurons nos visages pour garder nos cœurs à
Dieu. Donnons à Jésus -Christ notre dernier captique, gage
suprême de notre amour 1 •
D'une voix assurée, Eusébie entonne alors l'hymne sainte
de l'espérance et de la confiance en Dieu. Puis, d'une main
courageuse, elle presse l'instrument tranchant sur son visage
et mutile son nez et ses lèvres. La religieuse la plus rappro-
chée imite son abbesse. Ensanglanté, le couteau vole de main
en main, accomplissant chaque fois son terrible ouvrage.
Le doux concert des voix virginales va s'affaiblissant au fur
et à mesure qu'augmente le nombre des héroïnes de la chas-
teté. Ce n'est bientôt plus qu'un plaintif gémissement, qui
cesse tout à coup...
En effet, dans la main de la dernière compagne d'Eusébie, la
plus jeune peut-être, une vague et ancienne tradition (1) nous
(t) C'est un souvenir d'enfance que nous rapportons ici . Le premier
récit qui nous lut fait de cette légende marseillaise renfermait ce détail
qui demeura, depuis, profondément gravé dans notre mémoire. Ce n'était
peut-être bien en réalité qu'une simple fiction de conteurs plus ou moins
Imaginatifs. Mais, chose remarquable, nous avons rencontré il y a des
années cette même particularité dans une légende relatant le martyre,
en Espagne, à l'époque des Maures, des religieuses d'un couvent, qui
furent les dignes imitatrices de notre sainte Eusébie par l'héroïsme avec
lequel elles se mutilèrent le visage, afin d'échapper à la lubricité des
Barbares 1 D'ailleurs n'incriminons point trop l'intention de nos aïeux 1
En quoi la puissance de la grâce sur les âmes est-elle diminuée ? La
jeune compagne d'Eusébie a- 1- elle moins mérité la palme du martyre?
Est-ce qu'une telle hésitation n'est pas dans la mesure de l'infirmité
— 31 —
dit que le fer a tremblé. Une lutte terrible se livre en cette
âme. Le sang généreux qui coule autour d'elle, les clameurs
impies qui retentissent au dehors, l'entraînent au sacrifice.
Mais Thorreur de la souffrance et, sans doute, le sacrifice
de sa beauté la font hésiter.
Or, les barbares s'acharnaient contre la porte de la chapelle,
la secouant avec fureur, la frappant à coups de hache. Quel
moment de poignante douleur pour Eusébie et ses filles 1
Toutes sont à genoux, aux pieds de cette enfant, les bras
tendus vers elle, la suppliant de leurs regards, ne pouvant le
faire de leurs lèvres mutilées, de ne pas perdre le ciel, pour
conserver quelques charmes périssables. La pauvre enfant
hésitait toujours 1 . . .
Mais les cris redoublent, la porte ébranlée, soulevée,
s'échappe de ses gonds et se renverse avec fracas. Dieu se
laissa toucher par le cri du cœur de ses martyres. La jeune
enfant n'hésite plus. Pour la quarante et unième fois, le fer
meurtrier, conduit par une main redevenue héroïque, fit la
dernière victime, puis glissa sur les dalles du saint lieu.
Au môme instant, par la porte brisée et abattue, des flots
pressés de Sarrasins, ivres de fureur, de lubricité et de carnage,
se précipitent. En un clin d'œil ils arrivent au pied de l'autel,
à deux pas d'Eusébie et de ses filles à genoux, les yeux et les
mains au ciel. A la vue du sang qui inonde les pauvres victi-
mes, des affreuses blessures qui les ont défigurées, les barbares
s'arrêtent, reculent et frémissent d'horreur. Mais bientôt leur
colère, leur rage éclate ; et voyant que la proie convoitée
leur échappe, ils se précipitent de nouveau, foulant aux pieds,
frappant du glaive, de la hache, de la lance, du bouclier les
vierges du Christ et les massacrent sans pitié. Ils saccagent
humaine ? Ne lit-on pas dans le récit du martyre de saint Porcaire de
Lérins, que, sur les 500 religieux massacrés par les Sarrasins, deux des
plus jeunes, Golumban et Eleuthère, eurent peur,< duos ex ipsis juvenes
plurimum formidare, » et coururent se cacher dans une caverne. Golum-
ban, touché par la grâce, rougit de sa frayeur et vint rejoindre les géné-
reux confesseurs de la foi avec lesquels il succomba. Quant à Eleuthère,
il ne sortit de sa cachette que lorsqu'il vit s'éloigner les barques des
Sarrasins.— Chronologie/, sa net. Insul. Lerinensis a Barrali, 1. 1, p. 222.
- 32 —
ensuite, pillent et détruisent tout ce gui s'offre à eux, mettent
le feu au monastère et se retirent à la hâte par les sentiers
obscurs de la forêt ou sur les navires qui les ont amenés.
Ceci se passait, si nous en croyons les termes de l'inscrip-
tion lapidaire placée autrefois sur le tombeau de sainte
Eusébie, à Saint- Victor, le pridie kalendas octobris, indic-
tione VI ', c'est-à-dire le 30 septembre 738.
CHAPITRE IV (1)
Sainte Eusébie et son culte immémorial
LB6 RESTES DES CASSIANITES PORTÉS A SAINT-VICTOR.— SOUVENIR QUE
i/ON CONSERVE DU FAIT GLORIEUX DE LEUR MARTYRE. — SAINT
TSARNB VISITE LES CRYPTES ET Y VÉNÈRE LES RELIQUES. — « IBI
ADTBM SEORSUM TURBA SACRARUM VIRGINUM QUIESClT ». — CES
VLBRGES SACRÉES ENSEVELIES, NON PAS DANS LE CIMETIÈRE DE
PARADIS, MAIS DANS LES CRYPTES. — LA « TURBA SACRARUM VIRGI-
RUH », CE SONT SAINTE EUSÉBIE ET SES COMPAGNES.
La nouvelle de cet horrible carnage se répandit bien vite
dans les environs et arriva jusqu'à Marseille. Le gouverneur
de la ville, Mauronte, ne dut pas l'ignorer. Il vit bien quels
alliés il avait appelés pour l'aider à trahir son prince et sa
patrie. L'effroi s'empara de tous les cœurs et Ton n'eut plus
d'espérance qu'en Dieu seul.
Cependant, au lendemain de la catastrophe, quelques colons
du monastère, échappés à la mort, de pieux chrétiens, cachés
aux environs, des moines peut-être, venus à la dérobée de
Saint- Victor, recueillirent pendant la nuit ces restes glorieux,
les transportèrent en secret dans les cryptes de l'abbaye et les
placèrent très probablement sous le pavé, devant la chapelle
de Notre-Dame de Confession (2). Mais, sous les dalles des
cryptes qui recouvrirent ces ossements sacrés, ne put être
(1) Au sujet de ce chapitre et des deux qui suivent, l'auteur a le
devoir de déclarer, que pour lui, comme pour tout bon Marseillais, le lait
du martyre de sainte Eusébie et de ses compagnes, ainsi que le culte
ininterrompu, quoique point très apparent, qu'on leur a rendu à travers
les siècles demeure hors de toute conteste. C'est là la foi de nos pères et
la tradition de notre Eglise. Nous n'avons qu'à l'accepter. Si donc l'on
trouvait trop faibles et pas assez concluantes les preuves a l'appui, c'est à
l'insuffisance de l'auteur et non à cette tradition que Ton devrait s'en
prendre. {Note de l'auteur.)
(2) C'est en cet endroit que nous les retrouverons vers Tan 1000.
.3
- 34 —
enseveli le souvenir de la fin glorieuse de ces chastes épouses
de Jésus-Christ. Ceux qui en portèrent les restes sanglants
durent être les premiers à faire connaître ce qu'ils pouvaient
savoir de détails sur l'horrible scène. Eurent- ils l'idée de la
regarder comme un véritable martyre ? M. de Rey dit que
non : « Au moment où les Sarrasins faisaient tant de victimes,
où chaque jour ils immolaient sans pitié hommes, femmes,
enfants, moines et prêtres, on considéra la mort desCassia-
nites comme un des événements douloureux de la guerre,
mais non pas comme un martyre (1). » Nous le croyons aussi.
Pour ces braves colons du terroir de Saint-Giniez, pour ces
serviteurs de l'abbaye de l'Huveaune, ce massacre ne fut qu'un
acte de barbarie à ajouter aux tueries sauvages qui ont
marqué le passage dans nos contrées de ces farouches enva-
hisseurs.
Le côté héroïque cependant de cette mort dut les frapper.
C'est par là qu elle se distinguait du trépas de tant d'autres
victimes inconnues ou ignorées à cette époque désastreuse.
Ce fut aussi ce qui en fit passer le souvenir à la postérité, et
le nom de desnarrados donné à ces martyres l'a fait arriver
jusqu'à nous. Un détail encore frappa les esprits, ce fut le
nombre des victimes. Elles étaient quarante sans compter
Eusébie, dit la tradition. Et aujourd'hui, sans avoir la moindre
idée d'y contredire, nous les appelons: Eusébie et ses quarante
compagnes.
Le fait du massacre des vierges de l'Huveaune fut ainsi
toujours présent à la mémoire de tous. On se le transmit, on
se le raconta. Plus tard, au XI* siècle, les annales du monas-
tère, relevé de ses ruines, en gardèrent le souvenir, et proba-
blement déjà, comme d'anciens manuscrits l'attestent pour
une époque postérieure, « à chaque novice qui faisait pro-
fession, on devait rappeler l'héroïsme d'Eusébie et de ses
quarante compagnes (2). »
Cette persévérance cependant de la part des religieuses
(1) Invasions des Sarrasins en Provence, par M. 6. de Rey, p. 144.
Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 237.
(2) Deuxième leçon du II* nocturne de l'office pour la fête de sainte
Eusébie, 11 octobre, Propre du diocèse de Marseille.
— 35 —
cassianites à se transmettre des unes aux autres le souvenu*
de la fin glorieuse de leurs sœurs, ne constitue pas, à propre-
ment parler, un .culte public établi en leur honneur. Nous ne
connaissons pas pour le IX* et le X* siècle d'autre fait ou
d'autre monument qui soient l'indice d'une vénération plus
accentuée de la part des fidèles. A cela rien d'étonnant. Aux
Sarrasins du VHP siècle ont succédé les Normands et les Sar-
rasins du IX- et du X- siècle. Sous les coups répétés de ces
barbares, l'abbaye cassianite a succombé de nouveau. Un
siècle presque entier, (de 923 à 1004) s'écoule sans que les murs
en soient relevés. Toutes les religieuses qui avaient pris avec
un saint élan la place des compagnes d'Ëusébie sont mortes,
d'autres leur ont succédé et sont mortes à leur tour. Surtout
le monastère ne s'élève plus là, sur les bords de l'Huveaune,
où sont tombées les héroïques martyres. Le souvenir du mas-
sacre a donc pu s'effacer quelque peu.
Malgré tout cependant, la tradition en demeurait vivace. A
cette époque, en effet, vers l'an 1000, on conservait à Saint-
Victor les corps des vierges de Jésus-Christ, ensevelis dans un
endroit à part des cryptes. Ce lieu béni, on le montrait aux
visiteurs de* l'abbaye, et sans aucun doute, en cicérone cons-
ciencieux, le moine qui les guidait, avec ces reliques qu'il
faisait vénérer, racontait d'une manière sommaire la vie et la
mort d'Ëusébie et de ses compagnes.
C'est ce que nous apprend la vie anonyme de saint Ysarne,
abbé de Saint-Victor. Il était jeune encore lorsqu'il vint à
Marseille en compagnie du moine 6aucelin.Se prenant d'affec-
tion pour les cryptes, il les visita avec foi et amour. Or, écoutez
les détails que donne l'historien : « Les religieux qui accom-
pagnaient le jeune Ysarne, tout heureux de la piété que
manifestait leur visiteur, s'attachaient à satisfaire le vif
désir qu'il éprouvait de parcourir les cryptes. Aussi, remplis
d'une douce charité pour lui, ils le conduisirent dans tous les
sanctuaires. Lui montrant un point des cryptes : « En cet
endroit, lui dirent-ils, repose la vénérable armée des martyrs,
auxquels on ne s'adresse jamais en vain, et qu'entoure de tous
côtés, dans les vastes champs d'alentour, le peuple innombrable
des saints confesseurs, jadis religieux de notre monastère. Ici,
— 36 —
à part, repose la troupe des vierges sacrées. Là, dans cet étroit
sacrarium qui est creusé dans la roche vive, sont le3 tombeaux
des saints Innocents (1). »
On a traduit différemment que nous cette page de la vie de
saint Ysarne, et notamment Yibi autem seorsum ne désigne-
rait pas un endroit à part des cryptes, mais un coin du cime-
tière de Paradis réservé à l'ensevelissement des Filles de saint
Cassien. Ce texte perdrait ainsi toute valeur pour nous (2 j.
À notre avis une telle interprétation est fausse. Pour le
démontrer, expliquons ce texte avec quelque détail.
D'abord, la première phrase : on visite a ce lieu où reposent
les martyrs dont personne n'implore en vain la puissance :
Hune locum venerandus martyrum, eut nunquam frustra
supplicatur, tenet exercitus. » Quel est cet hune locum ? Ces
mots désignent ou les cryptes, ou bien un coin du cimetière de
Paradis, ou le cimetière de Paradis dans son entier.
Or, ce n'est pas d'un coin du cimetière de Paradis que Ton
veut parler. Les chartes qui traitent de Paradis, notamment
celle de 1044, dans laquelle on raconte que Fulco et Odile son
épouse firent rebâtir à leurs frais, à la prière de saint Ysarne,
alors abbé de Saint-Victor, l'antique chapelle de Saint-Pierre
de Paradis, ne disent pas qu'il y eût un point déterminé, un
endroit à part où les corps des martyrs étaient ensevelis. Et
cependant cette charte de 1044 explique bien ce qu'était Para-
dis : « Ce cimetière, situé à la porte du monastère, est appelé
Paradis, parce qu'un grand'nombre de corps de saints martyr^,
de confesseurs et de vierges y reposent (3).* Incodtestablement,
(1) « Hune, aiunt, locum venerandus martyrum, cui nunquam frustra
suppllcatur, tenet exercifus, quos per hos totos latè patentes campos
sanctorum confessorum, hujus loci quondam monachorum circum circa
innumerabilis populus ambit. Ibi autem seorsum sacrarum virginum
turba quiescit. At in illo interiori sacrario quod in ipso naturali saxo
excisum vides » — Vita Sancti Ysarni; Acta SS. ordinis Béné-
dicte t. VIII, p. 584.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 235.
(3) t Quse ecclesia vel locus, multis retroactis temporibus, vocatus est
Paradisus, ideirco vero idem locus ad porta m monasterii situs, vocatus
est Paradisus, sicut et nos com péri mus, quia multorum corporum vide-
iicet sanctorum martyrum confessorum ac virginum eodem loco quies-
— 37 —
s'il y avait eu dans ce cimetière un endroit spécialement consa-
cré par les dépouilles des saints martyrs, vers lequel les foules
se seraient portées, conduites par la vénération qu'elles avaient
pour ces reliques, la charte 1044 l'aurait indiqué. Elle ne dit
rien de semblable. Donc il n'y a pas dans Paradis de hune
îoeum spécial, sanctifié par la présence des ossements des
martyrs.
Est-il question du cimetière de Paradis en entier ? Mais alors
où se trouvaient les vastes champs dans lequel le biographe de
saint ïsarne affirme que reposaient les saints confesseurs jadis
religieux de Saint-Victor ? On ne peut le nier, ces latentes
campos ne sont autres que les champs de Paradis môme. Donc,
cet hune loeum n'est point le cimetière de Paradis tout entier.
Donc par ces mots hune loeum il faut entendre les cryptes,
et mieux, un point particulier des cryptes, la chapelle de
Notre-Dame de Confession, ainsi appelée, disent les auteurs,
i cause des nombreux corps de martyrs au-dessus desquels la
Sainte Vierge a son trône élevé (1).
Arrivons à la deuxième phrase. Les visiteurs s'arrêtent
devant l'endroit à part où reposent les vierges sacrées. Ibi
auiem seorsum sacrarum virginum turba quiescit , Qu'indi1-
quent ces deux mots ibi seorsum ? Un coin encore de Paradis,
ou le cimetière de Paradis tout entier ? Ni l'un ni l'autre.
Il ne s'agit pas d'un coin du cimetière de Paradis. Nous le
répétons, s'il y avait eu dans Paradis . un endroit à part, des-
tiné à l'ensevelissement ici des martyrs, là des confesseurs,
plus loin des vierges, la charte de Fulco et d'Odile l'aurait
insinué de quelque manière. Or, elle ne dit rien de semblable.
Il ne s'agit pas du cimetière de Paradis en entier, puisque,
d'après le texte de la vie de saint Ysarne, la dépouille des
centium, decoratur auxiliis et suffragatur meritis. » — Cartulaire de
8aint-Victor, II, charte 32, Carta sancti Pétri de Paradiso.
(1) c Le nom de confession était donné aux sépulcres des martyrs et
des confesseurs, parce que le lieu des maitres-autels où Ton renfermait des
reliques de martyrs portait le nom de confession » — Rufll, Histoire
de Marseille, t. Il, p. 115. — Marchetti, Explication des usages et cou-
tûmes des Marseillais, p. 190.— Martigny, Dictionnaire des antiquités
chrétiennes, p. 173.
-38 -
vierges consacrées à Dieu repose dans « un endroit à part . »
Forcément on veut parler des cryptes.
D'ailleurs, admettez un instant que Vibi seorsum désigne un
coin du cimetière de Paradis, réservé à l'ensevelissement des
filles de saint Cassien. Voyez le bizarre itinéraire que Ton fait
suivre aux visiteurs. Le hune locum venerandus martyrum
se trouve bien dans les cryptes. Impossible, on Ta vu, d'en
faire un coin de Paradis. Ysarne donc et les moines qui le
guident sortent des cryptes, où ils ont vénéré les martyrs
qui y reposent, viennent dans Paradis pour y visiter l'endroit
à part « ibi seorsum » où reposent les vierges sacrées. Puis
ils redescendent dans les cryptes pour y vénérer au sacra -
rium les reliques des saints Innocents. Mieux valait saluer le
hune locum venerandus martyrum dans les cryptes, conti-
nuer la visite en passant devant le sacrarium où l'on garde
les reliques des saints Innocents et remonter ensuite dans les
champs de Paradis pour y vénérer en cet endroit à part les
reliques des saintes vierges cassianites ! Non, l'interprétation
donnée par quelques auteurs est fausse. Le hune locum est la
chapelle de Notre-Dame de Confession, le ibi autem seorsum
le devant de l'autel de Notre-Dame, et le sacrarium la cha-
pelle de sainte Marie-Magdeleine. Ainsi les visiteurs n'ont pas
quitté les cryptes. Mais, après s'être agenouillés devant le hune
locum, ils viennent se prosterner là où reposent les vierges
sacrées, puis ils visitent le sacrarium des saints Innocents.
Certains hésiteront peut-être à accepter notre interprétation,
sous le prétexte qu'il semble nécessaire d'admettre la déter-
mination dans Paradis d'un coin spécialement réservé à l'en-
sevelissement des filles de Cassien. Or, nous croyons qu'il n'y
a jamais eu, à aucune époque, semblable affectation.
En effet, si quelqu'un avait dû posséder ce privilège, de repo-
ser dans un endroit à part du cimetière de Paradis, c'étaient les
moines de Saini-Victor. Or, la chane de 1044 dit simplement
que a dans Paradis reposent un grand nombre de corps de
saints martyrs, de confesseurs et de vierges. » Le texte de la
vie anonyme de saint Ysarne dit que « les corps des confes-
seurs, jadis moines de l'abbaye, reposent dans les vastes
champs qui entourent les cryptes. » C'est donc d'ici de là,
— 39 —
sans ordre bien établi, sans affectation particulière pour les
moines ou pour les religieuses, que l'on a inhumé dans Para-
dis, durant tant de siècles, les corps que l'on y a portés. Cha-
cun choisissait, ou Ton choisissait pour le défunt, l'endroit de
sa sépulture, suivant la dévotion que l'on avait pour tel saint
ou tel martyr. L'essentiel était de reposer auprès d'eux. Si donc
les moines n'avaient pas d'endroit à part pour leurs dépouilles
mortelles, les religieuses cassianites n'en avaient pas non
plus.
On alléguera, sans doute, les tombeaux découverts jadis
auprès de la chapelle de Sainte-Catherine et nous entendons
Ruffi nous dire que « tous ces tombeaux marquaient que ce
lieu était assurément un cimetière et que c'étaient des reli-
gieuses qu'on y avait enseveli (1). » Il y a du vrai et du faux
dans ce qu'affirme Ruffi. « Tous ces tombeaux marquaient
que ce lieu était un cimetière. » C'est vrai. Paradis devait
s'avancer jusqu'aux environs de la chapelle qui, bâtie plus
tard, fut dédiée à sainte Catherine. Mais que ce fussent des
religieuses qui y étaient ensevelies, c'est ce que Ruffi aurait
dû prouver 1 II donne l'épitaphe de l'une d'entre elles :
Ëugénia. Soit. Mais il aurait dû citer les autres inscriptions,
s'il y en avait; et, s'il n'y en avait pas, qui Pautorise à affir-
mer que les personnes enterrées à côté d'Eugénia étaient des
religieuses comme elle ?
Ce texte de Ruffi ne prouve donc rien contre notre opinion.
Et il est vrai de dire que ïibi seorsum ne se trouve pas dans
Paradis. C'est plutôt un endroit à part dans les cryptes. Quel
endroit ? Nous ne pouvons le désigner sûrement. Mais, on l'a
vu plus haut, si le hune locum venerandus martyrum est la
chapelle de Notre-Dame de Confession, nous croyons que
lïW seorsum désigne le devant de l'autel, le pavé du sanc-
tuaire de Notre-Dame.
La vraie et rigoureuse interprétation de ce passage étant
donnée, quelle est cette turba sacrarum virginum dont les
dépouilles reposent ibi seorsum, dans cet endroit à part des
cryptes ? Il ne s'agit certainement pas de toutes les religieuses
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 55.
- 40 —
cassianites, qui ont vécu avant le X' siècle. Pas plus que les
moines de l'abbaye de Saint-Victor, elles ne recevaient la
sépulture dans les cryptes. On n'y ensevelissait que les reli-
gieux ou religieuses d'un caractère de sainteté assez marquant
et reconnu (1). Quant aux autres moines ou religieuses, c'est à
Paradis que leurs corps étaient inhumés. Voilà pourquoi la
vie anonyme de saint Ysarne parle des vastes champs oh re-
posent les confesseurs, jadis moines de l'abbaye, et la charte
d'Odile et de Fulco rappelle que dans Paradis reposent les
corps des martyrs, des confesseurs et des vierges.
Il s'agissait donc d'un nombre restreint de religieuses, aux
dépouilles desquelles on avait donné cet endroit pour sépul-
ture. Mais quelles religieuses a-t-on jamais inhumées ailleurs
qu'à Paradis ? En faveur de qui a-t-on fait une exception ?
Pas pour d'autres religieuses que les compagnes d'Eusébie.
En effet, le mot turba implique un certain nombre et la
tradition dit que les compagnes d'Eusébie étaient quarante.
C'est à part, seorsum, entre le lieu où reposent les martyrs et
le 8acrarium taillé dans le rocher, que repose la troupe des
vierges sacrées et c'est à un endroit, à part encore, devant
l'autel de Notre-Dame de Confession, que la tradition et les
chartes les font reposer. La similitude est trop frappante pour
que l'on hésite un instant. C'est bien d'Eusébie et de ses com-
pagnes qu'il s'agit dans ce passage de la vie de saint Ysarne.
D'ailleurs une charte du XV* siècle nous l'assure. Sainte Eusébie
fut placée dans un tombeau, derrière la chapelle de Notre-
(!) Les martyrs et les confesseurs ont joui les premiers du privilège
de la sépulture dans les églises. Il y avait une raison plausible que don-
nait saint Ambroise :« Succedunt victimse triumphales in locum ubi Chris-
tus est. Sed ille super altare qui pro omnibus passus est, isti sub altari
qui illius redemptisunt passione. » Un peu plus tard, les fidèles jouirent
de ce privilège. Mais il y eut bientôt des abus. Dès lors, un concile
de Braga défendit cette pratique. Au IX* siècle, un évoque d'Orléans lit
de même, mais il admettait des exceptions : « Nemo in ecclesia sepe-
liatur, nisi forte talis sit persona sacerdotis aut cujuslibet justi hominis,
qui per vit© meritum talem vivendo suo corpori defuncto locum acqui-
sivit. » — La Sépulture chrétienne en France, par Arthur Murcier,
p. 76, 77. — Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. II,
p. 219 et suivantes.
— 41 —
Dame de Confession et ses quarante compagnes furent déposées
devant l'autel de la bienheureuse Vierge Marie.
Or, cet ensevelissement à part auprès de Notre-Dame de
Confession, à l'endroit le plus sacré de nos cryptes, à côté
des reliques des plus illustres martyrs ; ce pèlerinage que Ton
fait auprès de ces restes? ; cette vénération que Ton a pour eux,
est-ce autre chose que la marque et le signe que Ton conserve
pieusement le souvenir du trépas héroïque de ces saintes
vierges et que Ton a voulu mettre une différence entre leur
genre de mort et la mort simple et naturelle des autres reli-
gieuses ? C'était une sorte de culte qui s'établissait. Eusébie
et ses compagnes étaient donc honorées et déjà saint Ysarne
disait un des premiers, au fond de son cœur : Bienheureuses
filles de notre père Gassien, priez pour nous !
CHAPITRE V
Sainte Eusébie et son culte immémorial
(Suite)
SAINTS BU3BBIB BT SBS COMPAGNES, ENSEVELIES SOUS LB PAVÉ DBS
CRYPTB8, DU VIII" SIÈCLE AU XIV* SIÈCLE. — CHARTE SANS DATE, PAR.
LANT d'EUSÉBIE ET DE SBS COMPAGNE6. — LB CULTE EN L' HONNEUR
DBS SAINTBS MARTYRES S'ACCENTUE AU XIV* SIÈCLE. —SAINTE EUSÉ-
BIE DAN8 UN TOMBBAU A PART. — SBS COMPAGNES , DEVANT L'AUTEL
DB NOTRE-DAME DB CONFESSION. — ON VISITE CETTB CHAPELLE. —
MONSEIGNEUR DE BELSUNCE ÉTABLIT LB CULTB PUBLIC EN L'HONNBUR
DB NOS SAINTBS MARTYRES.
Combien d'années, ou mieux combien de siècles, ces restes
précieux demeurèrent-ils en cet endroit, honorés par les visi-
teurs des cryptes, mais ne recevant point encore cependant
de la généralité des fidèles ces marques de vénération qui
constituent un véritable culte public ?
Trois ou quatre peut-être. En effet, un inventaire des reli-
ques possédées par l'abbaye de Saint-Victor, rédigé en 1363,
ne fait aucune mention de nos chères saintes. A cette époque,
Urbain V avait ordonné de restaurer Saint-Victor. Or, au
moment de détruire le maltre-autel de l'église supérieure,
pour le remplacer par celui que ce Pape devait consacrer
deux ans plus tard, on ouvrit une grande caisse placée sous
cet autel et dans laquelle plusieurs corps saints étaient ren-
fermés. Le procès -verbal dressé à cette occasion énumère les
reliques que Ton y trouva. Il n'y a rien d'Eusébie, ni de ses
compagnes (1).
Déplus, à l'occasion de la consécration de l'autel en 1365,
on avait placé, à droite et à gauche, dans l'église supérieure,
(1) Recueil de chartes de Saint- Victor, par Dom Lefournier, t. III,-
archives départementales.
ST. HUE OCCUPEE J
— 43 -
des reliques insignes que l'on avait tirées des cryptes. Or, pas
un mot encore de sainte Eusébie, ni de ses compagnes (1).
C'est, à notre avis, la preuve la plus certaine que rien n'avait
été changé à l'état dans lequel ces reliques se trouvaient vers
Tan 1000, à l'époque de la visite de saint Ysarne. Si les corps
avaient été exposés publiquement dans les cryptes, ou placés
dans un tombeau, comme Ta été le corps de sainte Eusébie
plus tard, il est difficile de croire qu'on ne les eût pas exposés
dans la grande église, ce jour-là (2). Ils se trouvaient donc
encore, très probablement, sous le pavé de la chapelle de N.- D.
de Confession.
Quelques années après la mort d'Urbain V, on fit certains
changements dans les cryptes. On toucha aux reliques que
Ton y gardait. Dès ce moment, nous voyons sainte Eusébie
ensevelie dans un tombeau à part, non loin de ses compagnes.
En effet, une charte sans date, que Dorn Lefournier a transcrite
d'un vieux manuscrit sur papier soie, atteste que a le corps
de l'abbesse était placé dans un tombeau, en dehors de la
chapelle de Notre-Dame de Confession et tout auprès ; et les
quarante compagnes 'demeurèrent ensevelies devant l'autel
de Notre-Dame (3). »
Or, quelle est bien la date de celte charte ? Ce n'est guère
que d'une manière approximative que nous pouvons l'indi-
quer. En 1376, Marseille étant environnée et presque assiégée
par de nombreux ennemis et l'abbaye de Saint- Victor pouvant
être à chaque instant pillée et saccagée, les religieux du
monastère firent porter, le 10 mai, dans l'intérieur de la ville,
le chef de saint Victor et d'autres reliquaires, appartenant à
(l) Recueil de chartes de Saint-Victor, par Dom Lefournier, t. III. —
Livre noir des archives de Saint -Victor, t. III, p. 129.
(2)11 y eut, exposées à la vénération des fidèles dans l'église supérieure,
en ces circonstances et pendant un certain* temps, les reliques de saint
Agricol, du bienheureux Marcel, de sainte Archontanie, de saint Ber-
nard, abbé et câlinai, de saint Mauront, évoque de Marseille, de saint
Hilarion, de saint Yviffred, les corps de saint Ysarne et de deux autres
saints. — Chartes de Dom Lefournier, t. III. — M. l'abbé Albanés,
Entrée solennelle du pape Urbain V à Marseille, en 4365.
(3) Nous donnons cette pièce in-extenso dans : Sainte Eusébie et ses
W compagnes martyres.
— 44 -
l'église de l'abbaye (1). Quelques jours après, le danger ayant
disparu,. tout fut rapporté à Saint-Victor.
Quelles sont les reliques (2), outre le chef de saint Victor,
que Ton s'empressa de mettre à l'abri de la rapacité des enne-
mis ? Le procès-verbal dressé par les religieux ne le dit pas.
Ce durent être les plus précieuses sans doute, mais certai-
nement aussi celles que 4'on pouvait le plus commodément,
le plus facilement transporter. Or, il y avait, atteste l'inven-
taire de reliques rédigé en 1365, dans les chapelles latérales
et au chevet de l'église supérieure, plusieurs châsses conte-
nant les corps des saints les plus illustres, entre autres de
saint Mauront, de saint Ysarne, de saint Dviffred, de saint Ber-
nard, etc. , etc. Urbain V les avait fait placer, on se le rappelle,
en ces différents endroits, afin de satisfaire la piété des fidèles.
Presque certainement, on dut, à l'époque critique de 1376,
transporter ces corps saints dans la ville.
Mais, le danger passé, on dut les descendre dans les cryptes.
En effet, un autre inventaire fait, en 1444, mentionnant les
reliques qui sont contenues dans une grande caisse, placée
sous l'autel de l'église supérieure, ne parle nullement des
corps saints, jadis placés dans les chapelles latérales ou au
chevet de cette église. Ils ne s'y trouvaient donc plus. Or, la
charte sans date qui nous occupe les désigne comme étant
placés dans les cryptes. Ce document a donc été probablement
rédigé entre les années 1376 et 1444.
(1) Ce procès-verbal se trouve dans les chartes de Dom Lefournier,
t. III, à cette date de 1376.0a y parle de : caput sancti Victoris et cœteri
réliquœTii sanctœ Ecclesiœ venerabilis monasterii,
€ En 1376, tandis que la Provence était dans une grande confusion, les
Marseillais firent porter dans la ville le chef de saint Victor et les ossements
de ses compagnons avec les autres reliques qu'on conserve dans cette
église et on les mit en dépôt entre les mains d'Antoine Die udé* et de
Guillaume Vivaud, gentilshommes de Marseille, en suite d'une délibéra-
tion du conseil de la communauté, qui fut tenu pour ce sujet dans la
salle de l'hôpital du Saint-Esprit, le 10 mai de la même année; mais quel-
ques jours après elles furent rapportées en procession dans le monas-
tère. » — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 122.
(2) Ruffl parle de reliques. Mais le procès-verbal parle de reliquaires :
cœteri religuœrii.
- 45 —
D'autre part, la placQ que Dom Lefoumier assigne à ce docu-
ment, dans son recueil manuscrit de chartes, nous fournit
une indication plus précise. Il le fait précéder et suivre de
deux actes de 1407. Si ce n'est point là l'indication d'une
date certaine, on peut y apercevoir cependant l'opinion de
Dom Lefoumier. Ce serait donc avant 1407, qu'on l'aurait
rédigé.
Quelques mots de cette charte nous permettent de préciser
davantage. Parlant du corps d'Urbain V, qui repose dans la
grande église du monastère, le rédacteur de cette charte écrit
que « l'on a des miracles constatés pour la canonisation du
saint Pape (1).» Or, la première démarche pour obtenir la cano-
nisation d'Urbain V ayant été faite par Valdemar, roi de
Danemark, en 1375 (2); le procès ayant été dressé par le pos-
tulateur de la cause, en 1382 (3) ; durant cet intervalle, l'abbé
de Saint -Victor et ses moines ayant demandé de vive voix, à
Clément VII, résidant à Avignon, d'accorder cette grâce (4),
cette charte doit être donc de 1380 ou de 1381.
C'est à cette époque, croyons-nous, qu'il faudrait fixer le
changement dont nous avons parlé tantôt, relatif aux restes
d'Eusébie et de ses compagnes. A la suite du remaniement que
l'ou opéra dans les cryptes et des fouilles que Ton y fit, on
plaça le corps d'Eusébie dans le tombeau qu'il a occupé jus-
qu'à la Révolution, et l'on laissa sous le pavé delà chapelle,
au pied de l'autel de Notre-Dame de Confession, les restes des
40 compagnes.
(i) De quo habemus multa miracula ad canonisât ione m. Chartes
recueillies par Lefoumier, t. III.
(%) Abrégé de la vie et des miracles du bienheureux Urbain V,
par l'abbé Albanés, p. 189.
(3) L'abbé Albanés, op. cit., p. 192.
(4) L'abbé Albanés, op. cit., p. 191 .— Recueil de chartes de saint Victor
par Dom Lefoumier, t. III, supplique faite à Clément VII, par l'abbé et les
religieux du monastère de Saint- Victor, ut Papa Urbanus V adscriba-
tur in catalogo sanctorum. — Le 8 juillet 1381, le conseil de la cité de
Jfarseille présente aussi une requête au Pape et aux cardinaux ad
petendam, prosequendam et obtinendam canonisationem sanctœ me-
rnoriœ Urbani Papœ V; recueil de chartes par Lefoumier» t. III,— His-
toire d'Urbain V et de son siècle, par l'abbé Magnan, p. 479.
— 46 —
Une preuve, c'est qu'à partir de ce moment sainte Eusébie
est nommée dans les chartes. On ne la confond plus avec ses
compagnes. La sainte abbesse et ses religieuses ne sont plus
désignées par l'expression vague et confuse de turba sacrarum
virginum. Mais cinquante ans à peine plus tard, en 1431, on lira
dans les chartes : sainte Eusébie et les 40 vierges, ses compa-
gnes : sancta Eusebia et XL aliis virginibus et martyr i-
bus (1).
Y a-t-il eu un procès- verbal de cette translation? Nous ne
saurions rien dire de certain à ce sujet. Dans tous les cas, cette
charte sans date, copiée sur un manuscrit papier soie, pourrait
fort bien être un débris, un extrait de ce procès-verbal (2).
Quel signe a pu faire distinguer les reliques d'Eusébie de
celles de ses compagnes? Rien de certain encore. Mais il y a
l'inscription d'Eusébie! Qui assurera qu'on ne Ta pas trouvée
à ce moment sur le corps de cette chère sainte ? Il est de fait,
d'une part, que jusqu'à cette époque nul historien, croyons
nous, na parlé d'une inscription d'Eusébie; d'autre part,
sûrement cette inscription n'a pas été gravée au XV* siècle. Il
est de fait encore, nous l'avons dit plus haut, que jusqu'à ce
moment jamais on n'a désigné nommément sainte Eusébie.
On la confond avec ses compagnes martyres, la troupe des
vierges sacrées. Mais à partir du XV* siècle, Eusébie apparaît
distincte de ses compagnes. On l'appelle par son nom. Or, qui a
fait connaître ce nom? Nous disons, nous, que c'est l'inscrip-
tion. Que l'on indique un autre document ! !
D'ailleurs, voici ce que dit cette charte : a Dans l'église infé-
rieure il y a une chapelle sous le vocable de Notre-Dame de
Confession, elle est entourée d'une grille en fer. Sous l'image
(1) Charte de 1431 . — Chartes recueillies par Lefournier, t. III, Mdifi-
catis, etc.
(2) Ce procès-verbal a pu être égaré dans les deux circonstances que
mentionne Ruffi, dans son Histoire de Marseille. En 1423 et 1441, sous
prétexte que les Aragonais menaçaient Marseille, des gens de cette ville
pénétrèrent à Saint-Victor, enlevèrent des reliques, des joyaux, des livres,
des ornements, les portèrent de côté et d'autre et ne voulurent plus les
rendre. Il fallut procès sur procès pour les y forcer. C'étaient là, on peut
le dire, de fâcheux amis : oneroai amici. Ruffi, Histoire de Marseille,
t. II, p. 122.
— 47 -
de la bienheureuse Vierge Marie reposent les restes des trois
soldats qui furent les compagnons de saint Victor et martyrs
avtc lui: Félicien, Alexandre et Longin. Devant l'autel de
la Vierge Marie se trouvent les quarante religieuses martyres.
Par respect pour elles, les femmes n'entrent point dans cette
chapelle. Si elles en franchissaient le seuil, elles perdraient
la vue. L'abbesse de ces quarante religieuses a été placée
auprès, mais au dehors de la chapelle, et cette abbesse s'appe-
lait Eusébie (1). » Si jusqu'à la fin du XIV siècle aucun docu-
ment ne pouvait fournir une trace bien certaine et bien pro-
bante du culte public en l'honneur de notre chère sainte, à la
date de la rédaction de cette charte toute difficulté s'évanouit.
Le culte est ici bien établi et bien marqué.
C'était d'abord une chose fréquente, que par respect pour
certains oratoires il ne fût pas permis d'y pénétrer. À l'oratoire
de Saint-Sauveur, à Aix (2) ; à la crypte de Sainte- Marie-Mag-
deleine, à Saint-Maxiuiin ; à Rome, pour la chapelle de Saint-
Jean, dans le baptistère de Latran (3), cette prohibition existait
(l)c Estqusedamcapella quse d ici tu r cape lia B. Mari» de Confessione et
eircuiturferro Sub imagine B. Mariée, jacent très milites qui fuerunt
socii Victoris et martyres eu m eo, Felicianus, Alexander et Longinus, et
antealtare B Virgin is jacent quadragin ta moniales martyres..... Reve-
rentîam illarum mulieres non intrant dictam capeilam, et si intrant
amittant visu m, et abbatissa illarum jacet juxta, extra capeilam etdici-
tur Eusebia ... i — Recueil de chartes, par Dom Lefoumier, t. III.
L'abbé Marchetti connaissait ce texte, car il écrit au sujet des fem-
mes qui par respect n'entrent pas dans la chapelle de Notre-Dame de
Confession, qu'elles agissent ainsi < de peur que la témérité de cette irré-
vérence ne soit punie de l'aveuglement dont la tradition de cette abbaye
assure que Dieu châtia celle d'une princesse qui perdit la vue pour avoir
été si hardie que d'y entrer. •— Explication des usages et coutumes des
Marseillais, p. 191.
(2) Les Trois Romes, par Mgr Gaume, t. I, p. 278.
(3) L'oratoire de Saint-Sauveur, à Àix, appelé la sainte chapelle, fut
bâti suivant la tradition par saint Maximin, premier évoque de cette ville.
Pitton, l'annaliste de la sainte Eglise d'Aix, écrit que les femmes, par
respect n'osent entrer. Les actes des délibérations du chapitre d'Aix, de
l'année 1581, disent: « In parvam capeilam Sancti Salvatoris nunquam
mulieres ingrediuntur propter loci sanctitatem et venerationem.» Paillon,
Documents inédits sur l'apostolat de sainte Magdeleine, 1. 1, p. 503. —
Pitton, Annales de la Sainte Eglise d'Aix, pp. 4, 114. — L'ancienne
— 48 -
pour les femmes. Il en était de même à Saint- Victor pour la
chapelle de Notre-Dame de Confession, où se trouvaient ense-
velies les compagnes d'Eusébie (1) Preuve évidente de la véné-
ration publique que Ton avait pour ce lieu béni. Qu'il fût
défendu en outre aux femmes de franchir le seuil de Cette
chapelle, preuve évidente encore que les foules venaient la
visiter, y prier les vierges héroïques qui y reposaient. Or, un
des détails qui constituent le culte public rendu à un saint,
c'est le concours des fidèles auprès du tombeau ou des reliques
de ce saint. Donc, le culte était établi en l'honneur de nos
saintes martyres.
On alléguera que la vénération des fidèles s'adressait non
pas aux reliques de sainte Eusébie et de ses compagnes, mais
seulement au sanctuaire de Notre-Dame de Confession. C'est,
en effet, ce qu'ont pensé beaucoup d'auteurs et anciens et mo-
dernes. Mabillon, dans les Acta sanctorum ordinis sancti
Benedicli et dans les Annales ordinis sancti Benedicti dit
de la chapelle de Notre-Dame de Confession : « que l'entrée
en était interdite aux femmes (2) ». La. Notice sur les monu-
ments de Saint-Victor affirme que les personnes du sexe ne
peuvent y entrer, et l'auteur de cet ouvrage cite l'usage de
l'église de Saint-Pierre de Rome, d'après lequel les femmes
ne peuvent pénétrer dans l'église inférieure qu'à certaines
fêtes (3). L'Essai historique et archéologique sur V abbaye
de Saint- Victor (4), mentionne la même coutume.' Marchetti
Vie de Sainte-Marie-Magdeleine dit : « Femina enim nulla unquam
temeritatis audacia in illud sanctissimum templum ingredi praesump-
sit. . . • Paillon, ut supra, 1. 1, col. 419, 423 ; t. II, col. 436.
(1) a Ce sanctuaire,qui est réputé le premier et le plus ancien de Mar-
seille, est pour cela en si grande vénération, que les femmes, à qui l'ac-
cès de nos autels a été de tout temps interdit, s'abstiennent encore d'y
entrer et s'en éloignent par révérence.» Marchetti, Explication des usa-
ges et coutumes des Marseillais, p. 191.
(2) « In eo sacello R. Maria? de Confessione, cujus aditus mulieribus
interdictus. » Mabillon, Annales, O. S. B., t. II, p. 90. — Acta sanct,
O. S. B., t. IV, p. 487.
(3) Notice des monuments conservés dans V église noble, insigne et
collégiale de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, p. 14.
(4) Essai historique et archéologique sur V abbaye de Saint- Victor
lez Marseille, par E. B. . ., p. 24.
— 49 —
écrit: * Ce sanctuaire, qui est réputé le premier et le plus
ancien de Marseille, est pour cela en si grande vénération que
les femmes, à qui l'accès de nos autels a été de tout temps
interdit, s'abstiennent encore d'y entrer et s'en éloignent par
révérence (1) ». Ruffl, Kothen et M. l'abbé Magnan (2)
affirment à leur tour que l'entrée du sanctuaire de Notre-
Dame de Confession était interdite aux femmes. Suivant donc
ces auteurs, la vénération des fidèles et la crainte qu'ils ont
de pénétrer dans ce sanctuaire provenaient du respect que
l'on avait pour la Sainte Vierge et non pas celui que Ton pro-
fessait pour les restes des saintes compagnes d'Eusébie.
Guesnay cependant donne une variante. Parlant de la cha-
pelle de Notre-Dame, il dit qu'elle est célèbre « soit à cause
de la belle image de la bienheureuse Vierge, soit à cause des
trente-neuf compagnes d'Eusébie, qui y sont ensevelies t, et il
ajoute : « C'est à cause de cela que les jeunes filles et les fem-
mes ne peuvent franchir le seuil de ce sanctuaire (3). »
D'après cet auteur donc l'entrée de la chapelle serait inter-
dite non pas seulement par respect pour Notre-Dame, mais
aussi par vénération pour les saintes martyres. Or, nous
croyons que Guesnay est davantage dans la vérité que la plu-
part des auteurs. Voici, en effet, ce que dit la charte citée plus
haut : « C'est à cause du respect que l'on a pour ces martyres
que les femmes n'entrent pas dans cette chapelle (4) ».
(1) Marchetti, Explication des usages et coutumes des Marseil-
lais, p. 19J.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 130 : t Le tombeau des
quarante religieuses qui se coupèrent le nez à l'exemple d'Eusébie, est
dans la chapelle de Notre-Dame de Goniession où les femmes n'osent
pénétrer de peur de perdre la vue. » — L'abbé Magnan, Saint-Victor de
Marseille, ses origines, etc., etc., p. 22. — Kothen, Notice sur les
cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-ïex-MarseUle, p. 47.
(3) c E regione autem illius speluncœ amplius quoddam et paten-
tas sacellum cui nomen B. Virginia a Confessione, summà fréquen-
te celebratum, tum ob elegantem B. Yirginis propositam in eo effi-
giem, tum quia in eo novem et triginta dicatarum Deo virginum, a
Sarraeenis Vandalisque interfectarum, corpora sepulta sunt, eôque lit ut
pnellse cseterseque mulierculae ab illius aditu etiamnum hodie ut et a
majoribus religiose observatum vidimus, prohibeantur. » Cassianus
illvstratus, par Guesnay, p. 474.
(4) Charte sans date, citée plus haut.
4
— 50 —
On a de la dévotion, du respect pour ces saintes martyres,
donc elles ne sont pas inconnues; on vient visiter leur tom-
beau, on les prie, donc le culte en leur honneur est établi au
XIV- siècle.
Aussi, dès cetle époque de l'histoire, il est facile de suivre
pas à pas le progrès et l'extension de ce culte.' On aime à se
confier à la protection des saintes martyres. On se fait une
gloire et une consolation de dormir son dernier sommeil dans
les champs qui avoisinent leur tombe. C'est un honneur que
l'on n'accorde pas à tous. Seuls les membres de la confrérie de
Notre-Dame de Confession jouissent de ce privilège (1). Quand
on veut célébrer la gloire de l'abbaye de Saint-Victor, on rap-
pelle à tous que les corps de tant de saints illustres y reposent
et notamment ceux de sainte Eusébie et de ses quarante
compagnes. Les deux chartes de 1431 et de 1446 sont la
preuve de ce que nous avançons (2). Au XV"- siècle donc on
honore, on vénère, on prie sainte Eusébie et ses compagnes.
Bétail singulier cependant, que des auteurs et surtout
M. de Rey ont noté (3), les enfants de Saint-Cassien et les
moines de Saint-Victor, leurs successeurs, qui devaient consi-
dérer comme leur appartenant toutes les gloires de l'ordre de
Cassien, ne faisaient pas l'office de ces glorieuses martyres et
(1) lis demandent que pour encourager cet élan (l'établissement de
cette confrérie de Notre-Dame de Confession) une place particulière soit
assignée dans le cimetière du monastère pour la sépulture des confrères
et qu'il soient rendus participants à toutes les bonnes œuvres des moines.
L'abbé de Saint-Victor, Pierre Dulac, leur accorda ce privilège' par un
acte qui existe encore, daté du 5 mai 1446. On lit dans cette charte que
Kothen a publiée en appendice dans sa Notice sur les crypte $ : c Uni-
versarum gratiarum et meritorum quas et que S. Victor et socii ejus
S. Adrianus cum sociis suis, Mauricius. Innocentius et socii eorum, Gri-
santus et Daria, Eusebia cum quadraginta aliis virginibus et martyri-
bust Petrus et Marcellinus... S. Gassianus, Maurontus, Ylarianus, Ysarnus,
Hugo. Bernardus et Siffredus presules et Gbristi confessores et SS. Inno-
centes ac XI millia virgines, quorum et quarum corporum magnus nu-
méros in monasterio hujusmodi in pace in Ghristo requiescunt, et alii
martyres, episcopi et confessores ac virgines in ecclesià memorati monas-
teriiin. Ghristo requiescentes, innocentià vit».. . acquivisse et promenasse
noscuntur. .. »
(2) Nous donnerons en Appendice cette charte de 1431.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 238.
— 51 —
ne plaçaient pas leurs reliques sur les autels. Nous Ta vous
déjà dit, l'inventaire des reliques fait en 1444, à Saint-Victor,
celui qui fut dressé en 1365, celui de 1363, ne font aucune
mention des dépouilles de nos saintes marseillaises. On a retiré
des Cryptes vers 1365 plusieurs restes insignes de saint Cas-
sien, de saint Ysarne, de saint Bernard, etc., pour les placer
dans l'église supérieure. Jamais il ne s'agit des ossements
d'Eusébie et de ses compagnes. Un bréviaire de 1497, qui appar-
tenait à Saint-Victor, ne fait mémoire de nos saintes ni dans
l'office, ni dans les litanies, ni dans le propre de l'abbaye (1).
Les Bollandistes attestent que dans aucun martyrologe tant
ancien que nouveau, il n'est parlé de sainte Eusébie et de ses
quarante compagnes (2). Arthur de Monestier seul fait exception
dans le Sacrum Gynœcœum (3). Bien plus, parmi les auteurs
qui en parlent, beaucoup ne les appellent pas Saintes. Et cepen-
dant on les honore, on les vénère à Saint-Victor ! Explique
qui pourra cette étrange anomalie.
Quand on sait cependant que saint Mauront n'avait pas, lui
aussi, d'office propre à Marseille, dont il a été évoque, et que
Ton ne connaissait presque rien de sa vie (4), on devine que
(1) Invasions des Sarrasins en Provence, par M. de Rey, p. 141.
(2) t. . . Certé ego nullam eorum apud martyrologos memoriam reperi,
excepta Artburo, sed silentibus omnibus este ris martyrologis tam antiquis
quam recentioribus, scriptoribus intérim aliis qui de eisdem honorifici
meminerint, antiquum earum sacrum cultum non asserentibus aut certô
non probantlbus, quin etiam eorumden aliquibus nec sanctarum nec
beatarum titulo illas honorantibus. . . » Acta sanct. — Bolland , Vita
Sanctœ Eusebiœ, 14oct., p. 282.
(3) Sacrum gynœceum ab Arturo de Monasterio ad diem 30 dec. :
c Apud Veaunense monasteriumdiœcesismassiliensis, passio sanctarum
Eusebiae et sociarum sanctimonialium virginum, quae mira constantià
pro tuitione castitatis et ftdei decertantes, martyrii palmam reportarunt. »
(4) « Dans nos anciens bréviaires il n'y a point de leçons propres pour
l'office de saint Mauront, et dans l'hymne il n'est rapporté aucun fait de
ta vie. Les leçons qu'on cite à présent le jour de sa fête, sont extrême-
ment récentes ...... Antiquité de VEglise de Marseille, par M*' de
Belsunce, t. I, p. 300.
« Le sanctoral de l'abbaye de Saint Victor est muet et se borne à louer
d'une façon générale sa chasteté, son esprit de mortification, la douceur
de son caractère et son application à l'administration de son service. »
— Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 253.
- 52 —
si on n'a pas fait l'office de nos yierge3 cassianites, c'est que
l'on ne savait rien de certain sur elles et que seule la tradition
rapportait le genre de leur martyre.
Il faut arriver au XVII-siècle pour que ce culte se réveille
et se pare de quelque splendeur. D'abord c'est Arthur de Mones-
tier, nous l'avons dit, qui insère dans le martyrologe ce que
la tradition rapporte. Puis c'est Mabillon, qui raconte le genre,
l'époque de leur martyre et fait connaître le lieu de leur
sépulture. Guesnay atteste à son tour que de son temps on
les appelle martyres, bienheureuses, saintes (1). Ainsi le culte
en leur honneur grandit et s'implante: Enfin, arrive M" de
Belsunce qui répare l'oubli des siècles. Il compose lui-
même la Légende (2), y insère la tradition et par un décret
du 27 mai 1733 institue une fête et ordonne la récitation de
l'office en leur honneur. Alors et depuis, avec la sainte Eglise,
nous pouvons dire : sainte Eusébie, et vous ses compagnes,
priez pour nous II.. .
Une conclusion se dégage des deux précédents chapitres.
Si, de tout temps, sainte Eusébie a été honorée d'un culte plus
ou moins extérieur et public, le martyre de notre sainte n'est
donc pas une pure légende. Quelques historiens de Marseille
l'ont pensé. 11 est vrai qu'ils se sont contentés de récrire, sans
jamais s'occuper de fournir la moindre preuve à l'appui. Il en
est même qui ont affirmé le contraire le lendemain (3). La vie
(1) Guesnay à plusieurs reprises dans son Cassianus illustratus, les
appelle saintes martyres, page 475 : « ... Àd hujus sacelli dexteram,
marmoreum sepulcrum constitutum est in eoque Sanctœ Eusebiae... ossa
condita. .. Hae autem.. mortem quam virginitatem Deo dicatam dépé-
ri re sibi maluerunt . .» — Ibidem, p. 725 : Sepulchrum . . . in quo sanc-
tissimarum virginum et martyoïm lipsana...»— Page 510 : « Quse fortiter
dato capite ad duplicatum virginitatiset martyrii praemium evolarunt. *
— Page 725 : « Sancta Eusebia virgo et martyr... cœnobium de Yvelino
vixit aliquot annos... Gum Eusebia, Deo sacrât» virgines 39, receptis
repentin» Victoria? palmis, militiae cœlestis cuneos suà accessione amplia-
runt. Sacra martyrum exuviae ...»
(2) Acta sanct. — Bolland., Vit a Sanctœ Eusebiœ, . oct. U, p. 292.
M" de Belsunce fixa la fête de sainte Eusébie au deuxième dimanche
d'octobre : c Quod illan nullum certum suo cultui sacrum diem habe-
rent », ajoutent les Bollandistes.
(3) M. Mortreuil traite d'une manière assez irrévérencieuse le fait des
— 53 —
et la mort de notre héroïne sont entourées d'obscurités, c'est
vrai, mais la foi du peuple ne s'embarrasse pas de ces obstacles.
Elle perce ces ténèbres pour aller droit au but. Et n'ayons
crainte, le peuple chrétien sait bien à qui il porte ses prières.
En définitive c'est le souffle du Saint-Esprit qui le pousse et le
conduit
Lorsque au printemps nous voyons une rose, fraîchement
épanouie, charmer nos regards par les brillantes couleurs de
sa corolle embaumée, nous disons : C'est le rosier qui a produit
cette rose 1 A l'heure actuelle nous vénérons sur les autels, à
Marseille, la sainte abbesse Eusébie, et Ton respire, à la prier,
je ne sais quel parfum délicieux de rose et de lis. Sachons-le
bien, nous possédons la Rose, sûrement nos pères avaient vu
le Rosier ! !
Desnazzadas. « C'est une pieuse légende commune à plusieurs établisse-
ments monastiques, et la date n'en est rien moins que certaine. » (Mortreuil,
Réponse aux observations de M. Augustin Fabre sur l'ancienne
bibiliothèque de Saint-Victor, p. 6.)
Pour Achard l'historiographe, cité par M. Saurel, Banlieue de Mar-
seille, p. 154, et Meynier, cité aussi par Saurel, dans le môme ouvrage, ce
n'est qu'une vieille légende, dont le fait n'est pas prouvé et probable*
ment emprunté à un épisode analogue arrivé à Saint Jean-d'Acre, et qui
d'ailleurs semble être un moyen assez violent de se défendre contre les
barbares.
Augustin Fabre ne l'accepte que comme légende, dans les Rues de
Marseille, t, 1 p. 280. Mais, dans Observations sur la dissertation de
M. Mortreuil, p. 4, il l'appelle : « un sacrifice touchant et sublime » et
le tient pour vrai.
4.
CHAPITRE VI
Sainte Eusébie, ses compagnes martyres
et leurs reliques
JUSQU'A LA RÉVOLUTION, LB CORPS DE 8AINTE EUSÉBIE ÉTAIT ENSE-
VELI DANS UN TOMBEAU A PART. — A CETTE ÉPOQUE SES RELIQUES
ONT PU ÊTRE PROFANÉES. — JUSQU'A LA RÉVOLUTION, LES RBLI-,
QUBS DES SAINTES COMPAGNES D'EUSÉBIE ONT ÉTÉ SOUS LE PAVÉ,
DEVANT L'AUTEL DE NOTRE-DAME DE CONFESSION. —ELLES T SONT
ENCORE.
La question du culte en l'honneur de sainte Eusébie et de
ses compagnes étant réglée, il est intéressant pour nous de
savoir ce que sont devenues leurs reliques.
Relativement à sainte Eusébie, nous l'avons vu, une charte
du XIV- siècle affirme que ses ossements béni? se trouvaient
dans un tombeau (actuellement au Musée du Château-Borély)*,
placé dans les cryptes, à droite de la chapelle de Notre-Dame
de Confession, à l'extrémité du. passage étroit qui conduit au-
delà de cette chapelle. De fait, jusqu'à l'époque de la Révo-
lution, c'est là que Ton voyait ces reliques vénérables.
Tous les auteurs postérieurs au XIV- siècle qui ont parlé de
notre sainte, ont placé son tombeau à ce même endroit, en
donnant des indications plus ou moins détaillées. Chifflet place
le corps d'Eusébie dans la chapelle de l'église inférieure, dans
les cryptes (1). Guesnay dit qu'à la suite de cette chapelle se
trouvait un tombeau de marbre, dans lequel étaient placées les
reliques de sainte Eusébie, jadis abbesse de trente-neuf com-
pagnes (2). Mabillon, parle du tombeau sur lequel on voyait
(1) Chifflet, Veauntio ci vit as imper ialis,p. I99etsniv.: «... Quarum
corpora aliquo post tempore disquisita, in monasterium Sancti Victoris
translata su nt et in sacello ecclesiœ inferiorisreposita...»
(2) « Ad hujus sacelli dexteram marmoreura sepulcrum eonstitutum
est, in eoque sanctae Eusebise eammdem novem et triginta monalium
quodam abbatissa?, ossa condita. . . » Cassianns illustratua, p. 475.
— 55 —
une image de notre sainte, le visage et le nez mutilés (1).
Arthur de Monestjer citeGuesnay. Agneau écrit : « En sortant
de la chappelle (Sainte-MagdeleineJ on voit un tombeau en
marbre blanc qui renferme les reliques de sainte Eusébie, ab-
besse des religieuses Cassianites (2). » M" de Belsunce affirme
que « les corps de ces martyres furent transportés à l'abbaye de
Saint- Victor, où ils sont encore au jourd'hui, dans l'église sou-
terraine. Celui de sainte Eusébie est dans un tombeau de mar-
bre quarré-long, et enchâssé dans une espèce de niche. » La
Notice sur les Cryptes, de Kothen, précise l'endroit de la
sépulture : « A l'extrémité du passage (derrière la chapelle de
Notre-Dame) se trouve, dans un mur, un emplacement de tom-
beau arqué qui contenait les restes de sainte Eusébie (3) ».
M. le chanoine Magnan dit de même que « le premier arcoso-
Hum (derrière l'autel de Notre-Dame) est celui où se trouvait
autrefois le tombeau de sainte Eusébie (4).» M. de Rey : a Les
reliques de sainte Eusébie furent enfermées dans une tombe
de marbre que l'on plaça dans l'épaisseur de la muraille, à
côté de la grotte'de sainte Magdeleine (5). »
Ainsi, pendant trois cents ans, sainte Eusébie a reposé dans
ce tombeau à part, à côté de la chapelle de Notre-Dame de
Confession.
Et aujourd'hui, où se trouvent ces restes précieux ? On est
d'accord à dire qu'à l'époque de la Révolution tout fut détruit,
brûlé et dispersé. Cela est fort probable, à moins que quelque
main pieuse ait pu dérober le corps aux barbares modernes,
et l'ait placé dans un recoin ignoré des cryptes ou ailleurs.
Mais il n'y a guère lieu de l!espérer.
Quant aux reliques des quarante compagnes d'Eusébie, les
(1) t Exstat in monasterio Sancti Victoris Eusebise tumulus, cui impo-
rta est ejusdem heroinse effigies, dimidia facie et naso mutila, cum hoc
epitaphio... » Annales ordinis Sancti Benedicti, t. II, p. 96.
(2) Agneau, Calendrier spirituel du Diocèse de Marseille, en /75P,
p. 381.
(3) Notice sur les Cryptes de l'abbaye de SainUVictor-lez-Marseille,
p. 54.
(4) Saint- Victor de Marseille, par l'abbé Magnan, p. 22.
(5) Les Saint 8 de l'Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 235.
— 56 —
auteurs ne sont pas d'accord pour désigner l'endroit précis
où elles ont été déposées.
Du temps de saint Ysarne, nous l'avons prouvé, elles étaient
à part, seorsum, et cet endroit à part, c'est la chapelle de
Notre-Dame de Confession. Elles y étaient encore au XIV siè-
cle, puisque la charte citée plus haut dit qu'elles se trouvaient
placées : ante al tare Beatœ Virginis.
Depuis cette époque, les a-t-on changées de place ? Nous ne
le croyons pas.
D'abord, avant la Révolution elles y étaient. Chifflet écrit
qu'elles sont dans l'église souterraine (1). De même Mgr de
fielsunce, qui ajoute: a Elles y sont encore aujourd'hui,
(de son temps.) (2) » Arthur deMonestier, Guesnay, deAufti,
Agneau, disent qu'elles se trouvaient dans la chapelle de
Notre-Dame de Confession (3). Mabillon affirme que de son
temps les reliques de ces saintes vierges se trouvaient au
milieu de cette chapelle (4).
Il n'y a qu'une variante. La Notice des monuments conser-
vés à Saint- Victor, sans désigner l'endroit précis où se trouve
le tombeau de sainte Eusébie, place les reliques des quarante
compagnes dans le tombeau de l'abbesse (5), ce qui est maté-
(1) Chifflet, Vesuntio civitas imperialis, p. 199 et suivantes.
(2) L'Antiquité de l Eglise de Marseille, par Mgr de Belsunce, t. I,
p. 291.
(3) Arthur de Monestier : Sacrum gynœceum ad 30 dec, cite le
texte de Guesnay. — Guesnay, Cassianus illustrât us, pp. 474, 725:
« Ad hujus sacelli dexteram, marmoreum sepulcrum. . . in quo sanctis*
simarum virginum et martyrum lipsana suis ut decet locuiis condita,
piorum clientum votis exhibentur. » — Ruffi, Histoire de Marseille,
t. II, p. 130 : « Le tombeau des quarante religieuses qui se coupèrent le
nez à l'exemple de l'abbesse Eusébie est dans la chapelle de Notre-Dame
de Confession...» — Ruffi (Antoine de) : c Elles sont ensevelies au mitan
de la chapelle intitulée : Notre-Dame de Confession. » Histoire de Mar-
seille, p. 408. — Agneau : Leurs reliques sont sous l'autel de Notre-Dame
de Confession. » Calendrier spirituel, p. 384.
(4) Mabillon : « Sanctimoniales alise quadraginta ejus socise jacent in
medio saoello B. Mariae de Confessione, ut vocant. » — Annales O. S. £.,
t. 2, p. 90. — Acta sanctorum O. S. B., t. 4, p. 487.
(5) Notice des monuments conservés.,, p. 17. Nous venons de voir
que Guesnay offre aussi cette variante.
- 57 -
riellement impossible. Quarante corps, ou les ossements de
quarante corps ne peuvent être contenus dans un tombeau
pareil à celui de sainte Eusébie. En résumé donc, les auteurs
antérieurs à la Révolution sont d'accord. De leur temps, les
reliques des quarante compagnes d'Eusébie étaient dans la
chapelle de Notre-Dame de Confession.
Les auteurs postérieurs à la Révolution ont moins d'unani-
mité dans leurs affirmations.
Dans Y Essai historique et archéologique sur les cryptes de
Saint-Victor, on lit que « l'autel (de Notre-Dame de Confes-
sion) renfermait, outre diverses reliques, celles de quarante
religieuses qui, à l'exemple de leur abbesse Eusébie, se muti-
lèrent le visage. . . (1) » M. l'abbé Verlaque (2) affirme que,
d'après plusieurs auteurs et la légende de l'ancien plan des
souterrains, le tombeau de sainte Eusébie et celui de ses com-
pagnes étaient placés sous l'ancien autel de Notre-Dame de
Confession. M. Eothen cite une délibération du Chapitre de
Saint- Victor, en date du 1" juin 1746, dans laquelle on lit :
« Attendu que le dit autel (de Notre-Dame de Confession) ren-
ferme plusieurs tombeaux de saints martyrs, les dits prieurs
promettent que le dessus sera d'une planche en bois qu'on
pourra facilement enlever pour satisfaire la pieuse curiosité
des fidèles. » Il ajoute : « D'après la plupart de nos chroni-
queurs et la légende de l'ancien plan, ces tombeaux renfer-
maient les restes des compagnes de sainte Eusébie, abbes-
se (3). »
Nous croyons ces opinions complètement erronées. En effet,
les chroniqueurs, nous les avons cités, et à moins que Eothen
en ait connu d'autres, ceux dont nous avons rapporté le
témoignage : Mabillon, Arthur de Monestier, Chifflet, Ruffi,
disent à peu près tout lé contraire. Pour ces auteurs, les reli-
ques des compagnes de sainte Eusébie ne sont pas dans l'autel
(1) Essai historique et archéologique sur Us cryptes de Saint- Vic-
tor, p. 25.
(2) Notice sur Sainte Eusébie, par l'abbé Verlaque, p. 21 .
(3) Kothen, Notice su* les cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-lès-
MarseiUe, p. 34.
— 58 -
ou sous l'autel de Notre-Dame, mais : jacent in média
sacello. La légende de l'ancien plan doit être celle que
M. Paillon a donnée dans son premier volume des Monuments
inédits (1), et que Ton trouve aussi dans Kothen. Or, dans le
plan que donne Paillon, pas un mot du tombeau de sainte
Eusébie, ni de celui de ses compagnes, et dans le plan que
donne Eothen, le tombeau de l'abbesse est indiqué, mais pas
celui de ses compagnes.
Quant au* reliques qui se trouvaient sous l'autel de Notre-
Dame de Confession, nous n'avons qu'à nous rappeler la charte
sans date du XIV* siècle, nous saurons à quels saints elles
appartenaient. « Sous l'image de la Bienheureuse Vierge repo-
sent les trois soldats qui furent les compagnons de saint Vic-
tor et martyrs avec lui: Félicien, Alexandre et Longin(2) ».
Voilà les reliques que l'autel Notre-Dame renfermait. L'auteur
de V Essai historique, M. l'abbé Verlaque et Eothen se sont
donc trompés. Nous préférons l'opinion de M. André: « Les
restes vénérés des quarante martyres étaient devant l'autel de
Notre-Dame de Confession (3) ». Et l'opinion de M. Rey qui dit
également : « Les corps des quarante victimes des Sarrasins,
que le peuple appelle du nom expressif de desnarrados Jurent
ensevelis dans l'église inférieure de Saint- Victor. Ils y repo-
saient dans le sol, sous le dallage, à l'entrée de la chapelle
de Notre-Dame de Confession (4) *. Avant la Révolution ils
étaient donc là. Les auteurs modernes le reconnaissent.
Or, pendant la Révolution les a-t-on déplacés de cet en-
droit ? A-t-on fouillé le pavé? A t- on jeté au vent, au feu, à
la mer les ossements bénis qu'il gardait depuis des siècles ?
Peut-être. Mais quel est l'auteur qui l'ait dit avec preuve à
l'appui (5) ? Quel vague souvenir a-t-on conservé de ce fait?
(1) Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Magdeleine,
par l'abbé Faillon, 1. 1, col. 54. — Kothen, op., cit. planche VI.
(2) c Sub imagine B. Maria? jacent très milites qui fuerunt socii Vic-
toria et martyres cum eo, Felicianus, Alexander et Longinus. .. »
Recueil de chartes de Dom Lefournier, t. 3 ; Archives départementales. |
(3) André, Histoire de V abbaye de Saint-Sauveur, p. 13. :
(4) Les Saints de l'Eglise de Marseille : sainte Eusébie, p. 295.
(5) Sur quinze ou vingt ouvrages que nous avons entre les mains et i
- 59 —
On a prof ané' et brûlé, nous l'acceptons, les reliques de sainte
Eusébie et d'autres saints. Leurs tombeaux étaient visibles aux
regards de tous. Mais ces reliques des quarante compagnes
d'Eusébie étaient sous le pavé, peut-être très profondément
enfouies. Elles ont pu échapper à la rage des nouveaux
yandales. Aussi nous n'hésitons pas à l'affirmer. Notre con-
viction est qu'elles s'y trouvent encore, là, sous le pavé, sous
le dallage, devant l'autel de Notre-Dame. Et ce qui nous con-
firme dans notre croyance c'est que nous nous rencontrons du
même avis que l'historien de nos Saints de Marseille, qui con-
naît bien et aime beaucoup nos cryptes, M. de Rey (1).
que nous citons Je long de ce travail, il n'en est guère que trois qui
supposent que les reliques des compagnes de sainte Eusébie ont été
profanées à cette époque désastreuse. Dans quelques lignes consacrées
à sainte Eusébie par M. l'abbé Magnan, on lit : « Les cendres d'Eusébie
et de ses compagnes ont été jetées au vent, son tombeau a été arraché
do Heu qu'il occupait.» Semaine liturgique, année 1868, p. 732, t. VII.
Dans une Notice sur Sainte Eusébie, M. l'abbé Verlaque a écrit : « Le
tombeau de sainte Eusébie et celui de ses compagnes étaient placés sous
l'ancien autel de Notre-Dame de Confession.. Jusqu'en 1793 les sarco-
phages restèrent debout, mais à cette époque le vandalisme s'abattit
avec rage sur cette maison de prières... » p. 21. — L'abbé Bayle, dans
un opuscule sur Saint- Victor, se contente d'écrire : « Ses reliques (de
Sainte Eusébie) ont été profanées. » p. 127.
(1) « Us y reposaient, et peut-être ils y reposent encore, dans le sol,
sous le dallage, à l'entrée de la chapelle de Notre-Dame de Confes-
sion. » Les Saints de l'Eglise de Marseille : sainte Eusébie, p. 235.
o§*>*<*§o
SAINTE EUSÉBIE
Abbesse
ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSEILLE
En quel lieu et à quel endroit
elle a souffert le martyre
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Précis Historique de la Controverse
AUTEURS QUI ONT ÉCBIT SUR SAINTE EUSÉBIE. —DEUX QUESTIONS A
TRAITER. — OPINION CONTRAIRE DE CERTAINS AUTEURS RELATIVE-
MENT A CES DEUX QUESTIONS. — MARCHE A SUIVRE DANS CE
TRAVAIL.
Nous l'avons dit, à notre avis, le monastère où sainte Eusé-
bie a passé de longues années dans la pratique de la vie reli-
gieuse était situé sur les bords de l'Hu veaune, près de la mer,
à l'endroit occupé actuellement par l'ancien restaurant Gon-
tard/Et c'est là qu'elle a été martyrisée avec ses quarante
compagnes par les Sarrasins, en 738.
Mais la question est controversée . En regard de nos obser-
vations se dressent deux négations aussi formelles.* Des
auteurs et bien nombreux soutiennent qu'il faut céder à
d'autres lieux et à une autre époque l'honneur d'avoir vu tant
de piété, de vertu et d'héroïsme. Donnons en quelques mots
le précis de cette controverse.
Quatre auteurs ont écrit sur sainte Eusébie : M. l'abbé
Nagnan, dans un travail que la Semaine liturgique inséra
jadis dans ses pages (1) ; M. l'abbé Verlaque, dans un petit
opuscule intitulé ; Notice sur la vie de sainte Eusébie,
abbesse et martyre; M. Gonzague de Rey, dans un livre bien
(1; Sainte Eusébie et ses compagnes, par l'abbé Magnan ; Semaine
liturgique, année 1868» p. 732 et suiv. — Le même auteur a écrit
quelques lignes sur le même sujet dans sa Notice sur la Croix de Saint-
André, pp. 16 et 17, et dans l'Histoire d'Urbain V et de son siècle%
p. 252.
5
— 62 —
goûté de tous : Les Saints de l'Eglise de Marseille (1);
M. Grinda, enfin, dans quelques extraits d'une monographie
de Saint-Victor, publiés dans Y Echo de Notre-Dame de la
Garde, année 1888*
Nombre d'auteurs ont effleuré aussi dans leurs ouvrages le
même sujet, le traitant d'une manière plus ou moins som-
maire. Ainsi, Chiffletius J.-J., dans son Vesuntio civitas li-
béra imperialis (2) ; le P. de Saussay , dans le Martyrologium
Gallicanum (3) ; le P. Guesnay, dans le Cassianus illustratus9
le Provinciœ Massiliensis Annales (4) ; le P. Arthur de Mones-
tier, dans le Sacrum Gynœceum (5); Mabillon, dans les Acta
sanctorum ordinis Sancti Benedicti et les Annales ordinis
Sancti Benedicti (6) ; les deux Ruffl, dans Y Histoire de Mar-
seille (7) ; H. Bouche, dans la Chorographie et l'Histoire de
Provence; Bouche, dans Y Essai sur V Histoire de Pro-
vence (%) ; le P. Lecointe, dans les Annales ecclesiastici Fran-
corum (9); le P. Denis de Sainte- Marthe, dans la Gallia
Christiana (10) ; Mgr de Belsunce, dans Y Antiquité ou la suc-
cession des évéques de Marseille ; Agneau, dans le Calen-
drier spirituel de 1759 ; le P. Saint-Alban, dans le Ca-
lendrier spirituel et perpétuel de la ville de Marseille, de
(1) Les Saints de V Eglise de Marseille, Sainte Kusébie et ses com-
pagnes, vierges et martyres, 11 oct., p. 225etsuiv. — Le même auteur
traite ce sujet dans les Invasions des Sarrasins en Provence.
(2) Chiffletius J.-J., Vesuntio civitas, etc., p. 139 et suiv.
(3) De Saussay, Martyrologium Gallicanum, Naialis Sancti An-
drœœ, pridie kalend. decembris (30 nov.). — Martyrologium Gallica-
num Supplementum,2Q nov ., Natahs Sancti Hugonis confessoris.
(4) Guesnay, S. Cassianus iUustratus, p. 475, etc. ; Provinciœ Mas-
8iliensis Annales, pp. 186 et 600.
(5) Arthur de Monestier, Sacrum Gynœceum, 30 déc.
(6) Mabillon, Act a sanctorum ordinis Sancti Benedicti,t. IV, p. 487;
— Annales ordinis Sancti Benedicti, t. II, p. 90.
(7) Antoine de Ruffi, Histoire de Marseille, p. 386. — Louis de Rufû,
Histoire de Marseille, t. II, pp. 56, 116, 120.
(8) H. Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, t. II. —
Bouche, Essai sur l'histoire de Provence, 1. 1, p. 182.
(9) P. Lecointe, Annales ecclesiastici Francorum, t. I, ann. 536.
(10) P. Denis de Sainte-Marthe, G allia Christiana, 1. 1, Ecclesia Mas-
siliensis, col. 695, etc.
— 63 —
1719(1); Grosson, dans VAlmanaeh historique de Marseille
de 1770 (2) ; Papon, dans l'Histoire de Provence (3) ; Lautard,
dans ses Lettres archéologiques (4) ; Guindon et Méry, dans
VHistoire analytique et chronologique des actes et délibéra-
tions du corps et du conseil de la municipalité de Mar-
mite (5) ; M. l'abbé Magloire Giraud, dans sa Notice histori-
que sur la paroisse de Saint-Cyr(6) ; Bousquet Casimir, dans
La Major (7) ; André, dans Y Histoire des religieuses de
Saint-Sauveur (8) ; les mémoires de la Société archéologique
du Midi (9); Expilly, dans le Dictionnaire historique (10);
Edmond Leblant, dans les Inscriptions chrétiennes des
Gaules, antérieures au VIII9 siècle (11); Augustin Fabre, dans
les Rues de Marseille, • la Bibliothèque de Saint- Victor,
Y Histoire de Marseille et V Histoire de Provence (12); Mor-
treuil, dans la Réponse aux Observations de M. Augustin
Fabre sur l'ancienne bibliothèque de Saint- Victor (13); Mey-
nier, Anciens Chemins de Marseille ; l'abbé Daspres, dans
(1) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, par Mgr de Belsunce, t. I,
pp. toi, 258, 290. — Agueau, Calendrier spirituel, pp. 154, 381, etc.—
P. Saint-Àlban, Calendrier de 1714, p. 148.
(2) Almanach historique de Marseille, par Grosson, année 1870,
p. 74; année 1773, p. 93.
(3) Histoire générale de Provence, par Papon, t. I, p. 361.
(4) Lettres archéologiques sur Marseille, par Lautard, p. 397, etc.
(5) Guindon et Méry, Histoire analytique et chronologique des actes
et délibérations, etc., 1. 1, p. 100 ; t. Y, p. 200, etc.
(6) Notice historique sur l'église de Saint-Cyr% par l'abbé Mag.
Giraud, p. 14.
(7) La Major, par le docteur Bousquet, pp. 67, 629.
(8) Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur, par
Aûdré, p. 9.
(9) Mémoires de la Société archéologique du Midi, t. II, p. 219.
(10) Dictionnaire historique d'Expilly, verbo Marseille.
(H) Inscriptions chrétiennes de la Gaule, antérieures au VIII*
siècle, par Ed. Leblant, n' 545.
(12) Rues de Marseille, t. I, p. 282. — Observations sur la disser-
tation de M . Mortreuil intitulée a L'ancienne bibliothèque de Saint-
Victor i, p. 31 ; Histoire de Provence, t. I, p. 313; Histoire de Mar-
*ifo,t. I, p. 218.
{1$) Réponses aux Observations de M, Aug. Fabre, p. 5. — Meynier,
Anciens Chemins, pp. 43, 44.
— 64 -
sa Notice sur la paroisse de Saint-Giniez (1) ; Satirel
Alfred, dans la Banlieue de Marseille (2) ; l'abbé J.-J. Cayol,
dans Y Histoire de Saint-Loup (3) ; la Statistique des Bou-
ches- du -Rhône (4) ; Fouque, dans les Fastes de Provence (5);
Baudin, dans Y Histoire de Marseille (6) ; L. Méry, dans
Y Histoire de Provence (7); l'abbé Faillon, dans les Monuments
inédits sur le culte de sainte Madeleine (8) ; Reynaud, dans
les Invasions des Sarrasins en France (9) ; Alliez, dans
Y Histoire de Lérins (10) ; l'abbé Darras, dans son Histoire
de l'Eglise (11); Rocbacker dans Y Histoire générale de
V Eglise (12).
Mais la solution qu'ils donnent aux deux problèmes que
nous nous proposons d'étudier ici est loin d'être claire et uni-
forme. S'il s'agit de déterminer l'emplacement du monastère
où sainte Eusébie a vécu et souffert le martyre, Chifflet,
Arthur de Mo nés tiers, de Saussay, Mabillon, Guesnay, Magnaa
désignent les bords de l'Huveaune ; Ruffl, Denis de Sainte-
Marthe, Agneau, André, Daspres, Verlaque préfèrent le voisi-
nage de Saint- Victor ; Grosson assigne les Catalans ; Meynier
et l'abbé Cayol, Saint-Loup; de Rey, le Revest; Magloire
Giraud, Saint-Cyr du Var; Alfred Saurel, Guindon et Méry,
Bousquet, le bassin du carénage ; de Belsunce, Alliez, Darras,
Reinaud, Fabre, Boudin, Faillon et d'autres ne se pronon-
cent pas.
(1) Notice historique, topographique et hagiographique sur Saint-
Giniez, par l'abbé Daspres, p. 26.
(2) La Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, p. 154.
(3) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé J.-J. Cayol,
ch. 2.
(4) Statistique des Bouches-du-Rhône, t. II, pp. 324, 457.
(5) Fastes de la Provence ancienne et moderne, par M. Fouque,
t. I. p. 241.
(6) Histoire de Marseille} par Amédée Boudin, p. 116.
(7) Histoire de Provence, par L. Méry, t. II, p. 363.
(8) Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Magdéleine,
par l'abbé Faillon, 1. 1, col. 388.
(9) Reinaud, Invasion des Sarrasins en France, p. 137.
(10) Histoire du monastère de Lérins, par l'abbé Alliez, 1. 1, p. 398.
(11) Histoire générale de V Eglise, par l'abbé Darras, t. XVII, p. 14*
(12) Rocbacker, Histoire de l'Eglise; invasions des Sarrasins.
— 65 —
S'il s'agit de fixer l'époque du martyre de sainte Eusébie,
Guesnay affirme qu'il eut lieu en 477 ; M. Grinda en 497 ;
Mabillon, Belsunce, Guindon, Fabre, Fouque, Bousquet, de
721 à 735, 736, 737; lluffi, Lautard, en 867; Grosson, durant
le IX- siècle ; André, de Rey, vers 923, etc., etc. , etc.
On le voit, sur ce point comme sur l'autre, le désaccord ne
peut être plus tranché.
A nous donc de faire la preuve de nos deux affirmations et
de réfuter les assertions opposées.
Voici la marche que nous nous proposons de suivre. Deux
questions sont à examiner: en quel lieu sainte Eusébie a
souffert le martyre, et à quelle époque cet événement s'est
passé.
Pour traiter la première question avec ampleur, nous cite-
rons les témoignages des auteurs d'une opinion contraire à la
nôtre ; nous discuterons ensuite les objections qu'ils fournis-
sent contre nous, et, enfin, nous établirons notre opinion sur
des preuves négatives et positives.
Pour traiter la seconde, nous suivrons une méthode identi-
que. Après avoir cité les auteurs opposés à notre sentiment
et discuté la valeur de leurs témoignages, nous réfuterons
leurs objections, nous établirons ensuite notre thèse ; enfin
nous tirerons nos conclusions.
Une fois de plus, que la chère sainte Eusébie nous vienne
en aide !
■**"*'na/\AAA/\AAAAAaa^*~— .
PREMIÈRE QUESTION
En quel endroit Sainte Eusébie a souffert
le martyre
PEEIOÈBE PAETIE
RÉFUTATION DES AUTEURS
PREMIÈRE SECTION
Exposition des Objections et Questions Préliminaires
CHAPITRE PREMIER
Les Auteurs contraires à notre opinion
AUTEURS CONTRAIRES A NOTRE OPINION. — LE8 DEUX RUPFI. — GROS-
SON. — P. 8AINT-ALBAN. — AGNEAU. — LAUTARD. — GUINDON ET
IfÉRY. — L'ABBÉ MAGLOIRE GIRAUD. — MEYNIER. — ANDRÉ. — L'ABBÉ
CAYOL. — L'ABBÉ DASPRES. — SAURBL. — LA « GALLIA CHRISTIANA ».
— L'ABBÉ VBRLAQUE. — LES BOLLANDISTES.— M. DE REY. — RÉSUMÉ
DBS OBJECTIONS.
Nous allons citer le témoignage des auteurs d'une opinion
contraire à la nôtre, en commençant par Ruffi (Louis de). Il
s'exprime en ces termes :
« Une des chartes que j'ai citées ci-dessus, pour prouver
que Cassien avait été le fondateur de ce monastère, marque
que cet édifice était situé au pied de la montagne de la Garde,
et il est certain qu'il était au même lieu où nous avons vu la
chapelle de Sainte-Catherine, qui n'était guère éloignée du
monastère de Saint-Victor, et qui fut démolie en 1685 pour y
bâtir le Canal et quelques édifices à l'usage des galères. Car
— 70 —
ce qui fortifie ce que je viens de dire c'est que depuis environ
quelques années que Ton creusait les fondements de la maison
que Ton construisait pour y fabriquer la poudre, on décou-
vrit quantité de tombeaux en pierre de taille, faits en forme
de caisse, avec leurs couvercles, qui étaient remplis d'osse-
ments, parmi lesquels on en trouva un qui était fort avant
dans la terre, où il y avait au-dessus une petite pierre de
marbre qui contenait cette épitaphe :
HIC REQUIESCET BONE
MEMORIE EUGENIA ANCILLA DEr
CUI VEXIT ANNUS ZZXXVI RECESS1T
VI NONAS MARSIAS
C 0 3
« Tous ces tombeaux marquaient que ce lieu était ancien-
nement un cimetière et que c'étaient des religieuses qu'on y
avait ensevelies. Elles ne peuvent être que celles dont nous
parlons ; puisqu'on ne trouve point qu'il y ait dans Marseille
des religieuses si anciennes que celles-ci On découvrit
aussi au même endroit quelques fondements d'un grand édifice
extrêmement épais qui marquaient une très grande antiquité
et même on y découvrit quelques masures d'un presbytère,
qui fournait du côté du levant.
« A tous ces raisonnements j'ajouterai l'autorité de deux
chartes des années 1431 et 1446 qui font foi que, lorsque le
monastère de Saint-Victor fut détruit par les Vandales, il y
avait tout proche un autre monastère qui ne peut être que
celui-ci. De sorte qu'on ne peut plus douter que ce monastère
ne fût situé en cet endroit, et non pas au quartier de Saint-
Loup, ni à celui de Saint-Marcel, ni encore moins à l'embou-
chure de THuveaune, ni sur les bords de la mer, comme
quelques-uns l'imaginent, à cause qu'on y voit paraître des
masures d'une église qui appartient aux religieuses de Saint-
Sauveur et qu'on appelait anciennement Notre-Dame de i'Hu-
veaune.. .
a II n'y a pas apparence que Gassien ait bâti un monastère
de filles si loin de la ville, et sur le bord de la mer, pour né
— 71 —
pas les exposer aux incursions des pirates qui faisaient alors
de fréquentes courses en ces mers, ni qu'il les eût logées dans
l'intérieur du terroir, puisqu'il pouvait les placer plus proche,
et dans un lieu aussi solitaire qu'il pût souhaiter. Car la
montagne de la Garde était toute couverte de bois de haute
futaie qui la rendaient obscure et extrêmement propre à la vie
solitaire dont Cassien faisait profession.
« Mais, comme il fonda l'abbaye de Saint-Victor, il voulut
bâtir proche de cette maison et à une distance proportionnée
ce monastère de filles, afin qu'elles pussent alors commodé-
ment entendre la messe dans l'abbaye de Saint-Victor, parce
que en ce temps- là les religieuses n'avaient point encore
d'églises pour y faire célébrer les saints mystères ainsi que
nous l'apprenons de saint Jérôme, qui exhorte les religieuses
à ne point sortir de leur monastère pour aller à l'église qu'en
compagnie de leur supérieure. En effet, sainte Paule, après
avoir fait construire à Bethléem un monastère d'hommes,
fonda trois monastères de filles, qui allaient tous les diman -
ches à la messe, à l'église la plus proche de leur monastère,
sous la conduite, de leur abbesse. Quelque temps après les
religieuses eurent des oratoires dans leurs monastères pour y
faire célébrer le service divin, et ne commencèrent à bâtir des
églises publiques qu'après l'an 817, comme il est facile de le
conjecturer d'après le concile d'Aix-la-Chapelle. Ces autorités
et ces exemples fortifient toujours davantage la situation de
cette maison en cet endroit.
« D'ailleurs, il y a lieu de croire que Cassien, qui vivait du
temps de sainte Paule et qui avait demeuré pendant cinq
années dans son monastère de Bethléem, jugea à propos d'in-
troduire dans les deux maisons qu'il fonda en cette ville la
même façon de vivre. . . Il n'aurait pas osé bâtir si loin un
monastère de filles* qui île gardaient point la clôture, pour ne
pas les hasarder à mille inconvénients, d'autant plus que
nous ne trouvons pas de titres si anciens qui nous fassent
savants qu'avant ce temps-là il y eût quelque église en ces
quartiers, où elles pussent entendre la messe.
« Il voulut encore en cette occasion suivre l'avis de saint
Jean Chrysostome qui porte que les monastères ne doivent
- 72 —
point être écartés des villes, afin qu'ils ne fussent point éloi-
gnés des commodités de la vie, dont ils ne peuvent se passer.
Mais une des principales raisons qui obligea ce bon Père de
faire bâtir le monastère en cet endroit, fut afin d'avoir moyen
de visiter plus souvent ses filles, pour les instruire et les
consoler dans leurs besoins spirituels (1). »
Voici ce qu'Antoine de Ruffl, père du précédent, avait écrit
sur le même sujet (2) :
« Quelques auteurs ont pensé que le monastère était aux
bords de l'Huveaune, à quoi l'on ajoute qu'il fut transféré dans
la ville, au lieu où il estaujourd'hui, après qu'il eut été rava-
gé par les Sarrasins, et que les religieuses, à l'exemple de leur
abbesse Eusébie, se coupèrent le nez . Cette tradition (que le mo-
nastère était à l'Huveaune) n'est appuyée sur aucun monument
ni vieille écriture qui en parle clairement, se trouve fortifiée
par plusieurs conjectures. Aux premiers siècles on bâtissait les
monastères en lieu écarté, hors de l'enceinte des villes, si bien
que Gassien, qui fut le fondateur et qui faisait profession de
vie solitaire, voulut bâtir cette maison en ce lieu écarté.
« De plus, l'inscription de l'abbesse Eusébie qui est dans
l'église inférieure de Saint-Victor nous marque que cette
illustre femme était une abbesse du monastère sous le titre de
Saint-Quirice Saint-Sauveur était hors de la ville, il por-
tait le nom de Saint-Quirice. Il garda les reliques de saint Cyr
en vénération et, après qu'il eut été détruit, les religieuses
vinrent en ville, y portèrent les reliques portées en ce pays
au V* siècle par Amator, évoque d'Auxerre, et, pour quelque
raison que nous ne connaissons pas, ce monastère changea le
nom de Saint-Cyr en celui de Saint-Sauveur. Quant à dire où
était ce monastère, nous ne tenons cela que par tradition.
J'estime que ce monastère était ou à Saint-Loup ou à Saint-
Marcel, d'autant que les religieuses possèdent des biens et deux
propriétés. Ceux-là se trompent qui disent qu'il se trouvait h
l'Huveaune, à cause des masures d'une vieille église appelée
anciennement Notre-Dame-d'Huveaune. »
(1) Ruffi (Louis de), Histoire de Marseille, t. II, p. 56 et suiv.
(2) Histoire de Marseille, par Antoine de Ruffl, pp. 386, 401 ; ouvrage
imprimé par Claude Garciu, en 1642, à Marseille.
— 73 —
Grosson, dans VAlmanack historique de 1770, s'exprime
sur ce sujet en ces termes :
« L'abbaye royale de Saint-Sauveur. Cette ancienne abbaye
de Cassianites fut fondée par Cassien en 420, en même temps
que Saint -Victor, dans la forêt sacrée, à quelque distance du
couvent de cette première abbaye. Il y a lieu de croire que
c'était vers l'endroit où se trouvent aujourd'hui les Infirmeries
Vieilles, sous la citadelle de Saint-Nicolas, et non pas à l'em-
bouchure de l'Huveaune, comme quelques-uns l'ont dit. Ce
dernier monastère était une abbaye des Prémontrés qui ne
fut établie que longtemps après. Ce monastère fut d'abord
dédié à saint Cycirius. Elles sortirent de ce local par la persé-
cution des Sarrasins. Vers Tan 737, elles furent plus près de
Saint- Victor et ensuite aux Accoules, puis au local actuel,
qu'elles firent élever sur les ruines de l'ancien Marseille (1). »
A la page 75 de VAlmanach de 1774, Grosson ajoute :
« Ceux qui penseraient que les religieuses cassianites, au-»
jourd'hui à Saint -Sauveur, avaient autrefois le monastère à
l'Huveaune et qui leur attribuent les restes des édifices que
Ton aperçoit encore en ce lieu, seraient bien aises d'apprendre
que ces restes sont les ruines de l'abbaye des Prémontrés qui
fut bâtie en 1203. La charte dit : de novo œdificare, ce qui
supposerait que les Prémontrés y avaient déjà une église (2). »
Le P. Saint-Alban, dans son Calendrier spirituel et perpé-
tuel de la ville de Marseille, en 1713, écrit, en parlant de
Saint-Tronc :
« 11 y avait autrefois en cet endroit un couvent de reli-
gieuses de Saint-Benoit. On y voit encore des masures de leur
église (3). »
Agneau, dans son Calendrier spirituel, en 1759, écrivait à
son tour :
« L'an 420, Cassien établit le deuxième monastère pour des
religieuses qui prirent aussi la règle de saint Benoit, et qui
était situé au pied de la montagne de la Garde, où était la
chapelle de Cassien, tout auprès le monastère de Saint-Victor,
(1) Grosson, Abnanach historique de Marseille, année 1770, p. 74.
(2) Grossdû, Abnanach historique de Marseille, année 1/74, p. 75;
(3) P. Saint-Alban, Calendrier spirituel et perpétuel^ p. 176.
— 74 —
laquelle fut démolie en 1685 pour l'usage des galères. C'est
l'abbaye antique de Saint-Sauveur qui, après avoir souvent
changé de place, a été fixée à l'endroit où elle est mainte-
nant (1). »
Après Agneau, Lautard. Cet écrivain, dans son ouvrage
intitulé : Lettres archéologiques sur Marseille, suit pas à pas
Iluffi et le copie presque mot à mot, sans indiquer cependant
qu'il lui emprunte deux pages de son-Histoire de Marseille.
Puisqu'il n'apporte d'autres raisons que celles mentionnées
dans Ru fû, nous nous dispenserons de transcrire son texte. Ce
sont les pages 398, 399, 400, 401 de ses Lettres.
MM. Guindon et Méry, dans le V* volume de Y Histoire ana-
lytique et chronologique des actes et délibérations du corps
et du conseil de la Municipalité de Marseille (2), disent :
« On ignorait encore, il y a quelques années, le lieu où la
première maison claustrale avait été située. Les uns la pla-
çaient à l'embouchure de l'Huveaune, les autres dans l'inté-
rieur de la ville. Rufli, dans son Histoire de Marseille, se
rapproche le plus de la vérité. Il suppose que le couvent des
Cassianites se trouvait dans le voisinage du monastère de
Saint- Victor. La découverte d'une inscription sur marbre faite
dans le courant du mois de juillet 1833, en creusant le bassin
du carénage, a dissipé tous les doutes à cet égard et démontré
que la première demeure des religieuses s'élevait au bord et
près du port, à l'endroit même où le bassin du carénage a été
creusé.»
Le chanoine Magloire Giraud, le savant curé de Saint-Cyr,
dans le Var, ayant eu à s'occuper, dans ses études sur le
Beausset, Taurœntum et Saint-Cyr, du martyre de sainte
Eusébie, a écrit ces deux pages que nous empruntons à sa
Notice sur Saint-Cyr :
a Ce serait le lieu d'examiner ici si ce ne serait pas à
Saint-Cyr même que se trouvait ce monastère, monasterium
sancti Cyricii, où Sainte-Eusébie passa cinquante ans,
(1) Agneau, Calendrier spirituel, p. 154.
(2) Guindon et Méry, Histoire analytique et chronologique des actes
et délibérations du corps et de la municipalité de Afarseille, U V,
p. 200.
— 75 —
comme l'indique l'épithaphe de son tombeau déposé autrefois
dans l'église de Saint-Victor..., monastère que des écrivains
ont confondu, sans autre preuve que cette inscription, avec
cet autre monastère fondé en 420 sous l'invocation de la
Sainte Vierge par l'illustre Cassiçn, auprès de son abbaye et
sur l'emplacement duquel les auteurs sont si peu d'accord,
puisque lea uns le placent à l'embouchure de l'Huveaune, les
autres au pied de la colline de No tre-Dame-de- la-Garde, qui
à Montredon, qui aux Vieilles Infirmeries ou au local de
l'ancienne chapelle de Sainte- Catherine, qui enfin et avec
plus de raison au bassin du carénage ; tandis que d'autres se
bornent à dire qu'il était situé, ceux-ci à Marseille, ceux-là
dans la campagne de cette ville, non loin de l'église de Saint-
Victor. Mais les limites de cette notice ne nous permettent
pas de discuter cette question.
« Qu'il nous suffise de faire remarquer que : 1* le tombeau
où forent déposés les restes de sainte Eusébie, de l'aveu de
tous, ne fut pas fait pour elle, il lui est antérieur de deux
cents ans ; 2° que l'inscription n'indique pas que cette
religieuse souffrit le martyre ni qu'elle fût abbesse ; 3° qu'au-
cun monument historique ne prouve que le célèbre monastère
de femmes fondé par Cassien, auprès de son abbaye, d'abord
détruit par les Normands en 867, saccagé par les Sarrasins en
923, réédifié en 1031 par les vicomtes Guillaume et Fouques,
réparé en 1060 par Pons II et son père Geoffroy, rien ne
prouve que ce monastère où Saint-Césaire plaça sa sœur
sainte Gésarie ait jamais porté le nom de Saint-Cyr, bien que
le culte de ce glorieux martyr y ait été en grande vénération.
L'inscription dont il s'agit est la seule preuve qu'on invoque,
et cette preuve est plus qu'incertaine, s'il est vrai qu'avant
la destruction de Taurœntum, vers le milieu du IX' siècle,
il existait près du village de Saint-Cyr, au quartier rural
qui porte encore le nom de la Mure (villa murata), un
monastère de femmes dont on désigne l'emplacement et dont
il reste la tour, qui est de beaucoup antérieure à la destruc-
tion de la ville phocéenne (Taurœntum.)
« Or, l'existence d'un monastère de femmes près l'ancienne
chapelle de Saint-Cyr, laquelle était une dépendance de
— 76 —
l'abbaye de Saint- Victor, est un fait attesté par la tradition
locale et par les débris qui ont survécu aux ravages des temps
et des hommes.
« Ce fait semble déterminer à Saint-Cyr môme remplace-
ment du monastertum sancti Cyricii où sainte Eusébie
vécut cinquante ans (1). »
Dans les Anciens Chemins de Marseille, par Meynier,
voici ce que l'on lit (2) : « Avant de terminer ce qui a trait à
l'Huveaune, il reste à parler de son embouchure, à cause
d'un établissement qui a donné matière à bien des contro-
verses, le couvent des Gassianites. La première de ce3 maisons
fut édifiée près de Saiut-Victor ; quant à la seconde, celle
qui est admise par les uns et contestée par les autres, celle-là
a eu sa place à l'embouchure de l'Huveaune. Il a été déjà dit
qu'il y avait près de Saint-Loup un couvent de femmes qui
existait à l'époque des Sarrasins. Ceci repose, non point sur
une tradition vague et générale, mais sur une tradition
constante et accréditée depuis longtemps. Ce couvent était
situé au pied de la montagne de Saint-Cyr, nom que les
Cassianites ont porté au VP siècle : on les appelait religieuses
de Saint-Cyr. D'un autre côté, il est dit que ce monastère
était situé à l'embouchure de rHuveaune. Peut-on concilier
ces deux opinions si diverses ? Il le semble.
a En examinant la plaine de Saint-Giniez, les amas de
sables accumulés sur divers points, la marche lente de la
rivière, on arrive à reconnaître que des atterrissements consi-
dérables se sont formés sur ce point. La mer a perdu là ce
qu'elle a gagné à la plage de Séon. On peut admettre que
cette plaine était un vaste étang, peut-être ce port de Léonium
qui existait au IXe siècle et dont il est parlé en son lieu. Gela
posé, l'embouchure de rHuveaune peut être placée non loin
du Rouet. Maintenant, de ce point à celui indiqué par les ruines
du couvent, il reste bien 2,000 mètres, mais rien n'indique
que cet édifice a été considéré comme exactement placé à
l'embouchure de la rivière. A l'endroit où l'Huveaune se jette
(1) Notice historique sur l'église de Saint-Cyr (Var), par l'abbé
Magl. Giraud, p. 14 et suiv.
(2) Meynier, Anciens Chemins de Marseille, pp. 43,44.
— 77 —
actuellement à la mer, il y avait les ruines du couvent
regardé comme étant la deuxième maison fondée par les
Cassianites. On reconnut plus tard que ce couvent avait
appartenu aux Prémontrés, (la fondation de cet ordre remonte
au XII* siècle) et alors de dire que les Cassianites n'avaient
jamais eu d'établissement dans cette contrée. Grosson vint
visiter les ruines, partagea l'opinion des opposants et avec
beaucoup de vivacité.
« Toutefois le fait est appuyé par trop d'auteurs pour le
rejeter avec assurance.
« A l'époque où Guesnay écrivait, si on avait songé que
l'embouchure de THuveaune a pu être déplacée, si on avait
tenu compte des ruines peu éloignées du Rouet, de la tradition
constante sur ce fait, on aurait reconnu que si les Prémontrés
ont pu en 1204 fonder ce couvent à cet endroit, rien ne
s oppose à ce que, en 410, Cassien l'ait fondé à l'embouchure
primitive. »
Nous rencontrons, parmi les adversaires de notre opinion,
l'auteur de la monographie intitulée : La Major, cathédrale
de Marseille, M. Casimir Bousquet. Cet auteur, après avoir
dit dans son ouvrage, sur la foi de l'historien Papon, que le
couvent des religieuses de Saint-Sauveur, fondé en 410 par Cas-
sien, était situé à l'embouchure de l'Huveaune, s'en prend à
cet auteur de l'avoir induit en erreur, et il ajoute :
« Papon a cru devoir admettre l'existence simultanée de
deux couvents de femmes. Mais, pour que ce système eût
chance de prévaloir, il n'aurait pas fallu que cet auteur avouât
naïvement, dans le deuxième volume de son Histoire, qu'il
n avait pas été admis à consulter les archives de Saint- Victor.
Cet aveu contient sa condamnation. Si Papon avait eu accès à
ces archives de l'abbaye, il aurait sans doute su que rem-
placement du monastère cassianite est parfaitement désigné
dans le cartulaire de Saint-Victor. « Pater Cassianus, y est-il
« dit, f unda vit monasterium monialium non longe a ripa portus
a juxta viam de Gardiâ. » Voilàqui est clair, ce nous semble.
Kuffl, Belsunce, Grosson, Augustin Fabre, Lautard sont dans
terrai en affirmant que le premier couvent des dames de
Saint-Sauveur était situé près de l'abbaye de Saint- Victor, au
6
— 78 —
pied de la montagne de la Garde. Au surplus, une découverte
faite en creusant le bassin du carénage vient confirmer plei-
nement le texte du cartulaire, ainsi que l'opinion de Ruffi
au sujet de l'existence du couvent des religieuses cassianites
dans le voisinage de l'abbaye. Une inscription tumulaire,
trouvée en juillet 1833, démontre que la première demeure
de ces religieuses s'élevait au bord et près de l'embouchure
du port de Marseille (1).-»
L'auteur de l'Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur,
M. André (2), parlant du second monastère fondé par Cassien,
dit « qu'il fut construit dans le voisinage de Saint-Victor,
non loin de la rive du port. » Toutefois la plus grande incer-
titude a régné parmi les historiens sur la position de ce
monastère. André cite alors Ruffi, Grosson et Guindon et
Méry. Puis il ajoute :
« Il serait difficile de déterminer d'une manière précise la
position de la première demeure des Cassianites; nous savons
seulement qu'elle n'était pas éloignée de la rive du port. (En
note les chartes de 1431 et 1446.) L'opinion de Ruffi nous
parait parfaitement correspondre aux termes d'une charte du
XI* siècle (la charte 40 du cartulaire de Saint- Victor), dans
laquelle il s'agit d'une vigne qui confronte du levant le che-
min du Lauret, du septentrion la terre de Sainte-Marie ou
des religieuses qui sont proche la rive du port , dans le monas-
tère fondé par Cassien, et confronte également au couchant le
chemin de la Garde. »
L'abbé J.-J. Cayol, dans son Histoire du village de Saint-
Loup près Marseille, a efileuré quelque peu notre sujet. Il
a écrit :
« On fonda ( au quartier de Saint-Tronc ) un couvent de
religieuses qui existait encore en 1240. Une charte de Saint-
Victor dit formellement que le 6 octobre 1240, Raymond
Béranger, roi d'Aragon et comte de Provence, prit sous sa pro-
tection la terre des religieuses de Carvillian, ortum monia-
lium de Carvilliana. . . . Quelques antiquaires croient que le
(1) La Major, parle docteur Bousquet, p. 623.
(2) Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur de A/ar-
seilley par M. André, p. 2, etc.
— 79 —
m
couvent de Sainte-Marie était une annexe de celui de Saint-
Sauveur, et que c'est peut-être là qu'habitaient les des-
narrados (1). a
L auteur de la Notice sur Saini-Giniez, le regretté M. le
chanoine Daspres, est loin d'avoir soutenu notre opinion (2).
G eût été cependant travailler à la gloire de sa paroisse que de
chercher à prouver qu'elle était bien fondée. Mais, après
avoir avoué que la plus grande incertitude règne parmi les
historiens sur la position de cette fondation, il ajoute qu'il se
doit à la vérité et qu'il suit l'opinion de Rufii. Il énumère les
raisons que Ruffi a alléguées, il cite l'opinion de Grosson, de
Guindon, et termine en disant :
a Ce qui parait incontestable, c'est que ce monastère était
près du port, car une charte du XI" siècle (charte 40) parle
d'une vigne qui confronte au nord la terre des religieuses, qui
sont proche la rive du port, dans le monastère fondé par
Cassien...
« Une seule chose cependant pourrait nous mettre en consi-
dération, ce serait la tradition constante et universelle de ceux
qui se souviennent encore avoir vu la chapelle de Notre-
Dame d'Huveaune ; ils ne la dénomment jamais que sous le
titre deis desnarrados. Mais nous trouvons l'explication de
cette tradition dans la prise de possession de cette chapelle par
les religieuses cassianites de Saint-Sauveur au XV? siècle. La
légende populaire put facilement attribuer à ce lieu ce qui
n'appartient qu'à la congrégation et, en effet, partout où il y a
eu un monastère de religieuses, on place aussi ce glorieux
fait. »
Alfred Saurel, dans sa description de La Banlieue de
Marseille (3), écrivait en ces termes sur ce sujet :
* D'après Papon, Guesnay, Denis de Sainte- Marthe, c'est
dans le monastère qu'elles habitaient, près de l'embouchure
(1) Histoire du quartier de Saint-Loup, banlieue de Marseille, par
l'abbé J.-J.CayoJ, chap. II. pp. 13, 15, 26.
(2) Notice historique sur Saint-Ginies, par l'abbé Daspres, ch. 111,
p. 26, etc.
(3) La Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, Saint-Ginies ,
p. 151, etc.
— 80 — .
• *
de PHuveaune, qu'Eusébie et ses compagnes se sont volontai-
rement défigurées. D'autres historiens, tels que Ruffî, Grosson,
Fabre et ceux qui écrivent de nos jours, démontrent que ce
monastère se trouvait à l'entrée du port de Marseille. Le
document que nous citons avec d'autres est assez précis pour
arrêter toute discussion : a Pater Cassianus fundavit monas-
« terium monialium non longe a ripa portus, juxta viam de
« Gardia. »
a Une découverte faile en juillet 1833, quand on creusa le
bassin du carénage, est concluante. C'est une inscription
tumulaire qui n'est autre que l'épitaphe d'Eusébie et de ses
compagnes. Le nom des desnarradoa qui est resté aux ruines
que Ton voyait à l'embouchure de la rivière n'est donc pas
suffisant pour justifier la version de Papon. Les dames de
Saint-Sauveur ayant reçu en don les ruines de ce monastère
en 1407, le peuple désigna cette nouvelle possession du nom
qui était encore donné aux religieuses de l'ordre auquel sainte
Eusébie avait appartenu. »
La Gallia Christiana, du P. Denis de Sainte- Marthe, s'occu-
pant aussi de l'emplacement du monastère cassianite, s'ex-
prime en ces termes :
« L'abbaye de Saint-Sauveur fut fondée à Marseille par
Paint Gassien, auprès du cœnobium de Saint-Victor, et non
pas à l'endroit que Guesnay lui assigne. Ruffi, en effet, a vu
dans le cartulaire deux chartes qui affirment que ce monastère
de femmes se trouvait au pied de la montagne de la Garde, à
l'endroit où en 1685 on découvrit des tombeaux avec l'inscrip-
tion d'Eugenia. Les deux chartes de 1431 et 1446 confirment
cette assertion, puisqu'elles disent que lorsque le monastère de
Saint-Victor fut détruit par les Vaudales, il y avait auprès un
monastère de vierges que Cassien avait fondé (1). »
L'abbé Verlaque, qui a écrit la Notice sur sainte Eusébie^
a dit :
a Plusieurs auteurs n'étant pas d'accord sur l'emplacement
de ce monastère, nous n'entrerons pas dans une discussion
qui nous mènerait trop loin. Cependant, Popiniori la plus
(1) Gallia Christiana, 1. 1, Eccleeia Mas8iliensi8t col. 693.
— 81 —
accréditée sur ce sujet est que l'abbaye de Saint-Sauveur fut
bâtie au pied de la montagne de Notre-Dame de la Garde, sur
l'endroit même où se trouve aujourd'hui le bassin du carénage.
D'autres veulent qu'elle ait été établie là où se trouve actuelle-
ment la Major et, comme appui, ils signalent un passage
souterrain qui existait entre la Major et Saint- Victor. Or, les
fouilles opérées pour le creusement du bassin de carénage
n'ont montré aucun vestige de ce souterrain (1). »
Voici le résumé de ce que les Bollandistes ont écrit sur
notre sainte Eusébie et ses trente-neuf compagnes, à la date
du 8 octobre (2) :
(Test M" de Belsuncc qui, par un décret du 27 mai 1733,
fui la fête de ces saintes au deuxième dimanche d'octobre.
Avant lui, aucune date n'était assignée. Nous ne l'avons
trouvée indiquée dans aucun martyrologe, excepté dans le
Sacrum Gynceceum d'Arthur de Monestier, qui place cette
fête au 30 décembre. Les autres martyrologes, aussi bien les
anciens que les modernes, se taisent sur ces saintes martyres.
Les écrivains môme qui parlent d'elles et racontent leur
héroïsme, ne disent pas qu'on les honorait d'un culte spé-
cial, quelques-uns môme ne les appellent ni saintes ni bien-
heureuses. Guesnay, cependant, qui écrivait quatre-vingts ans
avant le décret de M" de Belsunce, assure qu'elles étaient
honorées à Marseille. Il est assez difficile d'admettre, en effet,
qu'une mort si héroïque, un vrai martyre, n'ait attiré à celles
qui l'ont subie une vénération spéciale. Cependant, nulle
part on ne trouve les actes de cette passion, la tradition seule
en fait mention.
£n quel endroit ont-elles souffert le martyre ? Sans
contredit dans le monastère dont Gennade parie dans ses
écrits. L'emplacement primitif de ce cœnobium est un objet
de discussion. Qui le place auprès de Saint- Victor, qui le
relègue loin de la ville. Guesnay dit qu'il s'élevait sur les
bords de l'Huveaune, Belsunce et Denis de Sainte-Marthe disent
(1) Notice sur sainte Eusébie, abbesse et martyre du diocèse de
Marseille, par l'abbé Verlaque, p. 8.
(2) Acta Sanctorum, Bolland. t. IV, d'octobre, p. 292, Sainte Eusé-
bie et ses compagnes.
— 82 —
près de la ville. Cependant il se trouvait certainement hors de
la ville, lorsque Eusébie était abbesse et lorsqu'elle souffrit
avec ses compagnes.
Nous terminerions volontiers ces citations par un emprunt
fait au livre de M. de Rey sur les Saints du diocèse de
Marseille, au chapitre de sainte Eusébie. Mais il faudrait tout
citer. Nous devons donc nous contenter de l'analyser :
Où se trouvait ce monastère cassianite, se demande M. de
Rey ? Suivant les uns, à Saint-Cyr près Saint-Loup ; avec
Ruffi il faut dire que c'était trop loin dans les bois. D'autres
l'ont placé à l'embouchure de THuveaune. Quoiqu'il y ait
eu en cet endroit une église et une maison anciennement,
et dont l'histoire est inconnue, il ne paraît pas qu'avant
le XI* siècle les Cassianites aient rien possédé à l'embou-
chure de l'Huveaune et la tradition locale sur sainte Eusébie
ne peut être plus ancienne. Ce monastère était près du port,
la charte du XIe siècle le dit. Puis, s'efforçant d'être plus précis,
M. de Rey arrive de déduction en déduction à fixer la position
du monastère au Revest,' quartier de Rive-Neuve.
Tels sont les auteurs qui sont opposés catégoriquement à
notre thèse. Il en est d'autres, certainement, qui se sont occu-
pés de la même question, et qui sont aussi d'un avis contraire
au nôtre sur l'emplacement du monastère où vécut sainte
Eusébie. Nous ne les connaissons pas. D'ailleurs, la liste de
ceux que nous avons cités est déjà bien longue, et il n'est
guère probable que l'on puisse apporter contre notre thèse
d'autres arguments que ceur dont nous avons fait rénu-
mération.
Mais il n'a pas échappé à l'attention de nos lecteurs que
parmi les écrivains cités, beaucoup se sont copiés les uns les
autres, et que, partant, les mêmes objections ont plusieurs
fois défilé devant leurs yeux.
Nous en faisons donc un résumé succinct :
Suivant Ruffi (Louis de), la Gallia christiana. Agneau,
La u tard, André, l'abbé Daspres, le monastère cassianite se
trouvait au pied de la montagne de la Garde, dans le voi-
sinage de l'abbaye de Saint-Victor. Voici les raisons que tous
-83-
ces auteurs ou quelques-uns d'entre eux ont données de leur
assertion.
Ma charte 40 du cartulaire de Saint- Victor l'affirme;
2* en 1685, on a trouvé à l'endroit où s'élevait la chapelle de
Sainte-Catherine des tombeaux et une inscription ce d'Eugenia
ancilla Dei* ; 3° les chartes de 1431 et 1446 disent que,
lorsque Saint- Victor fut détruit par les Vandales, il y avait
tout auprès un monastère qui ne peut être que celui des
religieuses de Gassien ; 4* Cassien ne pouvait établir ce monas-
tère si loin de la ville, sans exposer ces saintes filles aux
incursions des barbares ; 5* ces saintes filles n'auraient pu
assister à la messe le dimanche, puisqu'il n'y avait pas
d'église en ce quartier de l'Huveaune et qu'elles n'avaient pas
de chapelles particulières; 6* Cassien voulut suivre l'avis de
saint Jean Chrysostome, qui porte que les monastères ne
doivent pas être loin des villes, pour ne point être privés des
commodités de la vie dont on ne peut se passer; 7* parce
qu'il voulait visiter plus souvent ces religieuses, les instruire
et les consoler dans leurs besoins spirituels.
Grosson place l'abbaye aux Catalans. Il ne donne aucune
preuve de son assertion.
Guindon, Saurel, Bousquet, Verlaque désignent le bassin du
carénage comme l'emplacement de ce monastère. A leur avis,
la découverte que l'on fit, en 1833, d'une inscription, et le
texte de la charte 40 du cartulaire de Saint- Victor le prouvent
suffisamment.
Suivant M. de Rey, l'abbaye cassianite aurait été au
quartier du Revest, vu l'impossibilité de la placer ailleurs ;
et parce que, d'après une charte de 1081, ce point appartenait
à Saint-Victor.
L'abbé Magloire Giraud place cette abbaye Sancti Cyricii
à Saint-Cyr dans le Var, la paroisse dont il était curé, parce
qu'une tradition locale indique la présence d'un ancien
monastère de Saint-Cyr, et que l'on a confondu à tort le
monastère de Saint-Cyr où vivait sainte Eusébie avec celui
que saint Cassien a fondé à Marseille.
L'abbaye cassianite est à Saint-Loup, au quartier de
Saint-Cyr, a soutenu l'abbé Cayol, un enfant de Saint-Loup,
— 84 —
et avant lui Antoine de Ruf fi, le P. Saint-Alban et Meynier.
La raison est que en 1240 il y avait là un couvent de reli-
gieuses, et que celle-ci y possédaient des biens.
D'aucuns affirment qu'elle s'élevait aux environs de la Ma-*
jor ; Grosson et l'abbé Yerlaque mentionnent cette opinion,
sans la soutenir.
MM. D as près, Saurel, Bousquet, etc., disent que le nom de
de8narrado8 que l'on donne à la chapelle en ruines située à
l'embouchure de l'Huveaune ne constitue pas une raison
suffisante pour affirmer que le monastère de sainte Eusébie
était aux bords de l'Huveaune.
Ce sont ces objections que nous allons combattre et tâcher
de résoudre.
CHAPITRE II
Divers emplacements du monastère cassianite
Première question préjudicielle
LE MONASTÔBB CASSIANITE DE FILLES, AUX ACCOULES, EN 1077, — A
LA PLACE DE LENCHE, A SAINT-8AUVEUR, EN 1073, — AUX ACCOU-
LBS, EN 1069, —A LA PLACE DE LENCHE, EN 1050, — AUX ACCOULES,
EN 1031, — A LA PLACE DE LENCHE, EN 1004, — PRÈS DE SAINT-
VICTOR, A SAINTE-CATHERINE, EN 923, — A UNE TERRE NON LOIN
DU PORT, SUR LE PLATEAU DE REVBST, EN 838, — AUX BORDS DE
L'HUVBAUNB, VERS 738, — A l'huveaune, LORS DE SA PONDATION.
Nous devons, avant d'engager la discussion, établir d'une
manière solide, comme préliminaires, trois propositions qui
seront autant de jalons autour desquels elle roulera, autant
de bases sur lesquelles s'appuieront nos arguments.
D'abord, le monastère des femmes et des filles fondé par
Cassien, vers 415, a changé souvent d'emplacement.
La plupart des auteurs sont d'accord avec nous sur les don-
nées générales de ce changement. Ruffi (1) place le monastère
au pied de la montagne de la Garde, au même endroit oii l'on
a vu plus tard la chapelle de Sainte-Catherine, démolie en
1685 ; puis en ville, à la place de Lenche.
Monseigneur de Belsunce (2) dit que l'abbaye de Saint-Sau-
veur, après avoir souvent changé de place, a été fixée enfin
dans l'endroit où elle est actuellement, à la place de Lenche.
(1) Voir ce que disent, sur ce point particulier, dans les fragments que
l'on a cités de leurs ouvrages ut supra, ch. I*p, les auteurs contraires à
notre opinion. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, pp. 57, 58.
(2) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 411.
— 86 —
Pour Grosson, c'est aux Infirmeries Vieilles, près des Cata-
lans, que s'éleva le monastère. Après 737, ce fut aux environs
de Saint- Victor, et enfin aux Accoules.
Pour Lautard (1), c'est dans le vaste quartier du territoire
situé entre l'abbaye de Saint- Victor et l'Huveaune, puis en
ville, à la place de Lenche, aux Accoules ensuite, enfin de
nouveau à la place de Lenche.
Guindon et Méry le fixent au bassin du carénage et-, après
737, aux bords de l'Huveaune (2).
M. de Rey, enfin, le place d'abord au quartier de Revest,
près de Saint -Victor, puis à la place de Lenche (3).
Mais où le désaccord commence, c'est lorsqu'il s'agit de
fixer la date, sinon précise, du moins approximative, de ces
changements. Tandis que Grosson fait sortir les Gassianites de
leur monastère des Catalans à la suite de la persécution des
Sarrasins, en 737, et les fait venir près de Saint-Victor, à
cette même époque de Belsunce les fait venir de Saint-Victor
à la place de Lenche, à la suite de ces invasions, vers 737 (4).
D'autre part Ruffi, la Gallia christiana (5), Lautard retardent
jusqu'en 867 ce transfert eu ville, André jusqu'en 1030 (6) et
M. de Rey jusqu'aux premières années après le commence-
ment du XI° siècle (7). On le voit, rien de précis.
Essayons de fixer la date de chacun de ces changements et
d'indiquer à la fois et l'endroit que l'on quitte et celui que
l'on vient habiter.
Partons d'une date certaine. Kn 1073, les religieuses habi-
(1) Lettres archéologiques, pp. 403, 434, etc.
(2) Guindon et Méry, Histoire analytique, etc., op. cit., t. V, p. 202.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, pp. 227, 235. — Invasions des
Saivasins en Provence, p. 139, etc.
(4) V Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 411.
(5) c Potsquam autem monasterium, illud cum Victor in o dirutum est,
non quidem a Vandalis sed potius a Normannis, incerto anno, forsan
8G7, virgines illae in urbem migrarunt, ibique Sancti Salvatoris monas-
terium sibi condiderunt... » Gallia christiana, 1. 1, col. 696.
(6) « Contrairement à ce qui a été dit sur la date du transfert des reli-
gieuses en ville, il y a lieu de croire qu'il ne s'opéra que vers Tannée
1030. » Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur, p. 16.
(7) Invasions des Sarrasins en Provence, p. 139.
— 87 —
tent le monastère de Sainte-Marie des Accoules dans la ville
de Marseille (1). Qu'était-ce que ce monastère ? Ce n'était pas,
à proprement parler, la demeure des religieuses. « Les reli-
gieuses de Saint-Sauveur, dit deBelsunce, avaient déjà l'église
des Accoules, et elles étaient logées dans les maisons qui en
dépendaient, en attendant qu'elles pussent retourner dans leur
monastère (2). »
C'est aussi l'avis de André, ainsi que celui de Ruffi, qui
affirme a que les vicomtes de Marseille tirent présent de
cette église des Accoules aux religieuses de Saint-Sauveur,
pour y faire leur habitation, à cause que le monastère de
Saint-Sauveur était entièrement détruit (3). »
Outre donc l'église des Accoules qui servait provisoirement
de monastère, il y avait le véritable cœnobium qui était
appelé Saint-Sauveur, c en mémoire, dit Rufîi, de ce que le
Sauveur du monde se transfigura sur une montagne (4). » Ce
monastère de Saint-Sauveur était situé dans l'enceinte de la
ville épisfcopale, en dessous des murs de la ville vice-comitale
de Marseille (5). On sait que notre cité était divisée en deux
parties : la ville épiscopale et la ville comitale, et suivant que,
dans une charte, c'est Tévôque ou le comte qui parle, Saint-
Sauveur est intra ou infra muros urbis (6).
L'emplacement précis de Saint-Sauveur était la place de
Lenche, de l'avis de tous. En 1077 donc les religieuses habi-
taient les Accoules. En 1073, y habitaient-elles déjà, ou se
(1) « Nos saoeti moniales Sanctœ Mariée ad Acua consistentes, in civi-
tate Massiliâ, vendimus Bernardo abbati et omnibus monachis in mo-
oasterio Sancti Victoris... > Gartulaire de Saint- Victor, ch. 88.
(2) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, op. cit., 1. 1, p. 412.
(S) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, pp. 50, 59.
(4) Rufli, op. cit., p. 58.
(5) c Ad cœnobium Sanctœ Maris Virginis quod est situm infra muros
Massiliâ*. » Donation de la vicomtesse Stéphanie, 1050. (André, Histoire
de Vahbaye Saint-Sauveur, p. 206.) — t Monasterium ancillarum Dei
quod est intra urbis nostrœ ambitum. » Charte de Pons II, évéque de
Marseille. (André, op. cit., p. 207.)
(6) c Donans monacharum monasterio quod in honorem DeiGenitricis
Mari» infra muros Massiliœ situm est... » Charte de donation de Déo-
' <lat, évéque de Toulon, aux Cassianites. (Cassianus illustratus, par
Guesnay, p. 570.)
— 88 —
trouvaient-elles encore à Saint-Sauveur ? Cela dépend de l'in-
terprétation que Ton donne à une charte de 1073.
D'après certains auteurs, il s'agit, dans cette charte, de
l'église des Accoules, à laquelle Pons II rendrait ou donnerait
les droits de paroisse.
Huffi dit, en effet : « Ce droit de paroisse donné à l'église
des Accoules fut confirmé huit ans après (1072 ou 1073) à
l'abbesse Garsende, par Pons II, évéque de Marseille, qui avait
élu, consacré, intronisé cette abbesse. Ce prélat déclare, dans
ce titre, que cette église était anciennement paroisse (1). »
André affirme que a le 7 janvier 1073, l'évoque Pons II, le
jour môme de l'intronisation et de la consécration de Garsende,
sa sœur, que les religieuses avaient élue abbesse, donne ou rend
à l'église de Sainte-Marie de l'Abbaye, c'est-à-dire des Accou-
les, le droit de paroisse qu'elle avait eu auparavant. Le prélat
ordonna que tous ceux qui habitaient aux environs de cette
église et jusqu'aux anciens murs dépendraient désormais de
Notre-Dame des Accoules, en qualité de paroissiens (2). »
Ainsi, selon Ruffi et André, les religieuses sont aux Accoules
en 1073, car, cette charte, disant que Pons II a intronisé et
consacré abbesse sa sœur Garsende ibi, dans cette église, indi-
que bien que les religieuses y habitaient.
DeBelsunce n'est pas de cet avis, « Pons II, dit-il, intronisa
et consacra Garsende dans l'église de Sainte-Marie, c'est-à-
dire Notre-Dame des Accoules, où l'élection avait été faite.
Il régla ensuite le district de l'église des Accoules et lui rendit
les anciennes limites. Il confirma Garsende et son monas-
tère dans la possession de la paroisse et ordonna que tous ceux
qui habitaient aux environs de l'église et jusqu'aux anciens
murs de la ville dépendraient désormais de l'abbaye de Saint-
Sauveur, en qualité de paroissiens (3). »
Pour de Belsunce donc, Garsende est élue et consacrée aux
Accoules. Mais c'est l'église de l'abbaye de Saint-Sauveur qu'il
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 50.
(2) André, Histoire de V Abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
p. 23.
(3) V Antiquité de V Enlise de Marseille, par M"p de Belsunce, t. I,
p. 421.
— 89 —
érigea en paroisse. Ainsi les religieuses, suivant de Belsunce,
habitaient Saint-Sauveur en 1073. Qui a tort ? qui a raison ?
Recourons au texte.
Voici d'abord la lecture que la Gallia christiana donne de
celle charte de 1073 : « Notum sit fidelibus univer-
sis quod ego Pontius, urbis Massilise episcopus, sanctimo-
nialium feminarum ad ecclesiam Sanctae Mariae abbatise omnes
circa ipsam habitantes usque ad veteris urbis muros paro-
chialiter pertineant, in omni ecclesiasticâ ordinatione, nostro
donatu (1). »
En note, la Gallia christiana dit que la Gallia christiana
quadripartita fait lire : a Sanctimonialium feminarum paro-
chiam dono infra Massiliam in vice-comitali parte, scilicet
ut ad ecclesiam Sanctae Mariae », etc., comme plus haut (2).
De Belsunce donne ces mots de surplus entre parenthèses (3)
et André (4) les cite comme le texte même de la charte. Or,
la Gallia christiana, qui ne donne pas ces mots de surplus,
affirme que son texte provient « ex autographo (5) » et de Bel-
sunce dit que : cela (ces mots entre parenthèses) ne se trouve
pas dans l'acte qu'on conserve aux archives de Saint-Victor (6).
Si Ton prend donc le texte de la charte tel qu'il est cité par la
Gallia christiana, qui parait être le texte authentique, car
les mots de surplus ne sont qu'une explication, et dono qu'une
répétition de nostro donatu , il semble que Ruffi, André, Bel-
sunce ont eu tort de parler ici de l'église des Accoules.
A notre avis, voici le sens: Pons, évoque de Marseille,
règle, par sa propre autorité, nostro donatu, que tous ceux
qui habitent autour de l'église Sainte-Marie de l'Abbaye des
religieuses seront les paroissiens de cette même église :• a ut
omnes circa ipsam habitantes parochialiter pertineant ad
(!) Gallia christiana, t. I, Eccîesiœ Massiliensis instrumenta,
col. 112, XVIII.
(2) Gallia christiana, ibidem .
(3) De Belsunce, op. cit., t. I, p. 421, en note.
(4) André, op. cit. , pièces justificatives, pi 209, C, donation de l'évé-
quePons, 1072.
(5) Gallia christiana, t. I, Instrumenta, c. 112, XX, en marge:
(6) Belsunce, op. cit., t. I, p. 421, en note.
— 90 —
ecclesiam Sanctae Mariae abbatise sanctimonialium femina-
« rum. »
Or, cette ecclesiam Sanctœ Mariœ abbatiœ, de la charte
de 1073, est la même que V ipsam videlicet abbatiam de
la charte de 1069 (1). En effet, après avoir parlé, dans
cette charte, du a monasterium ancillarum Dei quod est
infra muros Massiliae, ecclesia scilicet Sanctœ M... . ad Acuas
praedictum », on ajoute: «et ipsam videlicet abbatiam».
Mais cette ipsam abbatiam n'est pas autre que Saint-Sau-
veur (2). Donc il s agit de Saint-Sauveur dans cette charte
de 1073. La phrase latine est embarrassée, c'est vrai; mais
les autres chartes du môme Pons II ne sont pas d'un style
plus correct et plus clair. Quelque copiste, pour i'éclaircir, a
ajouté plus tard les mots entre parenthèses. Du coup il a
défiguré le texte primitif. Or, s'il est dit, dans cette même
chartedel073: ibi intronisavi ac consecravt, c'est donc dans
cette église de Sainte- Marie de l'Abbaye des religieuses que
Garsende a été élue, intronisée et consacrée ; et si cette église
de Sainte-Marie de l'Abbaye est l'église de Saint-Sauveur,
c'est donc à Saint-Sauveur que les religieuses se trouvaient
en 1073.
Ce n'était pas cependant depuis de longues années qu'elles
habitaient ce monastère de la place de Lenche. Car en 1069,
Pons II et son frère Geoffroy, vicomte de Marseille, « vou-
lant rétablir le monastère des servantes de Dieu, situé dans
l'enceinte de notre ville, monastère que les traditions des
anciens affirment avoir été établi par le fondateur du monastère
de Saint- Victor, le bienheureux Cassien; désirant correspondre
de tout leur cœur à la volonté de Dieu, réaliser le dessein
que leur père, le seigneur et vénérable comte Guillaume,
avait eu d'établir dans ce monastère des femmes pieuses pour
(1) c Donamus igitur ego Pontius, Massiliensis episcopus, cum canoni-
cis nostrse sedis, et ego Joffredus, vicecomes, una cum uxore et flliis
meis monasterium ancillarum Dei quod est infra urbem Massiliam
ecclesiam scilicet Sanctae Marias..... ad Acuas predictum, et ipsam
videlicet abbatiam» cum omnibus quae ad eam pertinent... » Cha-te de
Pons II, 1069. (André, op. cit., pièces justilicatives, p. 207.)
(2) On va le voir à la page suivante.
V
\
— 91 —
y servir Dieu et de restaurer cette maison qu'il avait trouvée
entièrement détruite,» confièrent ce monastère des religieuses,
qui est situé en dessous delà ville de Marseille, à savoir l'église
de Sainte-Marie appelée des Accoules, et l'abbaye elle-même,
avec tout ce qu'elle possède, à la direction et l'administration
de l'abbé de Saint- Victor (1 ).
Expliquons ce passage de la charte de 1069. Il ne faudrait
pas traduire ces mots a ecclesiam Sanctae Mariœ ad Acuas
praedictum et ipsam abbatiam... » par: « l'église de Sainte-
Marie des Accoules et l'abbaye elle-même (des Accoules) » .
(Test Pons II qui rédige cette charte, il parle en son nom et
au nom de son frère Geoffroy. Mais, comme c'est lui évêque
qui règle une question de juridiction, il dirige, il conduit la
phrase. Or, s'il a dit plus haut, dans cette même charte, que
le monastère des religieuses fondé par Gassien se trouve
intra urbis nostrœ ambitum, dans l'enceinte de sa ville
épiscopale (2), la place de Lenche, en effet, est dans l'enceinte
de la ville de l'évéque, il ne faut pas lui faire dire, dix lignes
plus bas, que ce monastère se trouve dans la ville comtale,
en dessous de la ville (épiscopale). li ipsam videlicet abbatiam
est donc un édifice distinct de Yecclesiam Sanctœ Mariœ
ad Acuas. L'une, Y ipsam videlicet abbatiam, se trouve
intra urbis nostrœ ambitum, c'est Saint-Sauveur; l'autre,
Yecclesiam Sanctœ Mariœ ad Acuas , l'église de Sainte-
Mai ie des Accoules, se trouve infra urbem Massiliœ, en
dessous de la ville épiscopale, dans la ville vice-comtale.
Celte explication donnée, il est visible qu'il s'agit, dans cette
charte, de l'abbaye de Saint-Sauveur. Le monastère que
Pons II et Geoffroy veulent restaurer est celui qui est situé
intra urbis nostrœ ambitum ; c'est donc Saint-Sauveur qui
est en ruines. Les religieuses donc ne l'habitaient pas encore,
en 1069 ; mais elles se trouvaient à Sainte-Marie des Accoules.
(1) Charte de Pons II, évoque de Marseille. (André, op. cit., pièces
justif.,p. 207.)
(2) c Ideoque monasterium ancillarum Dei quod est intra urbis
nostrœ ambitum, a beatissimo Gassiano, cœnobii Sancti Victor is abbate,
olim fuodatum... * Charte de Pons II, 1069. (André, op. cit., p. 207,
pièces justificatives.)
— 92 —
C'est bien ce que dit la charte : le monastère des religieuses
qui est au-dessous de la ville de Marseille, appelé l'église
Sainte-Marie de? Accoules.
Quel était le motif qui amenait l'évoque et son frère
Geoffroy à céder, à l'abbé de Saint- Victor, Saint-Sauveur et les
Accoules, pour les administrer? C'était, d'une part, le peu de
ressources que ce monastère possédait ; d'autre part, l'inintel-
ligence, le manque de fermeté que ces religieuses apportaient
dans le maniement de leurs affaires temporelles (1). Quoi qu'il
en soit, en 1069, les religieuses n'étaient pas à Saint-Sauveur,
mais aux Accoules (2).
Elles n'étaient absentes de Saint -Sauveur que depuis quelques
années à peine. En 1050, en effet, la mère de Pons II et de
Geoffroy, la vicomtesse Stéphanie, veuve de Guillaume le
Gros, faisait donation de quelques terres à Solliès, et de l'égli-
de Notre-Dame-de-Beaulieu, près de cette ville, au cœnobium
Sancti Salvatoris, ou cœnobium Sanctœ Virginia qui était
situé « infra muros Massilise » (3). C'est la vicomtesse Stépha-
nie qui parle dans la charte ; pour elle, le monastère est en
dessous des murs de la ville vice-comtale. En 1050 donc, les
religieuses habitent Saint-Sauveur.
Elles n'y étaient que depuis peu de temps encore, puisque,
en 1033, le seigneur de Rians, Geoffroy, et sa femme Scotia,
consacraient à Dieu leur fille Vauburge, et la cérémonie avait
lieu dans l'église des Accoules (4). Saint-Sauveur était, en
effet, en réparation à ce moment.
Cette réparation avait été entreprise sous Tabbesse Adalmoïs,
en 1031, par le comte Guillaume, père de Pons II et de Geof-
(i) DeBelsunce, op. cit., t. I, p. 414.
(2) André, op. cit., p. 21.
(3) André, op. cit., pièces justif., B, donation de la vicomtesse Stépha-
nie, p. 206.
(4) De Belsunce, op. cit., t. I, p. 412. — Ruffi, Histoire de Marseille,
t. II, pp. 50, 59. —André, op. cit., p. 19.
« Eam sanctimonialem in templo Domini offerimus in monasterio mo-
nacharum quod vocatur Alas Accoas, quod œdificatum est in honorent
Sanctœ Genitricis Mariœ. » S. Cassianus iîlustratus, par Gucsnay,
p. 704.
— 93 —
froy, et par son frère Fulco(l). Ces deux vicomtes de Marseille
avaient trouvé ce monastère détruit de fond en comble a ex
totopenitus destructum », dit la charte de 1069(2). C'était
pour doter ce monastère qui se reconstruisait, que l'évoque de
Toulon, Déodat, lui donnait, en 1031, l'église de Sainte-Marie,
au territoire de Solliès (3), que Guillaume, en 1032, lui cédait
la quatrième partie de la juridiction et des droits seigneuriaux
du lieu d'Allauch (4) et que, en 1050, la vicomtesse Stéphanie
lui donnait les terres dont on a parlé plus haut (5).
S'il fallait en croire André, ce monastère de Saint-Sauveur,
que Ton relevait de ses ruines en 1031, n'aurait compté que
quelques années d'existence. Cet auteur suppose que c'était le
premier monastère construit dans la ville à l'usage des Cassia-
nites (6). C'est eu 1030 que ces religieuse, quittant le voisinage
de Saint- Victor, seraient venues à la place de Lenche. Mais la
charte de 1069 démontre l'erreur d'André. Guillaume et Fulco
ont trouvé ce monastère complètement ruiné, ils commencent
à le reconstruire en 1031, sous Adalmoïs : il faut donc suppo-
ser un monastère plus ancien à la place de Lenche. C'est donc
antérieurement à Tan 1030 que les religieuses y sont venues.
Les raisons sur lesquelles André s'appuie pour soutenir son
dire ne valent rien. Car le texte de la charte 40 du X? siècle
n'a pas le sens qu'il lui donne, nous le prouverons plus tard (7)
et l'inscription tumulaire de Tillisiola, qu'il regarde comme la
(1) Ruffi, op. cit., t. II, p. 59. — De Belsunce, op. cit., t. II, p. 411.
(2) Charte dePous II, évoque de Marseille, 1069 (André, op. cit., piè-
ces justif ., p 207) :
« Et quidem hoc ipsum (monasterium) pater noster dominus ac vene-
rabilis VHlelmus, vicecomes, in votis habuit et devotas ibi feminas ad
serviendum Christo constituera, ipsumque locum quem ex toto penitus
destructum invenerat aliquatenus renovare. . . »
(3) Donation de Deodat, évéque de Toulon, à Saint-Sauveur. (Provins
cirp Massiliensis Annales, par Guesnay, p. 292 ; S. Cassianus illustrât us,
parGuesnay, p. 670.)
I) Ruffi, Histoire de Marseille, t. Il, p. 59.
(5) André, op. cit., pièces justif., D, donation de la vicomtesse Stépha-
nie, p. 206.
(6) André, op. Ht., pp. 16, 18.
(7) Voir le chapitre de cet ouvrage intitulé : La charte 40.
1
- 94 -
première abbesse de Saint-Sauveur, après le rétablissement de
ce monastère en ville (1), est bien antérieure à Tau 1030. M.
de llossi la fait remonter au VI* ou VIP siècle.
La date de construction de ce monastère réparé en 1031,
une charte de 1004 semble l'indiquer. Il s'agit, dans cette
charte, de l'élection de Pontia (2), en qualité d 'abbesse de Saiiit-
Sauveur, et il est dit d'une Ëlgarde qui assiste avec ses trois
fils à celte cérémonie, qu'elle est la fondatrice de ce même mo-
nastère : « ejusdem monasterii fundatricis ». Les auteurs
s'accordent à dire que Pontia est une abbesse de Saint-Sau-
veur (3). De plus, en fait de monastère de religieuses, il n'y
avait à Marseille, à cette époque, que celui de Saint-Sauveur.
Dans cette charte de 1004, il s'agit donc de Saint- Sauveur. Et
comme Elgarde est appelée la fondatrice de ce monastère dont
Pontia est élue abbesse, c'est bien Elgarde qui a fondé Saint-
Sauveur. La date de la construction du monastère que Ton
restaure en 1031 est donc bien l'an 1004.
Ce qui achève de le prouver, c'est que le monastère d'Elgar-
de a été bâti à la place de Lenche et pas ailleurs.
Impossible, en effet, d'admettre avec André et M, de Rey que
le monastère d'Elgarde a été construit dans le voisinage de
Saint-Victor (4). Cette personne, peut-être l'épouse de quelque
vicomte, connaissait certainement, pour les avoir entendu
raconter par ses aïeux, les désastres de 923, la destruction de
l'abbaye de Saint- Victor, l'incendie de la cathédrale, le pillage
delà ville; elle connaissait aussi le fait de l'enlèvement par
les Danois d'un certain nombre de religieuses, en 838. Souvent
on avait dû rappeler autour d'elle la mort héroïque d'Eusébie
et de ses chastes compagnes ; et elle, une femme timide,
douce par nature, oubliant ces horreurs, ces massacres, rebâ-
tira loin de la ville, puisque le port l'en sépare, un monastère
de filles ou de femmes 1 Quelle folie !! Que l'abbaye de Saint-
Victor se relève de ses ruines sur le même emplacement, on le
(1) Audré, op. cit., p. 17.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, ch. 1053, du 6 janv. 1004.
(3) BelsuQce, op. cit.y t. I, p. 413.— André, op. cit., p. 17.
(4) André, op., cit.t p. 17. — Invasions des Sarrasins en Provence,
p. 139.
— 95 —
comprend, c'est un monastère d'hommes. Ces moines s'entou-
rent de remparts, à l'abri desquels ils pourront se défendre,
ce qui à cette époque devait être habituel. Il ne se passait pas
de longs jours, en effet, sans que Ton dût endosser la cuirasse
sur la robe de bure, interrompre le chant des louanges de Dieu
pour armer son bras et courir à l'ennemi. Mais des femmes ;
des filles, que pourraient-elles? Non, si Elgarde a bâti un mo-
nastère, c'est sûrement dans l'intérieur de la ville. Le monas-
tère de 1004 est le même que celui de 1031. En 1004 donc, les
religieuses de Saint-Sauveur sont à la place de Lenche.
Hais, antérieurement à Tan 1004, où se trouvait le monas-
tère ? Sûrement, en 923 il était auprès de Saint-Victor, c'est-
à-dire de l'autre côté du port. Les chartes de 1431 et 1446 en
donnent la preuve.
Ces deux documents, que nous étudierons plus tard, disent
que ce monastère de Saint-Victor et un autre qui autrefois
en était voisin, détruit par les Vandales, avaient été fondés
par Cassien (1). Les Vandales, qui ont détruit ces monas-
tères, ne sont autres que les Sarrasins. Car la charte de
1040, faisant le tableau de la désolation sous laquelle l'abbaye
de Saint- Victor avait été plongée durant de longues années,
l'attribue à un agent rusé d'origine vandale, « callidus exactor
de vaginâ Vandalorum (2). » Or, nous savons que l'abbaye de
Saint-Victor ne fut déserte qu'à l'époque de 923, lors de
l'invasion des Sarrasins (3). De plus, la charte de 1005 dit que
la « gens barbarica », qui couvrit de ses hordes la Provence,
détruisit les églises et saccagea les monastères, était arrivée
(1) « Gassianus, qui hoc praesens monasterium et aliud olim sibi
vicinum in diebus illifl per profanos Vandalos funditus demolitum miré
condidit. » Chartes de 1491 et 1446. (Chartes de D. Lefournier, t. III;
archives départementales.)
(2) Cartulaire de Saint-Victor, charte 14, du 5 oc t. 1040. — La plupart
des chroniqueurs qui ont raconté les désolations dont la France fut le
théâtre à l'époque des invasions des Sarrasins, se servent indifféremment
des termes : Vandales, Sarrasins, Païens. Voir les chroniqueurs cités
par de Belsunce, Antiquité de V Eglise de Marseille, t. I, p. 288 ;
Cartulaire L II, à la table, p. 823; Barras, Histoire de l'Eglise, t. VII, p. 22.
(3) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 124 et suivantes.
— Vie des Saints de l'Eglise de Marseille, p. 8.
- 96 —
en Provence plusieurs cycles d'années après le décès de
Charlemagne (1), postérieurement à Tan 814. Donc il ne s'agit
pas de Vandales. Il faut lire: à l'époque où les Sarrasins
détruisirent Saint- Victor, il y avait un monastère voisin de
celui-ci et fondé par Gassien (2). Or, les Sarrasins ne détrui-
sirent Saint-Victor qu'en 922 ou 923. Donc, à cette époque,
le monastère cassianite se trouvait auprès de Saint- Victor.
Mais, de 923 à l'an 1004, quelle place occupait ce monas-
tère ? C'est une chose curieuse que de Tan 923 à l'an 1004 on
semble perdre de vue ce monastère cassianite de filles.
Aucune charte, aucun document que nous connaissions n'en
fait mention. L'Ordre semble avoir disparu dans la tourmente
de 923.
A vrai dire, on ne doit pas s'en étonner. Ce fut une crise
terrible pour l'église de Marseille que cette époque du
X* siècle. Les chartes de Saint- Victor tracent de ces années
un bien sombre tableau. « Lorsque le Dieu tout-puissant, lisons-
nous dans la charte 15 de l'an 1005, voulut châtier le peuple
chrétien, il se servit des païens. Une nation barbare fit
irruption en Provence, se répandit de tous côtés, en augmen-
tant chaque jour sa force et son courage, parvint à s'emparer
de tous les lieux fortifiés, s'y établit, s'y livra au pillage des
églises, et beaucoup de monastères furent détruits; les endroits
qne l'on aimait à visiter devinrent d'affreuses solitudes, et là
où les hommes habitaient, les bétes féroces établirent leurs
repaires. C'est ce qui advint au monastère de Saint-Victor,
le plus fameux de la Provence. Il fut dévasté, mis en ruines
et réduit à néant (3). » L'histoire est là pour confirmer le
(1) « Sed post multa curricula annorum. cum idem piissimus princeps
a sœculo decessisset. » «Jartulaire de Saint-Victor, charte 15.
(2) Voir au chapitre intitulé: Les chartes de iâSi et ihkQ, de ce présent
ouvrage, un autre sens que l'on pourrait donner à cette phrase ; ou
arrive cependant à la môme conclusion.
(3) t Sed, post multorum curricula annorum, cum idem piissimus
princeps a seculo decessisset, et omnipotens Deus vellet ilagellare
populum christianum per seviciam paganorum, gens barbarica in regno
Provincial irruens, circumquaque diffusa, vehementer invaluit, ac
munitissima quseque loca obtinens et inhabitans cuncta vastavit,
ecclesias ac monasteria plurima destruxit, et loca (juse desiderabilia
— 97 —
dire des chartes. Les Sarrasins, qui depuis 891 ou 892 s'étaient
emparés du Fraxinet, se répandirent dans toute la Provence,
occupant d'abord les côtes, puis promenant leurs hordes
sauvages dans le haut pays, prenant les villes, les saccageant,
et descendirent vers la basse Provence. Lentement le cercle
se rétrécit autour de Marseille. En 922 et 923, ils se jettent sur
elle, la pillent, la saccagent. La cathédrale est incendiée,
Saint- Victor est dévasté et réduit à néant (1).
La position est si précaire, que les chanoines qui ne peuvent
plus occuper leurs sièges, que les clercs, les hommes
libres, les serfs n'ont ni nourriture, ni vêtements. Le mal-
heureux évoque de Marseille, Drogon, en est réduit à solli-
citer de son métropolitain, l'archevêque d'Arles, le pain et le
vêtement pour ses prêtres et ses fidèles (2).
Incontestablement le monastère des religieuses, où qu'il
se trouve, en 923, auprès de Saint-Victor, a été détruit.
Les auteurs l'admettent, l'abbé Daspres, André, de Rey, etc.,
etc. (3). Et cette ruine est si complète, qu'à notre avis
il disparaît entièrement! C'est, d'ailleurs, ce qui arrive
momentanément à l'abbaye de Saint- Victor. La charte 14 de
Fan 1040 l'atteste : « Le monastère a vu périr ses nombreux
enfants, qui étaient sa gloire. Il végète maintenant dans les
larmes de la solitude, ruiné, malheureux, et il traîna ainsi de
longs jours une douleur qui le rongeait (4). » Une autre
charte 565, de l'an 1055, dit encore: « Le monastère détruit
videbantur, in solitudine redacta sunt, el quae dudum fuerat habitatio
homlnum, habitatio postrnodum cepit esse ferarum ; sicque factum est
ut monasterium illud quod olim prsecipuum ac famosissimum in tôt A
Provinciâ fuerat, adnullatum et pêne ad nihilum est redactum. »
Cartulaire, t. I, charte 15.
(1) M. de Rey, Invastons des Sarrasins en Provence, passiin.
(2) « Vir Drogo, Massiliensis episcopus, singultuoso planctu canônicos
suse ecclesiae propter continuos Sarreceuorum impetus suis in locis
manere non posse conquestus... » Cartulaire de Saint- Victor, charte 1.
(3) Daspres, Satire sur Saint-Ginies, p. 28. — André, op. rit., p. 12.
— De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 139; Idem,
Saints de Marseille,. p. 230.
(A) « Hoc extincto, sobolumque flore amisso, viduitalislacryma, flexibi-
liset infelix, nimisque senlo consumptum permansit... » Cartulaire de
Saint-Victor.
- 98 -
par les Païens avait perdu non seulement ses biens, mais il
s'était, pour pour ainsi dire, perdu lui-môme, réduit qu'il
était en servitude (1). » Ce ne fut qu'en 966, sous Honoré II,
évoque de Marseille, qu'il revint à l'existence et, à ce moment,
Tévôque qui rend des biens à Saint-Victor ne fait aucune
mention des moines de l'abbaye. Il n'y en a pas. Ce n'est qu'en
970 que Ton parle de Saint- Victor et de ses moines (charte
598)(2). Trente ans après ce relèvement, vers l'an 1000, Garnier,
Tabbé de Saint- Victor, n'a avec lui que cinq religieux. Ce n'est
qu'en 1005 qu'il en compte vingt-cinq (3). On le voit, l'abbaye
de Saint- Victor s'est relevée bien lentement.
Il dut en être de même de l'abbaye cassianite des filles.
Détruite en 923, ce ne fut qu'au bout de trois quarts de siècle
qu'elle put se relever. Et c'est encore la charte de 1004 qui en
est la preuve. Examinez-la dans le détail. Il s'agit, nous l'avons
dit, de l'élection d'une abbesse. Or, combien y a-t-il de reli-
gieuses, pour faire cette élection (4) ? Trois sont nommées,
tout au plus quatre ; en comptant Pontia, qui fut élue, elles
sont cinq. Mais à cette cérémonie il y a un concours assez
extraordinaire: deux évoques, de pieux laïques, de vénérables
dames, El garde et ses trois fils, même un chef de soldats, et
son escorte. Il est dit dans cette charte, en propres termes,
(1) « ... ipsum monasterium, a paganis destructum, non solum sua,
sed etiam se ipsum, in solitudine redactum, amiserat. . . > Cartulaire de
Saint- Victor.
(2) De Rey, Invasion* des Sarrasins en Provence.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, Saint -Viffred, pp. 305-306.
(4) « Idcirco nos dicate Deo mulieres, Rainberga, Fradegarda, Suffi-
cia... quatlnus eis de quibus loquimur consortes esse possimus, anno
millésime» quarto trabcationis dominiez, indictione V, mense duodecirao
qui dicitur Janus, atque ejusdem VII idus, coram prsesentia sacrorum
antitistum Produs... ceetenimque piorum hominum, et ante conspectum
nobilis matrone, ejusdem monasterii fundatricis, una cum flliis suis
(nomen etenim ejus Elgarda dicitur, ipsius vero nliorum suorum notan-
tur Garinus, Vigo, Aldebertus) ; itaque nos omnes unanimiter praesi-
gnata puella, elegimus atque pneferimus nobis hanc monacam nomine
Ponciam vultu décora m , sensu illustrem , natura sublimem rao-
ribusque insignem . Idquidem facimus ea ratione qua oportet, fa vente
Dorumdeo suorumque militum copia... » Cartulaire de Saint-Virtor,
eh. 1053, du 6 janvier 1004.
- 99 —
qu'Elgarde est la fondatrice de ce monastère. Ge monastère
ainsi relevé n'a pas de nom, la charte n'en mentionne aucun.
Or, si ce monastère de 1004 en remplace un autre, détruit
depuis seulement quelques années, comment expliquer cette
omission ? Gomment affirmer qu'Elgarde a fondé ce monas-
tère? On dira plus tard de Pons II, et de son frère Geoffroy,
qu'ils désirent rétablir, restaurer le monastère détruit, «cupi-
mus restaurare, aliquatenus- renovare atque restituera ».
Mais ici c'est « fundatricis ejusdem monasterii », fondatrice
de ce monastère, que l'on dit. Pourquoi, d'ailleurs, cette
pompe extraordinaire à cette élection faite seulement par.cinq
religieuses ? D'où vient encore ce petit nombre de religieuses
dans un monastère qu'Eusébie et ses quarante compagnes ont-
illustré ? Il y a là plus qu'une élection ordinaire. C'est la
reconstitution d'un ordre, le rétablissement d'un monastère
détruit et disparu. Pour nous donc, de l'an 923 à Tan 1004, le
monastère des religieuses n'existait plus I ! !
Une seule chose nous ferait hésiter : un des fragments
découverts par Rufll, concernant l'histoire des possessions de
Saint-Sauveur, à une certaine époque. Il est dit, dans ce
document (l) : a que les religieuses ont des esclaves dans la
campagne, dans les champs Albuciens ; une colonie à Plom-
bières; près du Jarret, les champs de Saint- Victor ; au
même endroit le tiers des terres de Sainte Marie. Elles ont
le pré de Sainte-Euphémie et de Saint-Baudile en entier, terres
que le chorévôque Honoré possède en bénéfice. » Si Ton pou-
vait prouver que cet Honoré, chorévêque, est le même qui fut
évoque de Marseille de 948 à 976, on aurait là une preuve évi-
dente que le monastère existait de 923 à l'an 1004, puisque,
vers 948, il possédait des terres qu'Honoré tenait en bénéfice
avant d'être évêque, c'est-à-dire avant 948.
(1) « Descrîptio mancipiorum de agro Albuciano, colonica in Plumba-
rias. Habemus juxta fluvium Genre, campos Bancti Victoria. Habemus
inibi de colonica, tertiam partem de terras Sanctse Maria?. Habemus
pratum Sanctae Buphemiœ et Sancti Baudilii ab integro, quos Honoratus
r.Orepicopus in beneticio babet. » Armoriai et Sigillographie des évê-
que* fie Marseille, par le chanoine Albanés, p. 30.— Antiquité de l'Eglise
<ie Marseille, par M«rde Belsunce, t. 1, p. 302, note.
— 100 -
Mais nous croyons d'abord qu'il est difficile d'idendifier
cet Honoré, chorévêque, avec Honoré II, évéque de Marseille.
Aucun auteur, que nous sachions, ne Ta dit. De plus, à cette
époque au milieu du X* siècle, il n'y avait presque plus de
chorévéques. Cette dignité disparut après le X* siècle, selon
M1' de Belsunce, et vers le milieu de ce siècle, selon le cardinal
Hergenroether (1). Donc, fort probablement il ne s'agit pas de
celui qui fut plus tard Honoré II, évéque de Marseille.
Ce qui ajoute à ces preuves, c'est qu'il est question des biens
qu'aurait possédés le monastère cassianite vers 948. Or, s'il est
certain que ce monastère a été détruit vers 923, comment peut-
il s'être déjà relevé avant 948, et posséder des biens, alors que
Saint-Victor n'a commencé à sortir de ses ruines qu'après 9fi6 ?
De plus ces biens sont appelés « les champs de Sainte-Marie,
les champs de Saint- Victor ; » ces champs ont donc appartenu
à l'abbaye de Saint-Victor et à la cathédrale, qui, à une certaine
époque, les ont donnés à l'abbaye cassianite. Or, en nous
maintenant toujours dans l'hypothèse que ce chorévêque
Honoré est le même personnage qu'Honoré II, plus tard évéque
de Marseille, nous sommes à une époque antérieure à 948, au
(1) « Cette charte est donc, au plus tard, du X' siècle, après lequel on
voit plus de chorévéques. » M" de Belsunce, op. cit., t. I, p. 303. —
Histoire de l'Eglise, par le cardinal Hergenroether, t. IJI, p. 311. —
Oq donnait le nom de chorévéques aux prêtres qui exerçaient quelques
fonctions épiscopales dans les bourgades et les villages, et qui étaient
par ce lait les vicaires de l'évêque. En Orient, ils lurent très nombreux.
Il en est fait mention au concile d'Antioche, en 340. En Occident, le
concile de Riez en 439 est peut-être le premier qui en ait parlé. Il leur
était défendu de rien entreprendre sans la permission de l'évêque. Ils n'a-
vaient la tâche que de soulager celui-ci dans ses fonctions et d'administrer
le diocèse pendant la vacance du siège. En Orient, ils avaient le droit de
consacrer des lecteurs. Mais, comme ils voulaient empiéter sur les fonc-
tions exclusivement épiscopales, telles que la consécration des églises,
des vierges, l'ordination des prêtres, la confirmation, etc., on restrei-
gnit leurs attributions. Finalement on abolit cette dignité. Ils disparu-
rent complètement vers le milieu du X* siècle. — Diplomatique chré-
tienne, édit. Migne, col. 202.— Histoire de l'Eglise, par Hergenroether,
t. II, p. 429; t. III, p. 133 et 311. — Dictionnaire de théologie, Lenoir,
Chorévêque, t. II, p. 504. — Histoire des conciles, par Roisselet, t. III,
p. 624, errata.
— 101 —
lendemain de la destruction de Saint- Victor, au lendemain de
ces affreux ravages qui forcèrent le malheureux Drogon, évo-
que de Marseille, à implorer le secours de l'archevêque d'Arles,
Manassés. Et Saint-Victor serait assez riche déjà pour céder à
l'abbaye cassianite des terres sur le bord du Jarret, et partant
d'une culture facile, puisqu'elles sont à proximité ! Et l'évê-
que aurait déjà des biens en telle abondance, qu'il pourrait en
céder à l'abbaye! Cela n'est guère possible.
Au contraire, que l'abbaye cassianite possède à une époque
des biens appelés « champs de Saint- Victor et terres de Sainte-
Marie», ce nous est un indice que c'est tout récemment qu'on
les lui a donnés. Elle n'a pas eu le temps encore de se les
assimiler et de les ranger sous le nom général de biens de
l'abbaye. Que l'abbaye de Saint-Victor ou la cathédrale
les ait donnés à l'abbaye cassianite, ce nous est une. preuve
encore qu'on les lui a cédés pour former un domaine,
un fonds, lin capital, une mense, et la relever de quelque
destruction.
Or, nous l'avons dit, après 923, ni Saint-Victor, ni la cathé-
drale n'ont pu être généreux à ce point. C'est donc à une
époque antérieure, époque relativement florissante pour Saint-
Victor et la cathédrale, peut-être en 838, 867, que ces biens
ont été donnés. Ce chorévêque Honoré daterait donc de cette
époque, et non pas de 948. Ce fragment du Polyptique ne
s'opposerait donc pas à notre assertion: que, de 923 à l'an 1004,
le monastère cassianite n'existait pas.
En 923, il se trouve tout près de Saint-Victor. Pourrait-
on dire à quel endroit auprès de cette abbaye s'élevait le
monastère cassianite? Très probablement aux environs de la
chapelle de Sainte-Catherine. Les ruines que Ruf G y a vues,
l'inscription tumulaire qu'il y a trouvée en sont des indices.
On ne devrait pas cependant arguer de ces tombes décou-
vertes à la chapelle de Sainte-Catherine, pour placer forcément
le monastère à cet endroit. Car, en supposant qu'il s'élevât sur
cette terre qui appartenait aux religieuses, sur le plateau du
Revest, on pourrait dire aussi qu'on inhumait celles qui
mouraient dans l'enceinte de Paradis, aux environs de cette
chapelle de Sainte-Catherine.
— 102 —
On peut en effet le placer sur le plateau qui s'élève et s'étend
au-dessus de l'endroit appelé, par M. de Rey, le Revest. Ce
plateau s'étend de rentrée de Paradis, à peu près, à la hauteur
de la place de la Gorderie actuelle, jusque vers la rue de
Rome. Il y avait là des terres, des vignes appartenant à des
particuliers; les religieuses cassianites, vers 1048, y possé-
daient une grande terre que très probablement elles avaient
déjà au début du X* siècle, à la fin du IX\
C'est à ces deux endroits que l'abbaye cassianite pouvait
être, lors de sa destruction par les Sarrasins, en 923. Ces
deux emplacements se trouvaient assez voisins de l'abbaye
de Saint- Victor pour qu'on put leur appliquer le texte des
chartes de 1431 et 1446: « aliud olim sibi vicinum ».
Donc, indifféremment le monastère pouvait être à Sainte-
Catherine, ou sur le plateau du Revest. Cependant nous préfé-
rerions, à cette époque de 923, l'emplacement de S'*-Catherine.
Depuis combien d'années se serait-il trouvé à Sainte-
Catherine? Qmnze à peine. En 904, Louis l'Aveugle cède
à l'abbaye de Saint-Victor « toute la rive du port qui est sous
le monastère avec les pêcheries, les ancrages et les salines,
de plus toute la terre qui va du monastère, de ces pêcheries et
de ces salines, jusqu'à Carnarium, le cimetière de Paradis (1) » .
Or, l'emplacement de la chapelle de Sainte -Catherine se trou-
vait sur la terre comtale, cédée à Saint-Victor. Si l'abbaye
cassianite eût été en cet endroit, que le point où elle s'élevait
fût la propriété du comte ou de l'abbaye cassianite elle-
même, la charte de donation de 904 aurait mentionné que
cette terre était cédée à Saint- Victor, à l'exception de l'empla-
cement de cette chapelle, ou y compris cet emplacement.
(1) « Noverit quoniam Rostagnus, metropolita, et Teutbertus,
cornes, nostram adeuntes excellentiam, enixius postula verunt, quatinus
fideli nostro Magno, abbati ecclesiie scilicet Dei Genitricis Mari® et glo-
riosi martyris Victoris .. concedamus jure perpetuo, videlicet fiscum
quod nominatur Pinus, cum salinis et piscationibus et portus navium
et omnibus juste et legaliter ad eumdem fiscum pertinent! bus conja-
centem in comitatu Massiliensiqui vulgo Paradisus nominatur, sicut est
\ia qua» descendit aGuardia usque in Poium formicarium, una cum terra
comi'ali quœ ante portam castri fore videtur usque ad Carnarium... »
Cartulaire de Saint-Victor, ch. 10, 21 avril 90i.
— 103 -
C'est donc postérieurement à Tan 904 qu'il a pu s'élever à
Sainte-Catherine, et, dans cette hypothèse, il n'aurait guère
compté que quelques années d'existence, de 904, à l'an 923,
époque de sa destruction .
Si, au contraire, -on acceptait de placer le monastère cassia-
nite sur le plateau axi-dessus du Revest, sur la terre même
qui en 1048 appartenait aux religieuses, nous dirions qu'il
s'élevait en cet endroit au début du IX* siècle.
En 838, en effet, c'est là, au-dessus du Revest, que très pro-
bablement il se trouvait, lorsque les religieuses furent enle-
vées par les pirates et transportées par eux sur leurs vaisseaux.
Elles n'habitaient pas la ville, à cette époque. Rufli et Lautard
se trompent en les y plaçant dès 867, à la suite des ravages
des Normands, à Marseille (1). M. de Rey regarde cette asser-
tioo concernant les ravages des Normands à Marseille comme
nn peu gratuite (2). Nous le croyons avec lui. Les annales de
Saint-Bertin ne disent rien à ce sujet. D'ailleurs, si elles sont
en ville en 867, pourquoi sont-elles revenues auprès de
Saint- Victor avant 923, puisque à cette date le monastère cas-
sianite se trouvait auprès de cette abbaye, aux termes des
chartes de 1431 et 1446? Avaient-elles oublié les ravages des
Normands ? Elles n'étaient donc pas dans l'intérieur de la
ville en 867.
Non plus en 838, car il est impossible de s'appuyer sur les
texte des annales de Saint-Bertin (3) : « non modica congre-
gatio, qua? illic degebat », pour affirmer qu'en 838 les reli-
gieuses habitaient déjà l'intérieur de la cité. Outre qu'il est
assez difficile de faire dire à ce texte pareille chose, car le sens
ie plus raisonnable et le plus naturel de ces termes est que le
monastère cassianite se trouvait à Marseille et rien de plus au
fl) Rufli, t. II, pp. 58, 59, 118. — Lautard, Lettres archêoloniques sur
Marseille, p. 402.
(2) Invasions fies Sarrasins en Provence, p. 267.
(3) < 838... intérim Sarracenorum piraticœ classes Ma«siliam Provin-
rûe ir mentes, abduciis sanctimonialibus, quarum illic non modica
eongregatio degebat, omnibus, et cunctis masculini sexùs clericis et
laicis, vastataque urbe, thesauros quoque ecHesiarum Christi seeum
universaliter nsportarunt. » Annales de Saint-Bertin.
— 104 -
sujet de sou emplacement, on se heurterait à la même diffi-
culté signalée plus haul : si elles sont en ville en 838, pour-
quoi sont-elles revenues à Saint-Victor en 923 ?
D'autre part, elles ne se trouvaient pas à Sainte-Catherine,
en 838. Nous l'avons déjà dit, la charte de 904 l'aurait men-
tionné. Ni au Revest ; sur cet étroit espace il n'y avait pas la
place suffisante pour un monastère. Non plus aux Catalans, ni
au bassin du carénage. En effet, dans la charte 23, de 966,
Honoré II, évoque de Marseille, restitue à Saint-Victor une
grande terre dans l'étendue de laquelle ces deux points sont
circonscrits. Or, si l'abbaye cassianite se fût trouvée à un de
ces endroits, l'évéque l'aurait su, et, en 966, en restituant
ce domaine aux moines, il aurait indiqué que dans cette
restitution était comprise ou non l'ancienne abbaye cassianite,
détruite elle aussi en 923. Or, le silence est complet sur ce
sujet. Les religieuses n'avaient donc pas là leur monastère
eu 838.
S'élevait-il dans le cimetière de Paradis ? M. de Rey se
refuse à le croire : a Ce n'est pas dans l'enceinte de Paradis,
pas davantage en dehors dans la direction du sud-est, qu'il
qu'il faut chercher l'emplacement du monastère (I). » Et de
fait Paradis était un lieu trop vénéré pour que l'on y eût bâti
un monastère. D'autre part, un cimetière n'est guère la place
d'un établissement, quelconque. On pourrait dire de même
que, l'abbaye de Saint- Victor s'y trouvant, l'abbaye cassia-
nite pouvait y être ! Soit ; mais que l'on explique, alors,
pourquoi les chartes qui parlent de Paradis, mentionnent
l'abbaye de Saint-Victor dans son voisinage et omettent d'in-
diquer de quelque manière que l'abbaye cassianite s'élevait
aussi en cet endroit.
S'élevait-elle entre Paradis et la ville ? Non sûrement,
dit encore M. de Rey (2). Il y avait des salines depuis les
abords du cimetière de Paradis jusqu'à la Cannebière actuelle,
salines que l'on ne céda à Saint-Victor qu'en 904. Lors de
cette donation, on Ta dit plus haut, on aurait indiqué que là
se trouvait le monastère, s'il y avait été en réalité.
Cl) Les Saint* de VEfjlise de AfavsefUe, sainte Eusébie, p. 23?.
(2) Les Saints de VIù/Hse de Marseille, sainte Eusébie, p. 231.
— 105 —
Où se trouvait-il alors ?
Sur cette terre, qui était non loin du port, quoiqu'elle ne
fût pas sur la rive, comme nous le prouverons plus tard, et
que les religieuses possédaient en 10381048, aux termes de la
charte 40 .
Depuis quelle époque le monastère se trouvait-il sur cette
terre, sur le plateau au-dessus du Revest ? Aucun document
que nous connaissions ne l'indique. Pour ceux qui admettent
que ce monastère a toujours été réellement non loin de Saint-
Victor, c'est en cet endroit ou aux environs qu'ils le font
établir par sain t Cassien .
Pour nous qui soutenons que sainte Eusébie a été marty-
risée aux bords de l'Huveaune, nous disons qu'au lendemain
de cet événement on quitta ces parages et Ton vint construire
le nouveau monastère près de la ville, auprès de Saint- Victor,
sur celte terre dont nous parlions tantôt: Nous sommes ainsi
d'accord avec plusieurs auteurs: Lautard, Grosson, Ruffi, de
Belsunce, etc., qui supposent un changement de local, en se rap-
prochant de Saint- Victor, à la suite du martyre de sainte Eusé-
bie. Or, comme nous plaçons le martyre de sainte Eusébie vers
738, ce serait vers 750 qu'aurait eu lieu ce changement. Avant
cette époque l'abbaye avait toujours été aux bords de rHu-
veaune. C'est ce qui sera plus longuement prouvé.
Nous nous résumons. De 410 à 738, le monastère cassianite
est aux bords de l'Huveaune ; de 738 à 838, il se trouve aux
abords de la ville, sur la terre au-dessus du Revest, avec
changement probable de local après 838. En 923, c'est auprès
de Saint- Victor, à Sainte-Catherine, qu'il s'élève.
De 923 à l'an 1004, il n'y a pas de trace du monastère, il
semble ne plus exister. En 1004, il se relève et se trouve à la
place de Lenche. En 1033, les rtîligieuses sont aux Accoules.
En 1050, elles sont retournées à la place de Lenche, qu'elles
quittent avant 1069, pour y revenir vers 1073, s'en éloigner
encore vers 1077, et demeurer aux Accoules. Enfin elles se fixent
définitivement à la place de Lenche dans le X1P siècle, puis-
que, en 1153 et 1159, les bulles des papes nomment le «monas-
leriuin Sancti Salvatoris» et les « sorores Sancti Salvatoris ».
CHAPITRE III
Noms divers que le Monastère a portés du Vr
au XIe siècle
Deuxième question préjudicielle
PREMIER VOCABLE DE L'ABBAYE CA8SIANITE : LA SAINTE VIERGE ; —
PUIS: 8AINT-CAS8IEN, — SAINT -CYR. — SAINT AMATOR ET LES RE-
LIQUES DE SAINT CYR. — L' ANTIQUE VOCABLE DE LA SAINTE VIERGE
REPRIS AU XI* SIECLE, UNI A CELUI DE SAINT-SAUVEUR.
Si le monastère cassianite a souvent changé de place, sou-
vent aussi il a changé de nom. De l'aveu de tous les auteurs, il
fut placé successivement sous le vocable de la Sainte Vierge.
deSaint-Cassien, de Saint-Cyr, de Sainte-Marie et de Saint-Sau-
veur. Cet ordre cependant n'est pas admis sans constestation.
Tels et tels auteurs ont élevé des diffîculés à ce sujet. Nous
avons donc le devoir d'entrer dans quelques détails, afin d'in-
diquer avec le plus de précision possible dans quel ordre véri-
table ces différents vocables ont été portés.
La plupart des auteurs admettent que le premier vocable du
monastère a été la Sainte Vierge. C'est ce que nous affirment
Iiuffi, la Galliachristiana, deBèlsunce, André, de Rey (1), pour
ne citer que quelques noms. Nous croyons cette assertion
exacte. Cassien fonde à Marseille deux monastères, l'un de
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56. — De Belsunce, Antiquité
de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 258. — Gallia christiana, t. I, col. 696.—
André, Histoire de l'abbaye des reliyieuses de Saint-Sauveur, p. 3. —
De Rey, Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 224.
— 107 —
femmes, l'autre d'hommes (i), à peu près à la même époque :
celui des hommes vers 415, celui des femmes vers 420 (2). Or,
celui de Saint-Victor est sous le vocable de la Sainte Vierge.
A chaque instant on lit dans les chartes que la Vierge Marie
est le titulaire de cette abbaye (3). Pourquoi douter qu'il ait
donné le môme vocable au monastère de filles et de femmes ?
C'est très croyable (4).
Environ cent cinquante ans plus tard, ce vocable a disparu.
Celui de Sain t-Cassien l'a remplacé. Saint-Grégoire le Grand,
pape, écrivant à Respecta, abbesse cassianite, en 597, parle du
monastère « in honore sancti Cassiani consécration (5) » .
Depuis combien de temps s'appelait-il de ce nom ? A quelle
occasion lui avait-il été donné? Nous ne savons rien de précis.
Il est fort probable que dès la mort de Cassien (6), ses lilles
n'aient pas attendu longtemps pour placer leur monastère
sous la protection de leur saint fondateur. Mais plus tard il
perdit encore ce titre pour prendre celui de Saint-Cyr. L'épi-
taphe de sainte Eusébie mentionne que cette religieuse vécut
cinquante ans « in monasterio Sancti Cyrici (7) ». Or, à quelle
époque ce vocable nouveau fut-il donné au monastère; à quelle
(I) c Mortuo Ghrysostoino, Maasiliam recessit Gassianus, ibique près-
byterfactus duo monasterîa, virorum alterum, et altorum mulierum,
condidit. .. * Offlcium proprium venerabilis monasterii Sancti Victoris
Ma$*illiœ 1672.
[I) Ruffi et de Belsunce ne donnent pas de date certaine ; André assi-
gne l'année 410 pour la fondation des deux monastères; et de Rey l'an-
née 415 pour celui des hommes, et 420 pour celui des femmes.
(3) t . . . Notum sit. . . qualiter nosob araorem Donnai, ad monasterium
Massiliense quod est in honore beatisslme semperque Virginis Mariai,
vel Sancti Victoris martyris ... » Cartulaire de Saint-Victor, n° 8.
(4) Nous devons à la vérité d'avouer qu'il n'existe pas, à notre connais-
sance, de document qui 1e prouve catégoriquement.
(5) € Proinde monasterio quod in honorem sancti Cassiani est consé-
cration, in quo praeesse dignosceris...» Lettre de saint Grégoire le Grand
âl'abbesse Respecta. — André, op. cit., pièces justificatives, A, p. 205.
(6) L'auteur de la Vie des Saints de l'Église de Marseille dit que saint
Cassien est né aux environs de Tannée 360 et est mort après 440. Il avait,
croit-on, 97 ans. (Saint-Gassion, La»s Saints de l'Eglise de Marseille,
p. 109 et suiv.)
(7) Voir cette épitaphe au chapitre : Inscription de sainte Ktusébie, de
notre présent ouvrage.
— 108 —
occasion; combien de temps il le garda: autant de points
qu'il est nécessaire d'élucider. Souvent, en effet, on nous a
posé cette question : Est-il bien sûr que le cœnobium des
filles ait porté le nom de Saint-Cyr, après avoir porté celui
de Saint-Cassien, c'est-à-dire postérieurement à Tan 597 ?
Ne pourrait-on pas supposer raisonnablement qu'au début
la Sainte Vierge en fut le titulaire et que, dans la suite,
ce fut Saint-Cyr? Et l'on invoquait à l'appui plusieurs
raisons.
La première était déduite de ce que racontent Rufii, André,
Magloire, Giraud, de Rey, Grindaet avant eux la Gallia ckris-
tiana, Guesnay, V Histoire littéraire de la France, etc. Sui-
vant ces auteurs, les reliques de saint Cyr, ce petit enfant qui
fut martyrisé, en 304, à Tarse, en Cilicie, en même temps que
sa mère sainte Julitte, furent transportées à Antioche sous le
règne de Constantin, et de cette ville saint Amator, évêque
d'Auxerre, les apporta en Gaule au commencement du V- siè-
cle. Une partie de ces reliques vinrent en la possession des
religieuses de Marseille, et c'est pour cette raison qu'elles se
placèrent sous le patronage de saint Cyr (1).
La seconde raison était celle-ci : Les hommes les plus
compétents regardent comme étant du VIe siècle l'inscription
de sainte Eusébie, où il est dit que celle-ci vécut cinquante ans
a in monasterio Sancti Cyrici(2)». On voitd'iciles conclusions.
Puisque saint Amator a porté en Gaule les reliques de saint
Cyr et en a donné au monastère cassianite, au début du
V" siècle ; puisque l'inscription de sainte Eusébie est du VIe
siècle, forcément le monastère cassianite a porté le nom de
(1) Rufli(le père). Histoire rie Marseille, p. 387. — Rufli, Histoire de
Marseille, t. II, p. 57. — Guesnay, Annales Massiliensis provincial
p. 599. — Gallia christ iana, 1. 1, col. 697. — André, Histoire de l'abbaye
des religieuses de Saint-Sauveur, p. 14. — L'abbé Magloire Giraud*
Notice historique sur l'église de Saint-Cyr (Var), p. 18. — L'abbé Daspres,
Notice sur Saint-Giniez, p.28.— De Rey, Les Saints de l'Eglise de Mar-
seille, p. 226. — Grinda, Monographie de Saint-Victor (Echo de Notre-
Dame de la Garde, 1888 ; note).
(2) Edmond Leblant, dans les Inscriptions chrétiennes des Gaules,
antérieures au VIII* siècle, à l'épitapbe de sainte Eusébie, dit que cette
inscription de Marseille semble appartenir au VI° siècle ; t. II, n° 545.
— 109 —
Saint-Cyr avant de prendre celui de Saint-Cassien. Or, cette
conclusion est fausse, parce que les prémisses sont fausses
elles-mêmes. Le vocable de Saint-Cyr est postérieur à celui
de Saint-Cassien. Voici les preuves :
D'abord, la Gallia chrisliana, Guesnay, Y Histoire litté-
raire de la France, Hufli, Magloire Giraud, etc., etc., sem-
blent bien croire à cette translation, et paraissent la fixer au
V* siècle. Mais c'est à tort que Ton en concluerait qu'au V
siècle l'abbaye cassianite de Marseille porta le vocable de
Saint-Cyr. Ruffi, en effet, regarde l'inscription de sainte Eusé-
bie comme l'épitaphe de notre sainte marseillaise et il sou-
tient que cette Eusébie a été martyrisée par les Normands
vers 867. Or, il dit que le monastère dans lequel cette sainte
souffrit la mort était sous le vocable de Saint-Cyr (1). Donc,
Ruffi pensait que l'abbaye cassianite portait le vocable de
Saint-Cyr postérieurement à celui de Saint-Cassien, titulaire
de ce monastère en 597.
L'abbé Magloire Giraud croit que le monasterium Sancti
Cyrici où sainte Eusébie vécut cinquante ans se trouvait à
Saint-Cyr du Var. Il n'est pas sur que l'abbaye cassianite de
Marseille ait porté le vocable de Saint-Cyr. L'Eusébie de l'ins-
cription n'est pas, selon cet auteur encore, la sainte martyre
que nous honorons (2). Comment apporter contre nous son
témoignage ? Il n'est ni pour, ni contre.
André est persuadé qu'il « faut distinguer deux Eusébie :
Tune simple religieuse, décédée paisiblement dans le monas-
tère cassianite, sous le titre de Saint-Cyr, au VII? siècle,
et l'autre abbesse et martyre, qui vivait au commencement du
X' siècle, époque de la destruction de l'antique abbaye (3). »
Donc, selon André, c'est au VHP siècle que l'abbaye cassianite
portait le vocable de Saint-Cyr.
I/auteur des Saints de l Église de Marseille, n'acceptant
que très difficilement, et il a raison, de placer au V* siècle le
(I) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 57.
(2i Magloire Giraud, Notice historique sur l'église de Saint-Cyr
VVi,;, pp. ie et 17.
(3) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
p. 10.
- no -
martyre de sainte Eusébie, croit de préférence, avec la tradi-
tion, que cette sainte a été massacrée par les Sarrasins vers le
XB siècle. Il regarde l'inscription d'Eusébie comme l'épitaphe
de notre sainte héroïne (1). Donc, selon M. de Rey, c'était bien
sous le vocable ,de Saint-Cyr que se trouvait, au X* siècle,
l'abbaye cassianite.
Quant à la Gallia christiana, il est assez difficile de dire
de quel côté elle se range (2). Elle semble bien dire que l'ins-
cription d'Eusébie, abbesse de Saint-Cyr, est celle de notre
Eusébie de Marseille. Elle affirme bien que l'abbaye cassianite
a porté successivement le vocable de la Sainte Vierge, de
Saint-Cassien, puis celui de Saint-Cyr. Mais, comme elle ne
donne de date approximative ni pour l'inscription, ni pour le
martyre de sainte Eusébie, et qu'elle se contente de fixer la
ruine de l'abbaye vers 867, on ne saurait affirmer, d'après elle,
que le martyre de notre sainte a eu lieu entre le V* siècle,
date de la translation des reliques de saint Cyr, et l'année 597,
où l'on voit le vocable de Saint-Cassien donné à l'abbaye, et
qu'ainsi, le vocable de Saint-Cyr a été porté par ce cœnobium
postérieurement à celui de Saint-Cassien.
Guesnay et Grinda fournissent une base à l'argumentation
contre nous. Eux racontent la translation des reliques de saint
Cyr, faite au V* siècle. Mais ils placent aussi le martyre de
sainte Eusébie au Ve siècle (3).
En résumé, sur six auteurs dont on invoquerait le témoi-
gnage contre nous, il en est quatre, ayant écrit de Marseille,
qui ne sont pas contre nous. Ajoutons maintenant qu'il faut
en rabattre de l'assertion de Ruffl, André, etc., etc.: que
saint Amator aurait donné au V* siècle, aux Cassianites de
Marseille, une partie des reliques de saint Cyr. Il est à peu
près certain que ce saint évoque apporta d'Orient en Gaule les
restes du saint enfant martyr et ceux de sa mère sainte Ju-
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille; Sainte Eusébie, 11 octobre.
(2) Gallia christiana, 1. 1, col. 696.
(3) Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annalest p. 599, pp, 186,900. —
Grinda, Monographie de Vabbaye de Saint- Victor (Écho de Notre-
Dame de la Garde, année 1888).
- ill -^
lille (1) ; certain aussi qu'à une époque l'abbaye cassianite de
Saint-Sauveur a possédé quelques reliques de saint Cyr. Mais
il est faux de tout point que ce soit saint Amator qui les lui
ait données. On lit, en effet, dans un manuscrit de la collection
du cardinal Barberini, dans un autre cité par Henschenius,
dans les actes de ce martyr donné par Hucbald, moine de la
lin du IX* siècle, le récit suivant (2) :
(1) c Translata fuisse horum sanctorum martyrum corpora in Gallias
per sanctum Amatorem episcopum Antissiodorensem, cum in Oriente
peregrinatus est. » (Notée in Martyrologio, XVI junii.) — « Hujus opéra
delata esse in Gallias corpora sanctorum Julittœ et Quiricii, habent acta
eoraradem martyrum. » ( Nota? in Martyrologio, I inaii, Baronius. )
(2) c Sanctus Amator, epîscopus Antissiodorensis, clarissimo viro
Savino comité, fines Àntiochiae peragrans, sanctorum illorum corpora
(Quiricii et Julittae) Christ» gratia reperit. Quœ cum magno cultu rediens
in partes Gai Use altulit ac Austricse urbi delata, solo tantum pueri brac-
chio sancti Savini precibus concesso, in domo quâ idem prasul, merito-
rum gloria pollens, a fidelibus honoratur, item honorificè tumulavit. »
Manuscrit du cardinal Barberini, Acta sanctorum, 1. 1, maii.— Il y a eu de
cette translation des reliques de saint Gyr d'Orient en Occident par saint
Amator une relation qui ne se trouve pas, il est vrai, dans la vie de ce
saint évêque d'Auxerre, écrite en 580 par un prêtre du nom d'Etienne,
Africain d'origine. Mais cette relation a été insérée dans plusieurs ma-
nuscrits que les Bol 1 an dis tes ont vus et qu'ils ont jugés dignes de foi*
Entre autres il y avait le manuscrit de la bibliothèque du cardinal Barba-
berini, et celui que Henschenius avait trouvé à Rome.
Sur quels originaux ces manuscrits avaient été composés? Le voici :
Dn évêque d'Iconie, appelé Théodore, avait écrit les actes de ces mar-
tyrs et les avait adressés â un évêque d'Isaurie, Zenon, au temps de
l'empereur Justinien. Après cet évêque, Métaphraste en avait fait paraître
d'autres. C'étaient là des documents sur lesquels on pouvait s'appuyer, et
il n'y avait entre eux d'autre différence que le style. Les Manichéens, au
V* siècle, en composèrent à leur tour, dans lesquels ils insinuèrent le
venin perfide de leur hérésie. Le papeGélase, en 496, au concile de Rome,
condamna ces actes comme apocryphes et hérétiques. Or, tandis que
Iâpomanus, Surius se guidaient sur les actes écrits par Théodore et Méta-
phraste, d'autres, malheureusement, n'ayant à leur disposition que les
actes apocryphes, se guidaient sur eux et donnaient de nouvelles éditions
tout en les corrigeant. Les manuscrits de Barberini et d'Henschenius
ont été rédigés incontestablement sur les actes primitifs de Théodore et
de Métaphraste et nous font lire la vérité. Un moine du IX° siècle, prieur
d'ErnoDe ou Saint-Amand, diocèse de Tournai, mort en 930 ou 932,
regardé comme le plus célèbre docteur du IX* siècle, après saint Rémi
— 112 —
« Saint Amator, évêque d'Auxerre, vint, accompagné
de l'illustre Savinus, visiter les contrées voisines d'An-
tioche. Par la grâce du Christ, il trouva les corps des deux
saints martyrs Quirice et Julitte. Il les recueillit et les
transporta avec grande pompe et grand respect en Gaule
et les plaça dans la ville d'Auxerre. Aux instantes prières de
Savinus, son compagnon, qui lui demandait une portion de
ces reliques, il sépara le bras du saint enfant et le lui remit.
Quant au reste, il l'ensevelit avec honneur dans l'église où
plus tard lui-même fut inhumé, et où il est honoré par les
fidèles. »
d'Auxerre, à l'occasion de la translation qu'il fit lui-même d'une relique
de saint Cyr, de Ne vers à Saint-Amand, voulut écrire la vie de saint Gyr et
de sainte Julitte. N'ayant auprès de lui que les actes apocryphes, il les
corrigea, mais ne parvint pas à donner à son ouvrage la moindre auto-
rité. Son travail se trouve parmi ses œuvres dans la Patrologie de Migne,
t. 132. Or, tous cçs actes faux ou vrais portent le récit de la translation
des reliques de saint Gyr en Orient, on peut donc y ajouter foi.
Voici ce que disent les Bollandistes des manuscrits dont nous avons
parlé plus haut : « Miranda sunt quse Romse descripsimus ex manuscripto
cardinalis Barberini et alio ms. (quod Rom» repertum allcgat Hensche-
nius) in quo hic tituius praefigebatur : incipiunt miracula. » Suit la rela-
tion du voyage d 'Amator en Orient. « Post praemissum titulum ea in
dicto ms. (celui d'Henschenius) sequuntur quse in ms. Barberini im-
médiate subjiciuntur legendae per Hucbaldum impositse. » Suit le fait de
la translation des reliques. Quant à l'écrit d'Hucbaldus, voici leur
opinion : <r Utrique ( aux deux manuscrits ou deux relations dignes
de foi, celle de Théodore et de Mètaphraste) subjungere placet ex
codice Bodecensi, acta apocrypha (ce manuscrit « Bodocensis » est la
traduction des actes apocryphes que Hucbaldus suivit, en lu conn-
geant) ut posse cognoscere et sestimare lector possit, quid distent aéra
lupinis, minusque miretur, non majorem a nobis haberi rationem eorum
quse Hucbaldus edidit. . »
Voici enfin leur opinion au sujet de l'absence de cette relation dU
voyage en Orient dans la vie d'Amator par Etienne : « Licet in ea (vîtâ)
nihil de ejusmodi sancti Amatoris peregrinatione legatur, non débet ea
prorsus incredibilis videri, cum ad finem ejusdem quinti sœculi, cujus
initio Amator obiit, adeo passim nota fuerit passio sancti Quiricii apo-
crypha ( ulique cum reliquiis perlata ex Oriente et eodem tempore latine
reddita) ut Gelasius papa de eà necesse habuit judicium ferre... » Acta
sanctotnim, t. III de juin, p. 17 et suiv.; 1. 1 de mal, p. 50.— Martyrologe
annoté par Baronius, au 16 juin et 1" mai. — Notice historique sur
Hucbaldus, Patrologie latine, édit. Migne, t. GXXXII, col. 815 et suiv.
— 113 —
Il y a loin, on le voit, entre l'affirmation de Rufïi, etc., et la
relation des manuscrits. Saint Amator n'a cédé un bras de
saint Cyr qu'à son compagnon Savin : « solo tantum pueri
bracchio sancti Savin i precibus, concesso ». Ce n'est donc point
saint Amator qui a donné ces reliques aux Cassianites de
Marseille. Ce n'est donc pas au début du Ve siècle que celles-
ci ont pu les recevoir. L'affirmation des auteurs précités est
donc fausse, tout au moins fort hasardée et sans preuve.
Inutile, croyons-nous, de nous arrêter au dire de l'abbé
Darras dans son Histoire générale de V Eglise, au sujet de
cette translation des reliques de saint Cyr. Suivant cet
auteur, Amator aurait fait le voyage en Orient et en aurait
apporté les reliques du saint martyr, avant d'être évoque.
« Ainsi que tous les nobles gallo-romains de son temps,
Amator avait passé son adolescence dans les célèbres écoles
d'Autun, de Lugdunum et de Burdigala. Il avait complété son
éducation par un voyage en Italie et en Orient. A Antioche,
accueilli par le clarissime comte Sabinus, gouverneur de
Syrie, il avait assisté à l'ouverture du tombeau de sainte
Julitte et de saint Cyr. Les reliques sacrées qu'il en obtint
enrichirent les églises des Gaules auxquelles il les dis-
tribua (1). » Et Darras raconte à la suite le mariage d'Amator,
puis son ordination sacerdotale et épiscopale. Il y a dans ces
lignes une série d'inexactitudes. Le manuscrit Barberini dit
que : « sanctus Amator, episcopus Antissiodorensis fines Antio-
chiae peragrans... honorificè tumulavit... (2) ». Baronius,
dans les notes sur le Martyrologium, dit : « Translata fuisse
horum sanctorum corpora per S. Amatorem episcopum (3) » .
Saint Amator était donc évêque quand il apporta en Gaule
les reliques de saint Cyr.
Le manuscrit Barberini parle d'un « clarissimo viro Savino
comité ». Ce Savin était un prêtre ou un diacre qui accompa-
gnait l'évéque dans son voyage et non pas un gouverneur de
Syrie (4). Le manuscrit Barberini affirme qu'Amator ne céda
(1) Darras, Histoire fie l'Eglise, t. XII, p. 520.
(2) Voir plus haut le texte de ce manuscrit.
f3) Baronius, au iM et au lG.juin.
(4) Les Bollandistes avouent ne pas connaître qui était ce Savin. Ce
— 114 —
qu'à son compagnon Savin un des bras du saint martyr. Que
reste-t-il de vrai du récit de Darras?
Il y a une autre preuve, assez forte, croyons-nous, pour ne
pas dire péremptoire. On lit, en effet, à un endroit du Polypti-
que de Vadalde, dont nous avons déjà parlé, la : a descriptio
mancipiorum Sanctae Mariae et Sancti Gyrici Massiliensis facta
temporibus Vadaldi episcopi, indictione VI ». Nous explique-
rons plus tard comment ces mots: a Sancti Cyrici » furent
mis au XI* et XII* siècles sur cette charte, au lieu des mots
a Sancti Victoris » que Ton y voyait, et comment l'abbaye de
Saint-Sauveur, remise en possession, au XI* siècle, des biens
que le Polyptique désignait en 814 comme appartenant à
Saint- Victor ou à la cathédrale, les replaçait sous la rubrique
de Saint-Cyr, vocable antique de cet abbaye.
Mais sur ce fait matériel nous établissons cet argument :
D'une part, si Saint-Cyr a été le vocable de l'abbaye cassia-
nite avant qu'elle portât celui de Saint-Cassien, c'a été de l'an
415 environ à Pan 500. Saint Gassien est mort vers 460, et,
nous Pavons dit, il est fort probable que les Cassianites n'aient
pas attendu longtemps pour placer leur monastère sous la
^protection de leur fondateur. Retardons, si Pon veut, jusqu'en
550.
D'autre part, et par voie de conséquence, Saint-Cassien a
été le vocable du monastère depuis 500 ou 550 jusqu'à l'épo-
que de sa ruine vers 923. En effet, ceux qui soutiennent que
Saint-Cyr a été le vocable primitif ne peuvent raisonnable-
ment affirmer qu'après avoir remplacé ce vocable par celui
de Saint-Cassien en 597, les religieuses Pont repris de nouveau
postérieurement à 597. Pourquoi, en effet, auraient- elles
quitté le titre de Saint-Cassien pour reprendre celui de Saint-
Cyr qu'elles avaient déjà laissé avant 597 ?
Or, au XI* ou au XT1* siècle, on inscrit sous la rubrique
de Saint-Cyr des biens qui ont jadis appartenu à l'abbaye
cassianite, alora qu'elle portait ce nom de Saint-Cyr. En affir-
mant qu'elle a porté ce vocable de 415 à 500 ou 550, on
n'était ni un évoque, ni un personnage illustre ; ils croient que c'était
un prêtre ou un diacre. [Acta SS.y Boll., t. III de juin et t. I de mai, vie
de Saint Cyrice et vie de Saint Àmator.)
— 115 —
affirme partant qu'il s'agit de biens appartenant à l'abbaye
à cette époque primitive de 415 à 550. Or, peut-on croire
d'abord qu'au lendemain de sa fondation l'abbaye cassianite
possédait tant de biens ? Ensuite, comment expliquer, durant
cette époque assez paisible de 415 à 550, cette dépossession
totale de Saint-Cyr en faveur de Saint-Victor ou de la cathé-
drale (1) ? Il faudrait supposer une série de circonstances qui
ne se sont pas rencontrées à cette époque (2). Donc, au XI° siè-
cle, on ne veut pas parler de biens ayant appartenu à l'abbaye
cassianite à cette époque primitive, 417-550, mais de ceux qui
avaient pu lui appartenir postérieurement à 415-550 et anté-
rieurement à 814, à une époque qui par ses agitations et ses
bouleversements explique cette transmission successive des
biens de l'abbaye de Saint-Oyr à Saint- Victor ou à la cathé-
drale. Or, dès 597, le vocable de l'abbaye est Saint-Cassien.
Si, au XI* siècle, on avait voulu parler des biens, propriétés de
l'abbaye vers le VI° siècle, c'eût été sous le vocable do Saint-
Gassien qu'on les aurait inscrits. On les a placés sous le nom
de Saint-Cyr, donc on a voulu parler des biens qui ont appar-
tenu à l'abbaye postérieurement encore au VI" siècle. Donc
c'est postérieurement à 597 que l'abbaye a été sous le vocable
de Saint-Cyr. Donc ce vocable de Saint-Cyr a été porté après
celui de Saint-Cassien.
La seconde raison que Ton alléguait ne vaut pas davantage.
Nous croyons pouvoir prouver un peu plus loin, dans ce tra-
vail, que l'inscription de sainte Eusébie, rangée par Edmond
Leblant parmi celles du VI* siècle, appartient à une époque
postérieure, au VII? siècle. Donc encore ce n'est pas au début
du V* siècle que le monastère cassianite se trouvait placé sous
le vocable de Saint-Cyr.
A ces raisons négatives nous pouvons en ajouter de positi-
ves. D'abord, il est impossible que ce soit saint Amator qui
ait donné les reliques de saint Cyr à l'abbaye cassianite, et
(1) Rappelons-nous que, dans le Polyptique, en 814 ces biens sont
sous la rubrique de Saint- Victor, et que ce mot « Victoria » a été gratté
et remplacé par celui de « Cyrici > au XI- ou XIIe siècle.
(2) On le verra dans les chapitres de ce présent ouvrage, où il s'agit
des invasions des Vandales, Visigoths, etc.
— 116 —
qu'ainsi cette abbaye ait porté ce nom dans le V* siècle.
En effet, saint Amator est mort en 418 (1). Il a dû effectuer
son voyage en Orient avant 418 et donner des reliques de saint
Gyr aux Cassianites, en supposant qu'il en ait laissé, au plus
tard dans l'année 418. Or, M. de Rey fixe à l'année 420 la fon-
dation de l'abbaye.
La conclusion est facile à tirer. Mais supposons que l'abbaye
ait été fondée en 410, suivant André, en 415 suivant d'autres.
Ou bien saint Amator a donné ces reliques avant la fondation
de l'abbaye, avant 415, si déjà le saint évéque avait effectué
son voyage en Orient, car on ne connaît pas la date précise de
ce voyage ; ou bien il les a données après la fondation de l'ab-
baye, de 415 à 418. S'il les a données avant la fondation de
l'abbaye, avant 415, ce sera Cassien lui-même qui, pour ho-
norer ce saint martyr d'Antioche, aura placé le monastère dès
sa fondation sous son vocable. Or, la plupart des auteurs, Ruf-
fi, André, etc., disent que l'abbaye, au début de son existence,
avait pour titulaire la Sainte Vierge !! Cassien aurait-il donné
au monastère des femmes et le vocable de la Sainte Vierge et
celui de Saint-Cyr, comme il l'avait fait pour le monastère
des hommes qui était élevé a in honore Beatissimse semperque
Virginis Mariae vei Sancti Victoris martyris (2) r> . Alors, pour-
quoi la lettre de Grégoire le Grand à l'abbesse Respecta ne fait-
elle mention que d'un seul vocable : celui de Saint-Cassien ?
Pourquoi l'inscription de sainte Eusébie ne porte-t-elle encore
que le nomade Saint-Cyr ? D'oii vient qu'à ces deux époques le
monastère n'a plus qu'un nom ?
Qu'importe d'ailleurs, la chose pourrait à la rigueur être
possible. Mais, si la Sainte Vierge et Saint-Cyr sont les vocables
donnés par Cassien lui-môme, pourquoi les a-t-on laissés pour
prendre, avant 597, celui de Saint-Cassien ? Ce sont les Cassia-
(t) Saint Amator naquit vers 344. Il fut sacré évéque vers 388, et mou-
rut le 1er mai 418. Sa vie fut écrite vers 580 par un Stephanus Africanus.
De plus, Gonstantius , qui a écrit la vie de saint Germain d'Auxerre,
parle aussi de saint Amator. — Darras, Histoire de l'Eglise, t. XII,
p. 534.— Acta Sanctorum, 1" mai, t. I, de mai, p. 51. — Baronius,
notes in Martyrologium, au 1er mai et au 16 juin.
(2) Gartulaire de Saint-Victor, passim, chartes.
— 117 —
nites, dira-t-on, qui, en souvenir de leur père qu'elles regar-
dent et vénèrent comme un saint, ont sacrifié le vocable de
Saint-Cyr pour adopter celui de leur fondateur. Soit. D'où
vient qu'elles ont quitté ce vocable de Saint-Cassien qui leur
était si cher, pour prendre plus tard celui de Saint-Cyr ? car,
avant 814 et postérieurement à cette date, l'abbaye était sous
ce nom, nous l'avons dit tantôt. Non, ce n'est pas saint Gassien
quia donné le vocable de Saini-Cyr à son abbaye, et les reli-
ques de ce saint martyr n'ont pas été portées par saint Amator
avant la fondation de l'abbaye, antérieurement à 415.
Saint Amator les a-t-il données, après cette fondation, de l'an
415 à Tan 418? C'est encore impossible. L'abbaye étant fondée,
Cassien la place sous le vocable de la Très Sainte Vierge. C'est
croyable, nous l'avons dit. Quelques années après, recevant
de saint Amator ces précieuses reliques, il changera le vocable
de la Sainte Vierge et le remplacera par celui de Saint-Cyr!
C'est à peine croyable. Réunira-t-il ces deux vocables? Alors
encore pourquoi cette inscription de sainte Eusébie et la lettre
à Respecta ne font-elles pas mention de ce double vocable ?
Pourquoi encore, comme on vient de l'objecter plus haut, les
Cassianites ont-elles quitté ces deux vocables pour prendre
celui de Saint-Cassien ? Pourquoi enfin, y revenir au IX* siè-
cle?
Non, il y a impossibilité à ce que ce nom de Saint-Cyr ait été
donné par Cassien de 415 à 418, ou après 420 ; impossibilité à
supposer que saint Amator ait porté lui-môme ces reliques à
l'abbaye. Donc celle-ci n'a été sous le vocable de Saint-Cyr
qu'après avoir été sous celui de Saint-Cassien.
A la suite de quelles circonstances ce vocable de Saint-Cyr fut
attribué au monastère cassianite? Il n'y a pas de doute qu'il
n'y ait un fond de vérité dans ce que les auteurs affirment, à
savoir que c'est à l'occasion du don fait à ce monastère de quel-
ques reliques de ce saint martyr, qu'il fut placé sous son
patronage. La dévotion à saint Cyr a été très grande, à une
époque, en France (l).On réclamait de tous côtés, dit Saussay,
(1) La cathédrale de Nevers, au IXe siècle, était dédiée à Saint-Cyr.
Acta sanctorum, Bolland , t. III, de juin.
— 118 -
des parcelles de ces vénérables reliques. Un grand nombre
d'églises et de monastères furent élevés en son honneur (1).
L'abbaye cassianite de Marseille dut recevoir quelque relique,
que d'ailleurs elle a conservée pendant bien longtemps (2), et
échangea son ancien vocable avec celui de Saint-Cyr qui alors,
pourrait-on dire, était à la mode.
À quelle époque eut lieu ce changement ? Il n'est guère
possible de le dire. Le culte de saint Cyr est très ancien
en Provence, il faut donc remonter bien haut. D'une part,
en effet, les détails que nous donnerons plus tard sur le
Polyptique de Vadalde indiquent qu'antérieurement à 814
l'abbaye portait ce nom de Saint-Cyr; d'autre part, en 597,
elle portait celui de Saint-Cassien, peut-être depuis une
centaine d'années, et elle l'a conservé encore un demi -siècle
au moins. A cette époque, le souvenir de saint Cassien
commence à se perdre. Plusieurs générations ont passé depuis
la mort du saint fondateur. On ne tient plus autant à l'ancien
vocable. Survienne un événement favorable et le changement
s'opérera sans difficulté. L'occasion se présenta. Vers 650
environ, on dut apporter ces reliques de saint Cyr et ce nou-
veau titulaire fut adopté. Combien de temps le garda-t-il ?
L'inscription que nous avons du tombeau de sainte Eusébie
porte cette mention : in monaaterio sancti Cyrici, Or, nous
fixons à 738 la date de la mort de cette martyre. Au VIII* siècle
donc l'abbaye cassianite était sous le vocable de Saint-Cyr.
En 838, lorsque les Normands enlevèrent un grand nombre
(1) t Quorum sacratissima pignora inde in Gallia per sanctum Ama-
torem Antissiodorensem episcopum (eu m in Orientera peregrinatus est)
alla ta, ambitiosaque populorum petitione dispertita, sacraria plurima-
rum ecclesiarum ditaverunt. eamque in ipsos martyres excita verunt
devotionem ut basilicaî multae in eorum cœlitum honorem mox fuerunt
conditae, monasteriaerecta... > Saussay, Supplementum Martyrologii
gallicani (Sanctorum Cyrici et Julittae, 16 kalendas julii), pp. 360, 361.
(2) Saint- Germain d'Auxerre, voyageant en Italie, portait sur lui des
reliques de saint Cyr. Il mourut à Ravenne, et ces reliques demeurèrent
dans cette ville. Qui sait si les reliques de saint Cyr ne vinrent pas aux
Cassianites de Marseille par l'intermédiaire de quelque moine qui les
leur apporta d'Italie ? — Acta sanctowm, Bolland., t. I, de mai ; vie de
saint Amator.
— 119 —
de religieuses; en 923, lorsque les Sarrasins détruisirent
l'abbaye, conservait-elle ce vocable? Aucun titre que nous
connaissions ne l'indique. Nous croyons cependant qu'en
mémoire de sainte Eusébie et de ses héroïques compagnes, les
Gassianites, qui avaient relevé le monastère incendié au
VII? siècle, avaient dû être heureuses de le garder.
Le monastère qu'Elgarde fondait et bâtissait en 1004, quel
nom portait-il? Très probablement ce n'était pas celui de
Saint-Cyr; dans la tourmente, ce nom et ses gloires avaient
disparu. Ce fut le vocable de la Sainte Vierge que Ton adopta.
En effet, vers 1031, lorsque Tabbesse Adalmoïs relève le monas-
tère déjà en ruines et que Déodat, évoque de Toulon, lui
accorde quelques libéralités (1), ctst la Très Sainte Vierge
qui en est la patronne. De même en 1050, puisque la vicom-
tesse Stéphanie fait une donation au « cœnobium Sanctœ
Mariae Virginis (2) ». Mais, à cette date, un second vocable
apparaît : celui de Saint-Sauveur, « cœnobium Sancti Salva-
toris (3) ». Depuis quelle époque le donnait-on à l'abbaye ?
Etait-ce depuis la première restauration du monastère, ou
seulement depuis quelques années? Ruffi semble supposer que
c'est depuis l'arrivée des Cassianites en ville, a Lorsque les
religieuses se axèrent au lieu où elles se trouvent, qui est
situé sur une petite éminence, elles lui changèrent le nom, et
lai donnèrent celui de Saint -Sauveur (4) » . C'est le titre qu'il
a gardé, à travers les siècles, jusqu'à son extinction en 1793.
En résumé donc, de 415 à 550, l'abbaye fut sous le vocable
de la Sainte Vierge, de 550 à à 650 sous celui de Saint-Cassien,
de 650 à 923 sous celui de Saint-Cyr, de 1004 à 1032 sous celui
de la Sainte Vierge, de 1050 à 1799 sous celui de Saint-
Sauveur.
(t) c . . . Deodatus episcopus Telonensis, donans monacharum monas-
terio quod in hoaorem Oei Ctenitricis Mariœinfra muros Massiliae situm
est... s Provinciœ Massiliensis Annales, par Guesnay, p. 292.
(2) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
pièces justificatives, B, p. 206.
(3) Dans la même donation on lit en effet: c Dono... Deo omnipo-
tent!, et beat» Maria et cœnobio Sancti Sa 1 va tons Massilise. .. » André,
op. cit., p. 206.
(4) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 58.
— 120 —
Complètement fausse est donc l'opinion de ces auteurs qui,
ne parvenant pas à établir Tordre successif suivant lequel les
divers noms de l'abbaye cassianite ont été portés durant les
siècles, ont eu l'idée d'affirmer qu'il y avait eu à Marseille,
trois ou quatre monastères de religieuses,à peu près à la même
époque. Papon nomme celui de Saint-Sauveur, qui, bâti près
de Saint-Victor, portail le nom de Saint-Cyr lorsqu'il fut dé-
truit par les Sarrasins qui massacrèrent sainte Eusébie et ses
compagnes ; puis celui de l'Huveaune bâti et fondé encore par
Cassien et dont les religieuses qui l'habitaient eurent le même
sort que sainte Eusébie (1).
Guesnay, dans son Cassianus illustraius, énumère jusqu'à
quatre monastères de femVnes qui ont existé à Marseille : celui
de l'Huveaune, celui de Saint-Sauveur, celui fondé par Dyna-
mius en l'honneur de saint Cassien, et celui de Saint-Zacharie
au pied de la Sainte-Baume (2).
On comprend que de telles assertions devraient être basées
sur quelques documents, pour être prises au sérieux. Or, pas la
moindre preuve. Inutile donc de nous arrêter à discuter. Il
n'y a jamais eu à Marseille, du Ve au XI? siècle, qu'un monas-
tère de religieuses, qui a changé souvent de nom comme
souvent il a changé de place.
(1) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 360.
Le Père Lecolnte, dans les A nnales ecclesiastici Francorumtk la suite
de Guesnay, parle du monastère de l'Huveaune et de Saint-Cassien
comme de deux monastères bien distincts.
L'abbé Magloire Giraud est tombé dans la même erreur. Le monas-
tère de filles fondé par Cassien à Marseille est bien différent d'un monas-
tère de Saint-Cyr, qui se serait élevé à Saint-Cyr du Var, dans sa
paroisse.
La Gallia christiana fait de même. Outre le monastère de Saint-
Sauveur, elle place un monastère des Accoules fondé vers 1033 entre
l'abbaye de Saint- Victor et la rivière de l'Huveaune ; t. 1, col. 696.
(2) S. Cassianus* illustralus, par Guesnay, ch. XVII, p. 409.
M. le chanoine Bayle, dans la Vie de Saint Sérénus, demande si le
cœnobium de Saint-Cassien , dont Respecta était abbesse, était le même
que celui qui s'appela du nom de Saint-Cyr. Il cite l'opinion de Mgr de
Belsunce et celle de Guesnay. (Vie de Saint Sêrênus, par l'abbé Bayle,
p. 36.)
CHAPITRE IV
Le quartier de Saint-Giniez du Ve au XIe siècle
Troisième question préjudicielle
LE TERROIR DE SAINT-GINIBZ HABITÉ AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE. — IL
ÉTAIT HABITÉ AU IX* SIÈCLE, CHARTE DE CARVILLAN DE 840 ; — AU
Xe SIECLE, LB8 DEUX RIVES DE L^UVEAUNa SONT HABITEES ; — AU
XI» SIECLE AU8SI ; — DONC, ELLES L*ONT ÉTÉ DU V AU VIII- SIÈCLE
— SAINT-GINIEZ « IN RIPA MARIS ». — SOUS LES BARBARES ON A PU
CULTIVER CETTE PARTIE DU TERROIR. — LES INVENTAIRES DE
VADALDB EN 818, ET DE VENATOR EN 896.
Un point encore à établir c'est que le quartier de Saint-Giniez
n'était point aussi désert, aux V, VI", VIIe et VHP siècles, que
certains auteurs ont bien voulu le dire.
De tout temps, il a été habité.
Pour l'époque antérieure au christianisme, et pour les pre-
miers siècles de notre ère, M. l'abbé Daspres nous donne de
cette assertion des preuves surabondantes dans sa Notice sur
Saint-Giniez (1). Lors des fouilles opérées à l'occasion de
l'agrandissement de l'église, on a découvert des poteries en
grès d'un gris foncé, des débris d'amphores et des dolium, in-1
diquant l'époque gréco-marseillaise, le VII- ou le VP siècle
avant Jésus-Christ ; puis des poteries de fabrication gauloise
d'un travail plus fini, indiquant l'influence de la domination
romaine, et l'époque plus récente du II0 siècle avant notre
ère ; ensuite des poteries romaines importées en Gaule, les
unes avec le vernis noir et brillant, que Ton est convenu d'ap-
(1) Xotice hiëtovique, topor/raphique et hayiologique sur Saint-Giniez
par l'abbé Daspres; Notes et pièces justificatives, p. 129 et suivantes;
— 122 —
peler poteries étrusques ; les autres avec le vernis d'un rouge
vif, et le grain lin et délicat, rappelant les belles poteries si-
gnées Ruûus, contemporain deMarius; enfin, des poteries
gallo-romaines, c'est-à-dire faites par les Romains en Gaule,
vers la même époque. En outre, la pioche des terrassiers mit à
découvert des constructions antiques qui jadis avaient servi
de citernes, de réservoirs; des médailles de Nerva et d'Antonin ;
des tombes gallo-romaines éparses çà et là, ou placées dans
les citernes hors d'usage mentionnées plus haut. Ce sont tout
autant de témoignages, que de temps immémorial l'emplace-
ment où se trouve l'église a été fréquenté ; de preuves et d'in-
dices qu'une villa romaine avait dû s'élever dans cette position
si délicieusement abritée.
De plus, cette église de Saint-Giniez, édifiée dans cette partie
du terroir et en ruines dès 1044, semble indiquer l'existence
d'un sanctuaire chrétien très ancien. L'archéologie, en effet,
regarde comme un axiome que partout où l'on rencontre un
sanctuaire chrétien très ancien, là devait se trouver un
sanctuaire païen. Où s'élève Saint-Giniez aujourd'hui, là
presque certainement se trouvait quelque lucus, quelque
bois sacré, quelque oratoire du paganisme (1). De tout temps
donc ce quartier a été habité. A elles seules, ces preuves
ci-dessus mentionnées nous conduisent, du VI* siècle avant
J.-G. aux 1?, IIP et IV siècles après.
Si nous ouvrons maintenant le cartulaire de Saint- Victor;
si nous nous aidons des travaux de M. l'abbé Daspres, curé de
Saint-Giniez, et de M. l'abbé Arnaud, curé de Sainte-Margue-
rite (2), nous arrivons à cette conclusion : que ce quartier de
Saint-Giniez, que les deux rives de l'Huveaune, depuis Sainte-
Marguerite jusqu'à la mer, étaient cultivés et habités dès Tan
800 ou 900.
En effet, sur la rive gauche de l'Huveaune, dès Tan 840,
Sigobertus, et son épouse Euberba donnent à l'abbaye de
Saint-Victor la terre deCarvillan (3J, vaste tèneraent qui avait
(1) Daspres, Notice sur Saint-Giniez, ut supra, p. 11.
(2) Notice historique et topographique sur Sainte-Marguerite, par
l'abbé Arnaud, pansim.
(3) «... lu suburbio Massilieuse, villam quœ dicitur Garvilliauus, id
— 123 —
pour limites, au midi le sommet des montagnes, au nord le
rivage de l'Huveaune, et qui s'étendait du pont de Yivaux
actuel jusqu'aux premières maisons situées sur le bord de
l'Huveaune, près de Sainte-Marguerite. Or, ce tènement n'était
pas inculte. La charte de donation qui en fait la description
dit qu'il y avait des maisons en état d'être habitées, d'autres
en ruines, des terres cultivées, des terres incultes, des vignes,
des prés, des pâturages, des bois, des taillis, des vergers, des
arbres fruitiers et des arbres de haute futaie. Forcément, il y
avait dans ce domaine des serfs, des colons, des cultivateurs.
Et si, en 840, ce domaine était en état de prospérité, s'il y
avait des maisons en ruines, on peut, sans trop hasarder de
conjectures, dire qu'en 800 ce coin du terroir de Saint-Giniez
était habité.
Descendons plus bas vers la mer, toujours sur la rive
gauche de l'Huveaune. Il y avait là des marécages, les paluds
d'Arculens, des terres gastes, des terres incultes, le gast de
Romagnac. Or, en 965, Honoré II, évoque de Marseille (1) se
rendit à Arles, auprès de Boson, comte de Provence, et lui
demanda de restituer à l'église de Marseille et à l'abbaye de
Saint-Victor certaines terres qu'il détenait injustement,
quoique de bonne foi. Entre autres terres qu'il réclamait, il y
avait celle de Romagnac, sur le fleuve de l'Huveaune, le
terroir actuel de Bonneveine. Saint Honoré prouva, sur la
déposition de témoins sûrs et fidèles, le bien fondé de ses
revendications et cette terre lui fut rendue.
Or, si en 965 Boson détient ces terres, si des témoins
« scientes ac cognitores » affirment que ces biens apparte-
naient auparavant à la cathédrale ou à Saint-Victor, nous
arrivons à l'an 900. Et, comme ni l'abbaye de Saint-Victor, ni
est casis astantibus et dirutis, terris cultis et incultis, vineis, pratis,
pascuis, 8ilvis, montibus, garricis, ortis, pascuis, arboribus pomileris et
impomileris, aquis aquarumve decursibus, accessisque omnibus cum
omni integritate absque ullà diminutions. » Gartulaire de Saint-Victor,
ch. 28, du 24 juin 840.
(1) Gartulaire de Saint-Victor, charte 29, de mars 965: c... interea
namque episcopus, scientes et bene cognitores ac testes fidèles adhibens,
voluit... d
— 124 —
la cathédrale ne les possédaient pas depuis quelques années
seulement, on peut arriver jusque vers l'an 850. Dès cette
époque, il y a en ces lieux des colons, des habitants ; car,
quelque inculte que soit une terre, il y a toujours des habi-
tants, ne fût-ce que des gardiens de troupeaux. Donc, de 800 à
850 la rive gauche de l'Huveaune, du pont de Vivaux à la
mer, est habitée.
Passons sur la rive droite. Le même document (1) que nous
venons de citer nous montre Boson restituant à Saint- Victor
deux autres terres : Tune le Ligus Pinis, partie boisée du terroir
sur le versant sud de la Garde; l'autre, Fabias, située au con-
fluent du Jarret et de l'Huveaune. Et nous disons comme plus
haut : si Boson les détient en 965, et si, avant qu'il les possédât,
elles appartenaient à la cathédrale ou à l'abbaye de Saint-
Victor, nous remontons encore à Tan 800 ou 850.
Nous trouvons dans plusieurs chartes d'autres preuves que,
dès la lin du XI* siècle, les deux rives de l'Huveaune étaient
habitées.
Pour la rive gauche d'abord. En 1030, un certain Boniface
donne à Saint- Victor une terre en partie cultivée, en partie
boisée, située auprès de l'église de Sainte-Marie de Margue-
rite (2). La charte 42, qui doit être de 1050, indique les terres
cultivées et non cultivées de Mont-Redon, au delà de l'Hu-
veaune, comme appartenant à Saint-Victor (3). En 1072, Pons II,
évoque de Marseille, donne à l'abbaye l'église de Sainte-Mar-
guerite située entre Carvillan et l'Huveaune, avec toutes ses
terres cultivées et non cultivées, ses sources et ses jardins (4).
Une charte de l'an 1097 énumère plusieurs portions de terre
cédées à Saint- Victor par des particuliers. L'une de ces terres
est dans la vallée de Mazargues, près du chemin qui va à Mont-
Ci) Charte 29, de mars 965, Cartulaire de Saint- Victor.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, charte 91, de 1030 : « . . . omnem partem
meam, henni et culti. . . »
(3) c . .. ultra Vuelna, in Podio Rotundo, terra erma et cul ta.» Cartu-
laire de Saint- Victor, charte 42, scecuL XL
(4) « ... ecclesiam Sanctse Mari» quae dicitur Margarita, cum omni-
bus appendiciis suis, in terris cultis etincultis, cum fonte et ortis quœ ibi
tiferi possunt. . . » Cartulaire de Saint- Victor, charte 80;
— 125 —
Redon, l'autre à Homanana, Bonneveine; une autre au palus
d'Archulens ; deux autres encore près de Mont-Redon (1). La
rive gauche est habitée au XI* siècle.
lien est de même pour la rive droite. En 1030 Guillaume et
Fulco, vicomtes de Marseille, Pons II, évoque de cette ville,
donnent ou plutôt restituent aux moines de Saint- Victor le
moulin qu'ils avaient bâti jadis à grands frais, situé au con-
fluent du Jarret et de THuveaune (2). En 1062, Lambert, fils
d'Adalbert, et son épouse donnent à Saint-Victor une terre en-
tre le béai et l'Huveaune (3). En 1065, Pons et Geoffroy, fils
du vicomte de Marseille, Guillaume, rendent à Saint- Victor des
terres qu'on lui avait enlevées et qui étaient situées entre la
rive du Jarret et le jardin des moines, près de Saint-Giniez (4).
En 10S0, Fougues Humbert cède au monastère uue terre située
entre le Jarret et le jardin des moines à Saint-Giniez (5). En
1080 encore, Iterius et Aicelena cèdent à Saint- Victor une pièce
de terre, près de THuveaune et du béai du moulin de Saint-
Giniez (6). Enfin, la charte de 1097énumère les donations fai-
tes à Saint-Victor de terres situées près de l'église de Saint-
Giniez, dans les marais d'Antignane, à, l'embouchure de THu-
veaune, au marais Framaud, et dans toute l'étendue du terroir
de Saint-Giniez (7).
Inutile de pousser plus loin la nomenclature. Les chartes
sont si nombreuses ; si précis, si détaillés sont les rensei-
gnements qu'elles fournissent, que Ton pourrait, si Ton vou-
lait, dresser le plan cadastral des deux rives de THuveaune,
au XI* siècle. Les deux rives sont habitées. C'est l'abbaye de
(1) Daspres, Notice *uv Saint-Giniez t op. cit., pièces justifie.» note C;
charte inédite de Saint-Victor, cotée n* 789, diocèse de Marseille, n* 317.
(2) Chartes 20, 21, 22 du Cartulaire : « ... ortorum, pratorum vel ar-
borura et omnium omnino rerum quae in supradicto termino, monachi
Saocti Victoris sedilicavërunt... ipso molendlno quem monachi aedifica-
verunt cum raagoo labore et multis sumptibus. . . »
(3) Charte 35 du Cartulaire de Saint-Victor, 1062.
(4) Cartulaire de Saint-Victor, charte 84, de l'an 1065-1079.
(5) Cartulaire de Saint- Victor, charte 148, de 1080.
(6) Cartulaire de Saint-Victor, chartes 1087, 1088, de l'an 1080.
(7) Daspres, Notice vur Saint-Giniez, charte inédite, pièces justifica-
tives.
9
— 126 —
Saint- Victor qui a en sa possession la presque totalité de cette
partie du terroir, et, comme M. l'abbé Daspres Ta dit : * Dès
ce moment l'abbaye n'a plus rien à y acquérir (1).»
Or, nous disons que si ces rives de l'Huveaune sont habitées
de Tan 1000 à Tan 1100, elles Tétaient déjà dès le IX' siècle.
En effet, est-ce que la mise en valeur de ces terres date de
quelques années à peine? Non. Dans les chartes 20 et 21
il s'agit de la restitution faite aux moines de Saint-Victor de
prairies, de jardins que ceux-ci ont défrichés, du moulin lui-
même qu'ils ont bâti à grands frais et avec beaucoup de travail.
Or, les moines n'ont pu construire ce moulin postérieurement
à l'an 923, époque de la destruction du monastère. Ils ont dû,
depuis cette époque jusqu'à celle où les chartes 20 et 21 ont
été rédigées, en 1030, s'occuper d'abord de la restauration de
leur abbaye ; il s'ensuit que les vicomtes de Marseille qui res-
tituent ce moulin en 1030 ont dû s'en emparer à l'époque de
la destruction de Saint-Victor en 923. La construction de ce
moulin date donc au moins des dernières années du IX* siècle.
De plus, est-ce que les particuliers qui font donation à
Saint- Victor, au XI' siècle, de quelques-unes de leurs terres,
sont les propriétaires primitifs de ce sol ? Nullement.
Tantôt, en effet, les chartes disent clairement qu'il s'agit de
biens que l'on restitue ; ainsi, en 1065-1079, Geoffroy, fils du
vicomte de Marseille du même nom, rend à l'abbaye des
vignes, près du Jarret,que Ton avait enlevées à l'autel de Saint-
Pierre de Paradis (2). En 1097, Damalcus, d'Àubagne, et son
épouse Dulciane donnent deux pièces de terre situées à l'em-
bouchure de l'Huveaune et que l'on avait jadis enlevées à
Saint- Victor (3).
Tantôt elles disent que ces biens cédés à Saint-Victor par
ces particuliers leur sont arrivés par héritage. C'est le cas de
Vicherius, qui, en 1040, donne à l'abbaye quelques terres
(1) Daspres, op. cit., p. 19.
(2) c Reddo et guipertionem facio de vineis quas Petrus Nodollo tol-
lebat altario Sancti Pétri de Paradiso.. » Charte 84, cartulaire de
Saint-Victor.
(3) Charte inédite dans Notice sur Samt-Giniez, par l'abbé Daspres,
p. 136.
— 127 —
qu'il a reçues en héritage de sa mère (I ). L'une de ces terres
est située à Àrcolas, sur la rive gauche. C'est le cas de Damal-
cus et Dulciane cités plus haut, qui affirment que ces terres
de l'embouchure de l'Huveaune ont été laissées en héritage à
sa mère (2).
Tantôt elles mentionnent que ces biens donnés à Saint Vic-
tor proviennent de propriétés antérieurement vendues, cédées
aux donateurs, En 1087, l'abbesse Garcende de Saint-Sauveur
cède à Saint-Victor la dime d'un champ qui avait appar-
tenu à Pierre Saumade (3) ; Amelius Candidia, en 1097, donne
la dime qu'il prélevait sur un champ déjà cédé à Saint -
Victor (4).
Tantôt la donation du XI' siècle n'est que la confirmation
d'une donation antérieure. En 1062, Lambert donne à Saint-
Victor une terre que déjà, de concert avec son père et sa mère,
il lui avait cédée (5).
Tantôt ce que l'on donne a été démembré d'une autre pro-
priété. En 1076, Pierre Saumade donne la condamine qui jadis
faisait partie des biens d'un certain David (6).
Tantôt les donateurs montrent bien, par les termes dont ils
se servent, qu'ils sont en possession de ces terres depuis de
longues années.
Tantôt, enfin, il est mentionné dans ces chartes qu'il s'agit
de terres cultivées, de vignes, de prairies que l'on a conquises
sur le marais.
Ces divers modes par lesquels ces biens sont advenus aux
propriétaires du XI* siècle, indiquent clairement que anté-
(1) c Ego dono aliquid de proprietate meâ.. . quae mihi ex succes-
sione matris mese venit.. . » Charte 52.
(2) Daspres, op. citato, charte inédite.
(3) Cartulaire de Saine- Victor, charte 88 : c ... Nos sancti moniales.,
veodimus. . . decimo de campo que fuit de Petro Saumada. . . »
(4) Charte inédite (Daspres, op. cit.)
(5) « Donamus... videlicet totam terram illam, quem jam dictus
pater meus et mater mea et ego donavimus. . . » Charte 95, cartulaire
de Saint- Victor.
(6) « . . . facio venditionem. . . de condaminà ipso, que de menso David
fuit... » Charte 87, cartulaire de Saint- Victor.
— 1-28 —
rieurement au XP siècle cette partie du terroir était cultivée.
Nous pouvons remonter ainsi jusqu'à la fin du IX* siècle.
Que Ton n'allègue pas le texte delà charte de 1097 (1) qui,
parlant des marais de Saint -Giniez, semble affirmer que l'église
dédiée à ce saint se trouvait sur le bord de la mer, a Sancli
Genesii in ripa maris », et qu'ainsi il n'y avait pas d'habitant
en ces lieux.
M. Saurel (2) a supposé que la mer avançait jusqu'à Saint-
Giniez et qu'il y avait là une anse, un marécage se prolon-
geant jusqu'au Rond-Point, et accessible aux barques. Tout
ceci n'est que de la pure imagination. Sans doute au X- et au
XIe siècle, le quartier de Saint-Giniez n'était pas ce quil est
aujourd'hui. Il y avait un marais près de l'église, le « palus
Sancti Genesii » ; un autre vers le Rond-Point, le « palus
Antignana » ; un autre vers le Rouet, le palus Formai ; un
autre entre Saint-Giniez et la mer, vers le parc Borrely, le
palus Archulens. Ils étaient formés soit par l'Huveaune, dont
les eaux, point encore encaissées, ni complètement utilisées
pour les moulins, se répandaient sur les terrains en dépres
sion, soit par les diverses sources qui n'avaient point eucore
un écoulement régulier vers la mer. Mais autre chose un ma-
récage où croissent des joncs, autre cfrose des lagunes où les
barques peuvent naviguer. Cette charte de 1097, qui cite le
« palus Sancti Genesii », celui de Formai, d'Antignane, d'Ar-
coulens, parle précisément de terres que l'on cultive dans
ces marais (3) ; preuve évidente que chaque jour les habitants
faisaient la conquête de quelques portions de terrain sur ces
endroits incultes jusqu'alors.
Ces termes : « Sancti Genesii in ripa maris » sont mis tout
(1) Daspres, op. rit., charte inédite, p 136.
(2) La Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, Saint-Ginie:,
l>p. 151, 152.
C'était aussi quelque peu l'opinon de M. Meynier : Anciens Chemin*
rie Marseille, p. 43. Suivant cet écrivain, l'embouchure de l'Huveaune
se trouvait à Saint-Loup, aux premiers siècles, de sorte que la plaine de
Saint-Giniez aurait été un vaste étang, peut-être le port de Leoniuni
dont il est parié au IX« siècle.
(3) Voir les détails de cette charte inédile, de 1097, dans la Notice w
Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, pièces justificatives, note C, p. 136.
— 129 —
simplement pour faire une distinction entre les biens appar-
tenant à Saint-Giniez de Marseille et les possessions des autres
églises, dédiées au même saint martyr, en divers lieux de la
Provence. Il y avait, en effet, beaucoup d'églises, de monastères
sous le vocable de ce saint. Le livre de M. l'abbé Daspres en
indique plusieurs (1). Il y avait Saint-Giniez d'Arles, Saint-
Giniez de de Lodève ; dans les Basses- Alpes, il y en avait deux
autres; dans le diocèse de Rodez, trois; près de Forcalquier,
une ; près d'Apt, une autre ; près de Martigues, une autre ; etc.
Or, chacune de ces églises, chacun de ces monastères relevant
pour la plupart de l'abbaye de Saint -Victor, possédaient des
biens. Afin de ne pas se tromper sur le monastère dont ils
étaient les ressources, on les avait désignés par une rubrique
spéciale. L'église de Saint-Giniez à Marseille s'appelait « Sancti
Genesii in ripa maris ».
Or, nous disons : Le quartier de Saint-Giniez a été habité
vers le IV* siècle, il l'était sûrement dès le IX' ; donc il l'a été
aussi durant l'intervalle qui va du V' au IX- siècle, et ce
n'était pas cet affreux désert que Rutli voudrait nous repré-
senter. Nous n'avons pas, il est vrai, des données précises et
exactes pour faire la description de ces lieux aux V, VI°, VIP
VIII* siècles. L'histoire n'en fournit guère pour cette époque.
Il est assez diflicile de croire cependant, que ce quartier n'était
ni cultivé, ni habité.
D'où proviendrait, en effet, cette solitude qui se serait sou-
dainement faite du Ve au IX- siècle ? Faudrait-il en accuser
les invasions barbares ? Sans doute Goths, Visigoths, Bourgui-
gnons et Ostrogoths sont venus assiéger et piller Marseille
durant ces siècles. Mais faut-il croire qu'ils se soient telle-
ment acharnés sur cette partie du terroir, qu'ils l'aient sac-
cagée, dévastée et qu'ils en aient massacré les habitants?
Sous l'action de ces invasions, les terres ont été enlevées à
leurs possesseurs légitimes, c'est vrai, mais toutes ne res-
taient pas en friche. Le moment de la fureur passé, les enva-
hisseurs eux-mêmes tendaient à se fixer dans les villes qu'ils
saccageaient. A l'exception des Goths d'Ataulphe qui ne firent
(!) Daspres, Notire *i#r Saint-Ginies, p. 115 et suiv.
— 130 —
que traverser la Provence, les Visigolhs d'Euric se fixent à
Marseille et y demeurent au moins vingt ans. Après eux, les
Bourguignons de Gondebaud et de Godégisile y passent un
bon nombre d'années dans une paix profonde. Théodoric le
Grand gouverne la Provence avec une sagesse admirable.
Les Francs l'administrent dans l'ordre et la tranquillité.
Seuls les Sarrasins font exception. Ils furent le fléau dévas-
tateur. Dès leur apparition en Provence vers 730, tout fut
détruit sur leur passage, les colons massacrés, les habitations
dévastées. La charte de Tan 840 mentionne dans le domaine
de Carvillau des « casis adstantibus et dirutis ». Ces destruc-
tions et tant d'autres, c'est à ces barbares qu'il faut les impu-
ter. Déjà donc, avant leur arrivée en nos contrées, le terroir
de Saint-Giniez était cultivé et habité. Ce qu'ils ont détruit
au VIII' siècle existait au Vil* et plus que probablement aux
VI' et V' siècles. Non, on ne peut pas prétexter les invasions
des barbares pour soutenir que notre terroir était désert.
On a dit souvent que les exigences du fisc romain rendaient
la culture des terres très difficile, que les paysans étaient
obligés de se vendre, de se faire esclaves pour vivre , que
d'autres préféraient laisser les terres en friche, prendre les
armes et piller. Sans doute il y avait de graves désordres à
cette époque ; mais de là à dire qu'il n'y avait ni colons, ni
esclaves dans notre terroir, pour le cultiver et l'habiter, c'est
pousser à 1 exagération.
Les quelques fragments dans lesquels se trouvaient inven-
toriés les biens de l'abbaye cassianite, nous sembleraient une
preuve de plus que, dès le VIII* siècle, notre terroir était cul-
tivé. En effet, trois de ces inventaires ont été rédigés sous
l'épiscopat de Vadalde, à l'indiction Xï, qui correspond à
Tan 818 (1). Il ne s'agit pas précisément, dans ce document,
de propriétés situées dans notre terroir. Il en est un cepen-
(1) « Descriptio mancipiorum de agroColumbario, factum tempore Gua-
daldi episcopi, indictione XI ; — Descriptio mancipiorum de agello
Cellas, factum tempore supradicti episcopi, indictione XI ; — Descriptio
mancipiorum de villa Podiolum, juxta fluvium Uvelnœ, factum tempore
supradicti episcopi, indictione XI. » (Armoriai et Sigillographie det*
évéque* fie Marseille, par M. le chanoine Albanés, p. 30.)
— 131 —
dant qui relate la description des serfs du domaine de Colom-
bier; or, Mortreuil place ce domaine au Rouet (1). Mais, si
on fait en 818 un inventaire de ces biens, donc il est permis
de supposer que ceux qui les possédaient en 818 n'en étaient
pas les premiers possesseurs, que ces terres étaient déjà habi-
tées et cultivées lorsqu'ils en sont devenus les propriétaires.
Nous remontons ainsi à l'an*00, 750 ou 700.
Le même raisonnement peut être fait pour le fragment rela-
tant lïnventaire fait la dixième année de l'épiscopat de Vena-
tor vers 896, des biens et des esclaves que l'abbaye cassianite
possédait « in agro Massiliensi (2)». L'« ager Massiliensis »
comprenait Saint-Giniez. Si, en 891, on fait un inventaire des
serfs qui cultivent cette terre ; si l'abbaye n'a pas mis elle-
même ces terres en culture; si elle les a reçues d'un proprié-
taire primitif, il est facile dédire qu'en 800, 750, 700 ce coin
de terre était cultivé, habité, et, s'il l'était au VIP , on se
demande pourquoi il ne l'aurait pas été aux VI* et V* siècles.
Cassien fondant un monastère de religieuses a pu le placer
sur les bords de l'Huveaune. C'était la solitude, mais pas le
désert. Lui qui avait parcouru toutes les thébaïdes ne dut pas
être effrayé de ces marais, de ces bois. Recherchant le calme,
la tranquillité, l'éloignement du bruit du monde pour ses
filles, aucun site n'était favorable comme les rives de l'Hu-
veaune et la vallée de Saint-Giniez (3).
Ces prolégomènes établis, abordons les objections que les
divers auteurs apportent contre notre thèse.
(t) Dictionnaire topoyraphique de V arrondissement de Marseille,
par Mortreuil ; verbo Colombier, pp. 114, 115.
(2) c Descriptio mancipiorum de agro Massiliensi, factum terapore
Venatoris episcopi, decimo anno episcopatus ejus. » (Armoriai et Sigil-
loyraphie des êvêques de Marseille* ut supra, p. 30.)
(3) (l'est le sentiment qu'exprime M. de Rufïi (le père), lorsqu'il écri-
vait dans son Histoire de Marseille, p. 285 : « Cassien, qui était le fon-
dateur de cette abbaye et qui faisait profession de vie solitaire, voulut
bâtir cette maison en ce lieu écarté. »
DEUXIÈME SECTION
Discussion des Objections
CHAPITRE PREMIER
Texte de la Charte 40 du XIe siècle dans le
Oartulaire de Saint-Victor
OBJECTION DE RUFFI, TIRÉE DE LA CHARTE 40 DU XI* SIECLE.— TEXTE
DE CETTE CHARTE. — DONNÉES TOPOGRAPHIQUES FOURNIES PAR
CETTE CHARTE. — LA TERRE DES RELIGIEUSES DE SAINTE-MARIE.
La première objection qui s'offre à nous- est celle que l'his-
torien lluffi énonce en ces termes : « Une des chartes que j'ai
citées ci-dessus pour prouver que Cassien avait été le fondateur
de ce monastère, marque encore que cet édifice était situé au
pied de la montagne de la Garde (1). » Et nous Favons dit,
avec Rutïi se trouvent la Gallia christiana, Lautard, André,
l'abbé Daspres, etc.
Ruffi n'indique pas clairement de quelle charte de Saint-
Victor il entend parler. Car, quelques lignes plus haut, il
s'appuie « sur deux chartes qui disent formellement que Cas-
sien fut le fondateur de cette maison », et en marge il désigne
le folio 14 du grand cartulaire(2). Au folio 14, il n'y a qu'une
charte qui traite de notre sujet, c'est la charte 40. C'est celle-
<1) Ruffi, HMoire de Marnille, t. II, p. 55.
(2) Ruffi, op. rit., p. 44.
— 134 —
là, d'ailleurs, que les auteurs ci-dessus nommés citent à leur
tour.
Voici le passage de ce document en question :
a Non loin de l'église de Saint-Pierre (1), en dehors de la
porte qui est appelée Paradis, aux environs du chemin public
qui vient de l'église de Saint-Thyrse et se dirige vers le port de
Marseille, sont placées les vignes suivantes. Il y a là une vigne
de la contenance d'une demi-quarterée, qui appartient à
Gairald Blanca Lancea, que celle-ci donna à Dieu et à Saint-
Victor. Elle est bornée à l'orient par le chemin de Lauret;
au midi, par la vigne de Ilichao; au nord, par la terre de
Sainte-Marie ou des religieuses demeurant dans le monastère
fondé par Gassien, terre placée non loin du port; h l'occident,
par le chemin qui conduit à la Garde. »
On devine que la phrase dont Ruffi et les autres auteurs veu-
lent faire une preuve de leur assertion est celle-ci : « au nord,
la terre de Sainte-Marie ou des religieuses qui habitent dans le
monastère fondé par Cassien, terre située non loin du port :
a ... a septentrione, terra Sanctœ Mariae vel sanctimonialium,
non longe a ripa porti supradicti, incœnobio quod Pater fun-
davit Gassianus, consistentium. » C'est sur elle donc qu'il
nous faut concentrer toute notre attention.
Selon Ruffi, il n'y a jamais eu de monastère cassianite sur
les bords de l'Huveaune, mais ce monastère a toujours été au
pied de la montagne de la Garde. La preuve qu'il donne c'est
la phrase ci-dessus indiquée, et voici son argumentation :
Si au début du XIe siècle les religieuses de Sainte-Marie
habitent non loin du port, comme le dit la charte 40, puisque
cette même charte ajoute qu'elles habitaient dans le monas-
tère que leur Père Cassien avait bâti, il est certain que, d'après
cette charte, à toutes les époques et de tout temps, le monas-
tère cassianite s'est trouvé non loin du port, au pied de la mon-
tagne de la Garde, et non pas sur les bords de l'Huveaune. Or,
nous disons qu'il est impossible de prouver pareille assertion
par le texte de cette charte 40. On lui donne un sens qu'il n'a
pas. Pour nous en convaincre, entrons dans les détails.
(I) Cartulairede Saint-Victor, charte \0.
— 135 —
D'abord, de quoi s'agit-il dans cette phrase de la charte?
Dune terre: a terra Sanctae Maris ». Or, où se trouvait cette
terre? La charte l'indique clairement: Elle borne, au nord,
la vigne d'une certaine Gairald Blanca Lancea. Mais cette
vigne de Gairald est bornée au midi par la vigne de Richao,
au levant par le chemin de Lauret, au couchant par le chemin
de la Garde. La charte fournit un autre renseignement : les
vignes dont il s'agit sont situées non loin de l'église de
Saint-Pierre, en dehors de la porte Paradis, aux environs du
chemin public qui vient de l'église de Saint-Thyrse et aboutit
au port de Marseille. Lorsque nous connaîtrons chacun de ces
points topographiques, nous aurons remplacement à peu près
exact de la terre de Sainte-Marie.
Saint-Thyrse est le village actuel de Saint-Loup (l). La « via
quœ venit ab ecclesiâ Sancti Thyrsi et vadit in portu Massi-
liensi » est le chemin de Toulon qui arrive à la place Gas-
teilane, et qui, suivant le vieux chemin de Rome, venait abou-
tir, en faisant un coude, au port, c'est-à-dire à la porte de la
ville qui s'ouvrait au Podium Formicarium, près de l'église
des Augustins actuellement (2).
Le Lauret était un quartier de Marseille placé aux abords
de la place Maronne et vers le milieu du cours Belsunce. Ce
nom lui venait d'un oratoire « l'aouret, l'aouretori » qui se
trouvait en cet endroit. Le chemin qui y menait, à peu près
la rue Saint-Ferréol actuelle, s'appelait la « via de Laureto ».
(1) Sanrtus Tyrsus, anciennement Cent/ri* et plus tard Saint-Thyrs,
aujourd'hui Saint-Loup, village situé sur le territoire de Marseille.
(Dictionnaire géographique du cartulaire de Saint-Victoi\ t. II, p. 924.
— Dictionnaire topographique de l'arrondissement de Marseille, par
Mortreuîl, verbo Saint-Loup, p. 336.)
(2) Cette porte s'appelait Porte de la Calade, parce que de ce point
partait la c via que vocatur Galada », qui conduisait à la plaine de
Saint-Michel parla rue d'Aubagne ou de (a Palud. Ainsi, du Podium à
la nie d'Aubagne, le chemin de Saint-Thyrse s'appelait : via Calada. —
< Usque ad columnam flxam in via que vocatur Calada. » Charte 864,
cartulaire de Saint-Victor. — Statistique des Bouches-du-Rh6ne, t. II,
p. 353. — Histoire analytique et chronologique fies actes et délibéra-
tions du corps et du conseil de Marseille, par Guindon et Mery, t. I.
p. 1 19.
— 136 -
Il y a quelques années une rue voisine, celle de Saint-Gilles,
0
qui débouchait sur cette place Maronne, portait encore le
nom de rue de Laurel (1).
Le chemin de la Garde allait de cette montagne au Podium
Formicarium. Le Podium Formicarium, le Plan Four-
miguier ainsi appelé à cause des fourmis qui venaient man-
ger le blé que les navires y débarquaient, commençait à
l'endroit jadis nommé Cul de Bœuf, la place actuelle entre la
Bourse, l'église Saint-Ferréol et le quai de la Fraternité, et
s'étendait jusqu'au bas de la Gannebière (2), à un petit ruis-
seau qui déversait dans le port les eaux d'une tannerie
voisine, d'autres disent les eaux du Jarret qui à cette époque
se jetait dans le port (3). Sur ce Plan Fourmiguier, entre le
rempart qui touchait au port et ce petit ruisseau, se dressait
une colonne en pierre. C'était la limite de la ville comtale et
de la ville abbatiale de Saint-Victor. Au-delà de ce ruisseau
et en remontant jusqu'à mi-hauteur de la Cannebière, com-
mençaient les salines. Elles s'étendaient le long du port, le
(1) Statistique, op. cit., t. II, p. 773, note 2. — Peut-être aussi ce
nom lui venait de ce qu'il conduisait au Rouet. Le mot Lauretum, dit
l'index du Car tu lai re, t. II, p. 876, désigne cette localité ; ou parce qu'il
conduisait au quartier du Lauret, près de la place Maronne. Plus tard
aux abords de cette place on ouvrit la porte Réale, qui s'appelait aussi
porte de Lauret, parce que le poids de Lauret, c'est-à-dire le bureau de
pesage des grains et farines, y était établi. (Meynier, Ancien* Chemins
(le Marseille, p. 13-14. — Rufll, Histoire de Marseille, t. II, p. 204.)
(2) Statistique, op. cit., t. II, p. 773, note 2.— Dans la suite, la dénomi-
nation de Plan Fourmiguier s'est étendue à toute la partie des quais oc-
cupée plus tard par l'arsenal des galères jusqu'aux environs de la place
aux Huiles. (Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 300.)
(3) La charte 917, de 1230, dit : « inter parietem et rivulum qui defluit a
curataria juxta Podium Formicarium. » Mais la charte 1002, de 1204,
appelle ce ruisseau vallato salinarum ; c Quoddam patuum, se i lice t a
vallato salinarum usque ad Podium Furmiguerii.. . 9 Ce vallat, ce ruis-
seau, semblerait provenir du marais de la Palud, de la Font-gate. Une
vue de Marseille, datant de 1655 (Meriam sculpsit), montre des marais
vers le Grand Théâtre, quartier de la Palud, et un ruisseau qui, de ce
point, se jette dans le port dont les quais Est et Sud sont couverts de
salines ou marécages. (Bibliothèque de Marseille, estampes, n° 36. — La
Provence pittoresque et illustrée, publiée jadis par l'imprimerie Olive,
l'a donnée a ses lecteurs.)
— 137 —
contournaient, en occupaient le versant tout le long de Rive-
Neuve, en contre-bas de la rue Sainte actuelle. Bornées au
midi par le chemin qui montait à la Garde, a sicut est via
quœ descendit a Guardia usque ad Poium Formicarium », elles
se continuaient le long de la rive jusqu'à la hauteur de
1 église de Saint-Pierre de Paradis, « ab istà ecclesia Sancti
Pétri usque ad civitatem (l). »
Cette chapelle de Saint-Pierre de Paradis, Rufli, Belsunce,
la Statistique des Bouches- dit- Rhône la placent à l'endroit
où se trouvait l'arsenal ( rue Breteuil, cours Pierre-Puget,
place du Palais de Justice) (2). C'est à peu près, en effet, ce
qu'indiquent les chartes. Nous savons qu'en 1044 Fulco et
Odile, au jour de la dédicace de l'église de Saint-Pierre de
Paradis qu'ils avaient fait bâtir à la prière de saint Ysarne(3),
(1) Statistique des Bouches- •du-ffltône, t. II, p. 351. — Actes et
délibérations etc., par Guindon et Mery, 1. 1, p. 155. — « Cum salinis
et piscationibus et portu navium et omnibus juste et legaliter ad eum-
dem fiscum pertinentibus, conjacentem în coraitatu Massiliensi qui
vulgo Paradisus nominatur, sicut est via quae descendit a Gardia usque
in Poium Formicarium... » Charte 10, 21 ap. 904, cartulaire de Saint-
Victor.— Fulco et Odile donnent à Saint-Victor : a omnem partem nostram
(rase ad nos pertinere débet de salinis, quse in portu civitatis Massiliœ
esse videntur, ab ipsà ecclesia Sancti Pétri usque in civitatem. » Charte
32, de l'an 104 i, cartulaire de Saint-Victor.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p> 179 : « Cette église fut dé-
molie du temps de Bourbon, et le lieu où elle était a donné à tout le
quartier le nom de Paradis. »
Belsunce, Antiquité de V Enlise de Marseille, t, I, p. 396 : « Pons II
rebâtit l'église Saint-Pierre qui était tombée par vétusté. Elle était dans
le quartier de Paradis, à l'endroit où est à présent le Parc. Une partie
du quartier que l'on appelle aujourd'hui Rive-Neuve en dépendait, et a
porté longtemps le nom de clos de Saint-Pierre. »
Lautard, Lettres archéologiques sur Marseille, t. II, p. 376 : « Cette
chapelle de Saint-Pierre de Paradis donna son nom à tout le quartier où
elle se trouvait et la belle rue qui le porte encore aujourd'hui indique û
peu prés le lieu qu'elle devait occuper. »
La Statistique de* bouches-du-Rhône, t. II, p. 352 : « Cette chapelle
de Saint-Pierre de Paradis, une des plus anciennes de Marseille, était où
se trouve maintenant l'arsenal . . . »
(3) Cartulaire de Saint-Victor, charte 32 : « Uoc advenit in mente et
voluntate firmaquatenus œdificaremus ecclesiam in honore Sancti Pétri
apostoli. . . quae olim vetustate destructa ad nihilum devenerat et lundi-
tus corruerat... Quare disposuimus œdifleare ecclesiam supradictam*
consilio atque jussudomini Ysarni felicis mémorise. . »
— 138 —
donnèrent à l'abbaye de Saint- Victor, pour servir à l'entretien
de cette chapelle, trois terres, trois clos plantés de vignes.
Or, l'un de ces clos, le troisième, était situé au chevet de
l'église de Saint-Pierre : a tertium clausum qui est situs ad
caput ejusdem ecclesiae Sancti Pétri (1) ». Ce clos fut appelé
clos Saint-Pierre pendant longtemps (2). Au XI* siècle il por-
tait ce nom, car la charte 40, qui est de cette époque, le
mentionne. Il servait de limite, au midi, à une petite-vigne
qu'un certain David avait donnée à. Sain t- Victor (3). A côté de
cette vigne, en dessous, probablement sur le bord de la mer,
devait se trouver une ou plusieurs tuileries. La charte 40 dit
que cette vigne de David était «ad Teolarias(4) ». Au-delà
de cette vigne de David, et de ces tuileries, s'étendait une terre
comtale (5) que Louis l'Aveugle avait cédée en 904, à Saint-
Victor et qui d'un côté touchait à la mer ( c'est là que se trou-
vaient les pêcheries, le « portusnavium » dont les droits et
les revenus étaient cédés par l'empereur à l'abbaye en 904),
de l'autre montait jusqu'au cimetière, « usque ad carnarium »,
que l'on appelait Paradis.
D'autre part, non loin de cette église de Saint-Pierre de Para-
dis, passait le chemin de la Garde, puisque la vigne de Blanca
Lancea était non loin de l'église de Saint-Pierre, et qu'elle
(1) Cartulaire de Saint- Victor, charte 33 : « ... ego Fulco et uxor mea
Odila, jussu domini Ysarni abbatis. .. cepimus œdificare ecclesiam in
honore beati Pétri, Apostolorum principis... cui, in die suas dedicatio-
nis, dedimus ei in sponsalitio . . . Tertium vero (clausum) quem dedimus,
non quidem plantavimus, sed de nostro adquisivimus, qui est situs ad
caput ejusdem ecclesiœ Sancti Pétri.. . »
(2) De Belsunce, op. cit., 1. 1, p. 396.— Statistique, op. cit., t. II, p. 352.
(3) « Uiiara semodiatam de vinea quam David dédit Sancto Victori . .
ab oriente terminum publicam viam quae vadit ad Guardiam, a mendie
clausum Sancti Pétri de Paradiso. » Cartulaire de Saint-Victor, charte 40,
ad fine m.
(4) Cartulaire de Saint- Victor, charte 40, item ad flnem : c . . . vinea
quae David dédit Sancto Victori quem Pontius Suricis tenet ad fevum,
habemus ad Teolarias. »
(5) c ... salinis... sicut est via quae descendit a Gardia, usque inPoium
Formicarium, una cura terra comitali, quae ante portam castri fore
videtur, usque ad Carnarium. » Cartulaire de Saint- Victor, charte 10,
de 904.
— 139 —
était limitée au couchant par ce chemin de la Garde. De plus,
ce chemin, limite au couchant de la vigne de Blanca Lancea,
bornant à l'orient la vigne de David, située à Teolarias.
Ce chemin passait donc entre ces deux vignes et allait vers le
midi, en moutant à la Garde. Après la vigne de David, il limi-
tait, en le longeant, le clos Saint-Pierre et passait devant la
chapelle dédiée à cet apôtre (1).
Mais, puisque ce chemin de la Garde servait de limite, au
midi, au salines, jusqu'à la hauteur de la chapelle de Saint-
Pierre et qu'arrivé à la vigne de David et de Blanca, il se diri-
geait vers le midi, vers la montagne de la Garde, forcément il
faisait un coude. Or, en supposant l'inflexion de ce chemin à
l'angle des rues Sainte et Fort-Notre-Dame actuelles, on voit
que la chapelle de Saint-Pierre devait se trouver à peu près
à la place de la Corderie ou à celle du Palais de Justice (2).
C'est là que finissait le vaste terrain appelé Paradis.
Cet espace s'étendait devant le portail du monastère, « ante
portam monasterii » . Ce nom lui venait de ce que, dit la charte
32, il servait de sépulture à un grand nombre de corps de
saints martyrs, confesseurs et vierges. Il portait un autre nom,
celui de porte de Paradis : a vocabatur porta Paradisi » , parce
que, aux jours et à l'époque de Cassien, la sainteté des moines
qui habitaient le monastère, la règle admirable que Ton y
suivait lui donnèrent un tel éclat, que l'on put à bon droit
l'appeler le Paradis, jardin rempli des dons de la rosée céles-
te (3). Cet espace de terrain partait de l'abbaye, s'étendait
(1) c Nod longe ab ecclesia Sancti Pétri. . . habetur vinea quai fuit de
GairaJd Blanca Lancea.. . ab occidente terminât via de Gard i a.. . vinea
quam. dédit David Sancto Victori, ab oriente terminum publicam via m
quae vadit ad Gardiam... » Cartulaire de Saint-Victor, charte 40,
passîm .
(2) Ce fut sur cette place, où se trouvait jadis la porte Paradis (ce nom
(ut donné au quartier environnant l'abbaye de Saint-Victor, à cause de la
sainteté des premiers moines qui vivaient dans ce monastère) et qui est
occupée aujourd'hui par le palais de justice, que fut élevée cette fontaine.
(Vie de Monseigneur île Belsunce, par le P. Demi Bérengier, t. II,
pp. 318. 321.)
(3) « Idcirco isdera locus, ad portam monasterii si tu s, vocatus est Pa-
radisus, sicut et nos co m péri m us, quia multorum corporum, videlicet
sanctorum martyrum, confessorum et virginum, eodem loco quies-
— 140 —
d'une part vers la montagne de Ja Garde, jusqu'à un chemin
qui le longeait au midi, « viam juxta locum, quem vocant
Paradisum (1 ) », de l'autre jusqu'à la terre comtale dont nous
■
avons parlé plus haut, a usque ad carnarium (2) »,et finissait à
l'église de Saint-Pierre qui était appelée aussi Paradis, aquae
ecclesia vel locus vocatus est Paradisus», et qui se trouvait
bâtie dans son enceinte, a ecclesise in supradicto loco cons-
truise^) ».
Ainsi donc ce chemin de la Garde partait du Podium Formi-
carium, traversait ce plan, enjambait le ruisseau, côtoyait les
salines de la Cannebière, parallèlement à la rue Beauvau ou à
la rue Paradis, les contournait à la hauteur de la rue de
la Darse, les longeait dans le sens de la rue Sainte, en contre-
bas de cette rue (4), et cela jusqu'à l'église de Saint- Pierre de
Paradis. C'est là que les salines unissaient : « salinse ab ecclesia
Sancti Pelri usque ad civitatem ». A cet endroit, à l'angle des
rues Sainte et Fort Notre-Dame, le chemin de la Garde faisait
un second coude et se dirigeait vers le midi, passant entre
deux vignes, servait de limite, à l'orient, à celle de David, « ab
centium, decoratur auxiliis et suffragatur meritis, imo eliam vere voca-
batur Paradisus et porta Paradisi, quia in diebus Gassiani . . tanta no-
bilitate viguit et sanctitate floruit apostolice et régula ri s disciplina?, ab
his sanctis Patribus tradite, in qua continentur inserte sanctarum ani-
marum oranes delicie, ut merilo et actu etnomine vocaretur Paradisus,
rorisquc superne gratiae illustralus virtutibus.» Charte 32, cartulaire de
Saint- Victor. *
(1) La terre qu'Honoré II, évèque de Marseille, donne à Saint- Victor
en 965, est située autour de l'abbaye, et une de ses limites est : « viam
juxta locum quem vocant Paradisum ». Charte 23 du cartulaire de Saint-
Victor.
(2) Charte 10 du cartulaire.
(3) Charte 32 du cartulaire de Saint- Victor. — Grosson, Remeil des
antiquités et des monuments marseillais, p. 10 etsuiv. — - Statistique
des Bouches-du-Rhône, t. II, p. 352.
(4) Il est incontestable que l'ancien chemin de la Garde n'est pas la rue
Sainte actuelle. L'ancien chemin de la Garde a disparu sous les maisons
que l'on a bâties à l'endroit qu'il occupait. De plus il était eu contre-bas
de la rue Sainte. Les plans et dessins de l'ancienne Marseille font voir
une sorte de plateau s'abaissant brusquement vers la mer, derrière les
arsenaux qui s'élevaient à Rive-Neuve. Voir : vue de Marseille n° 31, Dek
43, tiroir 42, portefeuille 65, 31, a la bibliothèque de Marseille.
— 141 — •
oriente terminum publicam viam quse vadit ad Guardiam(l)»,
de limite, à l'occident, à la vigne qu'un Petrus Algitinus avait
donnée h Saint-Victor et à celle de Bianca Lancea. A ce point,
le chemin passait devant la chapelle de Saint-Pierre, recevait
l'amorce du chemin qui longeait Paradis et montait à la
colline.
Précisons maintenant la position de la vigne de Gairald
Bianca Lancea. Elle se trouve non loin dé l'église Saint-Pierre,
en dehors de Paradis, aux environs du chemin public qui
vient de Saint-Thyrse à Marseille. La chapelle de Saint-Pierre
se trouvant à peu près à la place de la Corderie ou du Palais
de Justice; et le chemin de Saint-Thyrse, étant la rue de
Home, c'est donc entre ces deux points que se trouvent les
vignes de Bianca et des autres particuliers. De plus, la vigne de
Bianca est limitée à l'orient par le chemin de Lauret, au cou-
chant par celui de la Garde. Le chemin de Lauret étant la rue
Saint-Ferréol et ce chemin de la Garde suivant à peu près la
rue actuelle de Fort Notre-Dame, c'est entre la rue Saint-Fer-
réol et celle de Fort Notre-Dame que cette vigne se trouvait.
Or, la vigne de Bianca était limitée au nord par la terre des
religieuses de Sainte-Marie (2)^ donc, cette terre se trouvait
entre la rue Saint-Ferréol et la rue Fort Notre-Dame.
Or, s'il faut placer la vigne de Bianca non loin de l'église
Saint-Pierre, c'est-à-dire non loin de la place du Palais de Jus-
tice, à l'ouest de la rue Saint-Ferréol ; si la terre de Sainte-
Marie est assez grande, puisque elle sert de limite à plusieurs
propriétés à la fois (3), c'est aux environs de la Préfecture, du
Grand Théâtre, du Palais de Justice, en tirant vers le nord, que
se trouvait cette terre de Sainte-Marie ou des religieuses de
Saint-Cassien.
(!) Charte 40 du cartulaire de Saint- Victor.
(2) c ... a septentrione, terra San et se Maria? », etc. Charte 40 du car-
tulaire de Saint-Victor.
(3) Cette terre de Sainte-Marie est à. la fols limite de plusieurs terres :
celle de Petrus- Algitinus est bornée « a meridie terram sanctimonia-
lium, a septentrione idem ipsam terram »; celle de Boniface est bornée
« a meridie supradicta terra ancillarum Dei » ; celle d'AImaric est bornée
« ab oriente vinea SanctîD Mari se, a meridiano terra Sanctsc Maria?.. . »
Charte 40 du cartulaire de Saint- Victor;
10
CHAPITRE II
Texte de la charte 40 du XI9 siècle
(Suite)
ON PBUT DONNER TROIS SENS ▲ CETTE PHRASE DE LÀ CHARTE 40. —
LB PREMIER SENS EST INADMISSIBLE ; EN» 1004, LE CCBNOBIUM EST A LA
PLACE DE LENCHE. — LE SECOND EST INADMISSIBLE ENCORE ; CES
MOTS : C NON LONGÉ A RIPA PORTI » NE SIGNIFIERAIENT RIEN. — LE
TROISIEME SENS EST LE SEUL LÉGITIME. — SIGNIFICATION DES
MOTS : « CŒNOBIUM QUOD PATER CASS1ANIUS PUNDAVIT ».
L'emplacement précis de la terre de Sainte-Marie ou des
religieuses étant déterminé, relisons la phrase en question de
la charte 40 : « terra Sanctœ Maria vel sanctimonialium, non
longe a ripa porti supradicti, in cœnobium quod Pater fun-
davit Cassianus, consistentium ». Quelle est sa signification
exacte?
On ne peut le nier, cette phrase est d'une construction assez
embarrassée. A la première lecture, on lui donne le sens que
Ruffl et les autres auteurs lui ont attribué. Mais, en l'étudiant,
en mettant chaque terme à la place que Tordre grammatical
lui assigne dans le mot à mot, afin de fournir un sens raison-
nable, en tenant compte, bien entendu, de la ponctuation, on
s'aperçoit que cette phrase dit tout autre chose que Ruffl veut
lui faire signifier. Telle quelle est dans la charte, elle est
susceptible de recevoir trois sens différents (1) .
•
(1) Voici le texte en litige : t Non longe ab ecclesià Sancti Pétri, foris
portam quse vocal ur Paradisi, circa viam publicam quse venit ab ecclesià
Sancti Tyrsi et vadit in portu Massiliensi, h» positse suntvinese : l'abe-
tur ibidem vineaquactai rata dimidia,quœfuit deftairaldoBlanca Lancea,
quam dédit Domino Deo et Sancto Victori. Terminât eam ab oriente
via deLaureto; a parte meridianâ, vinea de Richaoja septentrione»
terra Sanctae Mariée vel sanctimonialium, non longe a ripa porti supra.
— 143 —
D abord : * terra Sanctae Mariae vel sanctimonialium non
longe a ripa porti supradicti, in cœnobio quod Pater f undavit
Cassianus, consistentium ». Dans ce premier sens, la terre qui
appartient aux religieuses est remplacement même qui porte
le cœnobium fondé par Cassien. Ainsi terre et cœnobium sont
situés « non longe a ripa porti », près du port.
Ensuite : « terra (pertinens ad monasterium) Sanctœ Mariae
vel sanctimonialium consistentium non longe a ripa porti
supradicti, in cœnobio quod Pater fundavit Cassianus ». Ici,
la terre des religieuses est située à un endroit quelconque, le
monastère seul est « non longe a ripa porti », près du port.
Enfin: a terra (sita) non longe a. ripa porti supradicti
(pertinens ad monasterium) Sanctae Mariœ vel sanctimonia-
lium consistentium in cœnobio quod Pater fundavit Cassianus».
Dans ce troisième sens, la terre est située non loin du port ;
quant à l'emplacement du cœnobium, la charte ne le désigne
pas.
Or, lequel des trois sens est le sens légitime et logique ?
C'est le dernier. Nous allons le prouver.
Impossible, d'abord, d'admettre le premier sens : que la
terre de Sainte-Marie et le cœnobium se trouvent au même
endroit, non loin de la rive du port, t non longe a ripa porti ».
Nous avons établi, en effet, à l'aide du texte des chartes,
que cette terre des religieuses est située aux environs du
Grand-Théâtre ou du Palais de justice, en réalité non loin du
port. Or, si le cœnobium des religieuses du Bienheureux Cas-
sien se trouve aussi en cet endroit, pourquoi Ruffî, Lautard,
l'abbé Daspres, etc., qui mettent en avant cette charte, ne
l'on t^ ils pas dit? Pourquoi Font-ils placé les uns aux Cata-
lans, les autres à Sainte-Catherine, qui au Revest, qui auprès
de Saint-Victor? On le voit, nos adversaires ont été les pre-
miers à ne pas adopter ce premier sens.
Mais, dira-t-on, ces auteurs se sont trompés. Us ont mal lu,
faussement interprété la charte. Ils auraient dû, en adoptant
le premier sens, placer le monastère aux environs du Grand -
dicti, in cœnobio qnod Pater fundavit Cassianus, consistentium ; ab occi-
dent*, item terminât via de Guardia. » Gartulaire de Saint-Victor,
charte 40.
- 144 -
Théâtre, là où se trouvait véritablement la terre des religieu-
ses. Soit. Mais vain subterfuge. 11 est impossible d'induire
des termes de la charte que terre et cœnobium se trouvaient
à l'endroit réellement désigné, aux environs du Grand-
Théâtre.
En effet, nous avons établi que le monastère fondé par
Elgarde en 1004 ne se trouvait pas près de Saint-Victor, mais
à la place de Lenche (1). Or, ou bien cette charte 40 est pos-
térieure à Tan 1004, et alors, comme le cœnobium est à la
place de Lenche, la charte ne peut pas dire qu'il se trouve
de l'autre côté du port. Ou bien elle est antérieure à Tan 1004.
Alors, puisque, d'une %part, cette charte est du XI* siècle, et
que, s'appuyant sur cette charte, les auteurs affirment que le
cœnobium est auprès du port, et que, d'autre part, il est cer-
tain que dès l'an 1004 le cœnobium se trouve à la place
de Lenche, ' il faut nécessairement supposer que, de l'an
1000 à Tan 1004, ce monastère près du port a été détruit.
Or, la cause raisonnable, le motif plausible, la preuve de
cette destruction où est-elle, quel auteur l'a donnée ? Donc,
il est faux qu'il y a un cœnobium près du port, de l'an 1000
à Tan 1004. Donc, la charte 40 ne prouve pas que terre et
cœnobium étaient aux environs du Grand-Théâtre. Donc,
c'était la terre des religieuses qui se trouvait a non longe a
ripa porti », et non pas le cœnobium. Donc, le premier sens
est inadmissible.
admettons qu'en dépit de nos preuves il soit faux que le
monastère fondé par Elgarde en 1004 ait été bâti à la place
de Lenche, mais qu'en réalité il ait été construit près du
port aux environs du Grand-Théâtre, là où se trouvait la
terre de Sainte- Marie ; impossible encore d'admettre ce pre-
mier sens ainsi rectifié.
En effet, si les Cassianites sont non loin du port, aux envi-
rons du Grand-Théâtre en 1004, il est certain qiren 1033 elles
habitent de l'autre côté du port, aux Accoules, en attendant
que le monastère de Saint-Sauveur soit réparé. Cette répara-
(1) Voyefc Je chapitre intitulé : Divers emplacements que le mono*-
Ivre vanianite a occupés.
— 145 —
lion avait été commencée sous l'abbesse Adalmoïs en 1031,
date à laquelle ce monastère était a penitus ex toto déstruc-
tura (1) 9. On pourrait faire remonter h. une dizaine d'années
la fondation de ce monastère ainsi en ruines en 1031, soit
vers 1020. D'autre part, donnons une dizaine ou une quin-
zaine d'années d'existence au monastère fondé en 1004 « non
longe a ripa porti ». Ainsi, en moins de trente ans, deux
monastères ont été construits et renversés? Or, quelle est la
cause de ces destructions successives ? Qui Ta fait connaître ?
Aucun auteur, croyons-nous. Donc, l'existence d'un cœno-
bium « non longe a ripa porti » en 1004, aux environs du
Grand-Théâtre, n'est pas prouvée. Donc, ce premier sens,
même rectifié, est inadmissible.
Faut-il adopter le second : que la terre des religieuses est
aux environs du Grand Théâtre actuel, mais le cœnobium
est « non longe a ripa porti », au Revest par exemple, à
l'emplacement de la chapelle ,de Sainte-Catherine ? On peut
dire que c'est là le sens que Ru fil* La u tard, Daspres, etc. ont
suivi.
Non, ce deuxième sens est encore inacceptable.
Voyez, d'abord, le rôle que l'on fait jouer à ces mots:
« noq longe a ripa porti ». Ils ne se trouvent pas dans
une charte ordinaire, traitant d'un sujet de dogme, de
morale, de religion. Ce n'est pas pour terminer une période
sonore, une phrase à effet qu'on les a écrits. Cette charte 40
indique des confronts, des bornes de propriété. Et dans ces
sortes de documents, pas plus au XI* siècle qu'au XIX*, on ne
s'amuse à faire des phrases. Dans les actes de vente,
d'échange de propriétés, tout doit être précis, chaque mot à
sa place ; aucun terme qui puisse fournir une marque topo-
graphique ne doit être omis ou ajouté sans raison. Or, si ces
mots « non longe a ripa porti supradicti » s'appliquent au
cœnobium et non pas à la terre des religieuses, ils sont d'abord
une redondance, susceptible d'induire en erreur et de plus
ils désignent mal les confronts des propriétés en question.
(I) Voir le chapitre intitulé: Divers emplacements que le monastère
rassfanite a occuvôt*.
— 146 —
Ils sont d'abord une redondance. Combien y avait-il, au
XI* siècle, de monastères de femmes ou de filles, à Marseille ?
Un seul, celui des Cassianites. Combien de maisons habitées
par des religieuses cet ordre y possédait-il? Une seule
encore. Nul auteur, que nous sachions, n'en indique d'autre-
Il était donc impossible de se méprendre. Quand on parlait
du monastère des Cassianites, on savait de qui il s'agissait.
Dire donc d'une terre qu'elle appartenait aux religieuses
cassianites était suffisant. Ajouter que ce monastère était
situé près du port c'était inutile et superflu. On savait bien,
on voyait bien que ce monastère se trouvait près du port.
Ces mots donc, appliqués au cœnobium, afin de désigner
son emplacement, sont une redondance. Et cependant il est
visible, à la simple lecture de la charte 40, que ces mots
placés entre deux virgules, comme dans une sorte de paren-
thèse, ont été inscrits à dessein. Ils ont leur valeur, ils don-
nent une marque topographique.
De plus, si ces mots s'appliquent au cœnobium, la confusion
se met dans la désignation des confronts. Est -il sur, en effet,
que les religieuses cassianites ne possédaient pas, le long du
chemin de la Garde, de Lauret ou de Saint-Thyrse, d'autres
propriétés que celle qui servait de limite à la vigne de Blanca
Lancea? Elles le pouvaient bien. Nous ne possédons pas l'in-
ventaire des biens de l'abbaye cassianite à cette époque. Or,
quand on'lira que la vigne de Blanca est limitée au nord par la
vigne des religieuses qui habitent non loin du port, de laquelle
de ces vignes des religieuses s'agira-t-il ? Sera-ce une désigna-
tion claire, précise, suffisante des confronts de celte propriété
de Blanca? Il y a d'autres propriétés, indiquées dans cette
charte 40, dont il est dit qu'elles sont bornées par la terre des
religieuses. Mais, lorsqu'on aura dit qu'elles sont bornées
par la terre des religieuses qui habitent près du port, si les
religieuses ont plusieurs • terres en cet endroit du terroir,
laquelle de ces terres sera la délimitation ? Et si ce monastère
cassianite vient à changer d'emplacement, quel propriétaire se
contentera de lire dans ses actes que son bien est limité par la
terre des religieuses qui sont auprès du port, alors qu'elles n'y
demeurent plus. Et si cet ordre vient h fonder plusieurs mai-
— 147 — •
sons, Time près du port, une autre ailleurs, qui nous dit que ce
seront les religieuses demeurant près le port et non pas les
autres qui seront les légitimes propriétaires de cette terre ? Et
alors quelle manière de désigner les borne3 d'une propriété
que de dire: Elle est limitée par la terre des religieuses qui
sont auprès du port !
Non, toute charte qui indique les çonfronts d'une propriété
ne peut causer de pareilles erreurs.
D'ailleurs, à soutenir cedeuxième sens, on se heurte tou-
jours aux mêmes impossibilités. La charte 40 est du XI* siècle,
d'après le cartulaire. Or, ou elle est antérieure à l'an 1004,
alors comment expliquer qu'il y ait au début du XI* siècle un
cœnobium « non longe a ripa porti », au Revest, à Sainte-
Catherine, et que ce monastère soit, en 1004, à la place de
Lenche ? Ou elle est postérieure à Tan 1004 ; alors, puisque
dès cette année 1004 le cœnobium s'élève à la place de Len-
che, la charte ne peut vouloir dire qu'il se trouve auprès du
port, aux endroits préférés par les auteurs. Ici encore il faut
dire que l'on donne à la charte 40 une fausse interprétation.
Reste le troisième sens : la terre des religieuses est située non
loin du port (aux environs du Palais de justice ou du Grand-
Théâtre). Qaant à l'emplacement du cœnobium, la charte n'en
dit rien.
Nous soutenons que c'est là le sens, seul logique et légi-
time, qu'il faut donner à cette phrase de la charte 40.
D'abord, en ce faisant, nous évitons la contradiction dans
laquelle tombent la plupart des auteurs, Ruffi, Lautard, Das-
pres, etc., etc., qui s'appuyant sur cette charte pour prouver
que le monastère était à Sainte-Catherine au XI* siècle, affir-
ment que peu après 867, ce monastère se trouvait dans l'inté-
rieur de la ville 1 Nous, du moins, en plaçant seulement la
terre des religieuses non loin du port, nous demeurons libre
de placer le monastère où nous voudrons, au Revest, à la place
de Lenche, ou à Sainte-Catherine. •
Ensuite, avec ce sens, les termes de la charte conservent
leur signification naturelle. Ce ne sont plus des redondances,
des mots inutiles pouvant plus tard amener la confusion dnns
la recherche des limites des propriétés. Tout est clair, précis.
• — 148 —
La terre des religieuses est un vaste domaine situé non loin
du port. Et cette terre sert de limite à telles et telles pro-
priétés. On ne peut se tromper. Que les religieuses en pos-
sèdent d'autres, qu'elles habitent ici ou là, n'importe, il
n'y aura pas de confusion. C'est de la terre placée près du
port qu'il s'agira.
De plus, nous nous maintenons dans le sens général de la
charte 40. C'est un plan terrier, un cadastre en petit que cette
charte (1), On n'y parle que de terres, de vignes, de prairies,
et il s'agit, à plusieurs reprises, de cette terre des Religieuses.
Mais on se sert toujours des mêmes termeç : « terra ancilla-
rum Dei, vinea Sanctae Mariae, terra sanctimonialium ». Jamais
un mot du cœnobium, excepté dans la phrase en question.
Sans doute le moine rédacteur de ce document aurait pu
s'exprimer avec plus de clarté et de précision. Mais, enfin, il
faut prendre sa charte telle qu'elle est.
Nous tombons d'accord avec les données historiques. Dès
l'an 1004, les Cassianites habitent, la place de Lenche ; h cette
époque aussi, au XI- siècle, elles possèdent une terre, de l'au-
tre côté du port et non loin de sa rive, la terre de Sainte-
Marie, la vigne de Sainte-Marie. Plus de contradiction, plus
de monastère bâti et détruit en l'espace de quelques années.
Enfin, nous sommes en règle avec la véritable date de ce
document. C'est ici, en effet, l'argument qui brisera, croyons-
nous, toutes les résistances. Quelle est la date de la charte
40 ? Le Cartulaire la met au nombre de celles qui appartiennent
au XI* siècle. Mais de quelleannée ?
Nous crovons l'avoir trouvée. Cette charte, faisant mention
de la vigne de David, dont on a parlé plus haut, dit qu'elle est
bornée au midi par le clos de Saint-Pierre de Paradis (2). Or,
ce clos de Saint-Pierre fut cédé, on s'en souvient (3), à cette
(1) Elle est intitulée : c Memoria, sive notitia de diversis divisiontbus
stye partibus terrarum vel vinearum pertinentium adcellariam. » Charte
40 du Cartulaire.
(2) c Vinea quam dédit David Sancto Victori . . . ad Teolarias. .. a me-
ridie clausum Sancti Pétri de Paradiso. » Charte 40, cartulaire de Saint-
Victor.
(3) « Tertium clausum quem dedimus .. qui est si tus ad caputejus-
dem ecclesia* Sancti Pétri. » Charte.33, cartulaire de Saint-Victor.
— 149 —
chapelle par Fulcoet Odile, qui, vers Tan 1044, firent rebâtir,
à la prière de saint Ysarne, l'antique chapelle de Saint-Pierre,
et lui donnèrent en dot plusieurs terres parmi lesquelles se
trouvait ce clos situé au chevet de ladite chapelle. Ceci se
passait postérieurement à Tan 1044, puisque la charte qui rap-
pelle la détermination que prirent Fulco et Odile de rebâtir la
chapelle est marquée, dans le Cartulaire, de la date 1044, et
que ce ne fut qu'au jour de la dédicace, peut-être un an ou
deux après, qu'ils donnèrent la dot de la chapelle. Aussi la
charte qui indique la cession de ce clos porte, dans le Car-
tulaire, la date approximative de 1038-1048. Donc, la charte
40, qui parle du clos de Saint-Pierre, est postérieure à Tan
1038-1048.
Or, de l'aveu de tous les auteurs, de Rey, Daspres, André,
Lautard, Ruffi, etc., les Cassianites se trouvaient, à cette
époque, dans la ville. Sous l'abbesse Adalmoïs, en 1031, on
restaure le monastère de Saint-Sauveur, à la place de Lenche,
et les religieuses habitent momentanément aux Accoules.
Donc, il est impossible que cette charte 40 dise que, an XI-
siècle, il y avait non loin du port une terre et un cœnobium.
Il y avait une terre aux environs du Grand-Théâtre, en réalité
non loin du port ; mais le cœnobium était en ville. Donc,
Ruffi avait tort de vouloir prouver l'existence de l'abbaye
cassianite au pied de la Garde, à Sainte-Catherine, par cette
phrase de la charte 40. Il donne à ce texte une interpréta-
tion forcée, dont les faits démontrent la fausseté. Cette phrase
fournit deux détails : qu'au X? siècle l'abbaye cassianite pos-
sédait une tejrenon loin du port, et qu'à cette époque l'abbaye
était sous le vocable de Sainte- Marie. Telle est la seule et
vraie signification de cette phrase de la charte 40, tant invo-
quée par Ruffi.
Nous prévoyons deux objections. D abord vous avez donné,
nous dira-t-on, à la charte 40 un sens autre que celui qu'il
faudrait lui assigner. Ruffi, Lautard, Daspres se sont trom-
pés, c'est vrai, mais vous aussi. La charte 40 étant du
XIe siècle et à cette époque le monastère cassianite se trouvant
à la place de Lenche, la terre peut être il l'endroit qu'indique
la charte, mais les mots « non longe a ripa porti » doivent
t)
— 150 -
s'appliquer non pas il cette terre, mais au cœnobiuin de la
place de Lenche, qui en réalité n'est pas loin du port. Soit,
répondrons-nous. Si on veut cette signification, nous l'accep-
tons, sans l'approuver cependant. Mais, dans ce cas, il faudrait
par avance avouer catégoriquement que Rufii et les autres
ont eu tort de se servir de ce texte pour prouver que au
XIe siècle il y avait un monastère à Sainte-Catherine, sur la
rive du port, du côté de Saint- Victor.
On nous objectera ensuite : Si, aux termes de la charte 40,
la terre des religieuses est auprès du port, et le monastère,
à cette époque, à la place de Lenche, comment affirmer, avec
la même charte, que ce cœnobium a été fondé par Cassien,
puisque il a été fondé par Elgarde? Et d'abord, répondrons-
nous, si, au dire de Ru fû et autres, le monastère était non
loin du port, sur la rive, près de Saint-Victor, à Sainte- Cathe-
rine, comment nos adversaires s'y prendraient-ils pour sou-
tenir que ce monastère a été fondé par Cassien? Voudraient-
ils affirmer que le cœnobium antique n'a jamais été démoli,
que c'est matériellement le même qui fut bâti par le saint
fondateur ? Cela n est guère possible. Doue, pas plus que nos
adversaires nous ne voulons soutenir que Cassien a bâti le
cœnobium de Lenche.
Evidemment il faut donuer à l'expression « cœnobium fun-
dare»unsens plus large 'que celui de bâtir un monastère.
Le style des chartes et des écrits anciens nous y autorise. Eu
effet, lorsqu'il est question, dans les chartes, de Cassien
établissant ses religieux à Marseille, on se sert des expressions :
« cœnobium sic viguit, monasterium instituit, duo monas-
teria condidit (1) » ; ces termes « cœnobium, monasterium »
ne désignent pas la seule construction matérielle de l'abbaye
de Saint-Victor, puisqu'il y eut jusqu'à 5000 religieux qui se
rangèrent sous la juridiction de saint Cassien et ces cinq mille
religieux ne se trouvaient pas tous dans un seul monastère,
(1) « Cœnobium Massiliense, priscorum temporibus sic viguit... ut
quinque millium monachorum numerus ibi reperiretur, in SanctiCas-
siani teinpore. » Cartulaire de Saint-Victor, charte 532.
« Cassianus... Massiliam... instituit monasterium in quo usque ad
quinque miilia monachorum extitit Pater. » Martyrologe de Toulon, de
- 151 -
une seule maison. Ces mots signifiaient donc ordre, commu-
nauté. Les lexiques, d'ailleurs, donnent au mot cœnobium la
signification multiple de communauté, abbaye, couvent,
monastère. Donc, le « in cœnobio » de la charte 40 ne veut pas
dire la maison matérielle, elle signifie la communauté, Tordre,
l'institut des Gassianites.
D'autre part, il est assez rare, croyon3-nous, de trouver
l'expression « cœnobium fundare » avec la signification de
bâtir un monastère. Cyprien, le disciple de saint Césaire
d'Arles, voulant exprimer cette idée, a employé les mots de
« monasterium construere, cœnobium extruere Ci)». Le
concile d'Agde a dit : « collocare monasterium (2) » ; la
charte 14 : a monasterium a Cassiano constructum (3) ».
Donc, l'expression « in cœnobio quod f undavit » de la charte
40 ne peut se traduire par maison que bâtit le bienheureux
Cassien . Quelle est la vraie signification ?
Dans la charte de. 1069, Pons II, évêque de Marseille, et
Geoffroy, son frère, parlant du monastère que Guillaume leur
père voulait rebâtir, disent qu'il avait été « a beatissimo
Cassiano fundatum (4) ». Pons II et Gooffroy ne veulent pas
b affirmer que Cassien avait fait bâtir ce monastère. Donc, il
faut traduire a in cœnobio quod f undavit Cassianus » par le
•
H 40, cité par le chanoine Albanés dans Le Couvent royal de Saint-
Maximin en Provence, p. 3, note 2.
* Cassiartus. . . duo monasteria condidit id est virorum ac mulierum.»
Gennade, De illustribus ecclesiœ scriptoribus . Patrol. lat., édit. Mignè,
l. LVII1.
« Cassianus hoc praesens monasterium... et aliud olim sibi vicinum
mire condidit. f Charte de 1440, citée par Kothen, Notice sur les
f'njptes de Saint- Victor, p. 97.
(1) Vite Cœsarii episcopi Arelatensis a Cypriano ejus discipulo,
dans Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis par Vinc. Bar rai is,
t. 1, pp. 235, 236: c Monasterium quod sorori ejus et cœteris virginibus
construebatur.... feminarum extruxit cœnobium. »
(2) a Monasterium novum... nullus incipere aut fundare prsesumat »
[Can, 48.) « Monasleria puellarum longe a monasteriis monachorum col-
locentur. » (Can. 49. Concil. Aoathensis.) (Sunnna omnium concilio-
rum, par Carranzam, p. 254.)
(3) Cartulairede Saint-Victor, charte 14.
(I) Charte de Pons II, en 1069 (André, Histoire de l'abbaye des reli-
fjieuses de Saint-Sauveur, p. 207.) Cartulaire de Saint-Victor, n° 1079.
— 152 —
sens de communauté, d'ordre que Cassien avait établi, ou les
religieuses établies par Cassien.
La première objection de Ruffi, sans contredit la plus
forte, est ainsi résolue. Alléguer ce texte de la charte 40, pour
prouver que le monastère où sainte Ëusébie a vécu n'était pas
sur les bords de l'Huveaune, mais près de Saint-Victor, non
loin du port, à Sainte-Catherine par exemple, c'est s'appuyer
sur un argument sans valeur. MM. Daspres, Lautard,
André, etc.,ayant employé le même argument, sont convaincus,
à leur tour, de s'être servis d'une arme sans portée.
CHAPITRE III
Inscription d'Eugénia
OBJECTION DE RUFFI. — L'INSCRIPTION D'EUQENIA N'APPARTIENT PAS
AUX IV\ V*, VI*, VII*, VIII* SIÈCLES. — AGES JÊPIGRAPHIQUES, ET
LEURS TRAITS CARACTÉRISTIQUES. — ELLE EST DU IX* SIÈCLE. —
SI ELLE APPARTENAIT AUX IV*, Ve, VI*, VII*, VIII* SIÈCLES, ELLE
SERAIT L'INSCRIPTION D'UNE RELIGIEUSE MORTE A L'HUVEAUNE ET
INHUMER A PARADIS.
Nous passons à la seconde objection qui nous est faite par
Kuffi, André, La u tard, etc. Voici les paroles de Ruffi (1) :
« U est certain qu'il était au môme lieu où nous avons vu la
chapelle de Sainte-Catherine, qui n'était guère éloignée du
monastère de Saint-Victor, qui fut démolie en 1685 pour y
bâtir le canal et quelques édifices à l'usage des galères. Car ce
qui fortifie ce que je viens de dire c'est que depuis environ
quelques années que Ton creusait les fondements de la
maison que Ton avait construite pour y fabriquer la pou-
dre, et qui fut abattue aussi en 1685, on découvrit quantité
de tombeaux de pierre de taille, fails en forme de caisse,
avec leurs couvertures, qui étaient remplis d'ossements, parmi
lesquels on en trouva un, fort avant dans la terre, où il y
avait au dessus une petite pierre de marbre qui contenait cette
épitaphe :
HIC REQUIESCET BONE
MEMORISE EUGENIÀ ANCILLA DEI
CUI VEXIT ANNUS ZZXXVI RECESSIT
VI NONAS MARSIAS
0 0
g Tous ces tombeaux marquaient que ce lieu était ancien-
nement un cimetière, et que c'étaieut des religieuses qu'on y
(I) Rufli, Histoire de A/am'i7ft% t. II, p. 55»
— 154 -'
avait ensevelies. Elles ne peuvent être que celles dont nous
parlons, puisque nous ne trouvons point qu'il y ait à Mar-
seille des religieuses si anciennes que celles-ci. »
Selon Ruiïi doftc, l'abbaye cassianite de femmes était pro-
che l'emplacement de la chapelle Sainte-Catherine, jparce
qu'on a découvert à cet endroit des tombeaux de religieuses,
entre autres celui d'Eugenia.
Cette objection parait bien forte, cependant elle ne résiste
pas à un examen approfondi.
D'abord, prenons le texte de Rufli par le détail et voyons
ce qu'il pèse: « En 1675, on découvrit quantité de tombeaux
de pierre de taille, faits en forme de caisse, avec leurs cou-
vertures, qui étaient remplis d'ossements. » Or, parmi ces
tombeaux « on en trouva un fort avant dans la terre », celui
d'Eugenia. D'après le contexte donc, ces tombeaux n'ont pas
été découverts tous à la môme profondeur. Les premiers dont
parle Ruffi, on les a trouvés au niveau des fondations qne
l'on creusait, et celui d'Eugenia, « fort avant dans la terre *.
Or, nous savons par les rapports des ingénieurs qui ont dirigé
les travaux au bassin du carénage, que le sol,* sur ce point
de Marseille, a été exhaussé à diverses reprises (1). Le tom-
beau d'Eugenia peut donc appartenir aux cinq ou six pre-
miers siècles de notre ère ; quant aux autres, ils sont d'une
époque postérieure, du IX* , du X* siècle peut-être. Partant
ils ne sont d'aucune utilité à M. Ruffi pour la démonstration
de sa thèse : que l'abbaye cassianite s'élevait près de la cha-
pelle de Sainte-Catherine. Nous admettons, on le sait, que
dès la fin du VIIIe siècle, jusqu'en 923, l'abbaye a pu se trou-
ver en cet endroit.
a Tous ces tombeaux marquaient que ce lieu était ancienne-
ment un cimetière. » C'est vrai, jusqu'au X* siècle au moins
on a enterré à cet endroit. La charte de 904 parle d'une terre
comtale qne l'empereur Louis l'Aveugle donnait à Saint-Vic-
tor, et qui allait de la nier « usque ad carnarium (2) ». Cet
endroit iaisait donc partie du cimetière de Paradis.
(\) Echo de Notre-Dame de la Garde (Monographie sur l'abbaye de
Saint- Victor-les-Marseille par M. Grioda), n° 324.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, 1. 1, charte 10.
— 155 —
Roffi ajoute : « Tons ces tombeaux marquaient que c'étaient
des religieuses qu'on y avait ensevelies .. . » Et la preuve?
Auffi semble n'eu apporter qu'uue seule : l'épitaphe qui se
trouvait sur la tombe d'Eugenîa!! Or, cette preuve ne vaut
rien ! Qu'Eugenia ail été une religieuse, son inscription le fait
croire. Mais que les ossements des autres tombeaux appartien-
nent à des religieuses, lluffi aurait été fort embarrassé pour
le démontrer. De plus, il a été prouvé que dans le cimetière de
Paradis il n*y avait pas d'emplacement spécialement réservé
aux religieuses, au moins jusqu'au XI* siècle, date des chartes
deFulco et d'Odile (1), Donc il n est pas probable que ce soient
des religieuses que Ton ait ensevelies dans ces tombeaux. Donc
l'affirmation de Ruffi n'a aucune valeur.
Et si Ton voulait quand même voir dans ces tombeaux des
sépultures de religieuses, comme ces tombes sont postérieures
à celle d'Eugénia et qu'elles appartiennent aux IX*, X* siècles
peut-être, Rufti ne peut encore en tirer aucun avantage pour sa
thèse. Aux IX* et X* siècles, l'abbaye cassiauite était probable-
ment à cet endroit. Les détails du texte de lluffi, on le voit,
n'ont aucune valeur contre nous.
Reste l'inscription d'Eugénia. Est-ce l'épitaphe d'une reli-
gieuse? A quelle époque appartient-elle? Ce document prouve-
t-il que l'abbaye cassianite était au même lieu où nous avons
vu la chapelle Sainte-Catherine ?
Eugénia est appelée « ancilla Dei ». Or, ce terme signifie-t-il
religieuse? « C'est à tort, selon moi, a dit M. Edmond Leblant,
que l'on voit dans les mots « ancilla Dei » la désignation spé-
ciale des religieuses. Le titre de serviteur de Dieu était deve-
nu celui de la généralité des chrétiens. Si Ton peut citer sur
ce point quelques exceptions de détail, le fait n'en reste pas
moins hors de doute La seconde partie du traité De eultu
ferninctrum, où Tertulien reprend le luxe inconvenant des
femmes chrétiennes, débute par les expressions : « Ancillse Dei
vivi, conservae etsorores me» v, qui ne s'adressaient pas ap-
paremment aux religieuses. La même mention se lit, d'ailleurs,
sur les tombes de femmes mariées (2). »
(1) Cartulaire de Saint-Victor, chapitre de l'introduction.
(2) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au
— 156 —
«
Nous croyons juste l'assertion de M. Leblant. Daus son ou-
vrage : Inscriptions chrétiennes de la Gaule, nous en trou-
vons notamment une du VI* siècle : « Ancella ad Dcminum
festinat. » Dans le tome I des Inscriptiones christianœ urbis
Romœ par M. de Rossi, nous avons trouvé trois marbres portant
ce terme a ancilla Dei », dans aucun il n'apparaît qu'il s'agisse
de religieuses (1). L'abbé Martigny en donne un autre, celui de
Praetiosa, enfant de douze ans, qui est appelée vierge, et de plus
a ancilla Domini etChristi (2) ». Il ne s'agit pas, ici encore, de
religieuse. Les auteurs ecclésiastiques nous fournissent aussi
des textes à l'appui de l'opinion de M. Leblant. Gennadius, prê-
tre à Marseille, rapporte qu'Eutropius a scripsit ad duas sorores
suas, ancillas Christi, quseob devotionem pudicitise etamorem
religionis exheredatae sunt a parentibus (3) ». Ici non plus il ne
s'agit pas de religieuses dans la force du terme. On pourrait en
dire autant du texte de saint Augustin : « intactisque ancillis
Christi (4) », de celui de Grégoire de Tours : « Propria Dei an-
cilla ipsi sedulodeservire(5)». A notre humble avis, dans ces
VIIJ* siècle , t. 1, p. 123, note. — M. de Rossi, lnscript. christ, urbis
Romœ, 1. 1, n° 739, p. 322, donne un marbre daté de 447ou 460, et portant
le nom de Gaudiosa, qualifiée de « clarisshna femina ancilla Dei ». — ►
Leblant, op. cit., t. I, n° 708.
(1) N»6JÎ de l'année 440: « Hic Honorantiœ ancillae Dei », p. 286; —
« Hic quiescit Gaudiosa clarissima femina ancilla Dei, quae. .. », de l'an-
née 447-460. n° 739, p. 322 ; — «... ancilla Dei quae vixit. . . », de Tannée
381-434, n°91l, p. 406. — Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. II, p. 708.
(2) Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, p. 663 ; « Prsetio-
sa, puella annorum virgo XII tant uni, ancilla Dei et Christi. »
(3) Gennade, Eutropii, Patrologie latine, édit. Migne, t. 58, col. 1887.
(4) Ces mots sont en opposition avec viduis, midieribus nUptiset rir-
ginibus nupturis. « Quse faciunt pudoris immemores etiam feininisfemi-
nae jucundo turpiter et ludendo, non solura a viduis et intactis aucillis
Christi in sancto proposito constituas, sed omnino nec a mulieribus
nuptis et virginibus sunt facienda nupturis ». Il s'agirait, selon nous.de
personnes qui vivant dans le monde, avaient fait vœu de virginité, et
non pas de religieuses proprement dites. D'autant plus que saint Au-
gustin, dans la même lettre, appelle les religieuses : « famula? Dei «.(Opé-
ra sancti Augustini, t. II, col. 964. Patrologie latine, édit. Migne.)
(5) Il s'agit de sainte Clotilde qui, à la mort de ses petits enfants, s'oc-
cupa exclusivement de faire du bien aux églises et aux monastères (Gré-
de Tours, Histoire des Francs, livre III, chap. 18<)
— 157 —
textes, cette expression équivaut à « famulaDei »,en français:
humble servante de Dieu, pieux serviteur de Dieu, selon le
sens que nous donnons aux paroles de la Vierge Marie : ce Ecce
ancilla Domini ». Après avoir trouvé ce terme sur les lèvres de
la Mère de Dieu, il est tout naturel que les chrétiens en or-
nassent les tombes de celles qui avaient vécu dans la pratique
des vertus chrétiennes.
Mais «il est incontestable aussi que ce terme équivaut sou-
vent à celui de religieuse.
Possidius, écrivant la Vie de saint Augustin, dit, de la sœur
du grand et saint évoque, qu'elle était : « prœposita ancilla-
mm Dei (1) ». Saint Grégoire le Grand composa l'oraison:
« super ancillas velandas » ; ce pape, appelle les religieuses
par ce nom, soit dans ses lettres, soit dans ses autres ouvra-
ges (2) . L'auteur de la Vie de saint Césaire dit des religieuses
d'Arles : a Turbatae sunt ancillae Dei (3) ». Saint Eucher com-
mence un traité par : a Venerabiles filiœ, servi et ancillse
Dei, clerici, monachi et virgines (4) r> . « Ancilla Dei signifie
donc religieuse. Maison peut faire une remarque, c'est que le
contexte indique toujours qu'il s'agit bien de personnes consa-
crées à Dieu, lorsque le terme « ancilla » a cette signification.
Or, dans l'inscription d'Eugenia, que veut dire le terme
€ ancilla Dei » ? S'agit-il simplement d'une bonne chrétienne,
fidèle à la vertu, ou d'une religieuse, d'une personne consa-
crée à Dieu ? Rien dans le contexte ne l'indique. On pourrait
donc à la rigueur soutenir qu'Eugenia était une pieuse chré-
tienne de Marseille. L'argument deRuffi, du coup, perd toute
sa valeur.
A quelle époque appartient cette inscription ? Elle est de la
fin du VP siècle ou du début du VII" siècle. Nous l'établirons
(1) Possidius, Vita sancti Augustini, ch. 26. {Opéra sancti Augus-
tini, t. II, col. 55. Patrologie latine, édition M igné.)
(2) Grégoire le Grand, dans sa lettre à Respecta de Marseille, appelle
les religieuses : « ancillae Dei ». — Dans une lettre de ce pape, Patrologie
latine, édition Migne, t. 77, col. 881, on lit : « De medietate vero ancillis
Domini Dei, quas vos grœca linguà dicitis monastrias, lectisternia emere
disposui, quia multa? sint... »
(3) Barrai i s, Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis, t. I, p. 255i
(h) Eucher (Patrologie latine, édition Migne, t. 50, col. 1210.)
11
— 158 —
avec quelques détails dans un chapitre subséquent (1). Une
conséquence à en déduire. Comme à ce moment le mot « ancilla
Dei » est assez fréquemment employé pour désigner une reli-
gieuse, on peut dire avec quelque certitude qu'Eugenia en
élait une. Nous le croyons, en effet.
Or, de ce qu'Eugenia vivait au VI* ou VII* siècle, qu'elle a
été inhumée aux environs de la chapelle Sainte-Catherine,
est-ce une preuve que 1 abbaye cassianite se trouvait à cet
endroit aux VI*, VII* siècles et même depuis sa fondation ?
Point du tout.
En effet, ne pouvons-nous pas supposer, et cela raisonna-
blement, avec un fond de vraisemblance bien établie, que,
tout en demeurant aux bords de l'Huveaune, comme nous le
supposons, les religieuses cassianites aient tenu à se faire
ensevelir auprès de Saint-Victor ? Oui, la supposition est
permise et très légitime. Rappelons-nous que les champs au-
près de Saint- Victor qui avaient été la nécropole des chrétiens
aux premiers siècles (2) ; qui servaient probablement encore
de cimetière au X* siècle (3) ; rappelons -nous, dis- je, que ces
champs sont appelés Paradis parce que les corps de beaucoup
de martyrs, de confesseurs et de vierges y reposent (4) ; rap-
pelons-nous que Ton montre, vers Tan 1000, au jeune Ysarne
qui visite Saint- Victor, les tombes des saints martyrs, qu'a en-
tourent au loin, dans les champs environnants, les innombra-
bles confesseurs qui jadis furent religieux dans ce monas-
tère ». Rappelons-nous, enfin, qu'à ces âges de foi, le désir
du chrétien, sa consolation dernière, le plus grand honneur
que Ton pouvait accorder à sa dépouille était de reposer au—
près du tombeau de quelque martyr, de quelque saint confes-
seur (5).
(1) Cf. chap. VI: Inscription de Sainte Eusébie .
(2) Grosson, Recueil des antiquités et des monument s marseillais,
p. 98.
(3) Charte 10 du cartulaire de Saint-Victor.
(4) « Vocatus est Paradisus quia multorum corporum, videlicet sanc-
torurn martyrum et virgînum, eodem loco quiescentium. » Charte 32»
cartulaire de Saint- Victor.
(5) Dès les temps antiques, les fidèles pensaient que les restes des
— 159 —
Or, tandis que les moines de Saint- Victor ambitionnent
d avoir un coin de ce champ de repos pour y dormir après
leur mort auprès des corps des saints martyrs qu'ils honoraient
à l'abbaye, de ces saints confesseurs qui avaient été leurs
frères en religion, vous pouvez supposer que les religieuses
cassianitea dus V\ VI*, VU* siècles n'ont pas désiré, n'ont pas
réclamé, une place auprès de ces martyrs de la foi, ou de cette
foule de vierges chrétiennes des premiers âges, et de cette
foule surtout de vierges, jadis leurs compagnes dans l'abbaye?
La supposition est à ce point légitime, qu'elle est la vérité.
Que vous dit la tradition? Qu'Eu se bie et ses compagnes ont
été martyrisées aux bords de l'Huveaune, qu'on a jeté leurs
corps sanglants dans un puits, que les colons les en retirèrent
et vinrent les ensevelir dans les cryptes de Saint -Victor. Or,
s'il avait été d'usage d'ensevelir les Cassianites auprès de leur
monastère, les colons n'auraient pas eu l'idée de les porter
à Saint-Victor. Ils auraient retiré du puits les corps des
martyres, leur auraient donné dans la chapelle, sur le théâtre
même de leur glorieuse mort, une sépulture honorable. -C'eût
été plutôt fait et avec moins de risques et de périls. Mais non,
leur première idée est de porter ces restes vénérables dans les
cryptes de Saint-Victor. D'où vient ? Est-ce pour les mettre
plus en sûreté? Erreur, ils l'eussent été davantage, enterrés
auprès de l'oratoire incendié, ou çà et là dans les champs de
Paradis, que tous réunis dans les cryptes. Si on inhume dans
les cryptes les vierges cassianites, c'est que leur mort est
l'objet de l'admiration de tous, c'est qu'on les regarde, sinon
comme des martyres, du moins comme des modèles achevés
d'héroïsme et de vertu. Mais, si on a pensé tout d'abord à les
porter à Saint- Victor, c'est qu'on avait l'habitude d'ensevelir
à Paradis les religieuses de l'Huveaune qui mouraient.
saints les protégeraient, dans la tombe, contre les redoutables atteintes
da démon, les recommanderaient à la miséricorde divine. (Edmond Le -
blant, op. cit., p. 146.)
Saint Ambroise dît : « Commendabiliorem Deo futurum esse me cre-
dam, quod supra sancti corporis ossa quiescam. » (Opéra, t. II, col.
1118.)
C'est ce que signifient ces locutions que l'on trouve si souvent dans les
anciens écrits : c sociari martyribus, ad sanctos martyres », etc.
- 160 -
Quoi donc aurait pu empêcher cet usage d'exister? La distance
des bords de l'Huveaune aux champs de Paradis ? A notre
époque, telle paroisse que nous connaissons porte ses morts
à une grande heure de distance. Le nombre peut-être trop
grand de décès des religieuses, ce qui aurait pu occasionner
des sorties trop fréquemment répétées du monastère ? Outre
que la clôture n'était pas une règle aussi sévère à cette époque
qu'à la nôtre, l'abbaye de rHuveaune ne devait pas compter
un nombre si grand de religieuses, qu'il dût y avoir un décès
tous les jours, toutes les semaines, tous les mois. Si sainte
Eusébie dirigeait quarante religieuses, il n'y a pas d'appa-
rence que l'abbaye ait compté jamais, sauf peut être en 838,
un nombre bien considérable de religieuses. Donc on peut
soutenir avec beaucoup de vraisemblance et de raison qu'aux
V*, VI* et VII* siècles, les religieuses cassianites se faisaient
inhumer dans les champs de Paradis. L'endroit où reposaient
leurs dépouilles mortelles était peut-être aux environs de la
chapelle de Sainte-Catherine. Les sarcophages découverts en
1685, à cet endroit, étaient les tombes de ces saintes filles de
Cassien, et l'inscription l'épi taphe de l'une d'entre elles. Ainsi
l'objection de Ruffi devient sans force et sans valeur.
Mais nous dirons aussi qu'à notre avis cette inscription
appartient au VIII*, ou IX* siècle ; que partant Eugenia était
une religieuse inhumée à cette époque aux environs de la
chapelle de Sainte-Catherine. De ce chef encore, l'objection de
Ruffi essuie une nouvelle réfutation. En effet, en 818 ou à.
peu près, l'abbaye cassianite existe, puisque Vadalde, évéque
de Marseille, fait opérer le dénombrement des serfs, des colons
appartenant à l'abbaye, dans le quartier du Colombier (1).
En 838, l'abbaye existait encore, puisque les pirates normands
enlèvent un certain nombre des religieuses qui l'habitaient (2).
En 867, l'abbaye était debout encore, puisque, s'il faut en
croire Ruffi, les Normands la saccagèrent (3). En 923, elle
(1) « Descriptio mancipiorum de agro ColumbaHo, factum tempore
Guadaldi, indictione XI. » De Belsunce, Antiquité de V Eglise de Mar-
seille, 1. 1, p. 302).
(2) Annales de Saint-Bertin en Tannée 838.
(3; Ruffl, Histoire de Marseille^ t. II, p. 56.
— 161 —
existait puisque elle fut détruite par les Sarrasins en même
temps que la cathédrale et le monastère de Saint-Victor (1).
Or, nous savons aussi qu'à ces différentes époques l'abbaye
cassianite s'élevait non loin de Saint- Victor, et nous ne nous
refusons pas à l'admettre, à peu près à l'emplacement de
la chapelle de Sainte-Catherine. Par conséquent, ces tombes
découvertes en 1685, cette inscription d'Eugénia peuvent
avoir été les tombes et l'inscription des religieuses qui
habitèrent cet endroit à la fin du VIII* siècle, durant le IX* et
au début du X0. Mais, de là à dire, comme Ruffi, que c'est une
preuve que toujours le monastère cassianite s'est élevé en cet
endroit, c'est vouloir forcer l'argument.
Nous résumons nos conclusions :
Si ces tombeaux découverts en 1685 appartiennent à des
religieuses, ils sont postérieurs à celui d'Eugénia, ils datent
probablement du VIII" ou du IX* siècle. Or, à cette époque,
l'abbaye cassianite peut être placée à la chapelle Sainte-
Catherine. Si Eugénia est une simple chrétienne, l'objection
de Rufll n'a aucune valeur. Si l'inscription d'Eugénia est
celle d'une religieuse, ou bien cette inscription remonte au
VIII0 siècle et il s'agit alors d'une religieuse du monastère
cassianite qui s'élevait en cet endroit de 814 à 923 ; ou bien
elle appartient aux VI* et VII* siècles, elle est alors l'épitaphe
d'une religieuse de l'abbaye de l'Huveaune inhumée à cette
époque dans les champs de Paradis.
(1) Voir chapitre : Divers emplacements qu'a occupés le monastère
cassianite.
CHAPITRE IV
Texte des chartes de 1431 et 1446
LE TEXTE DE CES CHARTES,— PHRASE MAL CONSTRUITE.— PLUSIEURS
SENS.— LORSQUE 8AINT-VICTOR PUT DÉTRUIT PAR LES VANDALES, IL
Y AVAIT TOUT PROCHE UN AUTRE MONASTÈRE.— LES VANDALES N*ONT
PAS DÉTRUIT SAINT-VICTOR. — LORSQUE LE MONASTÈRE CA881ANITE
FUT DÉTRUIT PAR LES VANDALES, IL ÉTAIT PROCHE DR SAINT-VICTOR.
— LES VANDALES N'ONT PAS DÉTRUIT CE CŒNOBIUM DES VIERGES.
IL S'AGIT DES SARRA8INS. — LORSQUE LES SARRASINS ONT DÉTRUIT
SAINT-VICTOR, IL T AVAIT TOUT PROCHE UN AUTRE MONASTÈRE DE PIL-
LES.— LES SARRASINS DÉTRUISENT 1 AINT-VICTOR, EN 923.— LORSQUE
LES SARRASINS DÉTRUISENT LE CŒNOBIUM DES VIERGES, IL ÉTAIT
TOUT PROCHE DE SAINT-VICTOR.— CE N'EST PAS DE LA RUINE DE CE
CŒNOBIUM EN 738 OU 838 QUE L'ON VEUT PARLER, MAIS DE CELLE DE
923. — SUREMENT IL S'AGIT DE LA RUINE DE SAINT-VICTOR EN 923,
OU DE LA RUINE DBS DEUX MONASTÈRES EN 923.
Nous passons à une objection autrement sérieuse. C'est
toujours Ruffl qui la présente : « A tous ces raisonnements
j'ajouterai l'autorité de deux chartes de 1431 et 1446 qui font
foi que lorsque le monastère de Saint- Victor fut détruit par les
Vandales, il y avait tout proche un autre monastère qui ne
peut être que celui-ci, de sorte que Ton ne peut plus douter
que ce monastère fût situé en cet endroit et non pas au quar-
tier de Saint-Loup, ni à celui de Saint-Marcel, encore moins à
l'embouchure de l'Huveaune, ni sur les bords de la mer comme
quelques-uns s'imaginent (1). »
Si deux chartes attestent qu'à l'époque des. Vandales, c'est-
à-dire de 405 à 535, il y avait un monastère auprès de Saint-
Victor, comme il n'y a jamais eu à cette époque d'autre
monastère de religieuses à Marseille que celui dont nous par-
lons (2), il est certain que l'abbaye des Cassianites n'a jamais
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.
(2) Ruflï ledit en plusieurs endroits: « Cassien fonda un monastère
— 163 —
élé aux bords de l'Huveaune. Cette époque des Vandales est
trop rapprochée de celle de la fondation de l'abbaye par Cas-
sien pour qu'il y ait eu au début un monastère à l'Huveaune,
et qu'à l'époque des Vandales ce monastère se trouvât auprès
de Saint- Victor, ou qu'après la destruction de ce monastère
auprès de Saint-Victor, par les Vandales, il y ait eu un
monastère de Cassianites à l'Huveaune. L'objection de Huffl
serait donc péremptoire et notre thèse battue en brèche.
Mais l'étude que nous allons faire du texte de ces deux chartes
va nous montrer clairement qu'elles ne contrarient en sien
notre opinion. Citons d'abord le texte de ces deux chartes.
La première est de Tannée 1431. C'est l'abbé de Saint- Victor
qui donne à une personne de piété une modeste église appelée
Sainte-Marie de la Petite-Baume, aux environs de Saint-
Zacharie. Après avoir raconté les gloires de cette grotte célèbre,
dans laquelle sainte Marie-Madeleine avait passé trente ans,
dans laquelle, ou auprès, de laquelle grotte Cassien avait lui-
même passé plusieurs années de sa vie dans la pratique des
vertus érémitiques, l'abbé ajoute qu'enfin : « hoc praesens
sacrum monasterium (Saint- Victor) et aliud olim sibi vici-
num, in diebus illis per profanos Vandalos fuuditus demo-
litum mire condidit (1) » .
Dans la charte de 1446, l'abbé de Saint- Victor, Pierre Dulac,
veut accorder aux confrères de l'Association de Notre-Dame
de Confession l'autorisation d'être inhumés dans le cimetière
du monastère. Or, après avoir dit que dans ce monastère il y
a les reliques de saint Victor, saint Adrien, saint Maurice,
sainte Eusébie et ses quarante compagnes, il parle de saint
Cassien, ajoutant : « qui hoc praesens monasterium et aliud
olim sibi vicinum in diebus illis per profanos Vandalos f un-
dltus demolitum mire condidit (2) ». Tel est le texte que Ton
objecte contre nous. Examinons-en le sens précis.
de religieuses à Marseille... Nous n'eu avons aucun qui ne soit moderne
en comparaison de celui dont nous parlons. » pp. cit., pp. 54, 55.
(1) Guesnay, Cassianus illustratus, p. 642. — Archives départemen-
tales. Recueil de chartes, par Dom Lefournier, t. IJI.
(î) Kolhen, Les Cryptes, appendice, p. 97 ; cette charte de 1440 est
citée en entier.
— 164 —
t
Avez*-vous remarqué cette sorte d'équivoque produite par la
mauvaise construction de la phrase? 11 est dit que Cassien a
fondé deux monastères : « hoc prœsens monasterium et aliud
olim sibi vicinum per profanos Vandalos f unditus demolitum
mire condidit. » A quoi se rapporte ce « per profanos f unditus
demolitum » ? Est-ce à a hoc praesens monasterium » ? est-ce
à « olim sibi vicinum *> ? Est-ce, en un mot, le monastère de
Saint- Victor, ou celui qui en était voisin, qui a été détruit par
les Vandales? C'est douteux. Ruffl le fait se rapporter à « hoc
praesens monasterium », puisqu'il écrit : « Lorsque lo monas-
tère de Saint-Victor fut détruit par les Vandales, il y avait
tout proche un autre monastère (1). » Serait-ce à a aliud sibi
vicinum »? Le sens alors serait tout différent. Saint Cassien,
dirait la charte, a fondé deux monastères : celui de Saint-
Victor, et un autre qui en était jadis voisin et qui fut détruit
par les Vandales.
Lequel des deux sens est le bon ?
Dans l'incertitude, passons en revue les deux hypothèses ;
voyons si les Vandales ont détruit l'un ou l'autre de ces deux
monastères, et partant si ces deux chartes concluent contre
nous.
D'abord, étudions les termes des chartes précitées d'après
la signification que leur donne Ruffl : a Lorsque le monastère
de Saint- Victor fut détruit par les Vandales, il y avait tout
proche un autre monastère. » Les Vandales ont-ils détruit
l'abbaye de Saint- Victor, à Marseille? Sûrement, ils ne l'ont
pas fait avant 450.
Nons en avons la preuve dans le silence que garde Salvien,
né à Cologne ou à Trêves, et ordonné prêtre à Marseille, sur
un semblable fait, dans son livre De Gubernatione Dei. Cet
auteur, qui vécut de 390 à 495, a été témoin des ravages que
les barbares ont semés sous leurs pas. Il a écrit son livre en
445 ou 450 (2). Or, à aucun endroit de ce livre, il n'insinue
(1) Rufli, Histoire de Marseille, t. II, p. 58.
(2) Salvien, dans Dictionnaire de théologie, par Lenoir, t. XI, p. 313
— Bibliographie générale de Michaud. — Cet écrivain aurait vécu de
390 à 484. Cependant Gennade, qui vivait en 495, année où il termine son
catalogue des écrivains ecclésiastiques et le dédie au pape Gélase, dit de
— 165 —
que ces barbares soient venus à Marseille, et qu'ils se soient
attaqués à l'abbaye de Saint Victor. On ne s'expliquerait pas
son silence sur ce point, si ce fait réellement était arrivé.
Ce n est pas non plus de 450 à environ 490. Nous avons un
argument que nous croyons sans réplique. Gennade, prêtre
et écrivain de Marseille, qui vivait sous le pape Gélase (492-
496) et sous Ànasta3e, empereur d'Orient (491-518), a écrit
un livre intitulé De scripioribus ecclesiasticis, composé
de cent articles ou biographies sommaires de personna-
ges qui ont vécu de 330 à 490. Or, dans ce recueil, à l'article
de Cassien, fondateur de l'abbaye de Saint- Victor, il dit :
«Condidit duo monasteria id est virorum acmulierum, qure
usque hodie exstant(l). » A l'époque donc où Gennade écrivait
cette biographie de Cassien, les deux monastères qu'il avait
fondés existaient encore.
Or , cette biographie de Cassien a été écrite avant 495,
puisque en cette année même Gennade termine son manus-
crit et l'envoie au pape Gélase. Mais sûrement il ne l'a pas
envoyé au souverain pontife sans le revoir et le retoucher. Si
donc, depuis le jour où il avait rédigé l'article de Cassien,
dans lequel il est dit que a les deux monastères existent enco-
re », ces deux monastères eussent été détruits, Gennade aurait
rectifié sa phrase. Il ne l'a pas fait, donc jusqu'en 495 ces
deux monastères n'avaient eu à, subir aucune attaque de la
part des barbares, ou, dans tous les cas, ils n'avaient pas été
renversés.
Ce ne fut pas non plus à une époque postérieure de 495 à
535, date de l'extermination des Vandales, que le monastère
de Saint-Victor a été renversé, car, dès l'an 480, les Visi-
goths s'emparent de Marseille. Puis ce sont les rois bourgui -
gnons qui la gouvernent, ensuite les Ostrogoths de Théodoric,
Salvien que « vivit usque hodie in senectute bonà ». Il vivait donc en-
core en 495. (Gennade, De scriptotnbus ecclesiowticis ; Patrologie latine,
édition Migne, t. LVIII, col. 979, etc.)
(1) « Gennade, prêtre de Marseille, a composé plusieurs écrits, entre
autres celui intitulé De scriptoribus* ercleaiastirii*, qui est un recueil de
cent biographies. Il termina ce livre on 495. » (Gennade ; Patrologie lati-
ne, édition Migne, t. LVIII.)
— 166 —
enfin les Francs qui se partagent la Provence vers 536. Or,
ni les uns, ni les autres n'auraient permis aux Vandales de
saccager Marseille. Cette ville était occupée par de bonnes
garnisons, relevant des divers rois qui la possédaient. Par
conséquent, les Vandales n'ont pu détruire Saint-Victor. C'est,
d'ailleurs, l'avis de l'auteur des Saints de V Eglise de Mar •
seille (1).
Donc, l'argument de Rufïi : a Lorsque le monastère de
Saint- Victor a été détruit par les Vandales, il y avait tout
proche un autre monastère » ne vaut rien. Les Vandales n'ont
pas détruit Saint-Victor. Donc, on ne peut pas en déduire
que de 410 à 530 le monastère cassianite des vierges se trou-
vait tout proche de l'abbaye de Saint- Victor.
Prenons l'autre hypothèse, faisons se rapporter k « aliud
sibi olim vicinum » les termes « in diebus illis per profanos
Vandalos funditus demolitum » ; c'est-à-dire : Lorsque les
Vandales détruisirent le monastère des vierges cassianites,
celui-ci était tout proche de Saint-.Victor.
Les Vandales ont-ils détruit cette abbaye cassianite et à
quelle époque ? Ils ne l'ont jamais renversée. Les raisons que
nous avons données pour prouver qu'ils n'ont pas démoli
Saint-Victor, prouvent aussi qu'ils ne se sont pas attaqués à
l'abbaye cassianite des filles. Donc encore, les termes de ces
chartes avec cette nouvelle signification ne concluent pas
contre nous.
En réalité, nous attribuons à ces chartes un sens qu'elles
n'ont pas ; on les interprète mal. On traduit les mots a per
profanos Vandalos » par Vandales proprement dits, qui ra-
vagèrent l'Afrique de 429 à 535, alors qu'il faut les traduire
différemment. Il ne s'agit pas ici des Vandales.
La véritable signification de ces termes n'est pas autre que
celle qui est fournie par l'ensemble des chartes. Quand
celles-ci parlent des Vandales, ce mot est un terme générique
dont elles se servent. Le souvenir de la terreur que ces bar-
bares ont laissée dans le monde a toujours demeuré. Nous-
(1) « L'abbaye de Saint-Victor, située hors de la ville, était exposée à
toutes les péripéties de ces longues guerres (412-536) ; il ne parait pas
rependant quo les moines aient du jamais l'abandonner... » Page 7.
— 167 -
mômes, lorsque nous voulons désigner un pillard, un féroce
destructeur, nous disons de ce scélérat qu'il est un « vandale ».
Lorsque, au IX* et au X* siècle, les Sarrasins apparurent,
semant partout la dévastation et la mort, on les appela d'un
nom qui rappelait d'anciennes désolations: les Vandales (1);
et comme les Sarrasins venaient d'Afrique, précisément par
le môme chemin que les Vandales avaient pris pour y aller,
ce nom leur était justement donné par les chroniqueurs du
temps. Aussi, on rencontre ce mot de Vandales à côté des mots
« gens pagana, gens barbarica, gladium Sarracenorum (2) ».
Mais, dans ces documents, ces termes désignent les Sarrasins.
Il en est de même des chartes de 1431 et 1446. Lorsqu'elles
nous disent que le monastère fut détruit par les Vandales,
elles veulent désigner les Sarrasins. Le sens de ces deux
chartes serait la phrase de Rufû ainsi modifiée : « Lorsque
Saint-Victor fut détroit de fond en comble par les Sarrasins,
il y avait tout proche un autre monastère » ; ou bien cette
phrase : a Cassien fonda deux monastères, celui de Saint-
Victor, et un autre qui en était voisin et qui fut détruit par
les (Vandales) les Sarrasins. » Il y a là deux sens bien diffé-
rents pouvant donner des conclusions bien différentes. Mais,
quel que soit celui que Ton veuille choisir, aucun des deux
ne conclut contre nous.
Etudions d'abord la phrase telle que la donne Rufû : « Lors-
que Saint-Victor fut détruit par les Sarrasins, il y avait tout
(I) « Tarn altè Vandalorum crebrae, lateque diffus» piraticse incur-
siones cunctorum animis infixse erant, ut quae longe posthac Sarrace-
norum incursio coofecerat, ad hanc simili ter epoçham traducta fuerit. »
(De initiis Ecclesiœ Forojuliensis dissertatio , par J. Anthelme,
p. 120.)
* 11 parait qu'au Moyen âge on désignait sous le nom de Vandales tous
les envahisseurs, quoiqu'ils n'appartinssent pas a ce peuple. Les Sarra-
sins venaient de l'Afrique, d'où les Vandales avaient lait jadis des des-
centes dans le midi des Gaules, ce qui a pu faire confondre les deux
nations, t (Histoire du monastère de Lérins, par Alliez, t. I, p. 401.)
— t On donnait alors le fiom de Vandales aux Sarrasins. » (De Belsunce,
Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. I, p. 388.)
(?) Notamment dans les chartes 155, 100, 269, 77, 101, 15, 1, où »1 est
certainement question des Sarrasins, quel que soit le nom dont ils sont
appelés : Pa^am, Mauri, Vandali. Cartulaire de Saint-Victor.
— 108 —
proche un autre monastère. » A quelle époque le monastère des
vierges cassianiles était-il proche de Saint-Victor? Ces barbares
sont venus à Marseille vers la première moitié du VIII' siècle.
Ont-ils renversé Saint- Victor à ce moment? Non.
La charte 14 de Tan 1040 dit, en effet, que « de vaginâ
Vandalorum callidus exactor educitur », et que c'est ce tyran,
cet exploiteur préposé par les Vandales (les Sarrasins) qui fit
un désert du monastère (1). Deux lignes plus bas la charte
ajoute que le monastère demeura dans cet état d'abandon
jusqu'à ce que l'abbé Wifired a hic has aedes condens dila-
tavit ». Or, Wiffred était abbé de Saint- Victor en 1005 (2). Si
les Sarrasins ont détruit Saint-Victor vers 738, cette abbaye a
été déserte durant deux cent cinquante ans, de 738 h Tan 1005
environ. Et cependant il y a des centaines de chartes qui
supposent que Saint-Viclor existait aux VHP, IXm et X* siècles.
Et encore, la charte 15 dit que ce monastère (de Saint-
Victor) ne fut renversé que <c post multa curricula annorum »,
après la mort de Charlemagne (3). Or, ce prince est mort
en 814. Donc, les Sarrasins n'ont pas détruit l'abbaye de Saint-
Victor au VII? siècle, en 737 ou 738 par exemple.
C'est aussi l'opinion de M. de Rey. Dans les Invasions
des Sarrasins en Provence, il écrit : « Quelques souffrances
qu'ait endurées le monastère de Saint- Victor, depuis Charles-
Martel, cependant il existait epcore an commencement du
X* siècle, et non seulement ses murs étaient encore debout,
mais les religieux l'occupaient toujours. » Dans Les Saints
(1) « Cumque diutius in tantiamoris matrimonio perdurasset (monas-
terium) omissà proie tant» nobilitatis, de vagina Vandalorum callidus
exactor educitur .. Quod necare antiqui serpe utis framea corruptovelle
disponit, hoc extincto sobolumque flore omisso, viduitatis lacryma,
flexibilis et infelix, nimioque senio consumptum permansit. Post nempe
annorum curricula, temporibus sanctœ Romanse sedis antistitis
Johannis, claruit sacris virtutibus Wifredus abbas, locihujus rector...
Hicergo has aedes condens mi ris doctrinis dilatavit, vellenec ne posse
vicecomitum seu egregii praesulis Massiliensis... » Cartulaire de Saint-
Victor, charte 14.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, vie de saint Wifred, 12déc,
p. 306.
(3) Cartulaire de Saint-Victor, charte 15.
— 169 —
de l'Eglise de Marseille, le même auteur écrit, à la fête de
la translation des reliques de saint Victor : o Môme pendant
le cours de ces guerres sans pitié, qui firent tant de martyrs
en Provence, les moines de Saint- Victor restèrent dans leur
abbaye et veillèrent sur les reliques confiées à leur soin (1). »
Donc, si nous acceptons la signification que Ruffi donne à
cette phrase des chartes de 1431 et 1446, que « lorsque Saint-
Victor fut détruit par (les Vandales) les Sarrasins, il y avait
tout proche un autre monastère », son argumentation ne vaut
rien contre nous. Les Sarrasins n ont pas détruit Saint-Victor
au VIII" siècle; donc, à cette époque, il n'y avait pas de mo-
nastère de filles proche celui de Saint- Victor.
Mais, si les Sarrasins n'ont pas détruit l'abbaye de Saint-
Victor au VHP, siècle, sûrement ils l'ont renversée au X\ Nous
lisions tantôt la charte 14 de Tan 1040, la charte 15 de Tan
1005 qui l'affirmaient en termes exprès. Et les auteurs pla-
cent cette destruction de l'abbaye en 923 ou 924. C'est à
cette époque donc qu'il y avait tout proche de Saint-Victor
un autre monastère. Mais, nous l'avons dit mille et mille
fois, pour nous l'abbaye des religieuses s'est trouvée non
loin de Saint- Victor dès 837 peut-être et presque sûrement
en 923. L'argumentation de Ruffi ne vaut rien contre nous:
« Lorsque Saint-Victor fut détruit par (les Vandales) les Sar-
rasins, il y avait tout proche un autre monastère.» Cette des-
truction de Saint- Victor a eu lieu en 923 ou 924. A cette épo-
que, le monastère des filles était tout proche. C'est ce que
nous avons dit. M. de Ruffi en est pour ses frais.
Etudions l'autre signification que nous avons donnée aux
termes de ces chartes, en faisant se rapporter à a aliud olim
sibi vicinum » les mots a in diebus illis per prof anos Vandales
funditus demolitum » , c'est-à-dire : « Le monastère des filles
cassianites était proche de Saint- Victor, lorsqu'il fut détruit
par les Sarrasins. » Il nous paraît extraordinaire que Rufii,
sans cesse à l'affût de nouvelles preuves pour appuyer son
système (que le cœnobium des filles était tout proche de
(1) M. d« Rey, Invasions des Sarrasins en Provencei p. 124. — Les
Saint* rie l'Eflh'te de Marseille, p. 7
— 170 —
Saint-Victor, au lieu d'avoir été sur les bords de l'Huveaune) ,
n'ait pas découvert la sérieuse objection que contient cette
signification donnée aux termes des chartes du XV* siècle. Car
les Sarrasins ont sûrement détruit ce monastère en 923,
par conséquent à cette date il se trouvait auprès de Saint-
Victor. A cela nulle difficulté. Mais sûrement aussi ils
ont détruit le monastère dans lequel Eusébie était abbesse
et où elle fut martyrisée. Or, ce martyre nous le plaçons
dans notre thèse en 738. Donc, en 738, l'abbaye cassianite
des filles était tout proche de Saint-Victor, au lieu d'être
aux bords de l'Huveaune. Notre système serait à terre, et Ruf-
fi aurait une preuve bien vraisemblable à alléguer contre nous.
Ruffi n'a rien découvert cependant. Comme nous ne voulons
pas diminuer la vérité, nous nous devons de présenter cette
objection et d'essayer de la résoudre.
Voici cette lecture : Cassien fonda le présent monastère de
Saint-Victor et un autre, jadis tout proche, qui fut détruit
complètement par les Sarrasins. Nous disons que, môme avec
ce sens et cette signification, ce passage des chartes ne prouve
rien contre notre thèse.
Rappelons-nous que le cœnobium des vierges, à trois
reprises, au moins, a été saccagé et ruiné. En 738, d'abord,
époque à laquelle nous plaçons le martyre de notre sainte Eu-
sébie. Quel que soit l'auteur qui parle de cet événement, il
atteste que le cœnobium fut incendié et détruit. Une seconde
fois il fut pillé et renversé, en 838. Le texte des Annales de
Saint-Bertin, qui raconte cet événement, dit que les Sarrasins
se précipitent sur Marseille, la dévastent, pillent les églises,
portent sur leurs vaisseaux les richesses qu'ils ont prises,
amènent comme esclaves clercs et laïques, et enlèvent toutes
les religieuses de cette ville (1). On conviendra avec nous que-
ces détails font bien supposer une ruine complète et des égli-
(1) « Intérim Sarracenoru m pi ratiese classes Masslliam Provincise ir-
ruentes, abductis sanctimonialibus, quanim illic non modiea congregatio
degebat, omnibus et cunctis masculini sexûs clericis et laicis, vastatàque
urbe, thesauros quoque ecclesiarum Gbristi secum universaliter asporta-
runt.» Annales de Saint-Bertin, 898 (De Rey, Invasions des Sarrasins ,
p. 222).
- 171 —
ses et des monastères. Les mœurs connues des Sarrasins nous
autorisent à le croire. Autre dévastation du cœnobium en 923
ou 925. Celle-ci fut si complète, si entière, que le monastère,
qui s'était relevé des désastres du VIII6 et du IXe siècle, suc-
combe cette fois. Ce n'est que quatre-vingts ans après, vers
1004, qu'on le réédifie. Mais alors ce n'est plus auprès de
Saint-Victor qu'il s'élève, c'est dans l'enceinte de la ville. Ce
ne sont plus lesCassianiles qui y vivent, ce sont les Bénédic-
tines, puisque les religieuses de Saint-Sauveur ne suivent plus
la règle de saint Cassien, mais ce] le de saint Benoit. Le voca-
ble même est changé. Ce n'est plus celui de Sain t-Cyr qu'il
porte, mais celui de Saint-Sauveur.
Or, à laquelle de ces destructions est-il fait allusion dans les
chartes de 1431 et 1446? Le texte ledit clairement. On y lit:
« funditus demolitum », ruiné défend en comble. Or, la ruine
complète du cœnobium est celle de 923. A cette date, il sombre
dans la tourmente. C'est la fin. C'est donc à cette destruction
du monastère en 923 qu'il est fait allusion dans les chartes du
XV* siècle. Alors il était auprès de Saint-Victor, attestent ces
chartes. Mais, nous l'avons dit plus haut, à cette époque nous
acceptons, nous croyons qu'en effet le cœnobium cassianite
se trouvait voisin de Saint -Victor. Donc, la lecture de ces
chartes n'est pas contre nous.
Le contexte des chartes du XV# siècle ne l'exprimerait pas,
que l'on serait autorisé à supposer que le moine rédacteur de
ces documents a entendu parler de la ruine survenue au cœ-
nobium cassianite, en 923. Dans ces chartes, en effet, l'abbé
de Saint- Victor raconte les gloires de son monastère fondé
par Cassien, et il ajoute, en passant, que cet illustre religieux
a fondé un autre cœnobium voisin de Saint-Victor et plus tard
détruit par les Sarrasins. Par trois fois, nous le savons, ce
cœnobium fut détruit. Or, de laquelle de ces trois ruines du
monastère le moine rédacteur a-t-il voulu parler ?
Supposerons-nous qu'il a voulu rappeler à la mémoire de
ses lecteurs que jadis, au VIII* siècle, en 738, par exemple,
puisque c'est la date que nous préconisons, ce cœnobium fut
renversé ? Il oubliera de dire qu'A la suite de cette dévastation
ce cœnobium en a subi d'autres ? Mais à quel litre cette des-
— 172 —
traction de 738 doit-elle, dans l'idée du moine historien, atti-
rer notre attention ? Serait-ce à cause du martyre de sainte
Eusébie ? Il est parlé précisément de cette sainte, deux lignes
plus haut, pour dire qu'elle repose dans le monastère de Saint-
Victor avec ses quarante compagnes. Pourquoi ne pas insinuer,
alors, que c'est bien à cette époque qu'elle a subi le
martyre ?
Supposera-t-on qu'il a voulu attirer notre attention sur le3
désastres du IXe siècle, en 838, l'enlèvement des religieuses,
circonstance plus pénible et plus douloureuse que le martyre
de sainte Eusébie ? L'écrivain laissera dans l'oubli, alors, et la
ruine de 738, et la destruction de 923 ! Rien n'autorise à croire
que telle a été l'intention de l'auteur. Pas un mot de ces docu-
ments ne l'indique. D'ailleurs, les règles du langage et de la
logique ne permettent pas de procéder ainsi. Quand on ra-
conte les événements heureux ou malheureux qu'une per-
sonne, une institution ont subis, ou bien on détaille chacun
de ces événements que Ton cherche à rappeler, ou, si Ton se
sert d'un terme général, c'est sur le fait principal, vers l'évé-
nement saillant que Ton attire l'attention. Or,quel est ici, dans
le sujet qui nous occupe, le point important? c'est la ruine
complète, la tin du cœnobium. Or, cette ruine, s'est effectuée
en 923. C'est donc à elle que l'auteur de ces chartes fait allu-
sion. Or, en 923, l'abbaye cassianite, nous l'avons dit, se trou-
vait auprès de Saint-Victor. Donc encore, la lecture, telle que
nous l'acceptons de ce passage des chartes, ne conclut pas
contre nous. C'est toujours de la ruine de l'abbaye cassianite,
en 923, qu'il s agit.
Disons plutôt que cette nouvelle signification donnée par
hypothèse aux termes des chartes n'est pas acceptable. Ce n'est
pas à « aliud sibi olim vicinum » que se rapportent le « in
diebus illis per profanos Vandalos fundilus demolitum », mais
à « hoc praesens monasterium (Sancti Victoris) » ; c'est-à-dire
c'est le monastère de Saint-Victor dont il est dit dans ces
chartes qu'il a été détruit par (les Vandales) les Sarrasins et
non pas celui des Filles de saint Cassien.
D'abord, c'est l'opinonde Kufli, nous l'avons dit, et de Lau-
tard son copiste fidèle. Rappelons-nous qu'interpréter ces
— 173 —
chartes de 1431 et 1446 comme nous l'avons fait, était apporter
la meilleure des preuves en faveur de leur système, contraire
à celui que nous préconisons. Or, Ruffi s'en est tenu au pre-
mier sens ; donc, ces chartes, à la première lecture, offraient
ce sens tout naturel et tout obvie.
Ensuite, plusieurs des auteurs qui se sont occupés du sujet
que nous traitons n'ont fait sur ces passages des chartes au-
cune réflexion qui puisse embarrasser notre marche. Et ils
connaissaient ces chartes. La Gallia, André, dans V Histoire
de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur les ont citées.
M. de Key devait les connaître aussi, car, d'une part il cite
souvent l'ouvrage de M. André, d'autre part il semble faire
allusion à ces chartes dans les Invasions des Sarrasins en
Provence ,p. 138 : « Les abbayes de Saint-Victor et de Saint-
Sauveur, ainsi rapprochées l'une de l'autre, durent avoir
même fortune pendant les guerres des Sarrasins, et tout ce
que la première eut à souffrir au milieu de ces longs boule-
versements, l'autre le souffrit aussi ». Et à la page 138 : « Le
monastère cassianite ne périt qu'au temps des Sarrasins du
Fraxinet, sous les coups des mêmes invasions qui emportèrent
l'abbaye de Saint-Victor, c'est-à-dire, dans la première moitié
du X* siècle après Tannée 924. » Dans les Saints de V Eglise
de Marseille, on lit aussi : e C'est alors (923) que périt le
monastère de Saint-Victor, et alors aussi, croyons-nous, que
celui de Saint-Cyr, surpris par une attaque imprévue, suc-
comba si glorieusement. »
Ces auteurs, on le voit, traduisent, peut-être même sans
y penser, le passage de nos chartes : Cassien fonda le monas-
tère de Saint- Victor détruit par les Sarrasins, et un autre
monastère qui était tout proche. Or, ces auteurs ne paraissent
pas se douter que ce passage des chartes peut recevoir une
autre interprétation, celle que nous discutons; ou, s'ils y ont
pris garde, ils ont jugé cette interprétation peu conforme avec
le sens général de ces documents et ils ne s'y sont pas arrêtés.
C'était cependant une très forte preuve encore à l'appui de
leur opinion, puisque tous deux, MM. André et de Rey, placent
le monastère cassianiste des filles auprès de Saint -Victor.
Xou9 aurions donc mauvaise grâce à adopter, nous, une in-*
12
— 174 -
terprétation différente, d'autant plus qu'elle serait très défa-
vorable à notre système, si elle était demeurée sans réponse et
sans explication.
Ajoutons que vouloir suivre la lecture de ces passages des
chartes telle que nous l'avons proposée en objection, en fai-
sant se rapporter à « olim sibi vicinum » le a in diebus il lis a
Vandalis funditus démoli tum », c'est s'exposer à un grave
inconvénient. S'il n'y avait pas à Marseille nne tradition qui
place le cœnobium cassianite sur les bords de l'Huveaune ;
s'il n'existait pas quantité de documents attestant que ce
monastère a changé souvent et de nom et d'emplacement ; si,
de plus, l'on pouvait, à l'aide de cette lecture, concilier les
auteurs, on pourrait à la rigueur accepter ces chartes comme
preuve qu'à l'époque où il fut détruit par les Sarrasins, en
738, le cœnobium était auprès de Saint- Victor. Mais il y a une
tradition, quelque peu appuyée, qu'un monastère s'élevait
jadis à l'Uuveaune. Des documents prouvent qu'à plusieurs
reprises ce monastère a changé son vocable et de lieu d'em-
placement. Cette lecture ne concilierait pas le témoignage
des auteurs. Or, niera-t-on la tradition? récusera-t-on les docu-
ments? réfutera-t-on les raisons apportées par les auteurs?
Gela ne serait pas possible. Donc, laissons de côté la lecture
proposée et objectée, et acceptons celle de Ruffi.
Encore, pourquoi appliquer le a per prof anos Vandalos fundi-
tus demolitum » à 1' a olim sibi vicinum » et non pas à 1' « hoc
prsesens monasterium Sancli Victoris »? Ces mots « per profanos
Vandalos » ne sont pas autre chose que la répétition de ce que
les chartes disent si souvent de ce monastère. Dans la charte
15, en 1005, en effet, on lit que ce monastère de Saint-Victor
< fuit adnullatum ac fere ad nihilum est redactum ». Dans la
charte 14, en 1040, après avoir parlé de la gloire de cet anti-
que cœnobium, on dit qu'à une époque, « de vaginâ Vanda-
lorum callidus exactor educitur, quod necare antiqui serpen-
tis framea corrupto velle disponit. .. » Puis: « hoc monas-
terio extincto. . . nimioque senio consumptum permansit. »
Dans la charte 691 de Tan 1045, on lit encore: « olim illorum
(monachorum) raonasteria a paganis destructo » ; dans celle
de 1055 (charte 565) il est écrit : < monasterium a paganis
- 175 —
destructum.. . in solitudinem redactum... » Comparez ces
diverses phrases avec celle des chartes de 1431 et 1446. Les
termes sont différents, mais l'idée est la même. Il s'agit de la
destruction, de la ruine du monastère de Saint* Victor. Pour-
quoi donc appliquer à un autre monastère, dont on ne parle
presque jamais dans les chartes, ce que Ton dit si souvent de
Saint- Victor ? C'est donc de Saint-Victor qu'il s'agit dans ces
titres du XV siècle.
Une autre considération va démontrer plus amplement que
c'est uniquement de Saint- Victor qu'il s'agit. De pieux fidèles
ont exposé à l'abbé du monastère que s'il accordait, à ceux
qui font partie de la confrérie de Notre-Dame de Confession,
d'être inhumés dans le cimetière de ce monastère et de parti-
ciper aux prières, aux mérites des saints religieux qui y
vivent, l'honneur et la vénération qui en reviendraient à la
Sainte Vierge en seraient augmentés. L'abbé de Saint- Victor,
alors Pierre Dulac, acquiesça à cette requête, et à ce sujet il
célèbre dans une page très animée les gloires de son abbaye :
« C'est là, dit-il, que reposent les restes des martyrs : Victor
et ses compagnons, Adrien et ses compagnons, Maurice, Inno-
cent et ses compagnons, Chrisante et Darie, Eusébie et ses
quarante compagnes vierges et martyres. Cassien fonda ce
monastère, ainsi qu'un autre qui était tout proche, détruit
plus tard par les Vandales. Dans ce monastère il se vit entouré
de cinq mille moines... Là il vécut jusqu'à l'âge de quatre-
vingt-dix-sept ans, et ce fut de ce lieu béni que les anges le
portèrent aux cieux, où il retrouva cette multitude de saints
et de saintes qu'il y avait envoyés par ses exemples et ses
enseignements. Là vécurent encore saint Mauront, Hilarianus,
Ysarne, Hugues, Bernard, Wiffred et quantités d'abbés ou de
confesseurs de Jésus-Ghrist,et cette foule innombrable de mar-
tyrs, d'évêques, de confesseurs, de vierges, dont les corps
reposent aux alentours de ce monastère ou dans son église... »
C'est donc de l'antique abbaye de Saint -Victor que l'on
parle; c'est cette abbaye dont on rappelle les riches trésors de
grâces, de vertus, de sainteté, qu'elle possédait dans ses murs ;
pourquoi donc mêler à cette histoire celle du cœnobium cassia-
nite, et dire qu'il a été détruit par tels ou tels barbares!
— 176 —
Qu'on fasse mention de son existence, cela se comprend, puis-
qu'on ajoute à la gloire de saint Cassien, qui le fonda. Mais
que Ton parle de sa ruine, à quoi cela servira-t-il ? L'on dira
au contraire que ce monastère de Saint- Victor a été détruit,
c'est un nouveau titre de gloire que l'on énumère. L'on fait
bien d'en parler, l'histoire de l'abbaye est ainsi complète.
C'est donc bien de Saint-Victor que l'on dit qu'il a été « per
profanos Vandalos funditus demolitum ». Donc, les chartes
de 1431 et 1446 ne concluent par contre nous.
(1) Voir cette charte citée in extenso duus les Cryptes de l'abbaye de
Saint- Victor, par Kothen, p. 99.
<
j
CHAPITRE V
Plusieurs objections de Ruffi
LE CŒNOBIUM DES VIERGES N'ÉTAIT PAS AUX BORDS DE L'HUVEAUNE.—
LES MASURES QU'ON Y VOIT SONT LES RESTES D*UN COUVENT DE
PBBM0NTRÉ3. — C'EUT ÉTÉ TROP LOIN DE MARSEILLE, PÉRIL DES
PIRATES.— CASSIEN AVAIT DES SITES PLU3 RAPPROCHÉS. — RUINES
DÉCOUVERTES A LA CHAPELLE DE SAINTE-CATHERINE.
Le monastère où sainte Eusébie a vécu n'était pas sur les
bords de l'Huveaune, parce que Cassien n'a pu avoir la pensée
de rétablir en cet endroit. Et Ruffi (1), qui soutient cette thèse,
énumère une série de raisons que nous rangeons sous cette
même rubrique : Impossibilité pour le monastère de Sain te -
Easébie de se trouver à l'Huveaune. « Il ne pouvait être ni sur
le bord de la mer, ni à l'embouchure de l'Huveaune, comme
quelques-uns l'imaginent, à cause qu'on y voit paraître des
masures d'une église' qui appartenait aux religieuses de Saint-
Sauveur, et qui fut un couvent de l'ordre des Prémontrés qui
ne fut bâti que l'an 1204. »
Après avoir lu notre travail, on avouera, nous l'espérons,
que si nous plaçons le monastère de sainte Eusébie sur les
bords de PHuveaune, ce n'est pas uniquement parce que
l'histoire nous dit qu'il y avait là des masures ayant appar-
tenu aux religieuses de Saint-Sauveur. C'est à cause d'un
ensemble de faits, de dates, de circonstances qu'il est difficile
de ne pas accepter comme preuve de notre assertion. Ceux,
d'ailleurs, qui du temps de Ruffi ou avant lui, soutenaient la
môme thèse que nous à Gette heure, ne s'appuyaient pas uni-
quement sur ces masures des bords de l'Huveaune, mais sur
d'autres arguments, et surtout sur la tradition dont Ruffi
semble vouloir ne pas entendre parler (2).
(1) Rufli, Histoire de Marseille* t. II, p. 56.
(?) Ainsi Mabillon, du Saussay, Chifflet, Lecoiote, Arthur de Mones-
tier. etc.
— 178 —
« Il n'y a pas d'apparence que Cassien ait bâti un monastère
de filles si loin de la ville, et sur les bords de la mer, pour
ne pas les exposer aux incursions des pirates gui faisaient
alors de fréquentes courses en ces mers (1). » Soit; admet-
tons que c'était bien imprudent, de la part de Cassien,
de placer un monastère de filles loin de la ville, et sur les
bords de la mer. Mais où donc l'a-t-il établi, suivant Ruffi?
Sans doute au sein de la ville, à l'abri des murailles ou,
du moins, comme le bruit et le tumulte d'une ville ne sont
guère favorables au recueillement d'un monastère, ce sera en
dehors de la ville, mais toujours aux portes de la cité. En cas
d'alerte, aux premiers avis d'une invasion, les religieuses
trouveront un refuge assuré au milieu de la ville. C'était de la
plus vulgaire prudence, car de 410 à 420, époque où les deux
monastères ont élé fondés, il y a bien des troubles, des bou-
leversements, des agitations au sein des peuples. Rappelons la
phrase de saint Prosper : « La ruine de la Gaule eût été moins
complète, si l'Océan avait déversé tous ses flots sur les champs
gaulois (2). » II y a quelques années à peine, les Vandales ont
ravagé et saccagé la haute Provence. Arles heureurement les
a arrêtés. Les Visigolhs ont laissé de côté la Provence, mais les
Burgundes s'avancent lentement vers elle. Cassien ne peut
donc prendre trop de précautions pour le choix de l'emplace-
ment destiné à ses deux monastères.
Or, qu'arrive-t-il ? Cassien avise de l'autre côté de la ville
un endroit solitaire, au pied d'une montagne, couverte peut-
être encore de bois épais, séparée de la ville par un bras de
mer plus large que ne l'est le port de nos jours, inaccessible
presque, puisqu'il est entouré d'une ceinture de salines et de
marais. C'est là qu'il établit l'abbaye de Saint-Victor et qu'il
fonde aussi le monastère de filles. Quelle admirable prudence,
n'est-ce pas, si Ion ne considère que le choix du site! Comme
il sera facile, au jour où les pirates débarqueront à l'impro-
(1) Ruflî, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.— M. deRuffï père pensait
tout le contraire. Cassien, dit-il, aimait la solitude, et il a bien pu profiter
de ce coin tranquille et retiré de notre terroir pour y établir un monastère.
(2; <t Si toi us Gallossese effudlsset in agros Oceanus, vastis plus supe-
resset aquis...», dansRuinart, Hiçtov ta persecutionis Vanflalicfp.p. 195.
- 179 —
viste soit à l'entrée du port, soit sous les murs du monastère ou
dans quelque anse ignorée du versant opposé de la Garde,
comme il sera facile, dis- je, à ces saintes filles d'avoir des
barques toutes prêtes pour les passer de l'autre côté du port,
ou prendre leur course à travers les salines, les marais, les
ruisseaux, de faire un immense détour pour atteindre et
gagner la ville !
Non, non, si Cassien, en fondant ses deux monastères, s'est
préoccupé de cette idée qu'ils pourraient être un jour attaqués
par les pirates, ce n'est pas de l'autre côté du port qu'il devait
établir au moins celui des filles. C'eût été dans la ville même,
ou à côté des remparts. Non plus, nous l'avouons, il ne pou-
vait songer aux bords de l'Huveaune. L'emplacement eût été
aussi mal choisi dans un cas comme dans l'autre. L'argument,
donc, de Ruffi n'est pas irréfutable.
« Il n'y a pas d'apparence qu'il les eût logées dans l'inté-
rieur du terroir, puisqu'il pouvait les placer plus proche et
leur donner un lieu aussi solitaire qu'il pût souhaiter. Car
la colline de Notre-Dame de la Garde était couverte de
bois (1).» Nous ne sommes pas à chercher quel endroit Cassien
aurait dû choisir. A part les raisons que le fondateur pouvait
avoir et que nous ne savons pas, nous avons dit que les bords
de l'Huveaune étaient un site aussi défavorable que le voisi-
nage de Saint- Victor. Mais Cassien n'avait-il pas quelque
raison à nous inconnue ? Quel site a-t-il choisi de préférence ;
voilà la question qui en réalité fait l'objet de cette dis-
cussion.
« On découvrit au même endroit (dans les environs de l'an-
cienne chapelle de Sainte-Catherine), en creusant la terre pour
construire le Canal, quelques fondements d'un grand édifice
extrêmement épais, qui marquaient une très grande antiquité,
et même on y découvrit quelques masures d'un presbytère qui
tournait du côté du levant (2). » On devine notre réponse.
Puisque nous acceptons que le monastère a été en cet endroit,
vers 838 ou 923, ce sont les ruines de ce monastère que Ton
(1) Rufli, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille , t. II, p. 50.
— 180 —
a découvertes en 1685. Si ces ruines datent du IXe ou X* siècle,
leur antiquité est assez respectable. Quant au a presbytère
lourné vers le levant »,Ruffi est un bien habile archéologue
s'il nous certifie que ces masures étaient celles d'un pres-
bytère. Si nous voulions soutenir, nous, que c'était une loge
de portier, nous ne savons qui voudrait se charger de dirimer
la question ! D'ailleurs, l'abbaye de Saint-Victor n'étant guère
plus qu'à deux cents pas de distance du monastère cassianite,
vers 923, il était inutile qu'il y eût le logement des moines
dans les attenances de l'abbaye des religieuses.
CHAPITRE VI
Les Religieuses cassianites
n'avaient pas de chapelles pour y faire célébrer
les Saints Mystères
objection de rufpi. — des 524, les religieuses ont des chapelles
publiques. — a l'époque de ruffin, de saint Jérôme, elles
ont des oratoires privés. — si l'on va entendre la messe, le
DIMANCHE, A L'ÉGLISE, LES RELIGIEUSES DE L'hUVEAUNE ONT PU
ALLER A SAINT-GINIEZ. — TOUT AU PLUS DURANT QUATRE-VINGTS
ANS. — DÈS 510 OU 512 ELLES ONT PU AVOIR UN ORATOIRE PRIVÉ.
— CHAPELLES INCONNUES DANS NOTRE TERROIR. — PEUT-ÊTRE CELLE
DU CŒNOBIUM.
C'est une autre objection de Ruffî. a Gomme il fonda Fab-
baye de Saint -Victor, Cassien voulut faire bâtir près de cette
maison, et h une distance proportionnée, le monastère des
tilles, afin qu'elles pussent plus commodément entendre la
messe dans l'abbaye de Saint- Victor, parce que en ce temps-là
les religieuses n'avaient pas d'église pour y faire célébrer les
saints mystères. . . Quelque temps après, les religieuses eurent
des oratoires dans leurs monastères pour y faire célébrer le
service divin, et ne commencèrent à avoir d'églises publiques
qu'après l'an 817, comme il est facile de le conjecturer d'après
le concile d'Aix-la-Chapelle (1). »
11 y a dans cette page un luxe d'érudition avec lequel il va
falloir compter, semble-t-il. Ne nous laissons pas éblouir ce-
pendant. Il est faux d'abord de dire que ce fut « après 817 que
les religieuses eurent des églises publiques, comme il est fa-
cile de le conjecturer d'après le concile d'Aix la-Chapelle » .
Car, premièrement, le concile d'Aix-la-Chapelle de 817 ne
parle pas des églises de religieuses. C'est le concile de 810,
(1) Hufti, Histoire fie Marseille, t. II, p. 56.
— 182 —
tenu dans cette môme ville, qui s'en occupe (1). Deuxième-
ment, ce concile de 816 ne dit rien au sujet des chapelles
publiques des monastères. Voici ce qu'on Ht dons un de ses
décrets : « Les prêtres chargés de dire la messe aux cha-
noinesses, appelées aussi sanctimoniales, n'entreront dans la
communauté que pour célébrer les saints mystères dans
l'église des chanoinesses qu'au temps marqué. Pendant la
messe, les chanoinesses tireront un rideau devant elles. Si
Tune d'entre elles veut confesser ses péchés au prêtre, ce doit
être dans l'église, afin qu'elle soit vue de tous. » Il ne s'agit
pas, dans ce texte, de chapelle publique, mais bien de cha-
pelle privée dans un monastère. Ruffi donc ne peut en déduire
que ce fut après 817 seulement que les monastères eurent des
églises publiques ouvertes à tous les fidèles. Bien avant 817, les
monastères de religieuses possédaient des églises publiques. On
lit dans la Vie de saint Césaire d'Arles que les Pères du con-
cile tenu à Arles en 524 firent la dédicace d'une église à trois
nefs que cet évéque avait fait bâtir dans les attenances du
monastère de sainte Césarie, sa sœur, à laquelle église les
fidèles avaient accès par une porte, les religieuses par une
autre (2).
L'affirmation de Rufïi relativement aux églises publiques des
monastères est donc fausse. Quant aux chapelles privées, il
est vrai que, généralement parlant, à l'époque de saint Cas-
sien, les religieuses n'en avaient pas encore pour y faire célé-
brer la sainte messe. Le cardinal Hergenroether (3), dit : « Ce
(1) Histoire chronologique et dogmatique des conciles de la chré-
tienté, par Roisselet de Sauclières, t. III; coueile d'Aix-la-Chapelle, en
816, 27* article de la règle des chanoinesses, p. 358.
(2) Histoire de saint Césaire, évéque d'Arles, par l'abbé Villevieille,
pp. 131, 132. — Iiecapitulatio regulœ, ch. IX; Saint Césaire, Patrolo-
gie latine, édition M igné, t. LXVlï. col. 1109, etc.— Et il y avait de plus,
dans le monastère, un oratoire privé où un prêtre disait la messe. Voici
le texte de la Règle à ce sujet: « Nullus virorum in sécréta parte mo-
nasterii et in oratorio introeat, exceptis episcopo, provisore, presby-
tero, diaconis, et uno vel duobus lectoribus, quos setas et vita commen-
dant, qui aliquoties missas facere debent. » Saint Césaire, Patrologie
latine, édition Migne, t. LXVII, col. 1109.
(3> Histoire de VEgh'se% par le cardinal Hergenroether, t. II, p. 609.
— 183 —
ne fut qu'à partir du VP siècle que les couvents de nonnes
eurent des églises particulières. Dans l'origine elles allaient en
commun, le dimanche, à la messe paroissiale. » Mais il y
avait bien des exceptions: Le moine Rufiin, qui vivait du
temps de saint Jérôme (331-340) (1), raconte qu' « il vint dans
la ville d'Oxyrinche en Thébaïde, et qu'il la trouva peuplée
de moines et de religieuses. Les édifices publics, jadis temples
des fausses divinités, servaient d'habitations aux moines, et il
y avait dans cette ville plus de monastères que de maisons de
particuliers. Or, cette ville, fort grande et populeuse, possé-
dait douze églises, dans lesquelles le peuple se réunissait, à
l'exception des monastères dans chacun desquels il y avait
des oratoires. Nous demandâmes à l'évêque de la ville
combien de moines et de religieuses Thabil aient, et nous
trouvâmes vingt mille religieuses et dix mille moines (requi-
rentes a sancto episcopo loci illius, viginti millia virginum
et decem millia monachorum inibi comperimus haberi). »
Dans la ville d'Oxyrinche, il y avait donc des églises pour le
peuple, et chaque monastère possédait un oratoire. Or,
comme les habitants de chaque monastère ne se rendaient
pas aux églises ouvertes au public, forcément moines et reli-
gieuses entendaient la messe dans leurs oratoires privés.
lien était à peu près de même à Bethléem, dans les mo-
nastères de Paula (2). Il y avait dans chacun d'eux une église
ou chapelle, et nous savons même quel titulaire fut donnée
par Paula à l'église de son monastère, ce fut Sainte-Catherine
d'Alexandrie. Seulement, on ne célébrait pas la messe dans
ces chapelles. Saint Jérôme n'ayant pu consentir, par un sen-
timent de profonde humilité, à monter au saint autel, et Vin-
(1) « Venimus et ad civitatem quamdam Thebaidis, nomine Oxyryn-
chum.. replet am namque eam monachisintrinsecusvidimus et extrin-
secusex omni parte circumdatam. ittdes publics (si qua in eâ fuerant)
et templa superstitionis antiquse, habitationes nunc erant monachorum,
et per totam civitatem multo plura monasteria quam doimis videbantur.
Sunt autem in ipsâ urbe, quia est ampla vaide et populosa, duodecim
ecclesise, in quibus agitur populi conventus, exceptis monasteriis in
quihun per sînfjula orationum tlomus sunt.* (Saiirtus Cassimius illus-
trât ut, par Guesnay, p. 70.)
(2) Histoire île sainte Paule, par l'abbé Laffrange, pp. 387,393.
— 184 -
centius, le seul prêtre qu'il y eut alors avec lui, ne voulant
oser ce que Jérôme n'osait pas, chaque dimanche on se ren-
dait à l'église -de Bethléem. Mais il faut savoir que cette
église n'était pas éloignée des monastères. C'était l'église
qu'autrefois sainte Hélène avait fait édifier sur la grotte de la
Nativité, et les monastères étaient à côté (1). N'ayant pas à
faire une longue course, pour entendre la messe, aucun in-
convénient ne se présentait de quitter le monastère sous la
conduite de leur abbesse. Si elles avaient dû aller bien loin
pour participer aux saints mystères, nous n'assurerions pas
que saint Jérôme, à la prière de sainte Paule, ne fût revenu
sur sa décision et n'eût trouvé le moyen de procurer aux com-
pagnes de Paula la consolation d'entendre chez elles la sainte
messe.
Or, ne peut-on pas dire que Cassien a eu pour ses Filles la
môme sollicitude, et que, pour leur épargner une longue
course, il leur a bâti un oratoire qu'il faisait desservir par
un de ses moines?
N'importe cependant, supposons que les religieuses cas-
sianites fussent obligées d'aller entendre la messe hors de
leur monastère, sous la conduite de leur abbesse. Quel incon-
vénient pouvait se présenter ? La clôture n'existait pas encore
à cette époque, ce n'était donc pas un obstacle. Devaient-elles
aller bien loin ? S'il fallait supposer que chaque dimanche
elles étaient obligées de franchir les bois et la colline de la
Garde pour venir à l'abbaye de Saint- Victor, dans ce cas il
faudrait avouer, avec Rufli, que saint Cassien n'a pu vou-
loir exposer ses Filles aux mille inconvénients d'une aussi
longue course. Mais ne peut-on pas indiquer une église située
(1) « Post virorum monasterium quod viris (Paula) tradiderat guber-
nandum plures, virgines quas e diversis provinciis congregaverat ta m
nobiles quam medii et infimi generis in très turmas monasteriaque divi-
sit (un manuscrit dit: per monasteria) ita duntaxat ut in opère et in
cibo separatae, psalmediis et orationibus jungerentur. Die taraen domi-
niez ad ecclesiam procedebant, ex cujus latere habitabant. Erat ad an-
trum Nativitatis Christi quam Constantius atque Helena construxerant
et unumquodque agmen matrem propriam sequebatur atque inde pari-
ter revertentes instabant operi distributo. » Saint Jérôme, lettre 108.
(Opéra Sancti Hiemnymi, t. I, col. 896; Patrologie latine, édit. Migne.)
— 185 —
dans les environs de leur cœnobium aux bords de l'Hu-
veaune ?
Et Saint-Giniez ? Ne l'oublions pas, c'est une église antique,
qu'elle ait ou non toujours porté ce titre ou ce vocable. En
1040 elle était en ruine, lorsque Pons II la donna à Saint-Victor.
Mais incontestablement elle existait avant les invasions.
M. Daspres a prouvé que ce point du terroir a toujours été
habité, puisque Ton y a découvert des vestiges de tous les
âges. Il y a eu probablement un lucus, un oratoire païen, et
plus tard une église (1). Et cela forcément, puisque les rives
de l'Huveaune ont été cultivées de bonne heure, puisqu'il y
avait des serfs et des colons. C'est donc à Saint-Giniez même
que les religieuses cassianites pouvaient assister aux offices.
Or, du monastère de l'Huveaune à l'église de Saint-Giniez, il
y a une vingtaine de minutes, et, à cette époque, surtout
quand il s'agissait de religieuses, une telle distance n'était
pas capable d'effrayer.
D'ailleurs, combien de temps durent-elles s'assujettir à ce
déplacement, en supposant toujours qu'elles n'eussent pas
d'oratoire privé ? Tout au plus quatre-vingts ou cent ans. Car,
en Provence, les monastères eurent bientôt des oratoires pri-
vés, où l'on disait la messe. Saint Césaire d'Arles, nous l'avons
dit tantôt, fit bâtir dans cette ville un monastère de filles, à
la tète desquelles il plaça Césarie, sa sœur. Or, ce monastère
avait un ou deux oratoires intérieurs dans lesquels un prêtre
venait célébrer la messe aux jours de fête. Il en est fait men-
tion plusieurs fois dans la règle. Et ce monastère fut bâti
en 510 et habité dàs 512. De plus, le concile d'Agde, en 506,
avait autorisé les particuliers à avoir des oratoires où l'on
disait la messe, excepté les jours de fêtes (2). On peut bien
supposer que déjà, depuis quelque temps au moins, un pareil
(1) L'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez, p. II.— Voir le chapitre
de notre présent ouvrage, intitulé : Quartier de Saint-Giniez- , du V* au
XI* siècle .
(2) < Il est permis aux particuliers d'avoir des oratoires et des chapelles
dans les campagnes éloignées des paroisses, * (Histoire dogmatique et
et chronologique des concile* de la chrétienté^ par Hoisselet de Sau-
eliéres. t. II, p. 370.)
— 186 —
privilège était accordé aux religieuses, fie ne serait donc que
de 420 à Tan 510-512, que les religieuses cassianites, si elles
habitaient les bords de l'Huveaune, auraient été obligées
d'aller entendre la messe à Saint-Giniez.
Or, est-il bien sûr qu'elles aient attendu aussi longtemps
pour avoir un oratoire privé ? Si en 506 le concile d'Àgde per-
met d'en posséder, est-ce que déjà depuis un bon nombre
d'années cette coutume ne tentait pas de s'introduire? Peut-
on dire que ce ne fut strictement qu'après 506 que Ton eut
de ces oratoires? Est-ce seulement à partir de 597, sous l'ab-
besse Respecta, ou quelques années auparavant, qu'elles ont
possédé celui qui était dédié à saint Casssien ? N'y a-t-il pas
eu en cet endroit, sur les bords de l'Huveaune, une église et
un monastère dont l'histoire est inconnue, tant elle est
ancienne (1) ?
Cette église de Sainte-Marie de Sait que mentionne la charte
de 1097 ne serait-elle pas l'oratoire primitif du monastère (2)?
D'autre part, il y a eu dans l'espace compris entre la monta-
gne de la Garde et l'Huveaune un bon nombre de chapelles
dont on connaît à peu près le site (3), telles que celles de Saint-
Saturnin, de Saint-Benoit, de Saint-Suffren. Mais il en est
d'autres, celles de Saint-Gabriel, de Saint-Félix, par exemple,
dont on ne sait absolument rien. Qui pourrait dire qu'il n'y
avait pas d'autres chapelles rurales dont le nom lui-même a
disparu ? Que l'on ne sache rien de précis sur ces chapelles,
n'est-ce pas une preuve qu'elles datent d'avant les invasions ?
Les documents qui en parlaient ont été perdus. Or, qui sait
si le nom de cet oratoire domestique du monastère cassianite,
à cette époque antique, n'aurait pas été lui aussi enseveli dans
la nuit des temps barbares?
(1) a II y a eu, à ce bord de mer, à une époque antique, une église
et une maison dont l'histoire nous est inconnue. Etait-ce une paroisse
rurale ? Etait-ce un prieuré de Saint-Victor 1 » (Saints (le l'Eglise de
Marseille ; sainte Eusébie, p. 231.)
(Z) C'est la question que se posait l'abbé Daspres dans son ouvrage
sur Saint-Giniez, p. 149.
(3) Saint-Suffren, Saint-Gabriel, Saint-Félix, Dictionnaire topogra-
phique de Mortreuil, pp. 344, 331.
— 187 —
Encore une fois cette série de fails, de dates qu'objecte Ruiïi
pour nier l'existence d'un monastère cassianite sur les bords
de l'Huveaune, en réalité ne prouve rien. Les Cassianites ont
Pu aller à la messe à Sain t-Gi niez, durant tout le temps
qu'elles n'ont pas eu d'oratoire privé. Elles ont pu avoir cet
oratoire dès le début du VI* siècle, et peut-être avant. L'objec-
tion de Ruiïi ne porte pas.
CHAPITRE VII
Les monastères doivent être proche des villes.
Texte de saint Jean Ohrysostome.
OBJECTION DE RUFFI. — SAINT JEAN OHRYSOSTOME NE DIT RIEN DE
SEMBLABLE. — TEXTE DE SAINT BASILE. — AUTRE OBJECTION DIS
RUFFI : LE CŒNOBIUM EUT ÉTÉ TROP LOIN DE SAINT-VICTOR.
« Cassien, écrit encore Itufii, voulut encore suivre eu cette
occasion l'avis de saint Jean Chrysostome qui porte que les
monastères ne doivent point être écartés des villes, alin qu'ils
ne fussent point éloignés des commodités de la vie dont ils ne
peuvent se passer (1). »
Il est fort possible que saint Jean Chrysostome ait émis cet
avis dans ses ouvrages. Mais Ruffi et ceux qui le copient
auraient bien fait d'indiquer dans quel écrit de ce grand
docteur on trouvait ce texte. Nous l'avons vainement
cherché. Nous avons pris la table des matières des écrits
du saint évoque et fouillé dans les douze volumes in-quarto.
Impossible de découvrir le texte en question. Et cependant
saint Jean Chrysostome parle souvent des moines ; la table
des matières renvoie à de nombreux endroits de ses ouvrages.
Nous n'avons trouvé qu'un seul renseignement au sujet des
moines et des religieux * Ils vivaient nombreux aux environs
d'Antioche, et ils habitaient tous sur les montagnes (2).
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.
(2) Voir la table des œuvres de saint Jean Chrysostome, Patroloyie
firéco-ldtine, édition Migne, t. XIII de saint Jean Chrysostome, à l'article
Monàchi in montibus def/ebant.
« Isidore de Péluse, libr. III, epist. 234, appelle ces moines habitant
le sommet des montagnes : oupavoitoXttac » (Histoire de V Eglise , par
Hergenroether, t. II, p. 186.)
- 189 —
il y a loin, on le voit, de ce que le saint docteur a écrit, à ce
que Ruffi lui fait dire.
On pourrait peut-être trouver l'idée générale dece que Ruffl
attribue à saint Jean Chrysostome dans quelques lignes du pané-
gyrique de saint Basile, prononcé par son ami, saint Grégoire
de Nazianze (1). « Le grand évéque avait remarqué, dit le saint
docteur, que les moines, qui vivent mêlés aux autres gens,
leur sont d'une grande utilité, à cause des exemples qu'ils
leur donnent. Les moines cependant ne retirent pas eux-
mêmes grand profit de ce voisinage. Car leur vie tranquille et
parfaite n'est pas compatible avec le tracas et le souci des
affaires, au milieu desquels ils se trouvent. D'autre part, ceux
qui vivent dans la solitude sont plus unis à Dieu, plus fidèles
à leur vie parfaite, mais les gens du monde ne retirent au-
cun avantage de la perfection des religieux. Basile voulut
réunir ces deux genres de vie. Il fit bâtir lès monastères assez
près des lieux habités, pour que les moines pussent exercer
la charité à l'égard des hommes, lorsque cela pourrait être
possible; assez loin cependant pour que la tranquillité du
monastère ne fût pas troublée par le bruit et le tumulte. Ainsi
les religieux étaient utiles à leurs semblables, et ceux-ci ap-
prenaient des moines la sagesse, la patience et les autres ver-
tus. Ainsi la terre et la mer s'entr'aident mutuellement (2). »
(1) Sanctus Cassianus illustratus, par Guesnay, p. 150.
(2) Voici le texte de ce passage de saint Grégoire de Nazianze, Orat.
in laude Basilii :
« Ut autem non sol uni sibi sed aliis proficeret, p ri mus cœnobia excogi-
tavit, ritumque illum monachorum antiquum et agrestem ad ordinem
quemdam ac formulam religioni propiorem redegit. Gum enim animad-
vertisset eos cui in commuai vita, hoc est, aliis mixti aguut, etiam
si monasticam abstinentiam servent, aliis quidem utiles esse, non
ila sibi ipsis, cum in mullis eos malis versari necesse sit, quœ vit se
quiebB omnino perfectse contraria videntur, eos vero qui in solitudine
procuJ ab aliis degunt, firmiores sane in proposito magisque Deo conjunc-
tos, attamen sibi tantum utiles, cum rerum experientiam te néant, nec
cum aliis comraercium ullum habeant. Utrumque genus vitae conjun-
gere conatus est. Quamobrem monachorum cœnobia haud procul ab
iis qui in ho mi nu m societate vivunt aediflcari jussit, nec omnino sepa-
tavit ut propinquitatis cum opus charitatis exposcerat adesse possent,
(iissiti propriis terminis, ne quies eorum interrumpi per multitudinem
13
— 190 —
Nous avons tenu à citer tout le passage, afin de bien montrer
qu'il n'y avait dans le dire du saint docteur nulle trace de ces
préoccupations matérielles dont parle Ruffl.
Qu'importe, d'ailleurs, ce que saint Jean Chrysostome a
pu écrire sur remplacement des monastères ! On peut bien
dire que Cassien ne jugea pas à propos d'introduire dans les
maisons qu'il fonda, la manière de vivre qu'il avait vue ail-
leurs. Il établissait la vie religieuse en Provence sur d'au-
tres bases qu'en Egypte, en Syrie et en Palestine. Là elle
était toute florissante, les déserts étaient remplis d'ana-
chorètes; des villes entières étaient peuplées de religieux. Ici
elle était à peu près inconnue. Force lui était d'établir des
monastères là oii l'emplacement lui était concédé. Il n'a-
vait pas le désert devant lui ; tout autour de Marseille régnaient
des cultures et s'élevaient des habitations. Cassien, d'ailleurs,
n'a guère suivi les conseils des moines plus anciens que lui (1).
L'abbé Abraham, qu'il avait connu en Egypte, lui avait re-
commandé de fuir sa patrie et le voisinage de ses parents.
Précisément, il établit son ordre près de sa famille, dans sou
son pays natal, en Provence (2). Il suivit en tout l'inspiration
posset, nec ipsi monachi actionis merito quod ex impendcndâ aliis
charitate existeret privarentur, neque rursus eorum actio per tumultus
inutilis efficeretur, et alter alterum juvare posset, ut monachorura vita
per conversationem eorum qui ia commuai agunt, fructuosa Ûeret et
ipsi e monachis quietem, sapientiam, contemplationemque discerent,
quemadraodum terra et mare sese invicem complectuutur et juvant. >
Guesnay, Cassianus illustratus* pp. 150,151.
(1) Il est certain que si Cassien a voulu de propos délibéré choisir la soli-
tude pour y placer le cœnobium de ses filles, il ne faisait qu'imiter ce qui
se faisait en Orient. On lit dans la Vie des Pères du désert, par le Père
Ange Marin, t. II, que Théodore le Sanctifié, voulant bâtir un monastère
de religieuses, l'établit à une demi-lieue de celui des religieux qu'il diri-
geait; p. 51 ; — saint Pacôme, voulant fonder un couvent de religieuses
dont il nomma sa sœur abbesse, rétablit assez loin de Tabenne, où il
demeurait avec ses religieux, et séparé par le Nil ; p. 178;— on dit de ces
religieuses, que « non seulement séparées, mais encore éloignées des mo-
nastères de leurs frères à la distance qui convenait » p. 190.
(2) Il nous semble plus probable que Cassien soit né en Provence.
Voir : L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, par M«f de Belsunce, t. I,
p. 100 ; de Rey, Saints de V Eglise de Marseille, p. 104; Guesnay, Cas-
sianuz illustratus, 1. 1, c. I. Le Propre du diocèse de Marseille le fait origi-
— 191 —
que la Providence lui envoyait, et fut ainsi vraiment fonda-
teur de la vie religieuse en Provence.
D'ailleurs, quand il se retirait à l'ermitage qui a gardé son
nom près de la Sainte-Baume ; que, plein de vénération pour
cette grotte sanctifiée et illustrée par les longues années de
pénitence de Marie-Madeleine, il y envoyait de ses moines
y habiter; lorsqu'il leur donna la garde du tombeau de
Marie-Madeleine à Saint-Maximin, à coup sur Cassien oubliait
l'avis que Ruffi lui fait donner par saint Jean Chrysostome, de
placer ses religieux près des endroits habités.
Enfin, et c'est là que se terminent les objections de Ruffi :
« Une des principales raisons qui obligea ce bon Père de faire
bâtir le monastère en cet endroit ( auprès de Saint-Victor ),
fut afin d'avoir un moyen de visiter plus souvent ses Filles,
pour les instruire et les consoler dans leurs besoins spiri-
tuels (1). » Ce n'est pas là encore une raison bien forte. Entre
le monastère de Saint- Victor que Cassien habitait et celui de
ses Filles, aux bords de l'Huveaune, la distance n'était pas tel-
lement grande, qu'il fût impossible au bon Père d'effectuer ce
voyage. En traversant les bois dont les revers de la Garde
étaient couverts, il ne devait falloir qu'une très petite heure
pour venir de Saint-Victor à l'embouchure de l'Huveaune. De
nos jours, en effectuant un immense détour, on y arrive cer-
tainement en une heure et demie.
Nous en avonsfini avec Ruffi. MM. Lautard, Daspres, etc.,
qui ont quelque peu emprunté les idées de Ruffi, sont réfutés
parle fait même.
Daire de la Scythie : « Scythià ortus est. » (Office de la fête de saint Cas-
sien, 23 juillet, \n leçon du 2e nocturne.)
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 57.
CHAPITRE VIII
Origine du nom « deïs Desnarrados » donné
à la chapelle des bords de l'Huveaune.
CE QUE DISENT LES AUTEURS — HISTORIQUE DE CES RUINE8 « DEIS
DESNARRADOS » — LES DAMES DE SAiNT-SAUVEUR ÉTAIENT BÉNÉ-
DICTINES, ET NON PAS CASSIANITES. — ON N*A PAS DONNÉ CE NOM
a DEIS DESNARRADOS • AUX BIENS DE SAINT-SAUVEUR SITUÉS EN
DIVERS POINTS DU TERROIR. — LA OU L'ON PLACE CE FAIT, LA SE
TROUVAIT UN MONASTÈRE.
Inutile, disent quelques auteurs (1), de nous appuyer sur
la dénomination de chapelle a deïs Desnarrados » que le
peuple donne aux ruines qui se trouvent à l'embouchure de
l'Huveaune, pour prouver que là s'élevait le monastère
cassianite, parce que « nous trouvons l'explication de cette
tradition dans la prise de possession de cette chapelle par les
religieuses cassianites de Saint-Sauveur au XVI* siècle. La
légende populaire put facilement attribuer à ce lieu ce qui
n'appartenait qu'à la congrégation, et, en effet, partout où il
y a eu un monastère de ces religieuses, on place aussi ce
glorieux fait (2). » Nous avons à montrer que l'explication
fournie par les auteurs ne vaut rien.
Les ruines de l'abbaye de Prémontrés, sur les bords de
THiiveaune, auxquelles on donne le nom de chapelle a deïs
Desnarrados », avaient été cédées, vers 1405, au couvent de
Sainte-Paule (3) que la reine Yolande, femme de Louis II, roi
(\) Casimir Bousquet, La Major ; — Alfred Saurel, La Banlieue de
Marseille (Saint-Giniez) ; — l'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez.
(2) L'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez, pp. 27, 28.
(3) L'abbé Daspres Notice sur Saint-Giniez, pp. 24 et 29. — André,
Histoire des religieuses de V abbaye de Saint-Sauveur, pp. 117,119.
— De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. III, p 138, etc.
— Rufli, Histoire de Marseille, t. II, pp. 5G, 101. — Papon, Histoire de
Provence, 1. 1, p. 362.
— 193 —
de Sicile et comte de Provence, avait fondé, de concert avec
deux riches Marseillais. Le pape, à la demande de Yolande,
avait consenti à l'union de cette ancienne abbaye des Pré-
montrés aux biens du nouveau couvent de Sainte-Paule. Mais
ce monastère de Sainte-Paule ayant été démoli lors du siège
de Marseille par le connétable de Bourbon, les religieuses qui
l'habitaient se réfugièrent à Saint-Sauveur, et en 1528, le 28
janvier, avec l'autorisation du pape, unirent leurs biens à
ceux de Saint-Sauveur . a C'est de cette manière, ajoutent les
auteurs, que Saint Sauveur vint en possession de ce que Ton
appelle la chapelle a deïs Desnarrados ». Et comme à aucune
époque antérieure, Saint-Sauveur n'a possédé ces ruines, c'est
à partir de cette époque, vers 1528, que cette dénomination
de chapelle a deïs Desnarrados » leur aurait été donnée (1).
Observons d'abord qu'à cette époque de 1528 les religieuses
de Saint-Sauveur ne sont plus des Cassianites. Depuis déjà bien
des siècles ces religieuses avaient quitté la règle de Cassien
pour suivre celle de saint Benoit. Ce changement dut s'effec-
tuer vers le X- siècle, à Saint-Sauveur, en môme temps qu'il
s'effectuait à Saint-Victor (2), alors que les évoques de
Marseille, vu le manque total de moines cassianites, dispersés
ou massacrés à l'époque du sac de l'abbaye, y introduisirent
(1) André, Histoire des religieuses de Saint Sauveur ;p. 119. —
Daspres, Notice sur Saint-Giniez, p. 29.
(2) Lorsque Honoré II, évêque de Marseille, rétablit l'abbaye de Saint-
Victor, il voulut que les religieux suivissent la régie de saint Benoit :
« Cum clericis meis divini accensum amoris, in honore Dei omnipotentis
sa dc tique Victoris martyris, congregationem monachorum secundum
regulam sancti Benedicti, in abbatia ejusdem Sancti Victoris constitui
optamus. » Gartulaire de Saint-Victor, ch. 23. — Belsunce, Antiquité de
l'Eglise de Marseille, p. 349, suppose que bien avant 966 la régie de
saint Benoit était suivie à Saint- Victor. C'est fort probable. Dés l'an 534,
un disciple de saint Benoit l'établit en Sicile. A peu près à la même époque,
Maur, un autre disciple, la fit adopter en France. Dès l'an 676 le concile
de Crécy recommandait aux abbés et aux moines de la suivre. Puis les
conciles de Germanie, (742), de Liptines (743), d'Aix-la-Chapelle (803), de
Reims, de Mayence, de Châlons-sur- Saône (813), ne cessent de la recom-
mander et de l'imposer aux monastères. (Histoire chronologique et
historique des conciles, par Roisselet de Sauclières, t. III, passim.)
— 194 —
les bénédictins (1). Depuis donc trois cents ans, quatre cents,
cinq cents ans, les dames de Saint-Sauveur, en 1528, ne sont
plus des Cassianites; on les appelle: a moniales de Sancto
Salvatore », les dames de Saint-Sauveur (2).
C'est une chose que l'on sait à Marseille, que ce sont les
religieuses d'un autre ordre, n'ayant guère de commun avec
les anciennes Cassianites que le privilège et l'honneur de leur
avoir succédé. On sait aussi, à Marseille, qu'Eusébie et ses
compagnes étaient des religieuses cassianites ; qu'à ce titre
leurs corps étaient inhumés à Saint-Victor, presque à côté du
tombeau de saint Cassien, le fondateur de leur monastère ;
qu'elles sont une des gloires de l'ordre des vierges que ce
saint avait établi. Voilà ce que l'on sait en 1528, et ce que l'on
a toujours su à Marseille, avant et après 1528.
Or, en 1528, les dames, les « moniales » de Saint-
Sauveur, qui ne sont pas Cassianites, arrivent aux bords
de l'Huveaune et le peuple donnera à l'oratoire qu'elles
acquièrent la dénomination de chapelle « dels Desnar-
rados » ! Cela n'est pas possible. Pour que le peuple
désignât leur chapelle par ce titre, il serait nécessaire
que cette congrégation de Saint-Sauveur ait toujours
été désignée comme ayant fourni les héroïnes de ce
glorieux fait. Or, jamais auteur sérieux n'a dit que les*
(1) A quelle époque précise la règle do saint Benoit fut adoptée par les
religieuses cassianites, nous ne saurions le dire. Les conciles de
Germanie en 742, de Liptines en 743, de Mayence en 813, de Pavie en
855 la recommandent et l'imposent aux monastères. Quant aux Cassia-
nites de Marseille, aucun document, que nous sachions, ne nous indique
si déjà elles la suivaient. Le premier titre dans lequel il serait fait men-
tion de ce point qui nous occupe est de 1216, c'est un bulle d'Honorius III,
qui autorise d'éiire l'abbesse de Saint-Sauveur selon la règle de saint
Benoit: « Cum au te m in monasterio vestro, abbatissae fuerit electio
celebranda, eam vobis in abbatissam statuimus apostolica auctoritate
concedi quam vos communi consensu. aut major pars vestrum consilii
sanioris cum consilio rcligiosorutn virorum, secundum Deum et beati
Benedicti régula m provideritis eligendam. » André, Histoire des
religieuses de Saint-Sauveur, p. 32, pièces justificatives, G, p. 214.
(2) c Alexander. . . filiabus sororibus Sancti Salvatoris Massiliensis. . .
monialibus Sancti Salvatoris. » André, op. cit., pièces justif., passim.
— 195 —
religieuses de Saint-Sauveur avaient mutilé leur visage, pour
échapper à la lubricité des Sarrasins. Si on Ta dit, c'est par
pure confusion de mots, par pure ignorance des événements,
en affirmant un fait impossible, car les religieuses de Saint-
Sauveur datent de l'an 1004 ou au moins de Tan 1033, et les
Sarrasins ont accompli leurs ravages au plus tard vers 923.
De plus, si cette dénomination de chapelle a deïs Desnarra-
dos r> a été attribuée à ces ruines parce quelles devenaient la
propriété de Saint-Sauveur, il aurait fallu que ce titre de
gloire ait suivi cet ordre religieux dans les divers endroits où
son siège a été établi, où il a possédé des biens. Or, a-t-on
jamais appelle la chapelle de leur abbaye de Saint-Sauveur,
à la place de Lenche, la chapelle des Accoules qu'elles occu-
pèrent plus tard: chapelle a deïs Desnarrados » ? Dès Tannée
1032, elle possédaient la quatrième partie d'AUauch que le
vicomte Guillaume leur avait cédée (1), des droits sur le bourg
de Laza ( Roquevaire) ; en 1216, des terres à Saint-Loup, à
Saint-Marcel. A-t-on jamais dit que c'étaient là les terres
« deïs Desnarrados »? Ni Marchetti, dans les Coutumes des
Marseillais, ni André, ni personne n'ont cité un texte don-
nant ce titre à ces chapelles. Donc le peuple n'a pas donné en
1528, à ces ruines de THuveaune, un titre qui n'appartenait
pas en réalité à la congrégation de Saint-Sauveur.
Si donc on appelle ces ruines de ce nom, c'est qu'il y a un
motif. L'abbé Daspres croyait l'avoir découvert: a Partout où
il y a un monastère de ces religieuses, on place aiissi ce
glorieux fait (2), tant il est accepté dans l'esprit du peuple
(1) André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, pp. 17, 32, etc.
Il y a, à Allauch, un quartier appelle Sant-Aouphemi, que Ton croit
être le même point du terroir désigné dans les fragments de Polyptique
sons le nom de < habemus pralum Sanctae-Euphemiœ ». Or, jamais,
durant notre séjour à Allauch, nous n'avons entendu désigner cet endroit
sous le no.n de « deïs Desnarrados > et cependant, en supposant qu'il
soit vrai que ce coin du terroir lût bien le môme que celui dont parient
ces fragments, il s'agissait bien alors des Cassianites, et il ne s'était pas
écoulé un long temps depu*s le massacre « dels Desnarrados ». Les péni-
tents bleus d'AUauch possédaient jadis une statue de sainte Euphémieetie
culte en l'honneur de cette sainte était une dévotion locale.
(2) L'abbé Daspres, Notice sur Sain t-Giniezy p. 28.
— 196 —
que ce sont les Filles de Saint-Cassieh qui se sont montrées si
admirables d'héroïsme. » Il serait plus exact de dire : partout
où Ton place ce fait, il y a eu un monastère de religieuses. Et
l'on énoncerait ainsi une vérité historique. Car, à ces époques
désastreuses, cet acte de courage a été accompli par des
légions de vierges chrétiennes. On dit qu'à Ptolémaïde ce fait
se produisit ( t). Ruffl cite deux couvents qui furent le théâtre
de ce zèle virginal (2). Dom Bérengier en cite un autre à
Gastelmoron (3). De sorte que Ton peut très bien dire, en
renversant la proposition, que lorsque la croyance populaire
place ce fait à un endroit, c'est que là il y a eu un monastère
de religieuses. Or, c'est le cas pour les ruines de l'ancienne
chapelle des Prémontrés. Le peuple les appelle maison «deïs
Desnarrados », donc il y a eu en cet endroit une maison de
religieuses. Toute la question est de savoir à quel moment
on a commencé à appeller cette maison en ruine : la chapelle
« deïs Desnarrados ». Est-ce depuis 1528 ou avant 1528? Nous
le verrons plus tard.
Que, dans son langage ordinaire, le peuple, de nos jours,
appelle les religieuses de Saint- Sauveur: a celles qui se sont
coupé le nez », et l'emplacement du couvent Saint-Sauveur,
à la place au Lenche : les ruines du couvent « deïs Desnar-
rados », nous le répétons, c'est par ignorance des faits,
ou par une confusion de mots. Nous-méme, quand nous
employons cette expression vulgaire, ou bien nous ou-
blions l'histoire de Saint-Sauveur ou bien nous donnons
à cette expression une signification de convention bien dif-
férente de celle qui lui revient en réalité. Nous ne pouvons
vouloir dire, en effet, que ce sont les dames de Saint-Sauveur
qui ont été ainsi martyrisées, puisque nous savons que les
héroïnes de ce fait c'étaient des Cassianites, et que les reli-
gieuses de Saint-Sauveur n'étaient pas les filles de Cassien.
(1) Scaramelli, Guide ascétique, t. III, p. 319, traduction par l'abbé
Pascal. x
(2) Ruffl, Histoire de Marseille, t. II, p. 58. — Histoire des Normands,
par Deppiez, p. 153.
(3) Dom Bérengier, Vie de Monseigneur de Belsunce, t. I, p. 10,
note 1.
— 197 —
Notre manière de parler signifie donc que les dames de Saint-
Sauveur sont les religieuses qui ont remplacé les Cassianites,
qui jadis se mutilèrent le visage, en se coupant le nez. Voilà
la véritable et logique signification de cette expression vul-
gaire dont nous nous servons quelquefois. Ce n'est donc pas
parce que les dames de Saint-Sauveur ont possédé en 1528 les
ruines de la chapelle des Prémontrés, qu'on a appelé ces
ruines: la chapelle « deïs Desnarrados ». C'est pour une
autre raison.
CHAPITRE IX
L'abbaye cassianite placée par les auteurs
aux Catalans ou au bassin du Carénage
TEXTE DE GROSSON. — PAS DE PREUVES. — INSCRIPTION DU CARÉNA-
GE. — IL S'AGIT DANS CETTE INSCRIPTION D'UN HOMME MARIÉ. —
ELLE EST DU V" SIÈCLE AU PLUS TARD. — M. BOUSQUET ET 8A FU-
REUR CONTRE PAPON. — M. SAUREL ET SES INEXACTITUDES.
Grosson, dans son Almanach historique, de Tan 1770, sou-
tient que l'abbaye cassianite se serait trouvée « à quelque
distance du couvent de Saint-Victor ». a II y a lieu de croire
que c'était vers l'endroit où sont aujourd'hui les Infirmeries
Vieilles (les Catalans), sous la citadelle de Saint-Nicolas, et
non pas à l'embouchure de THuveaune (1). » Grosson est un
auteur très estimable. Cependant personne n'est obligé à le
croire sur parole. Aussi une petite preuve nous aurait causé
un sensible plaisir. Mais il nous faut nous contenter de cette
formule bien vague: « Il y a lieu de croire ». On avouera
que ce n'est pas suffisant. Aussi nous passons.
Voici une objection autrement sérieuse, quoique assez
facile à résoudre.
L'abbaye cassianite, suivant Guindon et Méry, Saurel ,
Bousquet, Magloire Giraud, Verlaque, se trouverait à l'em-
placement qu'occupe actuellement le bassin du Carénage, en
dessous de l'abbatiale de Saint- Victor (2). La preuve en serait
une inscription sur marbre, découverte en juillet 1833.
Quelle est cette inscription ? Sur une plaque de marbre de
moyenne grandeur est sculptée une croix, dont les bras,
(1) Grosson, Almanach historique de Marseille pour Tannée 1779,
p. 74.
(2) Voir le chapitre du présent ouvrage où ces auteurs sont cités in
extenso.
— 199 —
plus courts que le montant, s'adaptent au tiers de la hauteur
de ce montant, ce qui la fait ressembler à une croix latine.
Sur cette croix môme sont gravés ces mots , partie sur le
montant, partie sur les bras : « Votum fecit cui nomen Me-
nas. » Puis, de chaque côté de la croix, dans les angles
que forment les côtés, cette inscription, que M. Edmond
Leblant a ainsi déchiffrée : a fiono requie avia in die futuro
maritum Eumenata bene vixerit, et mercede superna vocabit
apud Domino hic jacet Gemula cui nomen. » Au-desssous des
deux bras de la croix sont gravés à gauche Valpha, à droite
Yomèga, largement ouverts, renversés et reliés par un fil à
la branche de la croix (1).
Pour que cette inscription fût une preuve concluante qu'à
remplacement du bassin du Carénage s'élevait un monaslère
de religieuses à une époque antérieure au IX* siècle, il faudrait
que ce fût là l'épitaphe d'une ou de plusieurs religieuses, vier-
ges consacrées à Dieu ; de plus, que cette inscription appar-
tint aux V, VI-, VII* siècles ou à la première moitié du
(1) Guindon et Méry, op. cit., p. 201. — Voici de quelle manière
M. Edmond Leblant donne le fac-similé de cette inscription :
+ BON
0 REGV
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APUTS
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3
D SIS
DQ
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— 200 —
VIII" siècle ; et, enfin, qu'il fût impossible à des religieuses
habitant par supposition les bords de l'Huveaune de se faire
inhumer auprès de Saint-Victor. Si cette inscription appar-
tenait au IX' ou au X' siècle, elle ne prouverait rien contre
nous, puisque nous acceptons qu'à partir de la deuxième
moitié du VHP siècle, le monastère cassianite se trouvait
auprès de Saint- Victor. Si, d'autre part, cette inscription da-
tant du V% du VI-, du VII- siècle, il était possible de supposer que
des religieuses habitant non loin de Saint-Victor, sur les bords
de l'Huveaune par exemple, aient pu se faire inhumer au
Carénage, l'inscription ne prouverait encore rien contre nous;
si, enfin, cette inscription était l'épitaphe de toutes autres
personnes que de religieuses, ce serait bien inutilement qu'on
1 alléguerait.
Or, en premier lieu, cette inscription n'est pas l'épitaphe
d'une ou de plusieurs religieuses. Il s'agit, en effet, d'un cer-
tain Eumenas, qui est le mari au souvenir de qui l'épouse,
peut-être cette Gemula indiquée plus bas, a fait graver cette
inscription : « Maritum Eumenate ». On le voit, si la ques-
tion est tranchée de quelque manière, elle Test contre ceux
qui avancent une telle preuve. Dans cette inscription il ne
s'agit pas de religieuses.
Ensuite, de quelle époque date cette inscription ? M. Le-
blanc qui la relate dans son Recueil d'inscriptions chré-
tiennes antérieures au VHP siècle % n'indique pas de
date précise. Mais le seul fait de l'avoir insérée dans son
Recueil indique qu'elle n'est pas postérieure au VIII- siècle .
Nous prouverons en son lieu que ce marbre appartient à la
deuxième moitié du V siècle.
D'ailleurs, ce marbre parlât-il de religieuses vivant à
cette époque, il ne pourrait encore fournir une preuve
concluante contre nous. Si Ton peut, en effet, supposer que
des religieuses habitant un monastère loin de Saint- Victor,
par exemple sur les bords de l'Huveaune, ont été inhumées
dans le cimetière qui se trouvait au bassin du Carénage, toute
la force de l'argument de Guindon tomberait. Or, cette sup-
position on peut la faire. Dans un chapitre précédent nous
— 201 -
l'avons démontré longuement (1). Donc l'assertion de Guindon,
Méry, etc., ne tient pas.
Gomme Guindon et Méry, M. Bousquet, auteur de la Mono-
graphie sur la Major, a soutenu son opinion en alléguant la
même preuve (2). Ce qui a été dit plus haut devrait suffire.
Mais nous ne résistons pas au plaisir de citer cet écrivain.
Rien n'est curieux comme son cas, nous voulons dire sa
déconvenue.
Il avait, dans deux passages de son ouvrage, soutenu que
c'était bien à THuveaune que s'élevait le monastère des
vierges cassianites. C'est, parait-il, pour s'être fié à Papon
qu'il avait accepté cette opinion. Mais, reconnaissant plus
tard qu'il n'y avait là qu'un ingénieux système, M. Bousquet
se plaint amèrement de sa mésaventure. Voulant' tancer ver-
tement l'écrivain, il dit de celui-ci « qu'il n'aurait pas fallu
qu'il avouât, dans le deuxième volume de son Histoire, qu'il
n avait pas été admis à consulter les archives de Saint- Victor.
Cet aveu contient sa condamnation (3). » C'est bien aussi
quelque peu la condamnation de M. Bousquet, car, lorsqu'il
écrivait sa monographie, vers 1857, il pouvait très bien lire
l'aveu naïf de Papon et agir en conséquence (4).
« Si Papon, ajoute l'irascible auteur, avait eu accès aux
archives de Saint- Victor, il aurait vu que remplacement du
monastère cassianite est parfaitement désigné dans le cartu-
laire de Saint- Victor : a Pater Cassianus, y est-il dit, funda-
« vit monasterium monialium non longe a ripa portus, juxta
« viam defGardia.» Voilà qui est clair, et Guesnay est inexcu-
sable de n'avoir pas lu ce texte, lui qui jouissait de la faveur
qui ne fut pas accordée à Papon. »
Ce que c'est que de vouloir toujours trouver en défaut moi-
Ci) Voir le chapitre du présent ouvrage intitulé : Inscription d'Eu-
genia.
(2) Casimir Bousquet, La Major, cathédrale de Marseille, pp. 67, 69,
623.
(3) C. Bousquet, p. 625. — Papon, Histoire de Provence, t. I, pp. 361,
362.
(4) Papon le dit tout simplement dans t. II, page 4 de la préface et
p. 526.
— 202 —
nés et prêtres ! ! Qui est bien vengé, en effet, c'est Papon
et Guesnay. Eussent-ils joui du privilège de fouiller les archi-
ves de Saint-Victor, il leur eût été bien difficile de lire ce texte,
puisqu'il n'existe pas. Et M. Bousquet, qui a vu le cartu-
laire (1), l'a très mal lu. Papon et Guesnay sont donc parfaite-
ment excusables de n'avoir pas cité ce texte si clair et si pré-
cis. Ils ont lu ce texte, seulement ils l'ont compris, voilà pour-
quoi ils ne s'en servent pas. On se rappelle, en effet, que nous
avons expliqué ce texte de la charte 40, du XI" siècle (2). Il
n'est point tel que M. Bousquet affirme l'avoir lu. En outre,
il a un sens bien différent de celui que M. Bousquet lui donne.
En dépit donc de cet auteur, il est entièrement faux que le
couvent cassianite ait été au pied de la Garde.
M. Bousquet est encore dans Terreur au sujet de la dénomi-
nation provençale a deïs Desnarrados ». Nous l'avons prouvé
plus haut en réfutant M. l'abbé Daspres. Enfin, il se trompe
encore, cet excellent M. Bousquet, quand il allègue comme
preuve de son opinion la découverte de l'inscription du Caré-
nage. Ce marbre ne parle pas de religieuses, mais d'une per-
sonne mariée. Donc, que M. Bousquet se calme, et qu'il n'en
ait plus contre Papon. 11 a perdu, lui, l'occasion de soutenir
ce qui est la vérité sur cette question.
Nous arrivons à Alfred Saurel. On a vu plus haut ce que cet
auteur a écrit sur le sujet qui nous occupe (3). Malgré tout son
désir d'être exact, A. Saurel a réuni dans quelques lignes une
jolie collection d'inexactitudes. 11 cite les auteurs qui sou-
tiennent une opinion différente, puis il ajoute : « Lie document
que nous donnons avec d'autres est assez précis pour arrêter
toute discussion (4). » Certes, la preuve péremptoire que nous
cherchons depuis si longtemps a-t-elle été découverte ? La
(1) Le cartulaire de Saint-Victor a été imprimé en 1857. Si M. Bous-
quet n'a pas vu cet ouvrage imprimé, il a pu voir aux archives le car-
tulaire manuscrit.
(2) Voir le chapitre où ce texte est cité et interprété.
(3) Voir le chapitre de ce présent ouvrage où le témoignage de cet
auteur est cité.
(4) Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, Saint-Ginies, pp. 160
154.
— 203 -
voici, telle que la donne A. Saurel: « Pater Cassianus fundavit
monasterium monialium non longe a ripa portus, juxta viam
de Gardia ! ! ! »
Cette phrase que cite A. Saurel ressemble fortement à
celle que M. Bousquet affirmait avoir lue dans le Cartulaire.
Elle est identique! Aussi un terrible soupçon nous tourmente.
Il est peut-être téméraire, n'importe, faisons-le connaître.
Nous gagerions que Saurel a copié Bousquet, qu'il ne s'est
pas donné la peine, ou le luxe d'ouvrir un cartulaire de Saint-
Victor, et d'y lire le véritable texte de la charte 40, du XI* siè-
cle. Dans tous les cas, il y aurait dans l'assertion de Saurel
une première inexactitude !
Cet auteur ajoute qu' « une découverte faite en juillet 1833,
au bassin du Carénage est du reste concluante. C'est une ins-
cription tumulaire déposée aujourd'hui au musée Borrély, et
reproduite dans l'ouvrage de Guindon, qui n'est autre que
l'épitaphe d'Eusébie et ses compagnes. » M. Saurel nous met
de nouveau martel en tête ! Nous avons peur qu'il n'ait jamais
lu cette inscription dans Guindon ; qu'il ne Tait jamais vue
au musée Borrély ; et que, de plus, il n'ait jamais aperçu,
au même musée, l'épitaphe d'Eusébie que l'on trouve dans
Ruf fi, Verlaque, André, le Cata'ogue raisonné du Musée
archéologique du château Borrély. Dans l'inscription citée
par Guindon et Méry, nous l'avons montré plus haut, il s'agit
d'Eumenas, homme marié, et d'une Gemula, qui parait être
sa femme ou sa fille, et dans celle d'Eusébie il s'agit d'une
religieuse qui vécut cinquante ans « in monasterio Sancti
Cyrici » . Deuxième inexactitude !
A. Saurel termine en attribuant la dénomination a deïs
Desnarrados » que l'on donne aux ruines de l'Huveaune à
l'entrée en possession de ces ruines parles dames de Saint-Sau-
veur, au XVI* siècle. 11 a élé démontré que cette explication
ne valait rien !
Ainsi donc les auteurs qui ont placé le monastère cassianite
à l'emplacement du bassin du Carénage n'ont pas réussi à
établir cette assertion sur des preuves assez solides.
CHAPITRE X
L'abbaye cassianite au quartier du Revest
LES CASSIANITES ONT POSSÉDÉ DES BIEN3 AU TERROIR DE SAINT-GINIEZ,
DURANT LE X* SIÈCLE. —LE TEXTE DE LA CHARTE 40 N'EST D*AUCUN
SECOURS. — LE REVEST SELON LES AUTEURS.
C'est l'opinion de l'auteur des Saints de V Eglise de Mar-
seille el les arguments à l'appui que nous devons discuter
maintenant. Cet aimable historiographe ayant écrit plus lon-
guement et tout récemment sur le sujet qui nous occupe, nous
devons le réfuter avec quelque détail.
« Certains historiens ont cru, a dit M. de Rey, que ce mo-
nastère était à l'embouchure de l'Huveaune, et ils se sont ap-
puyés sur une tradition locale qui met en ce lieu le martyre
de sainte Eusébie. . . Mais il ne parait pas que les religieuses
de Cassien aient rien possédé à l'embouchure de l'Huveaune
avant le XVI'siècle, et la tradition locale ne peut pas être beau-
coup plus ancienne (1) .»
On sait que les Prémontrés reconstruisirent, en 1204,
une petite chapelle, à cette époque en ruine, sur ces
bords et en firent l'abbaye de Notre-Dame-d'Huveaune qui
dura deux cents ans. Après ce laps de temps, cette abbaye et
ses dépendances furent données aux Augustines de Sainte-
Paule, lesquelles cent ans plus tard, en 1528, s'unissant aux
dames de Saint-Sauveur, leur apportèrent cette propriété. Il
est vrai que si les religieuses de Saint-Sauveur n'ont fait leur
apparition à l'embouchure de l'Huveaune qu'en 1528, la tra-
dition locale sur sainte Eusébie pourrait ne pas être plus an-
cienne et partant on ne pourrait guère placer en ce lieu le
martyre de cette sainte. Mais les religieuses de Saint-Cassien
ont possédé des terres à l'embouchure de l'Huveaune, ou non
(1) Les Saints de l'Eglise de Ma rseiUe, sainte Eusébie, p. 231.
— 205 —
loin de là, bien avant le XVI0 siècle. Au mois d'avril 1077, Gar-
sende, abbesse de Saint-Sauveur, cède ou vend à Saint-Victor
la dlme ou la part qui lui revenait sur un champ dont Pierre
Saumade, fils de la vicomtesse Stéphanie et de Guillaume le
Gros, était propriétaire. Et ce champ était situé a juxta ortum
Saocti Victoris ad Vuelna », sur la rive droite de ce fleuve, à
peu près vis-à-vis de Saint-Giniez (1).
La charte 37 du XI- siècle parle d'un jardin des religieuses,
«ortum monacharum », situé au quartier de Ressac, jardin
qui sert de limite et de conf ront à deux ou trois pièces de terre
que certains particuliers donnent ou vendent à Saint-Victor.
Or, les lieux environnant ou confrontant ce jardin des reli-
gieuses s'appellent a ad Resclausum ». D'après M. Mortreuil,
c'est l'endroit du terroir appelé l'Ecluse, un ancien quartier
de Saint-Giniez, à la jonction du Jarret et de l'Huveaune (2).
Voilà déjà deux propriétés que Saint-Sauveur possède sur les
bords de l'Huveaune et près de Saint-Giniez, au XI- siècle. Or,
peut-on dire que ce soient les premiers biens que Saint -Sau-
veur ait possédés dans ce quartier ? Mais les fragments trouvés
par Ruffl, et que M. Albanès pense être des portions du grand
Polyptique ou des parchemins lui faisant suite, ces frag-
ments (3), dis- je, indiquent que « tempore Gualdadi », à Tin-
diction XI, c'est-à-dire vers .814, l'abbaye possédait des escla-
ves, des serfs, des colons « in agro Columbario ». M. Mortreuil
place ce quartier de Colombier près du Rouet (4); qu'au temps
de Venator, à la fin du IX" siècle, elle avait des esclaves « in
agro Massiliensi ». Or, T«ager Massiliensis» comprenait Saint-
Giniez comme d'autres quartiers (5).
Pourrait-on assurer que l'abbaye cassianite n'a jamais rien
possédé sur les bords de l'Huveaune antérieurement à Valdalde,
(1) Cartulaire de Saint-Victor, charte 88.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, charte 37. — Dictionnaire topographi-
que de Marseille ,par Mortreuil, verbis : Ecluse, p. 138 ; Ressac, p. 306.
(3) Armoriai et Sigillographie des êvêques de Marseille, par M. le cha-
noine Albanès.
(4) Mortreuil, op. cit., p. 114, verbo: Colombier.
(5) Mortreuil, op. cit., p. 216, verbo: Marseille.— Cartulaire de Saint-
Victor, 1. 1, préface, p. LXI.
14
— 206 -
Venator, etc., etc.? que les titres de ces propriétés n'ont pas pu
disparaître à l'époque des invasions ? qu'ainsi tels et tels biens
n'ont pas pu tomber, à l'époque de la destruction de l'abbaye
cassianite, à quelque date qu'elle ait eu lieu, dans le domaine
de Saint-Victor ou de la cathédrale, sans qu'il restât de cette
opération une trace quelconque? Certes, il a pu en être ainsi.
La conclusion de M. de Rey parait donc bien hasardée. Les
preuves que nous avons déduites des chartes 37 et 88 et des
lragments du Polyptique montrent, au contraire, que la tra-
dition locale sur sainte Eusébie pourrait au moins remonter
jusque-là.
« Il est inutile, continue le même historien, de nous attarder
à combattre ces opinions fantaisistes. Nous savons que le mo-
nastère des religieuses était voisin de celui des moines, sur le
port même de Marseille (1) ». Et M. de Rey cite le texte de la
charte 40 du cartulaire de Saint- Victor : « Terra Sanclae Ma-
riae... », etc., etc. Nous avons vu plus haut, en réfutant les
objections de Ruffi, le cas qu'il fallait faire de cette preuve. Ce
texte ne va pas ad rem.
M. de Rey veut ensuite indiquer l'endroit précis oii se serait
élevé le monastère des Gassianites : « Le cimetière de Paradis,
si vaste qu'il fût, ne descendait pas jusqu'à la mer. Le pla-
teau occupé par l'abbaye de Saint-Victor et traversé par la
rue Sainte actuelle s'incline brusquement vers le port par une
pente rapide. Là existait, à l'époque dont nous parlons, une
villa ou hameau dont le nom rappelle la disposition du terrain.
G était le Revest. C'est sur ce coteau incliné vers la mer que
s'élevait le monastère de Saint-Cyr. On ne peut lui attribuer
un autre emplacement (2) . » Tout serait parfait, si l'auteur
donnait une preuve de ce qu'il avance. Mais il ne dit que ce-
ci : o Un titre de l'an 1081 confirme aux moines de Saint-Vic-
tor le « Revestum juxta portum », le Revest sur le port.»
11 nous semble d'abord que l'auteur commet une inexacti-
tude topographique en traduisant les mots «juxta portum»
par sur le port, et en donnant à ces mots * Revestum juxta
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 232.
(2) Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 234.
— 207 —
portum » une signification qu'ils n'ont pas. En effet, que veut
dire, dans le style des chartes, le root a revest » ? Le versant
d'une montagne. M. l'abbé Daspres, dans son histoire de Saint-
Giniez, dit : « que tous les versants de la Garde sont désignés
par le nom de Revest. Ainsi le bourg de Revest est au nord de
la Garde, le castel de Revest sur le versant occidental, le che-
min des Princes et des bouches de l'Huveaune ou Revest de la
Garde à Test, et le quartier de Saint-Giniez est au midi (1).»
M. Mortreuil donne à ce mot de Revest la même signification :
« C'est tout le côté de la colline de Notre-Dame de la Garde
qui avait sa pente vers l'ouest jusqu'à la mer (2). » C'est dans
ce sens qu'il faut prendre ce mot de Revest dans la charte de
1097 : « Dne pièce de terre qui est près du chemin qui va à
Saint-Giniez sur le Revest (3).» Aussi dans ce sens qu'il faut
prendre les mots a Revestum juxta portum » des chartes de
1079, de 1081, de 1135 (4).
Ce n'est donc pas « le Revest sur le port » que signifie « Re-a
vestum juxta portum »,mais : le quartier, le versant du côté
du port. Ce n'est donc pas un bourg, un hameau, un point
déterminé dont les chartes veulent confirmer la possession à
Saint-Victor, c'est tout le versant de la Garde vers le port. On
se rappelle que Honoré II, évéque de Marseille, avait donné
ou vendu à l'abbaye de Saint-Victor, en 966, tout l'espace
compris entre le port, la mer, la Garde et le chemin de
Paradis (5); en 1079, 1081, 1135, cette possession fut confir-
mée à Saint- Victor par les papes.
Plus tard, ce nom de Revest perdit sa signification première.
Il s'était bâti en cet endroit un petit bourg qui s'appela
hameau du Revest, c'est le nom que lui donnent les chartes.
Celle de 1150 le désigne par « villa quse dicitur Revestum » ;
celle du 27 mars 1228 : « villa del Revest » ; celle du
(1) M. l'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez, p. 102.
(2) Mortreuil, op. cit., verbo : Revest, p. 307.
(S) Charte inédite de 1097. (Daspres, Notice sur Saint-Giniez, note C,
p. Ut.)
(4) Chartes 843, 841,844.
(5) Cartulaire de Saint- Victor, charte 23.
— 208 —
1" avril 1228 : « villa de Rêves to » ; celle du 30 janvier 1230 :
« tenementum de Revesto » (1).
Or, à cette époque, ce centre d'habitation, ce quartier, n'avait
pas pour limite la partie du terrain incliné vers la mer, en
contre-bas de la rue Sainte. Il formait ce que Ton appelait le
district de Saint-Victor dont la charte de 1228 indique les
limites : a Le hameau de Revest et tout ce qui se trouve sur
son territoire est ainsi limité : Il va du monastère de Saint-
Victor de Marseille jusque à la colonne du Podium Formica-
rium ; de là on va vers le Pontellar ; on comprend dans l'espace
circonscrit le petit bourg qui était autrefois le jardin de Pierre
Lica, puis toutes les salines. Puis la limite se dirige vers
l'église de Beaulieu (Notre-Dame des Salines), on suit le chemin
de la Garde, on arrive au pin de Raymond Dalmas, on suit le
chemin qui va vers Gironde, la maison de Jacques de la Salle
jusqu'à la mer, de tous côtés (2). » Voilà le quartier du Revest,
le district de Saint- Victor au XIII* siècle. C'était, en résumé, la
donation d'Honoré II, accrue de donations postérieures.
Mais le quartier du Revest sur le port, tel que le dépeint M.
de Rey, n'existait pas aux VII6, VI11\ IX', X siècles! Existât-il,
il n'est pas prouvé que le monastère cassianite s'y élevât. Et
serait-il prouvé qu'il s'élevait en cet endroit en 1081. il fau-
drait établir encore qu'il existait à l'époque du martyre de
sainte Eusébie, à quelque époque qu'on le place, du VI? au X*
siècle. C'est ce qui n'a pas été fait. Si donc le monastère s'est
trouvé, aune époque, au Revest, c'a été postérieurement au
martyre de sainte Eusébie. C'est là, ou du moins tout auprès,
nous le croyons, qu'il se trouvait lorsqu'il fut détruit, en 923,
(1) Cartulaire de Saint- Victor, chartes 849, 899, 900, 917.
(2) t Villa de Revesto... quod clauditur istis terminis videiicet: monas-
terio Santi Victoris Massiliensis usque ad columnam de Podio Formicario»
et inde itur ad Pontellar, et inde colligitur borguettus qui solebat esse
ortus Pétri Lica, et tote saline, et postea itur ad ecclesiam de Belloloco
et inde sicut vadit via quâ itur versus Guardiam et ad pinum Raimundi
Dalmacii, et sicut itur ad Girundam et ad domum Jacobi de la Sala, et
tote consue rémanent indominio monnsterii Sancti Victoris.» Cartulaire
de Saint-Victor, chartes 899, 900. Ruffl (Ant. de) : « 11 y avait entre les
salines une chapelle appelée Notre-Dame de Beaulieu ou des Salines, i
{Histoire de Marseille, p. 421.)
— 209 —
par les Sarrasins. Dans ces tombes découvertes aux environs
de la chapelle de Sainte -Catherine, ont reposé les dépouilles
mortelles ou bien des religieuses morte3 postérieurement à
Tan 904, ou bien de celles qui moururent après le martyre de
sainte Eusébie, alors que l'abbaye de l'Huveaune avait été
rééiiflée auprès de Saint-Victor, ou de celles enfin qui décé-
dèrent sur les bords de FHuveaune et que Ton transporta au
cimetière de Paradis.
CHAPITRE XI
L'Abbaye cassianite à Saint-Oyr (Var)
TEXTE DE M. MAOLOIRB GIRAUD. — UN CŒNOBIUM DE VIBROB8 A
SAINT-CYR (VAR). — C'EST A TORT QU'ON L'AURAIT CONFONDU AVEC
CELUI DE MARSEILLE. — AUCUNE PREUVE EN FAVEUR DE L 'OPINION
DE M. MA GLOIRE OIRAUD. — LA CHAPELLE DE SAINT-CYR (VAR)
DATERAIT DU X* OU DU XI* SIECLE.
On a lu plus haut les quelques pages que M. l'abbé. Magloire
Giraud, curé de Saint-Cyr (Var), a consacrées à ce point d'his-
toire dans sa Notice sur l'église de Saint-Cyr. Cet auteur,
après avoir protesté qu'il était loin de sa pensée de vouloir
attaquer une des traditions de l'Eglise de Marseille, l'étudié,
le flambeau de la critique à la main. Il se demande si ce ne
serait pas à Saint-Cyr même que s'élevait jadis le a monaste-
rium Sancti Cyrici » dans lequel une épitaphe connue nous
apprend que sainte Eusébie a vécu cinquante ans. On le voit,
c'est de M. l'abbé Magloire Giraud que l'on pourrait dire qu'il
prêche pour sa paroisse 1 Nous ne lui en faisons pas un repro-
che cependant. C'est un honneur qu'il vaut la peine de reven-
diquer pour une localité, d'avoir donné asile à un monastère
célèbre, comme le fut celui de Saint-Cyr. Seulement, notre
écrivain décapite la tradition, diminuant d'autant la gloire
qui en reviendrait à son église. Suivons, en effet, son argu-
mentation (1).
Disons d'abord que M. Magloire Giraud a été le premier à
soutenir que le monastère de Saint-Cyr se trouvait dans le
Var. Si loin de Marseille ! C'est contre lui que Ruffi, Lautard
(1) Notice historique sur V église de Saint-Cyr (Var), par l'abbé
Magloire Giraud. — Nous avons eu la consolation de connaître l'auteur
de cette Notice historique sur l'église de Saint Cyr. C'était un prêtre
d'une éminente vertu et d'une grande science. L'âge et la maladie avait
brisé ses forces, mais non son énergie. Cn mois avant sa mort, il ne par-
— 211 -
et de Rey ont beau jeu. Ces écrivains n'acceptent pas que le
monastère cassianite fût à l'embouchure de l'Huveaune parce
que c'eût été dans un terroir exposé aux incursionsdes pirates ;
loin de toute église pour entendre la messe le dimanche ; loin
de toutes les commodités de la vie nécessaires à un monas-
tère. En vain M. Giraud eût répondu que ce monastère était
aux environs de la petite ville de Taurœntum. Cette ville ne
devait pas être une forteresse de premier ordre, capable d'offrir
un asile bien sûr en cas d'invasion, puisque M. Giraud fait se
retirer à Marseille les religieuses de Saint- Cyr, à l'époque de
l'envahissement de Taurœntum par les Sarrasins. Ce ne devait
pas être non plus une ville offrant beaucoup de ressources ; il
y avait d'ailleurs une bonne distance entre le monastère
supposé et Taurœntum ! Mais arrivons à la discussion.
t On a confondu le a monasterium Sancti Cyricii », oh
sainte Eusébie a vécu cinquante ans, avec le monastère de
femmes fondé par Cassien en 420, habité par la sœur de saint
Césaire, détruit par les Normands en 867, saccagé par les
Sarrasins en 928. Et pour faire cette identification on n'a eu
qu'une preuve: l'inscription que l'on connaît (1). » Il y a là
une exagération. Aucun monument historique ne prouve
qu'il faille identifier les deux monastères, c'est vrai. Mais ce
qui est vrai aussi, c'est que, d'une part, aucun monument,
aucune inscription n'indique que de 410 à 923 il y ait eu à
Marseille un monastère de femmes autre que celui des Cassia-
nites. D'autre part, le monastère fondé par Cassien était à Mar-
seille, rien n'est plus sur, mille preuves existent. La vie de
saint Césaire, le texte de Gennade, la charte 40 du XI* siècle,
les chartes de 1066 relatives à Saint-Sauveur, celles de 1431
et 1446, etc., etc. Enfin, l'épitaphe de sainte Eusébie mention-
nant un a monasterium Sancti Cyricii » a été trouvée à Mar-
seille; la tradition et l'unanimité des auteurs disent que ce
iait que de nouvelles monographies à écrire et d'une grande mission à
(aire prêcher à Saint-Cyr. Les félicitations venues de plusieurs acadé-
mies et comités historiques de Province avaient récompensé ses labeurs
scientifiques. Dieu Ta certainement récompensé de ses travaux de prêtre
et de pasteur des âmes.
(1) Magloire Giraud, op. cit., p. 14.
i
- 212 -
monastère de Cassien placé sous le vocable de la Sainte Vierge
était le même que celui qui fut plus tard « in honore Sancti
Cassiani ». On conclut tout naturellement que le titre de Saint-
Cyr a été un vocable nouveau sous lequel l'abbaye cassiani te
était placée au VIF ou au VIII* siècle, que ce monastère cas-
sianite a changé souvent de nom et de place, mais que, malgré
ces changements, il n'y a jamais eu qu'un seul monastère.
L'inscription de sainte Eusébie n'est donc pas la seule raison
pour les auteurs de commettre ce que M. Magloire Giraud
appelle une confusion.
Cet auteur aura-t-il, du moins, quelques preuves à donner
que le « monasterium Sancti Cyricii» de l'inscription de sainte
Eusébie et celui fondé par Cassien étaient deux monastères
distincts? Nous le verrons bientôt.
« On a fait u ne seule personne de sainte Eusébie, qui
a vécu cinquante ans « in monasterio Sancti Cyricii », avec
cette Eusébie que la tradition dit avoir été martyrisée par les
Sarrasins. Et Ton n'a eu que des preuves inadmissibles. On en
a fait une abbesse, et cette inscription ne contient pas les
mots de « abbatissa, praefuit ». On en a fait une martyre, et
cette inscription encore ne porte aucun signe symbolique, une
palme par exemple, qui le fasse supposer. On a dit que son
corps reposait à Saint-Victor dans un tombeau, et ce tombeau
ne fut pas fait pour elle, il lui est antérieur de deux cents
ans (1). » C'est le résumé des pages de MM. Magloire Giraud.
C'est vrai, l'inscription dont il s'agit n'indique pas que
sainte Eusébie fût martyre. Moins que tout autre, M. Magloire
devrait en être surpris. Ce fut, en effet, selon lui, « quelque
lapicide de campagne qui grava cette inscription. » On
l'avouera, notre lapicide dut être bien embarrassé pour dire
dans son épitaphe, en un style passable, que sainte Eusébie
s'était coupé le nez ! Pour trancher la difficulté, le lapicide
n'a rien dit. Mais nous donnons la réponse ailleurs à cette
objection.
Cette inscription n'indique pas qu'elle fut abbesse! Ceci est
peut-être exagéré. Car ces mots : a religiosa magna » ou
(1) Magloire Giraud, op. cit., passim, p. 14 et suivantes.
<- 213 —
« magna ancilla Domini », rapprochés de a magnus Dei sacer-
dos », qui chez saint Grégoire de Tours désignent un évêque,
de « ancilla Dei » donné aux simples religieuses, pourraient
remplacer très avantageusement les mots « abbatissa,prsefuit »
que Ton se plaint de ne pas y lire.
Le tombeau où reposaient ses restes à Saint-Victor n'avait
pas été fait pour Eusébie. Il était de deux cents ans plus
ancien qu'elle! C'est vrai, nous croyons que c'est là un tom-
beau païen, alors que d'autres y voient un tombeau chrétien.
Mais que d'autres corps saints, à Saint-Victor, ont été déposés
dans des tombeaux païens: saint Mauront, saint Victor, etc.!
« D'autre part, vers le milieu du IX* siècle (1), avant la
destruction de Taurœntum, existait près du village de Saint-
Cyr, au quartier rural de la Mure (villa murata) un monas-
tère de femmes, dont on désigne l'emplacement, et dont il
reste la tour Ceci semble déterminer à Saint-Cyr même
remplacement du a monasterium Sancti Cyricii » où vécut
durant cinquante ans sainte Eusébie. Ce monastère dut être
abandonné par les religieuses lors de l'envahissement de Tau -
rœntum par les Sarrasins. Celles-ci se réfugiant à Marseille,
les restes de sainte Eusébie furent portés à Saint-Victor, mis à
la hâte dans un tombeau, et un lapicide de campagne grava
l'épitaphe en termes barbares. »
Nous avouons ne plus reconnaître la tradition de Marseille.
Nous eussions préféré voir M . Magloire Giraud revendiquer
hautement pour sa paroisse de Saint-Cyr la gloire d'avoir été
le théâtre du massacre. Il découronne la tradition 1 Mais, s'il
est vrai, comme le soutient notre écrrivain, qu'autre a été
le « monasterium Sancti Cyricii », autre celui fondé par
Cassien; s'il est vrai que ce monastère d'Eusébie se trouvait à
Saint-Cyr dans le Var, M. Magloire Giraud, en sa qualité de
curé de Saint-Cyr, doit posséder une ample provision d'argu-
ments à l'appui de son dire. Hélas! il va falloir nous contenter
de peu :
« L'existence d'un monastère de femmes, à Saint-Cyr, est
(1) Magloire Giraud, op. cit., p. 15.
— 214 —
attestée, dit- il, par la tradition locale et les débris qui ont
survécu aux ravages des hommes (1). » Et c'est tout.
Cela est vrai peut-être. Mais, à notre tour, sans être trop
exigeant, et tout en étant disposé à croire M. Giraud sur pa-
role, une preuve, si petite fût -elle, eût bien fait notre affaire I
Nous avons cherché dans les divers ouvrages «de cet auteur,
sur Taurœntum, sur Saint-Damien, sur le canton du Beausset,
s'il n'avait pas fait la preuve de son assertion. Impossible de
rien trouver de précis. Dans son livre de Taurœntum, après
avoir parlé de cet édifice appelé la Mure, il se contente
d'ajouter : « On croit généralement, dans le pays, que cet
ancien édifice était autrefois un monastère. J'ignore jusqu'à
guel point cette conjecture est fondée (2). » Or, cet ouvrage
sur Taurœntum est de 1853, celui sur Saint-Cyr est de 1855.
Si M. Magloire Giraud n'avait pas de preuve lorsqu'il écrivait
de Taurœntum, il devait en avoir lorsque, écrivant de Saint-
Cyr sa paroisse, il abordait cette question. Il avait à démontrer
que ces ruines de la Mure étaient bien celles d'un ancien
monastère, et que ce monastère était le même que le « monas-
terium Sancti Cyricii ». C'est ce qu'il n'a pas fait! Nous som-
mes donc en droit de l'affirmer: c'est un simple rappro-
chement que M. le curé de Saint-Cyr se permettait de faire
par suite de la similitude des noms que portaient et sa pa-
roisse et cet ancien monastère. Mais une pure supposition I
Car, nous le répétons, aucune raison sérieuse ne prouve qu'il
y ait eu à Saint-Cyr un monastère.
Inutile aussi d'affirmer qu'il y a eu là un monastère de
Saint-Cyr, parce que pi as tard les moines de Saint-Victor ont
donné ce vocable aune chapelle du terroir, l'église du Saint-
Cyr actuel. Quoique la fondation d'une chapelle à Saint-Cyr
(Var), en l'honneur du jeune saint martyr, remonte à une
époque fort ancienne, cependant, on ne peut pas dire « qu'elle
se perde dans la nuit des temps (3). » On peut trouver l'époque
(1) Magloire Giraud, op. cit., p. 16.
(2) Magloire Giraud, Mémoire sur l'ancien Taurœntum, pp. 43, 44.
(3) Magloire Giraud, Histoire du prieuré de Saint-Damient pp. 4, 7.
— Notice sur l'église de Saint-Cyr (Var)% par le même. p. S.
— 215 —
»
approximative de cette fondation. Ce n'est qu'en 966 que les
religieux de Saint-Victor viennent dans cette contrée (1).
L'évoque de Marseille, Honoré II, leur donne, aux termes de
la charte : a ecclesiam Sancti Damiani cum appendiciis suis ».
Par ces mots sont désignées les terres qui dépendent de Saint-
Dam ien, dont la même charte donne les limites (2).
Si déjà la chapelle de Saint -Cyr existait, si surtout il y avait
eu, dans les environs de Saint-Damien, uu monastère de Saint-
Cyr, Honoré II en aurait fait mention en parlant des dépen-
dances. S'il ne dit rien, c'est qu'à cette époque, sur ce terroir,
il n'y a que l'église de Saint-Damien. Plus loin, il y a la
Cadière. Ce village à son tour est cédé en grande partie à
Saint- Victor par Guillaume I", comte de Provence, vers 967.
Or, a à ce moment, la paix qui succède aux invasions porte
tous les habitants à se remettre aux travaux des champs. La
population, qui s'était abritée jusqu'ici dans les villages for-
tifiés, se répand dans la campagne. Les moines alors font
élever dans la circonscription territoriale des chapelles rurales
pour alimenter la piété des fidèles et leur faciliter l'accom-
plissement des devoirs religieux (3). Telles furent celles de
Saint-Jean, du côté du levant de Saint-Damien ; et celle de
Saint-Cyr, dans la partie du territoire la plus voisine de
Taurœntum. » Nous citons M. Magloire Giraud lui-même et ce
n'est que dans les chartes de 1113 et 1135, que ces chapelles
sont indiquées comme annexes de l'église de la Cadière : « pa-
rochialem ecclesiam de Cadeira cum capellis suis. » Jusqu'à
cette époque, on n'en trouve aucune trace. En 1079, il n'y a
d'indiqués que Saint-Damien, la Cadière, son église et les
églises des villages voisins (4;. Si les chapelles ne sont point
nommées, c'est la preuve qu'elles n'existent pas encore.
(1) Magloire Giraud, Mémoire sur Taurœntum, p. 152; Histoire du
prieuré de Saint-Damien, pp. 4, 7 ; Notice sur V église de Saint-
Cyr, p. 8.
(2) Gartulaire de Saint-Victor, charte 23.
(3) Magloire Giraud, Histoire du prieuré de Saint-Damien, p. 15.
(4) Gartulaire de Saint-Victor, charte 843, de 107» : c cellam Sancti
Damiani... castella quœ subscripta sunt, villas cum ecclesiis, prœdiis et
pertinentiis, videlicet catedram, Citharistam »', etc.— Charte 848, de 1133 :
— 216 —
Pourquoi, maintenant, les moines donnent-ils à cette cha-
pelle rurale le vocable de Saint-Cyr plutôt qu'un autre ? Il est
difficile, à huit cents ans de distance, d'indiquer le motif qui
détermine ce choix. Quel qu'il ait pu être, on avouera qu'étant
donnée la pénurie, l'absence de preuves indiquant l'existence
d'un monastère à cet endroit, on ne saurait sérieusement
prétendre que si les moines, vers 1113, ont appelé cette cha
pelle du nom de Saint-Cyr, c'est qu'il y avait là ou aux envi-
rons un monastère de femmes portant ce vocable. Ce ne serait
qu'une affirmation en l'air.
Donc, la supposition de M. Magloire Giraud : qu'il y a eu, à
Saint-Cyr (Var), un monastère de femmes ou de filles, est
sinon fausse, du moins très hasardée. Partant, l'objection
qu'il énonce contre notre thèse est sans force et n'est pas
prouvée. Il nous est donc permis de ne pas en tenir compte.
c parochialem ecclesiam de Gadeira cum capellis suis ». — Charte 844,
de 1135 : c parochialem ecclesiam de Gadeira cum capellis suis ».
CHAPITRE XII
L'Abbaye cassianite à Saint-Loup
AFFIRMATIONS DE M. MEYNIER ET OB M. L'ABBE GAYOL — PAS DE
PREUVES A L'APPUI.— EN 1240 « ORTUM MONIALIUM DE CARVILLIANO.—
LE8 RUINES QUI EXI8TENT SONT CELLES D'UNE MAISON DE CAMPAGNE
APPARTENANT A SAINT-SAUVEUR.— ASSERTIONS GRATUITES DE M.
ANDRÉ.
On a lu plus haut ce que Meynier a écrit au sujet de Saint-
Loup et de Saint-Cyr, emplacements supposés d'un couvent
cassianite de femmes. Ce monastère aurait été situé à quelque
distance de la route de Saint-Loup et, suivant la tradition du
pays, il aurait été détruit par les Sarrasins (1). C'est bien d'in-
voquer la tradition du pays, mais encore faudrait-il fournir
quelque preuve. Et M. Meynier n'en donne aucune. Il n'y a
donc pas lieu de s arrêter à cette assertion. D'ailleurs, ce que
nous allons dire va servir à la réfuter.
L'abbé Cayol, auteur de la Monographie sur le village de
Saint-Loup, à Marseille (2), n'a fait qu'une supposition, ne
reposant sur aucune base sérieuse, lorsque, après avoir
dit que Ton avait* fondé un monastère de religieuses au
quartier de Saint- Tronc, il ajoute que c'était « peut-être là
qu'habitaient les Desnarrados.n C'est un a peut-être » absolu-
ment en l'air !
Il est certain que les religieux de Saint-Victor acquirent
en 840 une portion du terroir appelé Carvillan (3), terre dont
M. l'abbé Arnaud a donné les limites bien exactes (4). Ce
(1) Meynier, Anciens Chemins de Marseille, p. 21.
(2) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé J.-J. Cayol,
pp. 13, 26. '
(3) Cartulaire de Saint- Victor, charte 28.
(4) L'abbé Arnaud, Notice historique et topographique sur Sainte-
Marguerite, chap. 2, p. 26, etc.— L'abbé Cayol, op. cit., pp. 21, 22, donne
les limites de Carvillan.
- 218 —
tellement, quelle qu'en soit l'étendue, est situé entre Sainte-
Marguerite et Saint-Loup ; et si le quartier actuel de Saint-
Tronc ne faisait pas partie jadis de Carvillan, du moins il en
était voisin. Il est certain encore que les religieuses de Saint-
Sauveur possédèrent en 1216 d63 terres au quartier de la
Moutte, entre Saint-Loup et Saint-Marcel (1) ; qu'en 1216
encore elles avaient des prés, des terres, des vignes, des mou-
lins au quartier de Sanctis, proche la rivièrede l'Huveaune (2).
Ce quartier de Sanctis c'est Saint-Thyrse, Saint-Loup. Or, ces
terres étaient forcément voisines de Saint-Tronc, de Car-
villan.
Certain encore qu'en 1240 le comte de Provence, Raymond
Bérenger, prit sous sa protection ces terres que la charte
désigne sous le nom de jardin, propriété des religieuses
à Carvillan (3). Mais y avait-il en cet endroit, en 1240, un cou-
vent de religieuses? Le Père Saint-Alban, en parlant de Saint-
Tronc, dans le Calendrier perpétuel et spirituel de la ville de
Marseille, affirme o qu'il y avait autrefois en cet endroit
(à Saint-Tronc) un couvent de religieuses de Saint-Benoit. On
y voit des masures de cette église (4). » L'abbé Cayol fait la
description de ces ruines, en ajoutant que l'on fonda en cet
endroit (à Saint- Tronc; un couvent de religieuses qui exis-
(1) C'est ce que nous apprend une bulle d'Innocent III, datée de Todi
et du 29 avril 1216 : a Innocentius episcopus... dllectis filiabus abbatisse
et monialibus sub B. Pétri et nostrâ protectione suscepimus, spécial i ter
autem ecclesiam Sanctœ Maria de Accuis... jus quoque quod h abêti s in
castris de Allaucho, et Rocaveira, etc.. Motta juxta fluvium Velnœ...»
De Belsunce, L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. II, p. 62. — André,
op. cit., p. 62.
(2) André, op. cit., pp. 33, 214 : c Et in villa quœ dicitur Sanctis et
circa flumen quod vocatur I veina, prata, terras, vineas et molendinas.»
(3) t . . . insuper affldamus, eodem modo, ut supra, vil la m de Revesto
domos Sancti Genesii, ortum monialium de Garvilliano, de Sala et
Sancti Justi, cum omnibus famulis, possessionibus ac rébus omnibus
praedictorum locorum, et generaliter quidquid ad dictum monasterium
(Sancti Victoris) pertinet in tota villa Massiliae et ejus territorio seu
tenemenlo. » Gartulaire de Saint- Victor, t. II, charte 1027, de 1240.
(4) Calendrier spirituel et perpétuel pour la ville de Marseille, p.
176, imprimé en 1713; par le Père Saint-Alban. — Histoire du gttartiev
de Saint-Loup, ut supra, p. 14.
- 219 —
tait en 1240, et qu'il va établir que ce9 religieuses de Car-
villan ne sont autres que celles de Saint-Tronc, donl parle le
Père S^int-Alban. Mais, ces preuves, nous les attendons
encore I
Il est visible cependant que Terreur commise par Saint-
Alban et l'abbé Cayol provient de ce qu'ils ont mal traduit les
termes de la charte de 1240 : « ortum monialium de Carvil-
liana ». Ce que le comte de Provence prend sous sa protec-
tion, c'est ce dont Honorius III confirmait la possession à
l'abbaye de Saint-Sauveur, en 1217. Or, dans cette bulle d'Uo-
norius, il s'agit de terres, de prés, de vignes, de moulins que
les religieuses de Saint-Sauveur de Marseille possédaient à.
Sanctis, Saint-Thyrse, Saint-Loup, mais nullement d'un
nouveau monastère. Le comte de Provence, en 1240, pre-
nait sous sa protection de suzerain temporel ces terres, que
les religieuses possédaient à Carvillan, a ortum monialium de
Carvilliana ». Ce ne sont pas les religieuses qui sont à Car-
villan, ce sont les terres, Ta ortum», la propriété. Voilà ce
qu'il y a dans ces chartes (lj.
Que, dans la suite, les religieuses de Saint-Sauveur aient eu
une maison de campagne voisine de Carvillan, on l'acceptera,
si l'on veut. Mais, qu'il y ait eu, en 1240, un monastère
différent de celui de Sain t- Sauveur, c'est une erreur. Les
ruines dont l'abbé Cayol fait la description, M. Saurel en a
raconté l'histoire (2). Nous la croyons exacte. Mais ce ne sont
pas les ruines d'un monastère datant de 1240! C'est donc en
vain que a quelques antiquaires croient que le couvent de
(1) C'est tellement le sens de ces mots c ortum monialium », que la
même charte disant c ortum monialium de Carvilliana, de Sala, et Sancti
Jusii », il faudrait dire qu'il y avait des religieuses non seulement à
Carvillan, mais encore à la Salle (près de Saint-Marcel) et à Saint-Just.
Or, en 1214, il n'y avait que quinze religieuses à Saint-Sauveur, et en
1252 on n'en compte que treize. Comment supposer qu'il y ait eu à la
même époque plusieurs communautés de religieuses de Saint-Benoit à
plusieurs endroits hors de Marseille ?
(2) D'après M. Saurel, la chapelle serait postérieure à l'an 1645. Quant
au monastère ou à la terre, c ce n'est qu'à titre de propriété rurale, de
maison de campagne, de maison de santé peut-être, que les Bénédictines
l'ont possédée ». Saurel, Banlieue de Marseille, Saint-Tronc, p. 195, etc.
- 220 —
Saint-Tronc était une annexe de celui de Saint-Sauveur (1) » ;
en vain, M.André lui-même, écrivant à l'auteur de Y Histoire
de Saint-Loup, dit qu'il a serait tenté de croire que l'abbaye
cassianite de Saint-Sauveur fondée par Cassïen avait des
annexes aux environs de Marseille, que Saint-Tronc pouvait
bien en être une... Car les chartes nous apprennent que
Cassien eut jusqu'à cinq mille moines sous sa conduite. Les
vierges, dans ce siècle de foi, durent s'enrôler en grand nombre
et renoncer aux vanités des choses de la terre (2j .*
Que saint Cassien ait compté, 'de son vivant, jusqu'à cinq
mille moines sous sa direction, c'est un fait certain (3;. Mais
qu'il y ait eu un nombre très grand de religieuses, ' rien ne
l'indique. Sainte Eusébie n'avait que quarante compagnes,
dit la tradition. Lors de la restauration du monastère, en 1004,
par Elgarde, il n'y a que quatre ou cinq religieuses. Cela
n'indique pas un grand zèle de la part des femmes pour la
vie religieuse, que cela provienne de la difficulté des temps
ou de toute autre cause.
a De là insuffisance de local, ajoute M. André, et néces-
sité d'établir des succursales où la maison mère envoyait
celles qui étaient le plus affermies dans l'état religieux (4). »
Ceci est encore une douce exagération qui nous étonne de
part de M. André. L'abbaye de Saint -Sauveur n'a jamais dû
créer des succursales; encore moins au XIII" siècle. M. André,
en effet, dit en propres termes qu'au XIII" siècle la commu-
nauté de Saint-Sauveur n'était pas nombreuse. De fait, en
1214, elle ne se composait que de quinze religieuses; en 1257,
de treize ; en 1266, de vingt-sept (5).
Il est donc bien peu probable qu'en 1240 il y eût un monas-
tère annexe à Saint-Tronc. D'ailleurs, elles étaient loin d'être
(1) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 26.
(2) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 27.
(3) €. Cœnobium Massiliense, priscorum temporibus, sic sub régula ri
dominatione viguit Deo volente, ut quinque millium monacborum nu-
méros ibi reperiretur, in sancti Cassiani tempore. . » Cartulaire de Saint -
Victor, charte 532.
(4) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 27.
(5) Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, par M. André, pp
41,32,45.
— 221 —
exemplaires en tout, puisque l'évoque de Marseille dut procéder
canoniquement contre elles, en 1278(1). Non, l'opinion de
M. André, pas plus que celle de l'abbé Cayol, n'est fondée en
raison.
Quant à la chapelle de Saint-Cyr, bâtie sur le sommet d'une
montagne aux environs de Saint-Loup, M. Cayol dit : « qu'elle
a du être bâtie par la maison de Saint- Victor ou les religieuses
de Saint-Tronc (î).» C'est fort probable. Mais à quelle époque,
on n'en sait rien. M. Cayol ne citant aucun texte et ne donnant
aucune raison, nous n'avons pas à nous en préoccuper da-
vantage.
D'ailleurs, que nous importerait qu'il y ait eu, en 1240, un
monastère de religieuses à Saint-Tronc, que ce fût une
annexe de Saint-Sauveur? Notre thèse n'en subsisterait pas
moins : qu'antérieurement au milieu du VIII- siècle le
monastère cassianite s'élevait aux bords de l'Huveaune. L'abbé
Cayol devrait, en effet, prouver que ce monastère de Saint-
Tronc, en 1240, remonte au VII- ou au VIII- siècle; que déjà
à cette époque il existait sous le vocable de Saint-Cyr; qu'il
n'y en avait pas d'autre à Marseille ; que c'est là enfin que
sainte Eusébie est morte ! Autant de points que cet écrivain
aurait dû élucider ; ce qu'il n'a pas fait. Nous sommes donc
en droit de le dire : le monastère cassianite n'était pas à
Saint-Tronc.
(1) Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur* par André,
p. 46, etc.
(2) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 32. —
D'ailleurs, quel fut le vocable primitif de cette chapelle et de la montagne
sur laquelle on la voyait ? Mortreuil incline à croire que c'était Saint-
Thyrse, dont le langage du peuple a fait Saint-Cyr. Inutile, par consé-
quent, de prétexter la similitude des noms, pour affirmer la présence au
quartier de Saint-Cyr d'un monastère de Saint-Cyr. — Voir Mortreuil,
Dictionnaire topographique : Saint-Cyr.
15
CHAPITRE XIII
Assertions diverses de la « Gallia christiana »,
de M. André, de l'abbé Verlaque, etc., etc.
A GALLIA CHRISTIANA ». — lf. ANDRÉ. — L'ABBÉ VERLAQUE. — QUEL-
QUES AUTEURS DÉSIGNENT SAINT-MARCEL. — M. LE DOCTEUR COUR ET.
— PAS AILLEURS.
La Gallia christiana (1). — Nous croyions découvrir dans
c^t ouvrage une mine de renseignements sur le sujet qui
npus occupe^ Le Père Denis de Sainte-Marthe n'a su que copier
Ruffi et ses erreurs. On n'y accepte pas l'opinion de Guesnay,
qui place le monastère aux bords de l'Huveaune. On préfère,
avec Ruffi, le placer aux pieds de la montagne de la Garde.
Et les preuves sont celles de Ruffi : la charte 40 d'abord, la
découverte des tombeaux faite en 1685, à remplacement de la
chapelle Sainte-Catherine, les deux chartes de 1431 et 1446.
Or, de toutes ces assertions, aucune n'a de valeur probante.
Nous l'avons démontré plus haut.
M. André (2). — Il semble que c'est avec cet auteur surtout
que nous devrions ou marcher d'accord, ou bien avoir maille
à partir 1 II n'en est rien cependant. M. André est très paci-
fique. Il n'est pas de notre opinion, puisqu'il préfère celle de
Ruffi. Mais il se contente de citer le dire des auteurs, et il
n'allègue aucune preuve nouvelle. Pour lui l'abbaye cassianite
est près du port ; son argument le plus convaincant c'est le
texte de la charte 40. Nous l'avons vu, ce texte ne signifie rien
contre nous. Ainsi nous nous quittons bons amis avec M.
André.
(1) Gallia christiana, t. I, Eccleata Massiliensis, Abbatia Sancti
Salvatoris, col. 695, etc.
(2) Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur, p. 2 et
suivantes.
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V"
— 223 —
•
L'abbé Verlaque (1) a écrit, sur notre sainte; or, il soutient
que l'opinion la plus accréditée est que l'abbaye fut bâtie au
pied de la montagne de la Garde, à l'endroit où se trouve le
bassin du Carénage! Nous ne pardonnons que difficilement à
l'abbé Verlaque de n'avoir pas. dans sa Notice sur sainte
Eusèbie, discuté cette assertion pour la contredire ou la
prouver. Nous avons dû le faire plus haut, et il résulte de cet
examen que l'opinion, loin d'être accréditée, n'est pas fondée
du tout.
Cet auteur mentionne l'opinion de ceux qui placent
l'abbaye caesianite à la Major, sous prétexte qu'il existait, dit-
on, jadis un passage souterrain entre Saint- Victor et la Major.
C'est un pur cancan sur les communications souterraines que
les romanciers affectent de faire exister entre les monastères
de moines et les monastères de religieuses, a Ce souterrain,
dit M. l'abbé Verlaque, citant Grosson(2), n'a jamais existé.» En
effet, le creusement du bassin du Carénage n'a rien révélé de
semblable. Eùt-il existé d'ailleurs, ce ne serait pas une
preuve qu'à la Major il y avait un monastère de religieuses.
Il aurait pu être à l'usage des prêtres et des prêtresses de
Diane, dont le temple était, dit-on, à la Major actuelle. Mais
le texte indiquant qu'il y a eu là un monastère de religieuses,
ce texte est encore à trouver !
S'il faut en croire Ruffi, André, etc, (3), quelques auteurs
auraient placé le cœnobium cassianite à Saint-Marcel. Qui
sont ces auteurs, en quels ouvrages cette assertion est-elle
émise? Nous ne savons. Sur quel document ont-ils pu
appuyer une telle opinion ? Nous ne savons encore. Serai U- ce
la bulle d'Honorius III, datée du 12 octobre 1216, dans
laquelle le pape confirme à l'abbaye de Saint-Sauveur tels et
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(1) Notice sur sainte Eusébie, abbesse et martyre du diocèse de
Marseille, par l'abbé V. Verlaque, p. 8. .
(2) Grosuon (Recueil des antiquités et des monuments marseillais,
p. 229) détruit cette fable. Guindon et Mèry (Actes et délibérations du
conseil de Marseille, t. V, p. 170, note) ont fait de même.
(3) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56. — André, Histoire de
l'abbaye de Saint -Sauveur, p. 2. — M. de Rey. Les Saints de l'Eglise de
Marseille, p. 230.
— 224 —
tels biens ou revenus, entre autres c les tasques de Porpo-
rières (1) » ? « Porporières ou Corporières, Carpourière, est un
torrent qui prend naissance dans les vallons de la Treille,
traverse le territoire des Gamoins et va se perdre dans l'Hu-
veaune, aux environs de Saint-Marcel (2). » Ces tasques que
percevait l'abbaye de Saint-Sauvenr étaient-elles attachées à
quelque fonds de terre, près de Saint-Marcel? C'est possible.
Dans tous les cas, la charte de 1216 parle de taxes, de rede-
vances et non pas de cœnobium ni d'abbaye. S'il s'agit d'une
abbaye, c'est de celle de Saint-Sauveur de Marseille qui avait
la directe, la possession de ces biens-fonds. Et puis nous
sommes au XIII* siècle, et non pas à l'époque dont nous nous
occupons, du Y* au X* siècle. Donc, inutile de parler de Saint -
Marcel, l'abbaye cassianite ne s'y trouvait pas.
Nous nous souvenons avoir lu dans un article de journal
qu'un historien d'Aubagne, le docteur Couret, plaçait le
cœnobium cassianite, théâtre du martyre des héroïques
compagnes d'Eusébie, à Aubagne même, son pays natal. Et à
l'appui de celte assertion, nous avons entendu quelquefois
nommer la rue Dels Moungeos, qui existerait, par ait-il, à
Aubagne.
Il faut rendre justice à qui elle est due. M. le docteur Cou-
ret n'a point revendiqué cette gloire pour sa patrie. On a mal
lu ou mal compris son texte. Voici ce qu'il a écrit : « Vers
l'an 736, les Maures rentrent en Provence, s'emparent de nou-
veau de Marseille, d'Aubagne et des villes environnantes, qua-
rante religieuses se coupent le nez pour éviter le déshonneur ;
lej hommes et les femmes sont exilés sur les vaisseaux, les
enfants et les vieillards sont égorgés (3). » On le voit, il ne
s'agit pas d'Aubagne, mais de Marseille. Quant à la rue Deis
Moungeos, si elle existe à Aubagne, cette dénomination s'ex-
plique facilement. « En 1647 les consuls d'Aubagne cédèrent
(1) Bulle du 12 octobre 1216, Ho d or i us III, fonds de Saint-Sauveur H,
II. (André, pièces justificatives, appendix: Tasquas de Porporières,
p. 214.)
(2) Mortreuil, Dictionnaire topographique de Marseille ; vox : Car-
pourière* (Camoins).
(3) Histoire d'Aubagne, par César Couret, p. 1 1 .
- 225
■•*
provisoirement la chapelle de Saint-Roch à trois religieuses et
à une novice du monastère du Petit-Puits, pour fonder à
Aubagne un couvent et une église. En arrivant elles furent
logées dans une maison du quartier de TAfferage. Deux ans
après, elles achetèrent, de Blanche Férié, leur prétendante,
une maison au quartier de Saint- François et, sur le rapport
de messire Pierre de Seigneuret, l'évôquè de Marseille leur
accorda la permission de bâtir le monastère et l'église. Vers
1640, les religieuses Ursulines, venues à Aubagne en 1632,
devinrent adjudicataires des moulins.. . Il y avait autrefois à
Aubagne un couvent de Bernardines, il fut supprimé par
l'évoque (1)..» Ces détails, puisés dans l'ouvrage du docteur
Couret, nous expliquent la dénomination donnée à une rue
d'Aubagne. Probablement il y avait là, jadis, soit une église,
soit un monastère, soit une propriété de ces diverses reli-
gieuses. Le peuple en a gardé le souvenir en appelant cette
rue: la rue Deis Moungeos.
Faudrait-il accepter encore ce que, dans un factura, les
Servites de la Ciotat écrivaient, au XVIII* siècle, à savoir que
l'antique chapelle de Font-Sainte, située sur le bord de la mer,
aurait été le théâtre du glorieux martyre de sainte Eusébie!
Non, ce n'est là qu'une simple légende. L'abbé Vidal, un
enfant de la Ciotat, de douce mémoire, l'a racontée en deux
pages délicieuses de poésie et de fraîcheur ; Monseigneur
Ricard Ta insérée dans ses Récits de veillées ciotadennes,
sans nommer cependant notre sainte Eusébie (2). Mais ce
n'est toujours qu'une gracieuse légende. Marin, lui aussi de la
Ciotat, a écrit a qu'il n'a jamais découvert aucune preuve que
Font-Sainte ait été un couvent de religieuses (3). » Il y a
mieux et plus sûr et plus péremptoire que Marin, c'est la
charte de donation de Font-Sainte. En 1521, le cardinal Jules
de Médicis, #abbé de Saint- Victor, donna aux Servites l'ora-
y,-
V.
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41
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^
(1) Histoire d'Aubagne, par César Couret, pp. 25, 29, 29. — Rien
d'ailleurs, dans l'Histoire d'Aubagne que feu M. le docteur Barthélémy
avait publiée, ne vient à l'appui de cette opinion que Ton prête au doc-
teur Couret.
(2) Monseigneur Ricard, Récits de veillées ciotadennes, p. 15J et suiv
(3j Marin, Histoire delà Ciotat, pp. 130, 156.
— 226 —
toire appelé Notre-Dame de Font-Saintev situé entre Ceyreste
et la Ciotat et construit par les fidèles de ces deux localités, et
qu'habitait à ce moment un ermite de l'ordre des Servîtes (1).
Mais pas un mot, dans cette charte, qui fasse allusion à un si
glorieux passé. 0r( s'il y avait eu la moindre tradition atta-
chée à cet oratoire, à cette fontaine réputée sainte, à tout le
moins assez curieuse, l'abbé de Saint- Victor en aurait parlé,
et, mieux encore, il n'aurait pas cédé à d'autres ce lieu
vénéré. Non, ce n'est pas à Font-Sainte, de la Ciotat, qu'Eusé-
bie et ses compagnes ont été martyrisées 11
Inutile d'espérer retrouver le cœnobium cassianite dans
l'espace compris entre le Hevest et la ville. « Non, sûrement,
parce que cet espace était occupé par des salines que Louis
l'Aveugle céda à Saint-Victor en 904 et que les vicomtes
détinrent ensuite jusque en 1044(2). » En effet, ils donnèrent
à l'abbaye, pour doter la nouvelle chapelle de Saint-Pierre de
Paradis, qu'ils avaient fait reconstruire, plusieurs pièces de
terrain et de plus toute la partie des salines qui leur apparte-
nait depuis la chapelle de Saint-Pierre jusqu'à Podium Formi-
carium. Incontestablement, si le cœnobium eût été quelque
part de ce terrain, les vicomtes eu auraient parlé dans les
chartes des donations.
Se trouvait-elle à un autre endroit de la ville? Non. Car il
n'y a aucune habitation qui l'indique. Aucun auteur, que
nous sachions, n'a désigné d'autres endroits avec des argu-
ments à l'appui.
Notre tâche est déjà bien avancée. Quelques auteurs ont
soutenu par des raisons positives et des objections que le
mouastère cassianite n'a pu s'élever sur les bords de l'Hu veaune.
Puis ils ont essayé d'établir que ce monastère se trouvait en
réalité, suivant les uns, à l'emplacement de la chapelle de
Sainte-Catherine, suivant les autres aux Catalans, au bassin
(1) « Dictura oratorium Sa net se Mariœ de Fonte Sancto. situm inter
villara Ce reste m et Civitatem . . in quo ad prœsens certus ère mi ta v es tri
ordinis existit.. . largimur. .. » Archives départementales, H 641, reg. 9,
p. 159, Saint-Victor.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, Sainte Eusébie.
— 227 -
du Carénage, au Revest, à Saint-Loup, à Saint-Cyr du Var et à
la Major, etc., etc.
Or, nous avons réfuté premièrement les raisons qu'ils
alléguaient contre l'existence possible d'un monastère à l'Hu-
veaune, ensuite celles qu'ils apportaient pour établir que ce
monastère se trouvait aux Catalans, au Revest, au Carénage,
à Saint-Loup, à Saint-Cyr (Var), à la Major, etc. Le terrain est
ainsi déblayé. Nous allons pouvoir placer les premières
assises du monument que nous rêvons en l'honneur de sainte
Eusébie.
DEUXIEME PAETIE
PREUVES EN FAVEUR DE NOTRE THÈSE
PREMIÈRE SECTION
PREUVES NEGATIVES
CHAPITRE PREMIER
cassianite n'a pu se trouver
à remplacement du bassin actuel du Carénage
LB BASSIN ACTUEL OU CARÉNAGE, AUX PREMIERS SIÈCLES. DESCRIP-
TION TOPOGRAPHIQUE. — ESPACE TROP ETROIT POUR UN MONAS-
TÈRE. — LB8 FOUILLES OPÉRÉES EN CET ENDROIT N'ONT DONNÉ
AUCUNE PREUVE EN FAVEUR DE L'EXISTENCE D'UN CŒNOBIUM. —
C'ÉTAIT UN CIMETIÈRE. — POURQUOI AURAIT-ON CHANGÉ D'EMPLACB-
MXNT. — C'EUT ÉTÉ TROP PRÈS DE L'ABBAYE DE SAINT-VICTOR.
Les objections des auteurs sont réfutées, à nous maintenant
de développer les preuves à l'appui de notre thèse.
Nous en avons de négatives et de positives. A l'aide des pre-
mières nous allons détruire et saper jusqu'à la base les affir-
mations contraires des auteurs ; à l'aide des secondes nous
étayerons notre propre affirmation.
Jusqu'ici il s'est agi de démontrer que toutes les raisons
données par les auteurs à l'appui de leur dire n'avaient aucune
valeur. Ils ne parvenaient pas à prouver que le monastère
cassianite s'était trouvé au Carénage, aux Catalans, ou ailleurs.
— 230 -
Nous avançons d'un pas, et nous disons qu'il est historique-
ment impossible qu'il se soit trouvé à aucun de ces endroits, de
Tan de sa fondation à l'époque du martyre de sainte Eusébie
(415-738).
D'abord, le monastère cassianite ne se trouvait pas et n'a
pu se trouver à l'emplacement du bassin actuel du Carénage.
Il y avait là un cimetière antique qui s'étendait de la rive
du port jusqu'en deçà de Saint- Victor (1). M. Kothen dit que
« plusieurs cimetières successifs et superposés avaient été éta-
blis à cet endroit par les colons phocéens d'abord, et par les Ro-
mains en suite. Une carrière avait même été exploitée dans ces
temps reculés (2). » Les chrétiens, lorsque celle-ci fut aban-
donnée, vinrent creuser des ramifications et des galeries nou-
velles, dans lesquelles ils placèrent les corps de leurs martyrs
et de leurs frères. Bien antérieurement à l'arrivée de Gassien
à Marseille, une chapelle et un autel étaient dédiés à Notre-
Dame de Confession (3), dans un endroit de ces catacombes.
Or cet oratoire primitif était en telle vénération que bien de
fervents chrétiens demandaient la faveur de faire déposer leur
dépouille mortelle dans le voisinage des corps saints qui y
reposaient, ou dans les champs d'alentour. Aussi ce fut sur
l'emplacement, sur les voûtes de ces cryptes de Notre-Dame
de Confession que le bienheureux Cassien bâtit le monastère
des moines, pour en faire les gardiens de ce sanctuaire et de
ses reliques précieuses.
Quant à l'abbaye cassianite des femmes et des filles, on ne voit
pas où il aurait pu la placer au milieu des sépultures et des tom-
beaux. En effet, l'état actuel des lieux nous permet de sup-
poser avec vraisemblance qu'à la sortie de cette carrière, ou,
suivant l'expression pittoresque de Ruffi, « à l'embouchure de la
(1) Grosson, Recueil des antiquités et des monuments marseillais,
p. 98. — Les Saints de V Eglise de Marseille, saint Lazare, p. 161.
(2) Notice sur les cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille,
par Kothen, p. 11
(3) Rufli, Histoire de Marseille, t. II. p. 115. — Mgr de Belsunce,
Antiquité de l'Eglise de Marseille, t I, p. 387. — Grinda, Monographie
de Vabbaye de Saint- Victor-lez-Marseillet publiée par Y Echo de Notre-
Dame de la Garde, n° 328, p. 267 ; n# 330, p. 307.
— 231 —
grotte de Sainte-Magdeleine s'ouvrait une petite vallée, bordée
de rochers abruptes, au milieu desquels s'élevaient quelques
arbres (1). • Or, au début du V* siècle, l'état de ces lieux
n'avait guère changé. A notre époque encore on distingue le
creux de cette vallée primitive qui aboutissait à la rive : d'un
côté, les pentes sur lesquelles est assis le fort Saint-Nicolas ; de
l'autre, les hauteurs de la rue Saint-Catherine (2). Or, ce n'est
pas dans cet étroit couloir que saint Cassien a pu bâtir l'ab-
baye cassianite. Quelque restreint que fût le nombre des reli-
gieuses au début, il faut cependant à un monastère un espace
convenable. Or, cet espace il ne pouvait l'avoir au fond de
cette petite vallée, qni dans toute sa largeur n'avait guère
plus de 100 à 200 mètres. D'autre part, ce n'est pas sur les
hauteurs du fort actuel de Saint-Nicolas qu'il bâtit le monas-
tère. On admettra facilement que ce n'était pas la place d'un
cœnobium de filles et de femmes. Donc il ne s'élevait pas au
bassin actuel du Carénage.
D'ailleurs, si lo monastère s'était élevé en cet endroit, d'où
vient que dans les diverses fouilles qui ont modifié par deux
fois, surtout en 1836 et en 1875, l'état de ces lieux, on n'ait
trouvé ni inscriptions, ni monuments qui fassent supposer
l'existence d'un monastère ? En 1836, on a découvert l'inscrip-
tion d' Eumenas dont parlent Bousquet, Guindon, Saurel. Et
dans cette inscription, il s'agit d'un homme marié. En 1875, on
a mis au jour les inscriptions de Spanilia, de Cypriana. Or,
rien ne marque qu'il s'agisse dans celles-ci de religieuses (3).
D'ailleurs, ces inscriptions fussent elles les épitaphes de
Cassianites, en l'absence de monument indiquant que là s'éle-
(1) Kothen, op. cit., p. 15.
(2) Grinda : c Avant le creusement du bassin du Carénage, opéré en
1830, le sol formait une pente assez régulière, sauf quelques escarpe-
ments, depuis l'abbaye jusqu'au rivage de la mer, alors en prolonge-
ment avec le quai de Rive- Neuve. Cette plaine inclinée vers le nord
était dominée au couchant par les hauteurs du fort Saint-Nicolas, et, au
levant, par le quartier qui s'étend de la rue Sainte au quai de Rive-
Neuve; elle formait donc un large vallon dirigé du nord au midi. »
Monographie de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille, publiée par
VEcho de Notre-Dame de la Garde, n° 324, p. 183.
(3) Voici ces inscriptions telles que les donne le Catalogue des ob-
— 232 —
vait l'abbaye, on pourra toujours dire que, si c'est en cet en-
droit qu'elles furent inhumées, c'était pour satisfaire ce pieux
désir que tant de chrétiens éprouvaient, de reposer auprès
des restes des saints martyrs. Mais on ne pourra pas assurer
que ces religieuses avaient vécu en cet endroit.
M. Grinda(l), citant le rapport rédigé sur les fouilles du
bassin du Carénage opérées en 1831, nous montre a les sépul-
tures pratiquées dans cet immense remblais formant trois
grandes assises s'étageant en gradins depuis le port jusque
sous les murs de la place Saint-Victor. La première assise ren-
fermait un grand nombre de tombeaux et de débris attribués
à la période grecque. La seconde a fourni de nombreux tom-
beaux et des monnaies impériales romaines,les plus anciennes,
d'Auguste, et les plus récentes, de Gordien, ce qui comprend
un peu plus de deux siècles. La troisième a servi de lieu de
sépulture pendant sept siècles, d'après les tombeaux et les
monnaies trouvés à cette hauteur. Cette période s'étend de-
puis Aurélien (270-275) jusqu'à Jean Zimiscès qui régnait à
Constantinople, de 969 à 976. Des inscriptions païennes et
chrétiennes ont été découvertes dans cette dernière assise. ..
Tout ce vallon était donc une vaste nécropole où des généra-
tions païennes et chrétiennes ont trouvé conjointement leur
dernier asile. On a constaté dans les fouilles un nombre si
considérable de tombeaux, qu'on est fondé à croire que pen-
dant plusietirs siècles ce lieu a été réservé pour la sépulture
de la population environnante. »
jets contenus dans le Musée d'archéologie de Marseille par M . Penon,
p. 33f n° 133, et p. 41, n-161.
f HIC BBQU1ESCET
IN PACE SPANILIA
QUI VIX1T ANNOS
QUIKQUAOBNTA ET
SEPTE BECESSIT DIE
SEPTIMV IDUS
+ MAIAS f
(1) Grinda, Monographie de V abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille,
publiée par Y Echo de Notre-Dame dfi la Garde, n*324.
HIC REQUIESCIT
CYPBIANA
IN PACB
QUI VIXIT
. . . . MN ANNS
XXXIII
— 233 —
Durant les dix premiers siècles du christianisme donc on a
inhumé dans cet étroit vallon, et Ton veut y placer un monas-
tère vers le V. Il y a sur ce point le va-et-vient continuel de
ceux qui accompagnent à sa dernière demeure la dépouille
mortelle d'un ami. De plus, païens et chrétiens se coudoient
dans cette enceinte, accomplissant des rites funéraires bien
divers, et les saintes filles deCassien devront être chaque jour,
et plusieurs fois le jour, les témoins de ces scènes ! Puis, c'est
dans un bas-fond, l'atmosphère y est viciée par les mias-
mes délétères qui se dégagent de toute vaste nécropole (1).
Le monastère de Saint-Victor, du moins, est sur la hauteur,
exposé aux brises du large. Il se trouve à Textrémilé de celui
de Paradis. 11 a de l'espace devant lui, il peut à son gré,
reculer ses murailles. Tout autant d'avantages que n'aurait
pas eu l'abbaye cassianite. Aussi il n'est pas probable qu'elle
fût là.
Si le cœnobium se fût élevé au Carénage, toujours il y fût
resté. On ne voit guère pour quelle raison, en effet, on aurait
changé de place. Or, nous croyons qu'il faut admettre que le
monastère s'est trouvé aux environs de la chapelle de Sainte-
Cal herine, vers 923. Mais pourquoi laisser l'emplacement du
Carénage pour venir à Sainte-Catherine? Si l'on a quitté les
bords de THuveaune pour venir auprès de Saint-Victor, si
plus ta d on quitte le voisinage de Saint-Victor pour venir en
ville, c'est afin d'échapper aux incursionsdes pirates. Mais quelle
raison a-t-on d'aller du Carénage à Sainte-Catherine, à cent
pas de distance ? Etait-ce pour échapper au milieu peu hygié-
nique des tombeaux et des sépultures du cimetière antique ?
Mais l'emplacement de la chapelle de Sainte-Catherine se
trouve précisément sur la limite de Paradis, le carnarium
dont parle la charte de 904 (2). Si, au lieu de venir à Sainte-
Ci) Dans la lettre de saint Grégoire le Grand à Pabbesse Respecta de
Marseille, il est dit que Oynamius donne aux Cassianites une de ses
maisons voisines de l'abbaye. A quel endroit était donc placée cette
maison ? Dans le cimetière ? On ne devrait pas s'étonner qu'il ait eu
l'idée de s'en débarrasser !
(2) c ... Una cum terra comitali quae ante portam castri fore vide-
tur usque ad carnarium. . » Charte 10 du 21 avril 904, Gartul. de Saint-
Victor, 1. 1.
— 234 —
Catherine, on est venu au Revest, celui-ci est au bord des
salines et en contre-bas de Paradis, tout à fait au nord. Etait*
ce pour se rapprocher de la ville afin d'en avoir les avantages
et les commodités ? Ce n'était pas à Sainte-Catherine, ni au Re-
vest qu'il fallait se fixer alors, c'était auprès des murs de la cité.
Etait-ce pour placer entre l'abbaye de Saint- Victor et l'abbaye
des religieuses une distance respectueuse? On s'y prenait
bien tard. Et puis quelle était cette distance? Tout au plus
cent ou cent cinquante pas. Non, on ne s'explique pas ce
changement. A une certaine époque le monastère s'est élevé
ailleurs qu'au bassin du Carénage, donc primitivement il ne se
trouvait pas en cet endroit.
One raison de convenance, que nous effleurions tantôt, s'y
opposait. Placer le monastère des religieuses au Carénage, c'est
le placer trop près de l'abbaye des religieux à Saint-Victor.
Quelques auteurs ont cru que Cassien, voulant imiter ce qu'il
avait vu en Orient, où les monastères de femmes n'étaient pas
éloignés des monastères d'hommes, avait fait élever l'abbaye
cassianite non loin de celle de Saint- Victor. Nous croyons,
pour noire part,que ces auteurs se sont complètement trompés.
Il est faux d'ériger en principe qu'en Orient on ait élevé les
monastères d'hommes et de femmes non loin les uns des
autres. Qu'au sein d'une petite ville il n'y eût pas une grande
distance entre les monastères, il n'y a rien d'étonnant. Forcé-
ment ils devaient être rapprochés, puisque l'enceinte des villes
à cette époque n'était guère développée. Mais croire que là où
iï y avait de l'espace on n'en ait pas profité peur placer entre les
monastères des deux sexes une distance proportionnée, c'est
une erreur que les faits démontrent amplement. Nous l'avons
dit, saint Pacôme avait une sœur religieuse. Il lui fit bâtir
par ses religieux un monastère bien éloigné du sien, puisque
le Nil les séparait (1). A Bethléem, du temps de saint Jérôme,
le monastère des hommes était bâti à mi-côte, celui des fem-
mes se trouvait dans la plaine (2). A Jérusalem, à la même
(1) Fleury, Histoire de l'Eglise, liv. XV, n° 50. — Notice sur la Croix
de Saint André, par l'abbé Magnaa, p. 16.
(2) Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, p. 363.
— 235 —
époque, il y avait un monastère d'hommes sur le mont des
Oliviers, et celui des femmes était au pied de la montagne.
Inutile de s'appuyer sur ce qu'on appelait les monastères
doubles, coutume qui régnait en Orient.
Cette coutume a été réprouvée par l'Eglise, les conciles se
sont prononcés contre elle, et les papes l'ont prohibée.
Le concile d'Agde en 506, dans son canon 19, recommande
d'éloigner les monastères de filles des monastères d'hommes,
non seulement pour éloigner les tentations du démon, mais
aussi pour éviter les calomnies des méchants(l). Nous savons
que le pape Saint-Grégoire le Grand improuvait cette habitude
que l'on avait contractée. Bien plus, il ne voulait pas que les en-
virons des monastères fussent trop fréquentés et habités. Ayant
appris que des nombreuses familles, chassées par les Lom-
bards, s'étaient réfugiées dans de petites lies de la Méditer-
ranée et de l'Adriatique, il ordonna au sous-diacre Anthé-
mius d'en chasser toutes les femmes. Si ces familles sont
riches, disait-il, elles choisiront facilement d'autres retraites;
si elles sont pauvres, qu'elles viennent à Rome, leurs frères
leur apprendront le chemin du Latran, où est le trésor de
l'Eglise devenu le leur (2)'.
(1) Concile d'Agde, en 506, canon 19 : c Monasteria puellarum collo
centur longiùs a monasteri s roonachoruin propter insidias diaboli et
propter oblocutiones hominuin. (Summa conciliorum, par F. Carra-
zam, p. 255. Histoire des conciles de la chrétienté, par Roisselet de
Sauclières, t. II, p. 371. — Le VII* concile général, de Nicée II*, canon
20, dit : c Statuimus non fieri duplex monasteriûm, quoniam hoc sit
multis scandalum et ofiensio. » Summa conciliorum, op. cit., p. 552.
Histoire des conciles, op . cit., t. III, p. 251.) — Voici, d'ailleurs, ce
que Ton lit dans Christian us Lupus, Synodorum Generalium Canones,
t. III, p . 208 : < Privatae potins illae domus, quain cœnobia fuerunt.
Daplicium, cœnobiorum originem sancto Bxsilio maie adscribunt. Nain
et qusedam Pachomiana fuisse, Nilo ta m en flumine divisa... semper
dure oluerunt. » — Le pape Gélase les défendit : « Discreta sui habita-
tionibus virorum atque feminarum, sicut sanctum propositum decet
ezerceatur circumspecta devotio.» Le pape Pascal II fit de même :c IUud
omnino incongruum est, quod per regionem veslram monachos cum
sanctimonialibus habitare didicimus. Ad quod resecandum experientia
▼estra immineat, ut qui in praesentiarum simul sunt, divisis longe habi-
taculis separentur, neque in posterum consuetudo hujusmodi prœsu-
matur. »
(l) Saint Grégoire le Grand, par l'abbé Clausier,pp. 247,248.
ï
— 236 —
Or, croiUon qu'en 504 l'Eglise dans ses conciles, et en 590 le
pape Saint-Grégoire inauguraient un nouvel ordre de choses ?
L'Eglise et le pape réglementaient définitivement ce qui était
en usage chez les saints religieux ; on remédiait aux abus qui
pouvaient encore exister. Pour s'obstiner à soutenir pareille
coutume, il faudrait oublier à quelle perfection les solitaires
de l'Orient de l'époque de Cassien avaient élevé la pratique de
la vie religieuse. Or, rien ne lui était contraire comme un pa-
reil voisinage. Cassien n?a pas parcouru de si longues années
les solitudes de la Thébaïde ; il n'a pas mené la vie de soli-
taire d'aussi longues années, avant d'établir ses monastères,
sans voir la nécessité de suivre les exemples des maîtres de la
vie érémitique et de fuir les abus que deçà et delà il avait
pu rencontrer.
Non, le monastère cassianite au Carénage eût été trop rap-
proché de celui de Saint- Victor. Donc il n'y était pas. Saint
Cassien ne l'y a pas fait bâtir. A aucun moment de son exis-
tence, jusqu'à l'époque, tout au moins, du martyre de sainte
Eusébie, il ne s'est élevé en cet endroit.
CHAPITRE II
L'Abbaye cassianite n'a pu se trouver ni à Paradis
ni au Revest.
le cœnobium n'était pas a paradis.— les chartes l'auraient dit.
- on l'aurait indiqué a saint ysarne, alors qu'il visitait les
cryptes de saint- victor.— le quartier du revest, description
topographique.— k6p ace trop restreint.— plateau au-de8sus
ou revest.— terre des religieuses de sainte-marie —le mo-
NASTERE n'était point en cet endroit encore, cette terre ne
LEUR APPARTENAIT PAS AU V" SIÈCLE.— ENCLAVES DE CETTE TERRE.
— AUCUN AUTEUR NE LE DIT.— PA8 LA MOINDRE TRADITION —ON NE
FOURNIT AUCUNE PREUVE EN PAVEUR DU REVEST. — SAINT YSARNE
Y AURAIT RELEVÉ L 'ORATOIRE DE SAINT-CASSIEN.
Du V* au VIIIe siècle, le monastère cassianite n'était pas
dans l'enceinte du cimetière de Paradis.
M. de Rey, qui a cherché à préciser remplacement du mo-
nastère cassianite, â dit a qu'évidemment il ne fallait pas le
chercher dans Paradis même (1). » C'est bien la vérité. Les
Chartes, notamment les 32, 33, 34 du Oartulaire, qui parlent
du cimetière de Paradis, auraient certainement fait mention
de l'existence d'un monastère de femmes, s'il s'y fût trouvé»
La définition qu'elles donnent de Paradis, à elle seule le
prouve. « Cette église de Saint-Pierre, et ce lieu (le cime-
tière), dit la charte 32, ont été appelés Paradis depuis les
temps les plus reculés. Cet endroit, situé à la porte du monas-
tère (de Saint-Victor), porte ce nom parce que les corps de
beaucoup de saints martyrs, de confesseurs et de vierges qui
y reposent attirent les bénédictions et les grâces du ciel. Bien
plus, il est appelé Paradis ou la porte du Paradis, parce que
du temps de Cassien, le père très saint, le docteur remar.
quable, le fondateur du cœnobium de Saint-Victor, il y régna
(1) Le* Saints de V Eglise de Marseille, p. 233.
16
— 238 —
dans les âmes une grande sainteté, une grande noblesse, et que
Ton y vit fleurir dans toute sa splendeur la discipline monas-
tique, source réelle de toutes joies pour les âmes pieuses (IJ.d
C'est toujours du monastère de Saint-Victor qu'il s'agit dans
cette charte et, si l'abbaye cassianite des femmes s'était
trouvée en cet endroit, ce document n'aurait pas eu uu mot
pour dire que cette dernière abbaye avait, en même temps
que celle de Saint-Victor, honoré ce lieu de Paradis par les
exemples, les vertus et la sainteté des religieuses qui l'habi-
taient! C'est difficile à croire.
On a lu plus haut qu'un historien du XI* siècle, écrivant
la vie de saint Ysarne, abbé de Saint-Victor, rapporte (2) que
tout jeune encore ce saint vint à l'abbaye Saint-Victor, en
compagnie du moine Gaucelin. Tandis que celui-ci visitait
parents et amis, Ysarné n'eut d'autre désir que de parcourir les
cryptes. Les religieux, pleins de charité, heureux de satisfaire
les pieux désirs du voyageur, le conduisirent dans tous les sanc-
tuaires de l'abbaye, lui nommant les riches trésors de bé-
nédictions et de grâces qu'ils contenaient, « £n ce lieu, lui
disaient-ils, repose l'innombrable armée des martyrs dont on
n'invoque jamais en vain l'assistance, restes vénérables qu'en-
toure dans les vastes champs voisins la foule des confesseurs,
(1) f ... Quae ecclesia (Sancti Pétri )vel locus, multis retroactis tem-
poribus vocatus est Paradisus. Idcirco vero isdem locus, ad portam
monasterii situs, vocatus est Paradisus, sicut et nos comperimus, quia
multorum corporum, videlicet sanctorum martyrum, confessorum ac
virginum eodem loco quiescentiura, decoratur auxiliis et suffragatur
meritis. Imo etiam vocabatur Paradisus et porta Paradisi, quia in die-
bus Cassiani, sanctissimi patris et doctoris exiinii, institutoris hujus-
modi Sancti Victoria cœnobii, tantà nobîlitate viguit et sancti tate
floruit apostolicœ et regularis disciplina?, ab his sanctis patribus traditse,
ut merito et actu et nomine, vocaretur Paradisus, roris supernse gratis
iilustratus virtutibus. • Gartulaire de Saint-Victor, charte 32.— L'auteur de
la Vie des Saints de V Eglise de Marseille dit lui-même en traduisant
cette charte 32 : • Le monastère s'appelait Paradis, parce que là repo-
saient les vierges, les martyrs et les confesseurs, gloire de l'Eglise de
Marseille, et aussi parce qu'il renfermait le monastère de Cassien, séjour
inondé de grâce divine... » Page 233.
(2) Voir le texte de ce passage et son explication dans les chapitres
quatrième et cinquième de V Introduction.
— 239 —
».-"f
autrefois religieux de ce monastère. Là, dans un endroit à part,
dort la foule des vierges consacrées à Dieu; ici, dans le
sanctuaire taillé au vif du rocher, tu vois les restes des saints
Innocents. » Qu'il s'agisse, dans ce passage de la vie de saint
Ysarne, des divers* endroits des cryptes, ou qu'il s'agisse d'un
coin de Paradis, toujours est-il que s'il y avait eu dans le
cimetière de Paradis, à deux pas de l'abbaye, un monastère
fondé par le bienheureux Cassien, incontestablement les re-
ligieux qui mettent saint Ysarne au courant, le lui auraient
fait savoir, et l'auteur de cette vie aurait fait mention de ce
détail. Il ne dit rien cependant, c'est que le monastère cassia-
nite ne se trouve pas dans Paradis. A aucun moment, tout au
moins du V* au Vlli' siècle, il ne s'est élevé à cet endroit (1).
De 420 â 750, il n'a pu se trouver encore à l'endroit que l'on
appelle le Revest, c'est-à-dire sur le versant qui de la rue
Sainte s'incline vers le port.
Quelle est bien la topographie de ce point du terroir? Nous
l'avons dit plus haut en expliquant la charte 40 du XI* siècle.
Le chemin qui va à la Garde part du Podium Formicarium,
près de l'église actuelle de Saint-Ferréol, longe la rive est
du port, à la hauteur de la rue Beauvau, tourne à l'ouest
à la hauteur de la rue de la Darse, passe en contre-bas de la
rue Sainte, toujours en tirant vers l'occident jusqu'à la rue
Fort-Notre-Dame. A ce point il fait un second coude et re-
monte vers le sud. Or, depuis le Podium Formicarium jusqu'à
ce second coude, ce chemin de la Garde d'un côté borde des
salines établies sur la rive du port (2); de l'autre côté, du
premier tournant au second, il sert de limite aux quelques
terres situées sur le plateau et appartenant à des particu-
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(1) < Le cimetière de Paradis, si vaste qu'il fût, ne descendait pas jus-
qu'à la mer. Le plateau occupé par la rue Sainte actuelle s'incline brus-
quement vers le port par une pente rapide. . .; c'est sur ce coteau incliné
vers la mer que se trouvait le monastère. » (Les Saints de V Eglise de
Marseille, pp. 234, 235.)
(2) < Cum salinis et piscatfonibus et portu navium et omnibus juste
et legaliter ad eumdem ûscum pertinentibus, conjacentem in comitatu
'Massiliensi qui vulgo Paradisus nominatur, sicut est via quso descendit
a (iuardia usque in Poium Formicarium. » Cartulaire de Saint-Victor,
charte 10.
'.'!
:
i
— 240 —
liers (1). Ainsi ce poiut du terroir que M. de lley appelle
le Revest n'est en réalité qu'un espace fort restreint. « Sur
ce coteau incliné vers la mer », le chemin de la Garde et les
salines occupent jusqu'à la moindre parcelle de terrain. 11 est
donc difficile d'y trouver la place pour un monastère.
Mais en deçà du chemin de la Garde, au-dessus de cette brus-
que inclinaison île terrain, le plateau s'élargit, et l'on pour-
rait peut-être comprendre cet espace de terrain sous la
dénomination de quartier de Revest. Il y a sur ce point des
terres appartenant à des particuliers, et même il y en a une
qui est la possession des religieuses, au XI* siècle. Nous avons
désigné plus haut remplacement exact de cette terre. C'est là
qu'à la rigueur les -auteurs qui veulent l'abbaye cassianite au
Revest, pourraient la placer.
Et cependant l'abbaye n'a pas été sur cette terre des reli-
gieuses, de 420 à 750.
Celte terre, d'abord, ne leur appartenait pas à cette époque
primitive. Il n'y a pas de titre, croyons-nous, qui indique
que c'était là une possession de l'abbaye au V° ou au VI- siècle.
En supposant qu'elle fût ce qu'un des fragments d'inventaire,
découvert jadis par Ruffi, appelait 1' « ager Massiliensis » ,
comme cet inventaire fut dressé sous Venator, évêquede Mar-
seille, c'est-à-dire après 886 (2), ce titre ne prouverait pas que
l'abbaye possédât ce domaine au début de sa fondation. Le
titre serait bien trop postérieur.
Ensuite, celte terre est d'une assez vaste étendue. Telle que
la charte 40 du XI" siècle nous lu dépeint, elle renferme plu-
sieurs enclaves appartenant soit à des particuliers, soit à
l'abbaye de Saint- Victor. Or, ce n'est pas au début de sa fon-
dation, et au lendemain de celle de Saint- Victor, que l'abbaye
cassianite des filles a pu posséder un si vaste domaine.
(1) « Vineadft Blanca Lancei .. ab occidenle terminât via de Guar-
dia. . vinea Algilini,aboccidenteviadeGuardia. »Cartulaire de Saint-
Victor, charte 40.
(2) « Descriplio mancipiorum de agro Massiliensi, factum tempore
Venatoris episcopi, decimo anno episcopafùs ejus. — Venator gouverna
l'Eglise de Marseille, vers la un du IXe siècle. » Armoriai et Sigillogra
phie des b'véques de Marseille, par M. le chanoine Albânès, p. 30 et
article XXIV.
~ 241 —
De plus, ces différentes enclaves nous sont une preuve que
ce n'est point là une possession si ancienne de l'abbaye. Au
début du V* siècle, quel était l'aspect de ce plateau, au-dessus
duRevest, touchant d'un côté le cimetière de Paradis, qu'il
bornait à l'occident (1), de l'autre aboutissant par une pente
insensible au marais de la Palud ? Ce ne devait être que des
terrains incultes, des marécages, des garrigues comme l'était
d'ailleurs Paradis et le terrain au-delà de Saint-Victor (2). Qui
en était le maître? Le souverain de l'époque, les comtes de Pro-
vence, peut-être aussi l'évéque de Marseille. Or, quel qu'en fût
le propriétaire, celui qui l'avait cédé à l'abbaye cassianite,
nouvellement fondée, l'aurait donné tel qu'il était, inculte,
désert, marécageux; à l'abbaye cassianite de le faire cultiver.
D'autre part, celle-ci n'aurait jamais distrait de ce domaine
certaines portions, pour les céder en toute propriété à des parti-
culiers. L'abbaye étant sur cette terre, le voisinage de ces parti-
culiers aurait été une gène. On ne peut pas dire que les gens qui
sont nommés dans la charte 40 étaient les fermiers de ces biens
pour le compte du monastère, puisque la charte les cite comme
les maîtres de ces terres enclavées ou voisines (3). Non plus,
que ces maîtres du XI' siècle étaient les successeurs des fer-
miers, qui à la suite des invasions se seraient emparés des
biens de l'abbaye, puisqu'il y a sept ou huit enclaves, et la
terre des religieuses n'est pas tellement grande qu'elle ait con-
tenu sept ou huit fermes et autant de fermiers. D ailleurs, il
y a des enclaves appartenant à Saint- Victor (4). A la suite des
(1) Ce plateau du- Rêves t était séparé de Paradis par le chemin de la
Garde qui passait devant la chapelle de Saint-Pierre située à l'entrée du
cimetière.
(2) Le terrain au delà de Saint-Victor était « terra culta et inculta, pra-
tis, pascuis, garricis, aquis aquarum, ductibus vel reductibus.fi Charte
'$, de 965.Gartulairede Saint-Victor. 1. 1.— Paradis, étant un cimetière,
n'était pas cultivé. Le reste du plateau, en ces temps reculés, ne devait
guère l'être davantage.
(3) c Vinea quam Petrus Algitinus solttus erat facere... quam Boni-
facios dédit... quam Pontius dédit Sancto Viclori.... quœ fuit Alma-
rici.. . quse facit Gisfredus. . .» Cartulaire de Saint-Victor, charte 40.
(i) « Continetur ibidem una quartairada vineae, quam Pontius, pres-
byter Sanctt Tirsi, dédit Sancto Victori Vinea Sancti Victoris de
<tomi. i Cartulaire de Saint-Victor, charte 40.
- 242 —
invasions, cette abbaye, du moins, aurait fait restitution. Or, ces
enclaves dans cette propriété, ce n'est pas l'abbaye cassianite
qui accepta de les créer. Donc elles existaient quand ce domai-
ne lui a élé donné. Donc ce n'est pas au début de sa fondation
que l'abbaye la possédé. C'est plus tard, peut-être au IX* siècle.
Alors, à un bien qu'on lui donne elle en ajoute plusieurs autres
par achat, par échange ou par donation. Restaient d'autres
enclaves, qu'elle n'avait point encore pu réunir à sa propriété,
en 1038-1048. Donc l'abbaye ne pouvait pas être en cet endroit,
lors de sa fondation.
Mais qu'importe, dira-t-on, que cette terre n'ait pas appar-
tenu aux Cassianites à cette époque reculée ? L'abbaye pouvait
cependant s'élever en cet endroit, le terrain, l'emplacement
appartenant par supposition ou à Saint-Victor, ou à l'évoque,
ou aux comtes de Provence.
Non encore, l'abbaye, même dans ces conditions n'était pas
là, au début du V siècle.
Aucun des auteurs qui ont parlé de cette terre des reli-
gieuses suivant les indications de la charte 40, n'a entendu
y placer l'abbaye cassianite. Quel est le sens véritable de
cette phrase de la charte 40 : « Terra Sanctœ Mari» », etc.? On
Ta dit plus haut. Mais tous les auteurs n'y ont vu qu'une
chose : que l'abbaye était sur le bord de la mer, non loin du
port. Aucun qui l'ait placée à l'endroit même où la terre se
trouvait. M. de lley lui-même, qui loge l'abMye à deux pas
de cette terre, au Revest, et qui peut-être a l'intention de com-
prendre ce plateau dont nous parlons dans le périmètre du
quartier du Revest, n'a pas du tout l'intention d'y placer le
cœnobium. « C'est sur le coteau incliné vers la mer que s'éle-
vait le monastère de Saint-Cyr , on ne peut lui attribuer un
*
autre emplacement (1).»
Autre preuve. 11 n'y a pas, que nous sachions, de tradition,
si vague soit-elle, que le monastère cassianite ait été en cet
endroit sur le plateau en dessus du Revest, au V siècle. D'au-
cuns l'ont placé aux Catalans, au Carénage, à Paradis, ï Sainte-
Catherine, au Revest, afin de se conformer à une faible tradi-
(1) Les Saints de VÉfjlise de Marseille, p. 235.
— 243 —
tion, et ils ont donné à l'appui quelques raisons, bien faibles
il est vrai, mais des raisons. Or, pour cet endroit aucun vestige
de tradition. Donc le monastère ne se trouvait pas sur ce point,
au début de sa fondation.
Et si Ton voulait arguer de ce que le plateau, au-dessus du
Revest, est voisin du quartier le Revest lui-môme, pour établir
que la tradition, qui placerait le monastère au Revest, pourrait
servir à le placer sur les terres environnantes, nous de-
viendrions alors plus exigeant. Nous demanderions que Ton
nous donnât une preuve solide de la tradition en faveur du
Revest. Et, cette preuve, on ne Ta pas fournie. Or. qui expli-
quera l'absence de tradition en faveur du plateau, au-dessus
du Revest, si le monastère a été là, au V siècle? Cassien au-
rait fondé là sur cette terre, qui en 1047 appartenait aux reli-
gieuses, l'abbaye des filles ; en 597, elle s'y élevait encore •
à l'époque des invasions, de même. Là auraient été martyri*
sées sainte Eusébie et ses compagnes. Là encore les pirates en
838, seraient venus enlever les religieuses. Peut-être l'ab-
baye s'y élevait encore en 923, car rien ne prouve sûremeut
qu'elle se trouvait à cette époque à Sainte-Catherine. Cette
terre des religieuses, aussi voisine relativement de Saint-Victor
que pouvait l'être le quartier de Sainte Catherine, présentait
les mêmes avantages comme les mêmes inconvénients. Et ni
les chartes, ni la tradition même la plus vague n'auraient
gardé le souvenir de l'existence durant cinq siècles, du pre-
mier cœnobium de religieuses, à Marseille 1 C'est à peine
croyable.
Aatre preuve. Durant cinq siècles il y aurait eu là un mo-
nastère embaumé des parfums des vertus les plus belles. Eu-
sébie y aurait vécu avec ses compagnes ; au lendemain de leur
mort héroïque, on a inhumé dans un endroit a part, dans les
cryptes, leurs glorieuses dépouilles. Ysarne en a visité les
tombeaux. Bien plus, la chapelle de ce monastère avait été
dédiée à la Vierge, disent à peu près tous les auteurs, ce qui
faisait de cet oratoire un des plus anciens avec la Major et
Notre-Dame de Confession, consacrés à l'honneur de Marie, à
Marseille. Cent ans après la mortde Cassien, et peut-être plus
tôt, afin de perpétuer le souvenir des vertus du saint fonda-
— 244 —
teur des deux abbayes, cet oratoire lui a été dédié. Tout cela se
passait à deux pas de Saint-Victor. Et au XI* siècle, alors que les
Viffred (1) et les Ysarne sont à l'œuvre pour rééditier les saints
lieux dévastés par les Sarrasins; que Fulco et Odile, son épouse
sur le conseil des moines et le désir de saint Ysarne (2), font
rebâtir la chapelle de Saint-Pierre de Paradis, un peu plus tard
font construire celle de Sainte-Croix, près de Saint-Pierre (3),
il ne viendra à la pensée de personne, ni de l'abbé, ni du vicomte,
ni des moines, de faire revivre le souvenir de l'antique
abbaye cassianite! Ysarne n'aura pas à cœur de faire re-
construire la première chapelle dédiée à l'honneur du saint
fondateur Cassienl Toutes les chartes de l'époque parlent
en termes élogieux du saint abbé, du Père très saint, de l'ex-
cellent docteur Cassien ; les ruines du premier oratoire qui lui
est dédié sont là à deux pas, près du monastère de Saint- Vic-
tor et de Saint-Pierre de Paradis, et on ne s'occupera pas de
les relever ! C'est incroyable de la part d'Ysarne, de Fulco et
d'Odile.
Donc, l'abbaye cassianite ne se trouvait pas, de 420 à 750,
sur le plateau du Rêves t.
(1) « Claruit sacrîs virtutibus Viffredus abbas... Hicergo has aedes con-
tiens.. . velle nec De posse vicecomitum seu egregii praesulis Massiliensis.»
Cartulaire de Saint- Victor, charte 40.
(2) c Quare disposuimus œdificare ecclesiam, consiliis, atque jussu Do*
mini Isarni abbatis, feiicis mémorise, atque omnium fratrum in eodem
cœnobio manentium voluntate. . . » Cartulaire de Saint- Victor, charte 32.
(3) c Ego Guillelmus.vicecomes Massiliensis, feci aediflcare ecclesiam,
quœ est sita juxta ecclesiam Sancti Pétri, Massiliensis monasteri ad
sinistram partem ; et in honore Dei et Sanctœ Cruels rogavi eam conse-
crari... » Cartulaire de Saint- Victor, charte 25.
CHAPITRE III
L'Abbaye cassianite n'a pu se trouver à
remplacement de l'ancienne chapelle S^-Oatherine,
ni aux Catalans
PAfi A SAINTE-CATHERINE. — TROP PRES DE SAINT-VICTOR. — AU
MILIEU DES BRUITS DU PORT. — UNE CHARTE DE 904 EN AURAIT FAIT
MENTION. — PAS AUX CATALANS — GROSSON NE DONNE PAS DE
PREUVE. — IL N'Y A PAS DE TRADITION. — C'EUT ÉTÉ SUR UNE TERRE
DE SAINT-VICTOR, ET LA CHARTE DE 966 EN AURAIT PAIT MENTION.
L'abbaye cassianite ne se trouvait pas, de 420 à 750, à rem-
placement que la chapelle de Sainte- Catherine occupa plus
tard.
De l'endroit où le chemin de la Garde tournait vers le sud,
jusque vers le bassin du Carénage s'étendait une vaste terre
relevant du comte de Provence (1) et allant de la rive du port
jusqu'à la limite du cimetière Paradis. Le long du rivage qui
bordait cette terre comtale, il y avait des pêcheries, des salines,
un ancrage, un petit port qui devint le port de l'abbaye de
Saint-Victor (2). C'était sur cette terre comtale que s'éleva à
(1) « Dna cum terra comitali quse ante portarn castri fore videtur,
usque ad carnarium. . . » Cartulaire de Saint-Victor, t I, charte 10.
(2) « Concedimus... cum salinis et piscationibus et portu navium...
conjacentem in comitatu Massiliensi qui vocatur vulgo Paradisus, sicut
est via quae descendit a Guardia usque ad Podium Formicarium. » Cartu-
laire de Saint- Victor, charte 10.
c .. in quâ continebntur insertum, qualiter ecclesiœ Sancti Victoris
znartyris, uhi sacratissimum corpus umatum est, concessisset Thelo-
nœum de villa quœ dicitur Leonio. . . nec non et Theionœum de navibus
ab Italia venieutibus, quse ad eamdem ecclesiam arripare videntur... »
Cartulaire de Saint- Victor, charte 11.
c... omnem. partent nostram... de salinis quœ in portu civitatis
Massiliœ esse videntur, ab ipsa ecclesia Sancti Pétri, cum piscatione et
portu navium quse in supradicto termino arripaverint. » Charte 23 du
cartulaire de Saint- Victor.
— 24G —
une certaine époque la chapelle de Sainte-Catherine. Or, nous
disons que l'abbaye cassianite ne se trouvait pas en cet endroit.
C'était d'abord très proche de l'abbaye de Saint-Victor.
11 y avait à peine une distance de cent cinquante à deux
cents pas.
Puis, il y avait là des salines, nous l'avons dit, des pêche-
ries, un petit port, et il est assez difficile de vouloir y placer
un monastère de religieuses. Cassien a recherché pour elles
le calme, la tranquillité et la solitude. Or, c'était là un en-
droit très fréquenté, très bruyant, quoique il y eût certai-
nement moins d'agitation et de tumulte qu'il n'y en a de
nos jours à la place aux Huiles. Il est donc difficile de suppo-
ser le monastère des filles à ce point du terroir.
D'autant plus que, le plateau se relevant assez brusque-
ment vers Paradis, il n'y avait pas entre les salines et le
cimetière un assez grand espace de terrain qui entourât de
paix, de calme un monastère.
Ensuite, si l'abbaye cassianite s'est trouvée en cet endroit
de 420 à 750, elle y a toujours été jusqu'en 923. On ne voit
pas pourquoi, en effet, elle aurait quitté le voisinage de Saint-
Victor pour aller ailleurs, à moins de venir en ville.
Et encore, cette terre comtale fut donnée à Saint-Victor
en 904. Si avant cette époque l'abbaye s'y était trouvée, la
charte l'aurait indiqué de quelque manière. L'empereur
Louis, cédant ce domaine, aurait dit qu'il le cédait en com-
prenant ou en ne comprenant pas remplacement de l'abbaye
des filles. Or, il n'y a rien à ce sujet dans cette charte ; donc
l'abbaye n'était pas là au début de sa fondation.
Elle n'était pas non plus aux Catalans, de Tan 420 à 750.
Rappelons d'abord que Grosson, qui le premier, croyons-
nous, a indiqué ce point du terroir comme emplacement de
l'abbaye cassianite, n'a fourni aucune preuve de son asser-
tion (1). M. de Rey, qui a étudié à quel endroit on pouvait
placer l'abbaye cassianite, a reconnu que pas plus aux
Catalans qu'au Carénage il n'y a de place pour elle (2).
(1) Grosson, Almanach historique de Marse Me, de 1770, p. 74.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. S32. Sainte Eusébie et ses
compagnes.
— 247 —
Ensuite, il n'y a, sur le fait de l'existence de ce monastère à
cet endroit, aucune tradition, si vague eoit-elle. Pour le
Carénage on a allégué la nécessité de placer le monastère des
filles à côté de Saint-Victor; pour sainte Catherine, on a
allégué les tombeaux et les inscriptions que Ton a découverts
aux environs ; pour Paradis, les sépultures des vierges sacrées;
pour le Revest, le texte de la charte 40 ; pour THuveaune, la
tradition sur la chapelle a deïs Desnarrados ». Mais pour les
Catalans, aucun fait, aucun document, n'est allégué, ni par
Grosson, ni par un autre. Or, l'absence de toute tradition ne
s'expliquerait pas, si le monastère avait été en cet endroit
de 420 à 750.
Une preuve, d'ailleurs, qu'il ne s'élevait pas aux Catalans.
La charte 28, de 966, rappelle que Tévêque de Marseille,
Honoré II, donna au monastère de Saint-Victor (1) une terre
qui entourait Tabbaye et dont les limites étaient : de deux
côtés la mer, de l'autre la fontaine, la montagne de la Garde,
et un chemin le long de Paradis. » C'est l'espace de terrain qui
est borné au couchant et au nord par la mer, au levant par
une ligue qui partirait du rivage du port à l'entrée de l'abbaye
et de celle-ci aux premières pentes de la Garde ; au sud cette
montagne elle-même jusqu'à la mer ; dans cet espace les
Catalans sont compris.
Or, celte terre que l'évêque donnait à Saint- Victor n'avait pas
toujours été possession épiscopale. Depuis l'époque des
premières invasions sarrasines et de la ruine de l'abbaye, les
évéques de Marseille, afin d arracher à la cupidité des laïques
puissants les biens des églises et des monastères, les avaient
réunis à leur mense et en avaient gardé l'administration.
C'était à ce titre que les évéques de Marseille, et probablement
Honoré II, avaient détenu ce domaine durant un certain nombre
d'années. Mais à cette époque de 966, l'abbaye de Saint- Victor
(1) « Et est ipsa terra, in comitatu Massiliensi, in giro ejusdem
ecclesiae beati Victoris: consortes de duos latus, litus maris, de alio latus
fontem et montem quem nuncupant Guardiam et viam juxta locum de
Paradiso. » Charte 23 du cartulaire de Saint-Victor.
- 248 -
se relève de ses ruines ; l'évéque, pour concourir à celle
résurrection, rétrocédait cetle terre (1).
D'autre part, il est facile de se convaincre que ce domaine
était une possession très ancienne de l'abbaye. C'était une
terre aux alentours de Saint-Victor; on peut bien croire donc
que c'a été un des premiers biens qui lui ont été concédés par
la piété des fidèles et des grands. Ce n'est pas d'ailleurs de
924 à 966 que l'abbaye a pu la recevoir, car à cette époque
elle était en ruine, elle n'existait plus. Ce ne fut pas non
plus de 840 à 924, car à cette date les évoques avaient déjà
pris l'administration des biens de Saint-Victor (2). Loin de
donner à l'abbaye, on cherchait à lui ravir. Les évéques
avaient fort à faire pour défendre ces biens. La possession
par l'abbaye de Saint-Victor, de ce domaine, serait donc anté-
rieure aux premières invasions.
Si donc l'abbaye cassianite s'était trouvée sur ce point aux
Catalans, elle eût élé sur une terre de Saint- Victor. Or, n'est -
il pas étonnant que dans la charte de 966, en remettant ce
domaine à l'abbé de Saint- Victor, l'évoque ne rappelle pas aux
moines qu'il y a sur une portion de leur domaine un lieu
sanctifié et béni, arrosé par le sang de vierges héroïques,
embaumé par le parfum des vertus des premières filles de
Cassien, et que là fut le premier oratoire élevé en l'honneur
de leur saint fondateur ?
(1) « Et ut tbl utiliùs posslnt regulariter vivere, ex terra quae ad
eamdem abbatiamfSaucti Victoria; pertinere dignoscitur, aliquid conce-
dimus'.hocest terra culta et inculta, pratis, pascuis, garricis, aquis,
aqunrum duc ti bus, earum vel reductibus, et est ipsa terra in comitatu...i
Cartulaire de Saint-Victor, charte 23.
« ... Igitur ego, jam dictus Honoratus episcopus, cum clcricis
meis, divini accensus amoris, atque gloriam retributionis orani affectu
desiderans. . . » Charte 23, ut supra.
«la honore Dei omnipotentis Sanctique Victoria martyris, congrega-
tionem monachorum secundum regulam Sancli Bencdicti in abbatia
ejusdem beati Victoris constitul optamus. » Charte 23 du cartulaire de
Saint- Victor.
(2) Dès l'an 780, sous l'épi scopat de saint Mauront, jusque vers le
milieu du Xe siècle, l'administration des biens de l'abbaye a été entre les
mains des évéques. (In v>asions des Sarrasins en Provence , par M. de
Rey, passirn.)
— 249 —
JJira-t-onque le point où s'élevait l'abbaye cassianite des
tilles avait été la possession de cette même abbaye, lors de sa
fondation? Mais en 738 ou plus tard, à l'époque de sa destruc-
tion, levêque aurait pris l'administration de ce domaine. Et
toujours en 966, alors qu'il restituait à l'abbaye de Saint-Vic-
tor ce qui lui appartenait, il aurait fait exception de ce bien
de l'antique monastère, bien qu'il aurait conservé, uni à sa
mense épiscopale, ou qu'il aurait cédé à Saint-Victor. Mais
forcément il aurait mentionné ce fait ; or, la charte de 966 ne dit
rien de cela. Donc l'abbaye n'est pas aux Catalans, de 420 à
750.
S'élevait- elle à Saint-Loup? C'est postérieurement à 840,
suivant l'abbé Cayol que les Cassianites auraient habité ce
quartier. De 420 à 750 elles n'y étaient donc pas.
L'abbaye pouvait-elle se trouver à Saint-Cyr (Var)? Non
encore. Il y a dans le cartulaire de Saint-Victor, et en appen-
dice aux différents écrits de M. Magloire Giraud, sur Saint-Cyr,
laCadière, Saint-Damien et Taurœntum (1), un bon nombre
de chartes dans lesquelles on ne s'explique pas, qu'il ne soit
fait aucune mention de l'existence de l'abbaye cassianite, a
Saint-Cyr, si celle-ci s'y est trouvée réellement. Notamment
la charte de 906 d'Honoré II, dans laquelle celui-ci cède à Sainte-
Victor îe terroir de la Cadière. Comme nous l'avons dit plus
haut, Honoré II aurait rappelé aux moines l'existence de ce
cœnobium primitif des allés de Cassien. La charte de 967-993,
quiiacontele voyage de Guillaume, comte de Provence, à
la Cadière, pour aider les religieux à se mettre en possession de
(1} « Goncedimtis eis ecclesiara Sancti Damiani eu m appendicite
suis... » Suivent les limites. (Cartulaire de Saint-Victor, charte 23.—
Charte 77, de Tan 967-993.- Charte 75. de l'an 1019.)
La donation de la Cadière étant laite et les limites étant fixées, le
comte de Provence ajoutait : « Omnia quœ istis terminis continentur,
quantum ad me pertinent, Sancto Victori ex integro dono. Sane si quis,
quod evenire minime credo, contra hanc donationem venlre ant obsiâ-
tere voluerit, obtinere istud non vaieat. . . »— « Omnia quae istis termi-
nal ion i bus continentur, ex integro dono Sancto Victori, exceptis pinis.»
— (Charte 76, de 1019, cartulaire de Salut Victor.— Histoire du prieuré
de Saint-Damien, par l'abbé Magloire Giraud, appendice, chartes 1, 2,
3, 4, 5.)
— 250 —
leurs biens, l'aurait insinué encore. Celle de 1019, qui relate
la donation à Saint-Victor d'une terre à la Cadière par Fulco
et Odile, et dans laquelle les limites de la Cadière sont préci-
sées, aurait encore indiqué l'endroit où se trouvait ce mo-
nastère. Et tant d'autres chartes qui gardent sur ce sujet le
silence le plus complet. Donc on peut en conclure que l'abbaye
cassianite n'était pas à Saint-Cyr à cette époque primitive.
Pouvait-elle se trouver à cette époque aux salines, à Saint-
Marcel, à Aubagne, à la Ciotat, etc., etc.? On n'attend pas de
nous que nous passions en revue toutes les localités de la Pro-
vence où il plaira au premier venu de placer l'abbaye cassia-
nite. En citant un point quelconque du terroir, que Ton
prouve l'existence d'une tradition sérieuse en faveur de cet
endroit, alors il sera possible d'établir sur des bases solides
une discussion utile. Or, c'est le cas pour Saint-Marcel, Auba-
gne, etc., etc. Nous passons.
L'abbaye cassianite donc n'a pu se trouver à l'époque de sa
fondation aux Catalans, ou au Carénage, à Sainte-Catherine,
au Revest, sur le plateau du Revest, à la Major, etc., etc. A
quel endroit se trouvait-elle alors, puisqu'il faut admettre
qu'elle était quelque part ? Nous l'insinuons dans la conclu-
sion suivante.
Aux auteurs qui plaçaient le cœnobium à tel ou tel endroit,
aux environs de Marseille, nous avons prouvé qu'ils étaient
dans Terreur. Restent donc les bords de l'Huveaune ; or, à ceux
qui soutenaient que jamais cœnobium ne s'est élevé en ce
point du terroir, nous avons démontré que leurs objections ne
tenaient pas. D'autre part, un certain nombre d'historiens
désignent les parages de l'Huveaune comme l'endroit où
pouvait se trouver l'abbaye. Donc, le cœnobium a pu être là.
Ceci n'est point une preuve péremptoire, nous le reconnais-
sons; mais on ne saurait le nier, cela peut suffire à faire
pencher quelque peu la balance en faveur de notre opinion.
Voici, d'ailleurs, les preuves positives.
— ■*^vv\A/VAAAAAA/wv**«—
DEUXIÈME SECTION
PREUVES POSITIVES
CHAPITRE PREMIER
Les Auteurs favorables à notre opinion
et discussion de leurs assertions
MàBILLON. — CHIPFLBT J.-J. — ANDBÉ DU 8AUSSAY. — GUE8NAY J.-B.
— ABTHUB DE MONE8TIEB. — LE P. LECOINTE.— LE PKBB POIBEY.
— L' € ATLAS MABIANUS ». — H. BOUCHE. — M. LE CHANOINE
MAGNAN.
Il est juste de citer en premier lieu les auteurs qui ont sou-
tenu notre opinion. D'ailleurs nous connaîtrons ainsi sur quels
arguments ils s'appuient et ils rendront plus évidente l'au-
torité que nous apporteront leurs témoignages.
D'abord, Mabillon. Dans son ouvrage monumental, inti-r
tulè : Annales ordinis Sancti Benedicti , et les Acta
sanctorumO. S. B.y Mabillon écrit: « C'est à cette époque
que l'on place ce fait mémorable concernant les quarante
religieuses du monastère de Saint-Cyr, situé près de Mar-
seille et fondé par Gassien. Sur les exhortations d'Eusébie,
leur abbesse, elles se mutilèrent le visage en se coupant le nez,
afin d'échapper à la lubricité des Sarrasins (1) ». L'auteur
(l)«Huc re vocant f actum sanctimoDialium quadraginta coenobii sancti
Cyricii, prope Massiliam a B. Joanne Cassiano erecti, quae hortante
Eusebiâ matre et abba tissa, ne suse pudicitise vis a Sarracenis infer-
retur, oasuin sibi praeciderunt. » Mabillon, Annales ordin. S. Bene-
— 252 —
ne désigne pas l'emplacement exact du « cœnobium sancti
Gyricii » ; c'est a prope Massiliam » qu'il le loge. Mais il
faut remarquer qu'en écrivant ces lignes, il ne cherchait
point à élucider une Question qui pour lui n'était qu'un sim-
ple détail à ce moment, quoique pour nous elle soit une ques-
tion importante. Il racontait, il affirmait que sainte Eusébie
et ses compagnes avaient été martyrisées par les Sarrasins;
que le monastère théâtre de ce massacre s'élevât en cet endroit
ou à un autre, peu lui importait. Ce n'était, encore une fois,
qu'un détail.
Cette seule expression cependant semble indiquer que
Mabillon admettait plutôt notre opinion que l'opinion con-
traire (1). A l'époque ou il écrivait, en 1668, il n'aurait pas
employé cette expression : « prope Massiliam », si, à son avis,
le monastère cassianite avait été jadis sur la rive du port ,au
Carénage, aux Catalans, ou au Revest. En 1668, ces divers
endroits, se trouvaient englobés dans l'enceinte de Marseille,
et, Mabillon voulant désigner un de ces points pour l'empla-
cement du monastère cassianite, aurait dit simplement, ou
bien que celui-ci était à Marseille, ou bien qu'il s'élevait à
tel endroit, hors de Marseille à cette époque. Si donc cette ex-
pression « prope Massiliam o se trouve sous sa plume, c'est
l'indice que pour lui le monastère s'élevait aux bords de l'Hu-
veaune. Ce qui suit, d'ailleurs, va corroborer cette interpré-
tation et nous montrer que Mabillon est bien de notre avis.
Si le savant Bénédictin se tient dans la généralité lorsqu'il
raconte l'histoire de sainte Eusébie, il précise davantage lors-
qu'il parle du monastère lui-même. Dans la vie de saint
Césaire d'Arles, au sujet de sainte Césarie, la sœur ou la cou-
sine de l'évêque, que celui-ci avait placée dans uil cœnobium
de vierges a pour y apprendre d'abord cette piété, cette vertu
qu'elle devait plus tard apprendre aux autres », Mabillon veut
indiquer quel est ce monastère de vierges où vécut sainte
dictitt. ir, p. 90, ad ann.73$. — Acta sanctorum ordinis S. Béné-
dicte t. IV, p. 487, ad ann. 734.
(1) Dans les Annales ordinis S. #., Mabillon se sert de l'expressiori
t prope Massiliam » et, dans les Acta SS. ordinis S. Bénédictin il em-
ploie l'expression de « prope urbem ».
— 253 —
rn;
Eusébie, et il dit : c Dans le monastère que Jean Gassien
construisit pour les religieuses dans le terroir suburbain de
Marseille, auprès du fleuve de THiiveaune, d'où lui vint le
nom de monastère de THuveaune (1) ». C'est précis et clair.
Objectera-t-on que c'est dans une note que ces paroles se
lisent? Soit; mais la note est de Mabillon lui-même,
comme le sont d'ailleurs toutes celles de cet ouvrage Car en
tête il est dit: « Universum opus, nolis, observationibus indi-
cibusque necessariis illustravit (2). » Plus de doute donc,
Mabillon croit, avec nous, que le monastère oii sainte Césarie
fut élevée et dans lequel vécut plus tard et fut martyrisée
sainte Eusébie était sur les bords de rHuveaune, « ad Yvelinum
amnem ».
Où Mabillon a-t-il puisé ce renseignement ? Qu'importe !
Le savant Bénédictin était un esprit assez éclairé, d'une critique
assez sûre pour que nous puissions être sans inquiétude à ce
sujet. Car, ou bien il a eu à son service des documents anciens
que nous n'avons plus. Puisqu'il s'est fié à ces documents,
nous pouvons à notre tour nous y fier. Ou bien il a accepté
le dire de certains auteurs qui citaient cette tradition, tels
que Chifflet, qui écrivait en 1618, de Saussay dans son Marty-
rologium gallicanum de 1638, Arthur de Monestier dans le
Sacrum Ch/nœceum de 1657, Guesnay dans le Cassianus
illustratus de 1652 et dans le Provinciœ Annales de 1657,
Lecointe dans les Annales ecclesiaslici Francorum de 1667.
Or, 3i Mabillon a suivi ces auteurs, c'est qu'il croyait leur
opinion fondée. Il les eût cerlainement laissés de côté, s'il
avait pu soupçonner que leurs conclusions étaient exagérées.
Après Mabillon, Chifflet, Jean-Jacques (3), qui écrivait en
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(1) « Evocat e moaasterio venerabilem sua m Caesariam, quam inibi
Ideo direxerat ut disceret quod doceret. » Kn note : « Nempe in parthe-
oooe a Joanne Gassiano sanctimonlalibus erecto, in agro Massiliensi
suburbanoad Yvelinum amnem unde nomen cœnobio... » Acta sanc-
torum 0. S. £., Mabillon, 1. 1, p. 612 ; vie de saint Césaire.
(I) En tête de son ouvrage on lit, en, effet, ces mots.
(3) « Eam vero crucem Paradinus, De Antiq. Statu Burgundiœ
ad annum âOI, dicit a Stephano rege in Sancti Victoris massiliensem
basUicam illatam .. nos vero ex certioribus monumentis collocatam
censé mus in agri Massiliensis cœnobio sanctimonialium de Uveaune ad
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- 254 -
1618 son ouvrage intitulé : Vesuntio civitas imperialis. Il
raconte t qu'un certain roi de Bourgogne, du nom d'Etienne,
avait placé sur les étendards de son armée l'image de la croix
de saint André, en souvenir du bois de la croix sur laquelle
cet Apôtre de Jésus-Christ était mort, croix qu'il avait rapportée
d'Achaïe et qu'il avait déposée à Marseille. . . .
« Cette croix de saint André, un historien du royaume de
Bourgogne, Paradin affirme qu'elle fut placée par ce roi
Etienne dans le monastère de Saint- Victor, où elle se trouve
encore à l'heure présente ; mais, à notre avis et sur la foi de
preuves et d'écrits plus certains, nous disons qu elle a été
placée dans un monastère du terroir de Marseille, sur les bords
de l'Huveaune, aux bord3 de la mer, à un ou deux milles de
cette ville. De quelle manière cette insigne relique est venue
du monastère des religieuses de l'Huveaune à Saint-Victor,
voici ce que les annales de Marseille nous racontent.
« Lorsque les Sarrasins, arrivant de l'Aquitaine, dévastèrent
la Provence, les religieuses du monastère de THuveaune,
pour dérober au pillage, au feu, à la profanation, la croix de
l'Apôtre du Sauveur, l'ensevelirent profondément dans la
terre. Les barbares firent irruption dans le monastère ; les
religieuses, pour sauvegarder leur pudeur, se mutilèrent le
visage, en se coupant le nez, les oreilles et les lèvres. Les sau-
vages envahisseurs les massacrèrent,et les corps de ces héroïnes
furent peu après transportés dans une chapelle de l'église
inférieure, dont l'entrée était interdite aux femmes sous peine
d'excommunication portée par l'évoque.»
André du Saussay , dans le Martyrologe gallican (1), composé
littus maris, altero circiter a Massiliâ miliario. ... » J.-J. Chifflet
Vesuntio, p. 199.
(1) « Crux Sancti Andrese asportata a Stephano rege Burgundi® ex
Achaià, in Galliam deportata, apud Veaunenses virgine8t in agro Mas-
siliensi deposita, inde paulo ante anno salutis 1250 ad Sancti Victoris
famosum cœnobium translata est, ubi nunc asservatur. » Martyrolo-
gium Gallicanum, pridie kal. decembris, natalis Sancti Andreese. De
Saussay. — « Hanc (crucem) ex Achaiâ, in Galliam delatam Stephanus
Burgundiœ rex, apud Veaunenees virgines in agro Massiliensi depo-
suit. » Supplem. Martyrol. Gallic, sexto idus novembris, Sancti
Hugonis de Glazinis. De Saussay.
— 255 —
en 1638, sur Tordre de Loua XIII, raconte, à la fête de saint
André, Apôtre, que la croix sur laquelle ce disciple de Jésus
souffrit et mourut fut rapportée d'Achaïe en Gaule par
Etienne, roi des Bourguignons, et déposée chez les religieuses
de rHuveaune, près de Marseille et de là, un peu avant 1250,
transportée au monastère de Saint-Victor.
Au supplément de son Martyrologe, à la fête de Hugues de
de Glasinis, il raconte la vision que ce saint religieux eut pen-
dant la messe, vision lui marquant l'endroit où se trouvait
cachée la croix de TApôtre au cœnobium de rHuveaune.
Guesnay, Jean-Baptiste, jésuite, né en Provence, a inséré
la même tradition à plusieurs endroits de son Casaianus
illustraiuSi imprimé en 1652. Il dit que « le monastère de
THuveaune fut fondé par quelques pieuses femmes de Mar-
seille, sur un terrain appartenant à Saint- Victor, là où le
petit cours d'eau THuveaune se jette dans la mer. Les débuts
du monastère furent pénibles et difficiles, mais la vertu y fit
de grands progrès, ce qui détermina plusieurs personnes de
distinction et de piété à agrandir le monastère et à lui ména-
ger de plus abondantes ressources. Bien plus, les habitants
du voisinage accourant en foule à l'oratoire de ce monastère,
on construisit une église plus vaste, laquelle fut dédiée à la
Vierge et fit donner au cœnobium, contre lequel elle était
adossée, le nom de Notre-Dame d'Huveaune, à raison du fleuve
de THuveaune sur les bords duquel il était bâti (1). »
Racontant le martyre de sainte Eusébie, Guesnay s'exprime
en ces termes : « Sainte Eusébie, vierge et martyre, vécut
dans le monastère des tilles fondé jadis par Cassien sur les bords
de THuveaune, partie du terroir suburbain de Marseille, et le
(1) # Monasterium Yvelinse aquae ut dicitur, a piis quibusdam mu-
lieribus Massiliensibus inchoatum, in agro suburbano et in ea Rotundi
Montis regione ubi Yvelinus amnis Méditerranée immiscetur. . . Tenue
quidem principium babuit. . . sed nonnuUi eximia tam sanctse familiœ
opinione ac benevolentiâ excitati, angustas xdes amplificaverunt et am-
plifie* tas uberiobus fructibus stabilierunt, temploque laxiori ad populi
coramoditatem et frequentiam exornarunt, quod Virgini Deipara dica-
tum cœnobio per amœnae Yvelini fluminis ripae adjacenti, Nostrae Domi-
na de Yvelino proprium accertum nomen imposuit. » Casaianus illus-
tratus, Guesnay, p. 409.
— 256 —
gouverna un certain nombre d'années en qualité d'abbesse.
A l'époque où la Provence, les bords de la Méditerranée et sur-
tout le terroir de Marseille furent si souvent visités par les
pirates et les barbares, il sévit contre les fidèles une telle
persécution, que Ton pourrait dire que la fureur et la rage
de ces sauvages avaient fait couler de sang les rivières de ces
contrées, au point d'en inonder les champs et les villes qui
les avoisinaient. Or, le monastère de THuveaune, à l'abri
duquel sainte Ensébie vivait avec trente-neuf compagnes,
religieuses comme elle, fut occupé par les barbares. Pris de
rage et de fureur contre ces saintes filles, ils les massacrèrent .
Les dépouilles sacrées de ces martyres furent peu après trans-
portées à Saint-Victor par quelques pieux chrétiens, et dépo-
sées dans la primitive église des religieux de Saint-Cassien(l). »
A un autre endroit de son ouvrage, Guesnay veut raconter
le massacre de sainte Eusébie et de ses compagnes, et c'est
toujours sur les bords de PHuveaune qu'il place le monastère
théâtre de ce glorieux martyre, fondé par Cassien dans le
terroir de Marseille, à peu près à la même époque que celui
de Saint-Victor, et appelé du nom de Notre-Dame d'Huveaune.
« Or, les barbares ayant attaqué Marseille, mais la trouvant
garnie de troupes, les portes fermées, ils durent s'en éloigner.
Ils se répandirent de tous côtés dans la campagne, arrivèrent
sur les bords et à l'embouchure de l'Huveaune. Là se trou-
(1) « Sancta Eusebia virgo et martyr cœnobium parthenium Nostrse
Dominse de Yvelino, vulgo de Veaune, a Cassiano fundatum in oppidano
Massiliœ terri torio per aliquot annos, et fructus auctoritatis cepit ex-
tremos. . . Quo tempore Provincia maritimaeque regiones ac praesertim
Massilia) suburbanae piratis, proedonibusque patefacta, tam atrocem in
fidèles persecutionem passa sunt, ut ex eorum laniena cruoris afflu-
antes rivi vicos et agros miserandà strage inundarunt. Yvelino monas-
terio a barbaris occupato, cum sancta Eusebia, Deo sacrât» virgines
novem supra triginta sub ejus regimine vitara profltentes monasticam,
altis praxoniis Ghristi nomen efferent, illico in odium pise confessionis
et glorificationis trucidatœ, receptis repentinœ Victoria? pal mis, militia?
cœlestis cuneos suû accessione ampliarunt. Sacrae martyrum exuviaepostea
a Massiliensibus Ghristi nomen ac Yvelini cœnobii vindicantibus, in ur-
bem translatas apud Sancti Victoris cassianitarum monachorum pri-
înariam basilicam collocatœ sunt. » CassianUs illustratus, Guesnay,
p. 724.
— Tôt —
vait le monastère de filles que gouvernait, en qualité d'abbesse,
sainte Eusébie (1). » Suit le récit du massacre.
Quand il énumère les reliques conservées dans les cryptes
de Saint- Victor, Guesnay n'oublie pas celles de sainte Eusébie
et de ses compagnes, et il dit à ce sujet : a A la droite de cette
chapelle se voit un tombeau en marbre. C'est là que reposent
les dépouilles de sainte Eusébie, jadis abbesse de trente-neuf
religieuses. Elles vivaient dans un monastère fondé par le
bienheureux Gassien, à deux ou trois milles de Marseille, et
que l'on appelle encore Noire-Dame d'Hu veaune. Exposées
aux fureurs des Sarrasins, ces vierges préférèrent la mort à la
perte de leur virginité (2). »
Dans un autre ouvrage intitulé: Promnciœ Massiliemis
Annales, imprimé en 1657, Guesnay fixe à Tan 477 la date
du martyre de sainte Eusébie, et il dit : « Durant la persécu-
tion que Genséric et son fils Hunéric suscitèrent contre les
catholiques, les Vandales, qui couraient les mers en pirates,
abordèrent le point de nos rivages où l'Huveaune se jette
dans la mer, et attaquèrent le monastère des filles que Cassien
y avait fondé et qui était très florissant. Le monastère em-
porté, les barbares n'ayant pu faire apostasier sainte Eusébie,
(1) « Nec omittendum hoc loco parthenium cœnobium Nostne Domi-
na de Yvelino, vulgo de Veaune, a Gassiano fundatum in oppidano
Massiliae territorio, cui iidem natales fuerunt qui ipsi monasterio Sancti
Victoris... Descensione factà urbem aggrediuntur. Ingens eo loco
vis erat populi, portse oppidi clausae, disposita prœsidia, tan toque ad
repellendos hostiles conatus labore, assiduitate, dimicatione certatum
est, ut ab incolis exclusi barbari et ad vicinos circumquaque agros depo-
pulabundos diffusi, Yvelini fluminis ostium aditumque subierint. Ibi
parthenium cœnobium in quo sancta Ëusebia novem super triginta
monialium religiosissimis prseerat antistita... » Cassianus illustratus,
p. 509.
(2; « Ad hujus sacelli dexteram marmoreumque sepulcrum constitu-
tum est. in eoque sancta) Eusebiœ, earumdem novem supra triginta
monialium quondam abbatissae ossa condita, hœ autem omnes cum vitam
agerent, in monasterio ad mare olim a beato Gassiano excitato duobus
tantum tribusve milliaribus Massilia dissito, quod etiamnum vulgari
appellatione B. Virginis de Veaune dicitur, ne a Sarracenis violarentur,
mortem oppetere quam virginitatem Deo dicatam sibi deperire malue-
runt. » Casëianus Mu stratus, p. 475.
— 258 -
abbesse du cœnobium et ses trente-neuf compagnes, ils les
massacrèrent sans pitié... fl). »
A un autre endroit du môme ouvrage Guesnay parle de
sainte Eusébie, de ses trente-neuf compagnes et c'est tou-
jours du monastère situé sur les bords de THuveaune qu'il
s'agit (2).
Arthur de Monestier, dans le Sacrum Gynœceum, imprimé
en 1657, place au 30 décembre la fête de sainte Eusébie et de
ses compagnes, « qui vivaient dans un monastère situé aux
bords de l'Huveaune, non loin de Marseille ». Cet auteur cite
à la fois le Cassianus illustrât us, le Martyrologium galli-
canum et Chifflet, en relatant les termes de ces auteurs (3).
Le Père Lecointe, dans les Annales ecclesiastici Francorum,
imprimées en 1667, dit a qu'il y avait à Marseille quatre
monastères fameux : celui de Saint- Victor. . . celui de Notre-
Dame d'Huveaune, celui de Saint-Sauveur et celui de Saint-
Cassien. Guesnay en a parlé longuement dans son Cassianus
illustratus. Le premier était un monastère d'hommes, le
second de femmes et de filles, tous deux fondés par Cassien
lui-même. . . Celui de Notre-Dame d'Huveaune est situé dans
(1) « Anuo 477. Circa excitatum a Genserico, sive Hunerico filio suo,
catholicorum persecutionem, cum Vandali piraticam agerent, (orte in
eam Provincial Massiliensem oram appulsi, in quà Yvelinus fluvius mare
inflult, parthenonem quam olim Cassianus ibi florentissimam cons-
truxerat, adoriuntar. Capto monasterio, cumsanctamEusebiam abbatis-
sam, Deoque sacratas virgines novem supra triginta sub ejus regimine
vitam profitentes monasticam, nullo modo potuissent adduci barbari,
ut Christum negarent, illico trucidatae... » Guesnay, Provenciœ Afas-
siliensis Annales, p. 186.
(2) t Anno 450. SanctaEusebia virgo et martyr.— Cœnobium parthenium
Domina* Nostrae de Yvelino, vulgo de Veaune, a Cassiano fundatum in
oppidano Massiliae territorio, rexit sancta Eusebia... quo tempore Provin-
cia, maritimae regiones, etc. » Guesnay, Provinciœ Massiliensis Anna-
les, p. 600.
(3) c Apud Veaunense monasterium, diœcesis Massiliensis, passio sanc-
tarum Eusebise et sociarum sanctimonialium virginum, quœ mira cons-
tantiâ pro tuitione castitatis et fidei decertantes, martyrii palmam repor-
tarunt ». Sacrum Gynœceum, par Arthur de Monestier; 30 déc. Il cite
en note le passage de Chifflet: « Cum Sarraceni... », le passage de
Guesnay : « ad h jus sacelli dexteram...», et le sens de ce que de
Saussay a écrit au sujet de la croix de saint André, ut suprà.
— 259 —
le terroir, derrière la montagne gui est à l'opposé du monas-
tère de Saint- Victor, là où l'Huveaune se jette dans la
mer. Il a passé par mille épreuves fâcheuses, souvent dé-
truit, incendié. . . C'est à la suite de sa dévastation qui remonte
à une époque antérieure à la domination des Francs dans la
Provence, que les religieuses bâtirent celui de Saint-Sauveur,
situé dans la ville elle-même (1) *.
Avant de passer à d'autres auteurs, demandons-nous ce que
vaut le témoignage des quatre que nous venons de citer. Ne
nous le dissimulons pas. Leur autorité, parait- il, est fort
contestable. Feller, dans son Dictionnaire historique, les
accuse tous d'accepter sans trop de critiques les légendes (2).
Cependant, puisqu'ils sont des témoins de nos traditions, ne
passons pas entièrement sous silence leur opinion. Quel fond
est-il donc permis de faire sur leur témoignage?
Disons d'abord qu'ils ne sont nullement intéressés à donner
à la question qui nous occupe une solution de parti pris. A
l'exception de Guesnay qui, lui, est Provençal, le martyre de
sainte Eusébie, la découverte de la croix de saint Andréa
Marseille ne les intéressent qu'à titre de chrétiens, de prêtres,
de religieux. Ce n'est pas une question où l'amour du clocher
(1) « Ad Massiliam enim vel in ipsâ civttate tune conspicièbantur
quatuor illustria monasteria : Sancti Victoria, Nostrœ Dominée de
Yvelino, Sancti Salvatoris, et Sancti Cassiani, de quibus Guesnay (lib. IL
cap. 17, 25) in Cassiano illustrato prolixe disserit.Primum erat virorum,
alterum puellarum; cœnobia Sancti Victoria etN. D. de Yvelino condita
suut ab ipsomet Cassiano... Prope muros stat etiamnum monasterium
Sancti Victoris...; cœnobii de Yvelino, siti in agro suburbano et in ea
Rotundi Montis parte quae monasterio Sancti Victoris aversa in occur-
sum patet, ubi Yvelinus amnis mari Mediterraneo immisceatur sors fuit
longe infelicior. » Père Lecointe, Annales ecclesiastici Francorumt
t. I, n* 43, ad ann. 536.
(2) Chifflet J.-J. c Si Ton retranchait (dans cette histoire de Besançon)
de la partie civile l'érudition étrangère et de la partie ecclésiastique
les fables et les légendes, son in 4° serait bien diminué.» (Feïler, Dic-
tionnaire historique.)— André du Saussay, Afartyrologiumgallicanum^
« dans lequel on remarque beaucoup d'érudition, mais pas assez de criti-
que et d'exactitude.» (Feller, op. cit.).— Guesnay, J.-B., Annales Pro-
vincial Massiliensis : « Ce n'est qu'une compilation mal digérée et sans
critique.» — Feller se borne à indiquer le S. Joannes Cassianus* sans
l'apprécier.
— 260 —
puisse les faire abonder dans un sens plutôt que dans un
autre. Pour Guesnay lui-même la solution que nous préconi-
sons,de mettre lecœnobium cassianite aux bords de l'Huvea une,
est une question de détail. Si ces auteurs donc le fixent à cet
endroit, c'est qu'ils le savent de quelque manière. Et où ont-
ils puisé ces renseignements? Incontestablement dans des
documents anciens que nous n'avons plus. Guesnay parle de
t monumentis publias et tabulis veteribus Massilise reperies
editi instrumenti anno 710 (1) ». Les autres auteurs citent des
ouvrages antiques. Faut-il supposer que, pour le plaisir d'agré-
menter leur narration, ils ont forgé des documents ou vu dans
ces documents autre chose que ce qu'il y avait. Gela n est
guère possible.
Les fiollandistes, qui sont venus après eux, se contentent de
les citer quand il s'agit d'écrire sur sainte Eusébie. Et nous
irons, nous, les accuser de faux (2) ? D'ailleurs, Mabillon a
traité le même sujet (ne parlons que du martyre de sainte
Eusébie). Or, ou bien Mabillon a connu les écrits de ces
auteurs et s'est appuyé sur leurs assertions, alors elles sont
exactes, car Mabillon les aurait rejetées, s'il avait eu le
moindre soupçon d'une erreur historique ; ou bien il ne les a
pas connus, et n'a pas pu se servir de ce qu'ils contenaient.
Dans ce cas, puisque Mabillon et ces auteurs arrivent aux
mêmes conclusions, puisque pour les uns et les autres le
monastère cassianite est situé aux bords de l'Huveaune, nous
ne voyons pas pourquoi on n'en croirait pas ces auteurs. Ils
ont dit la vérité, nous en avons pour garant le docte Ma-
billon (3).
(1) S. Joannes Cassianus illustrât us, y. 409. Nous ne savons pas à
quel document Guesnay fait allusion, à moins que ce ne soit à la charte
10 du cartulairu de Saint-Victor, qui date non pas de 710, mais de 904.
(2) Dans les Acta Sanctorum, à la fête de sainte Eusébie, t. V, d'octo-
bre, p. 292, les Bollandistes rappellent ce que ces divers auteurs ont écrit,
sans donner aucune appréciation de l'autorité dont ces auteurs jouis-
sent.
(3) Nous pourrions ajouter & ces auteurs qui sont pour nous : Antoine
de Ruffl, le père de M. de Ruffl. Si ce dernier est contre nous, il n'en est
pas de môme du père. Nous avons cité son témoignage. Or, il semble que
le père veuille réfuter à l'avance ce que son fils écrira plus tard de
> .
— 261 —
Le Père Poirey (François), dans la Triple Couronne de la
Vierge Marie y a écrit : « A la descente de cette colline de
Notre-Dame de la Garde, Ton trouve Notre-Dame de la Veaune,
jadis monastère de filles, où arriva ce fait mémorable des
religieuses qui, à l'abord d'une rage barbaresque, se coupèrent
le nez d'un commun accord, pour conserver leurpudicité (1).*
L'Atlas Marianus, parlant de la statue miraculeuse de
Notre-Dame de la Veaune, s'exprime en ces termes (2) : a Cette
contraire à notre opinion : t Cette tradition (que le monastère était à
l'Huveaune; n'est appuyée sur aucun instrument, ni vieille écriture, mais
se trouve fortifiée par plusieurs conjectures !...» C'est une tradition
d'abord, et elle n'est pas dénuée de fondements.
(1) Triple Couronne de Marie, par P. Poirey, nouvelle édition parles
Pères Bénédictins deSolesmes, traité I, ch. 12, article de N.-D. de la Se.
t Cet ouvrage fut imprimé à Paris en 1630, puis en 1633 et 1643 ; il eut
beaucoup de succès. Le Père Poirey était un homme pieux et instruit.»
(Michaud, Biographie universelle, Poirey.)
(2) tTemplum hoc extra urbem est, et vel hodiè,si pietas adsit,beneflciis
Virginis clam m. Olim miraculosam fuisse statuam Virginis inde certum
est. Quod ad miraculum pios eflecerit, rem intellige, lector, quam si
semel atque iterum alibi factam legisti, frustra in libris post hâc et
initolabore simile exemplum quaeres.
c Cœnobium hic sacratarum Deo virginum fuit, loco, quum nulla
vicinorum potentia contra malos defendere poterat. lrruentibus Barbaris,
virginibus cura fuit, quae in periculis solis fugae nec te m pus, nec locus
amplius erat, sed et nemo, qui inermes et feminas defenderet ; itaque
ipsae ad gladios plusquam virili fortitudine respexerunt ; et quia gladium
nec unum habebat cœnobium, brèves cultros singulœ arripuerunt, sua-
dente antistità in praeclarum factum suffecturos. Illa, postquam ita arma-
Us silentium induxit : « Vultus, inquit, nostri suot, quorum décore vir-
c gineo periclitamur : hos si decoro vulnere devenustamus, periculo
t defunctse sumus, aliud enim non petunt, qui nobis jam imminent,
« hostes. Audea rausl Fluet pulchro de vulnere sanguis virgineo rubore,
< Virginis placiturus cui non jamdudum devovimur. Si placet, incipiam
« et meo exemplo nutitantes animabo. »
« Simul cum dictofet illœ omnes idem se facturas clamarunt. Et illa,
neqxiam promissi pœniteret, nasum sibi prsecidit. Quam caetera; om-
nes tan ta promptitudine secutae sunt ut dubium inter multas esse
exstiterit, quae inter omnes primos lanti facti honorem meruerit. Ita
felici hostium contemptu securse periculo se capedierunt-
« I nunc, et hoc sine Deiparae miraculo fie ri posse puta.
« Caetera, quae ad hanc sanctam iconem (quae forte hodiè non supe-
rest) contigerunt ad me non pervenire, atque etiam si ad me pervenis-
'M
i
<
:a
r.c
— 262 -
église de Notre-Dame d'Huveaune se trouve hors de Marseille
et aujourd'hui encore la Sainte Vierge aime à récompenser la
piété de ceux qui viennent l'y vénérer. Il est certain que la
statue de cette Vierge peut être appelée miraculeuse. Voici qui
va le prouver ; on trouvera ce fait raconté en bien des livres,
mais, quant à savoir s'il a été accompli une seconde fois, c'est
en vain qu'on le rechercherait.
a Là s'élevait jadis un monastère de vierges consacrées à
Dieu, Dans le voisinage de ce cœnobium personne d'assez
puissant pour protéger contre les méchants les saintes âmes
qui y vivaient. Or, les barbares vinrent un jour sur cette plage
déserte. Les religieuses ne pouvaient ni fuir, ni se défendre ;
mais, avec un courage plus que viril, elles essayèrent cepen-
dant de lutter à leur manière. Il n'y avait point de glaives, ni
d'armes au monastère. Elles saisissent des couteaux et se pré-
parent, sur les exhortations de leur abbesse, à combattre vail-
lamment. A ce moment terrible, l'abbesse, en effet, impose le
silence et s'écrie : « Mes ailes, c'est la beauté de notre visage
a qui nous met en péril. Nos ennemis n'en veulent qu'à elle.
« Défigurons-nous et nous échapperons au danger 1 Courage ! !
« Nous nous sommes consacrées à la Vierge Marie ! Pour lui
a plaire, donnons- lui notre sang. La première, je vais lui
« offrir ce sacrifice. Suivez mon exemple. »
a D'une voix unanime elles acceptent. Et pendant que l'hé-
roïque abbesse mutile son visage, les autres l'imitent, et cela
avec une joie, un enthousiasme sans pareils et une telle promp-
titude, qu'on ne saurait dire qu'elle fut celle de ces saintes
victimes qui eut plus tôt achevé son sacrifice. Un tel mépris
des ennemis de leur chasteté les mit à l'abri du péril de
succomber au mal.
« Jugez, maintenant, si un tel acte a pu s'accomplir sans
que la Vierge Marie y soit intervenue.
a Quant à ce qui a trait à la sainte image elle-même (qui,
sent, hic non apponerem, qualiacumque demtim essent, quia hoc raritate
suà suffîcit ut credatur Deiparse statua miraculosa. » Père Poirey, Triplex
Corona, tract. I, cap. lî. — Allas Marianus, édit. 1672, t. II, p. 3017,
u. 1687-1137, Imago miraculosa de la Veaune Massiliœ in Gallia; mo-
nogramme : Gaudeamus, amici, en pura Mater in alto.
— 263 —
peut-être à l'heure actuelle n'existe plus(l) je ne sais rien.
J'en saurais davantage que je ne l'écrirai pas. Le fait que j'ai
cité suffit pour établir que la Vierge de l'Huveaune peut être
appelée miraculeuse.»
Nous lisons dans Honoré Bouche, Histoire de Provence,
qu'il y avait à Saint-Victor « les ossements de quelques
saintes religieuses du monastère d'Uveaulne qui souffrirent le
martyre par les infidèles ». Autre part : « Le monastère des
religieuses d'Uveaune, proche de Marseille, fut entièrement
détruit par ces barbares (2). »
M. le chanoine Magnan, qui a écrit jadis une Notice sur la
Croix de saint André , a soutenu notre opinion. Après avoir
cité le dire de Grosson, de Lefournier et de quelques autres
auteurs plus récents, lesquels plaçaient le monastère de sainte
Eusébie au bassin du Carénage ou sur le quai de Rive-Neuve,*
il ajoute : « D'où vient que les auteurs les plus dignes de foi
assurent que ce monastère était aux environs de Marseille
et à la campagne: « in agro Massiliensi» ?... Mais notre
but n'est pas de prouver ici que le monastère de sainte
Eusébie était sur les bords de l'Huveaune. Une question si
importante et si difficile demanderait des développements
plus étendus. Nous voulons montrer seulement que cette
opinion peut être encore soutenue (3). » Dans sa Notice sur
sainte Eusébie, le même écrivain dit catégoriquement que
ce fut sur les bords de l'Huveaune que saint Cassien fonda le
monastère des filles et que vécut et mourut sainte Eusébie (4).
Enfin, dans V Histoire d'Urbain V, le même auteur écrit
encore : « Cassien fonda à Marseille deux monastères, l'un
pour les hommes sur le tombeau de saint Victor, l'autre pour
les femmes sur les rives de l'Huveaune (5). »
(1) Nous dirons, dans un chapitre suivant, que la sainte image de
N.-D, d'Huveaune existe encore.
(2) H. Bouche, Chorographie et Histoire de Marseille, t. II, pp.
332, 565.
(3) L'abbé Magnan, Notice sur la Croix de saint André, p. 16.
(4) Notice sur sainte Eusébie, publiée dans la Semaine liturgique,
1— année, p. 732, et dans le Conseiller catholique, en 1851.
(5) Vie du pape Urbain V, p. 252.
CHAPITRE II
Le Propre de Marseille
Leçons de l'office de sainte Eusébie
LEÇONS DU PROPRE DE MARSEILLE. — AUTEUR DE CBS LEÇONS. —
MONSEIGNEUR DE BBLSUNCE SE TIENT DANS UNE SAGE RÉSERVE;
MAIS, N'ACCEPTANT PAS CATÉGORIQUEMENT L'OPINION DE RUFFI, IL
EST POUR NOUS. — LES TERMES DONT IL SB SERT SE LISENT DANS
LES AUTEURS QUI NOUS SONT FAVORABLES. — DANS « L' ANTIQUITÉ
DK L'ÉGLISE DE MARSEILLE », IL N'EST PAS CONTRE NOUS.
On connaît le texte des leçons du II0 nocturne de l'office de
sainte Eusébie. Nous le trouvons dans le Propre de Marseille,
à la date du 11 octobre (1). En voici la traduction que nous
empruntons à l'ouvrage de M. Rey : Les Saints de V Eglise
de Marseille (2) : •
« La vierge Eusébie, d'une grande piété, gouvernait le mo-
nastère de religieuses que le bienheureux Cassien fonda
(1) « Lectio IV. — Eusebia, virgo, insigni pietate illustris, sacrarum
virginum monasterio praef uit, quod olira beatus Gassianus , in agro
Massiliensi, non procul a Sancti Victoris templo, exstruxerat. Irruenti-
bus in monasterium infidelibus, sacras virgines, de vità retinendà, uni-
nusquam de pudore servando sollicitas, hortatur Eusebia nasum sibi
praecidant, ut cruento spectaculo barbarorum accendatur feritas, libido-
que exstinguatur. Quod cum incredibili animi alacritate et ipsa et csete-
rse omnes prœstitissent, barbari p ri mu m rei novitate attoniti, tune
furore percitt, eas numéro quadraginta Christum mira constantià confi-
tentes immaniter trucidarunt.
« Lectio V. — Earum ossa in subterraneo Sancti Victoris templo con-
dila, veneratione religiosa coluntur. Certissimà constat traditione, in
earumdem monasterio quod intra Massiliœ muros translatum, sub
Sancti Salvatoris nomine diu floruit, olim moris fuisse ut quotiescum-
que virgo aliqua, vel ad ponendum vit» cœnobiticae tirocinium, vel ad
vota emitlenda admitterentur, abbatissse Eusebia? sociarumque marty-
rium il l i sacerdos velut maximun constantiae incitamentum in memoriam
revocaret. »
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 227.
— 265 —
autrefois dans le terroir de Marseille non loin de l'église de
Saint-Victor. Les infidèles faisant irruption dans le monastère,
et les vierges sacrées ayant plus à souci la conservation
de leur pureté que de leur vie, Eusébie les exhorta à se
couper le nez, afin d'irriter par ce spectacle sanglant la fureur
des barbares et d'éteindre leurs passions. Avec une incroya-
ble ardeur, elle-même et toutes ses compagnes accomplirent
cet acte ; les barbares, étonnés d'abord par la nouveauté,
mais remplis de fureur, les massacrèrent impitoyablement
au nombre de quarante, tandis qu'elles confessaient le Christ *
avec une admirable constance.
a Leurs ossements, déposés dans l'église souterraine de Saint-
Victor, y sont honorés religieusement. Il est de tradition
dans leur monastère, qui, transféré dans les murs de la ville,
y a fleuri longtemps sous le titre de Saint-Sauveur, qu'au-
trefois, quand une vierge était admise à entrer au noviciat ou
à faire ses vœux, ce prêtre lui rappelait le martyre de l'ab-
besse Eusébie et de ses compagnes, comme un grand exem-
ple de fermeté. »
Peut-on, ce contexte à la main, condamner notre thèse, et
partant avons-nous à craindre d'être en contradiction avec le
croyance et la tradition de l'Eglise de Marseille en la formu-
lant ? Nous ne le croyons pas. Les leçons du Propre de Mar-
seille, dans l'office de sainte Eusébie, ne sont pas contre notre
opinion. Au contraire elles lui sont plus que favorables. Voici
la partie du texte latin sur lequel nous argumentons : « Euse-
bia virgo, insigni pietate illustris, sacrarum virginum monas -
terio praefuit, quod olim beatus Cassianus, in agro Massiliensl
non procul a Sancti Victoris templo, exstruxerat »
Quel est le sens précis de ces mots : « in agro Massiliensi,
non procul a Sancti Victoris templo » ? Pour le savoir, lâchons
de connaître l'opinion, sur ce point, du rédacteur de ces
leçons ?
C'est M,r de Belsunce qui a composé cette partie de l'office.
Il l'avoue dans une lettre, adressée à son chapitre, le 9 juillet
1733 : « Moi- même, dit-il, n'ai- je pas donné la leçon de
sainte Eusébie et de ses compagnes (1) ? » A aucune époque
(1) Dom Berengier, Vie de Monseigneur de Belsunce, X. II; p. 149;
— 266 -
avant lui, pas plus dans le Propre de Marseille que dans celui
de l'abbaye de Saint-Victor, il n'est fait mention de notre
sainte martyre (1). Ces leçons, composées en 1733, devinrent
obligatoires dans la récitation de l'office divin dès la fin de la
même année, en vertu d'un décret de l'Ordinaire, en date du
27 mai 1733 (2), puis insérées dans l'édition nouvelle du Pro-
pre que fit imprimer le même prélat, probablement celle de
1735(3).
Or, M*r de Belsunce a-t-il, dans ces leçons, donné une opi-
nion très précise, bien arrêtée sur l'endroit où se trouvait le
cœnobium qu'babitait sainte Eusébie, et partant est-il opposé
à notre thèse ? Nullement. Ce prélat, en efiet, n'ignorait
pas que cette question était bien discutée parmi les auteurs.
S'il lisait de Ruffl dans l'édition que cet auteur donnait, en
1695, de Y Histoire de Marseille, il y voyait soutenir que le
monastère des filles cassianites s'élevait auprès de Saint- Vic-
tor (4). Dans le Cassianus il lustrât us , et les Provinciœ
Massiliensis Annales de Guesnay, il trouvait l'opinion
contraire : que ce cœnobium était sur les bords de l'Huveau-
ne(5). Bien plus, en étudiant davantage cette question, il
voyait que lorsqu'il s'agissait de savoir quels étaient les
auteurs du massacre de ces saintes vierges, pendant que
Ruffi désignait les Normands, il lisait encore dans Guesnay
que c'étaient les Vandales à un endroit de cet ouvrage, et les
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 238. — Les Invasions des
Sarrasins en Provence, par G. de Rey, p. 401. — Les éditions des Offi-
cia propria Sanctorum MassiHensis Ecclesiœ de 1662, 1692, 1732, ne
contiennent rien au sujet de sainte Eusébie. Les Officia propria venera-
bilis Monasterii Sancti Victoria Mossiliœ, de 1672, n'ont rien non
plus.
(2) Acta Sanctowm Bolland., sainte Eusébie, 8 octobre, t. IV, d'oc-
tobre, p. 292. — Ex decreto die XXVII maii 1733.
(3) Un exemplaire des Officia propria Ecclesiœ Massiliensis, posté-
rieur à 1732 et édité chez veuve Brébion, conservé à la bibliothèque de
Marseille, contient ces leçons de l'office de sainte Eusébie.
(4) Voir le chapitre : Les auteurs contraires à notre opinion, de ce
présent ouvrage.
(5) Voir le chapitre : Les auteurs favorables à notre thèse, de ce pré-
sent ouvrage.
• t
(1) Et les deux Ruffl disaient cependant qu'il était de tradition que
c'étaient les Sarrasins. Guesnay, dans le môme paragraphe, nommait
les Sarrasins et les Vandales.
(2) Monographie de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille, par M.
Grinda, dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, année 1888, n° 345.
(3) Voir les leçons de l'office de sainte Eusébie.
(4) V « ager Massiliensis » comprenait : Arcoulens, Saint-Tronc,
Plombières, Sarturanum, Saint-Giniez. (Cartulaire de Saint- Victor, pré-
face, p. LXI.) — Mortreuil, Dictionnaire topographique, au mot Mar-
seille, p. 216.
*$
— 267 —
Sarrasins à un autre (1), et dans Chifflet, duSaussay, le Père
Lecointe que c'étaient les Sarrasins. La divergence la plus
grande, en un mot, parmi les auteurs.
Tous étaient d'accord sur le fond de la question, à savoir :
que sainte Eusébie avait été martyrisée avec ses compagnes ;
mais, quant aux détails, chacun avait une idée différente.
Que devait faire M" de Belsunce ? Ne prendre parti ni pour
une opinion, ni pour une autre, afin de ne pas exposer la
liturgie sacrée aux attaques de la critique. Conservant donc
le fond de cette tradition locale, il se tint, par rapport aux
détails, dans un juste milieu. Pour indiquer les auteurs du
massacre, il se servit des termes d' « infidelibus, barbaroruin,
barbari », expressions qui, à la rigueur, peuvent s'appliquer
aussi bien aux Vandales qu'aux Sarrasins et aux Nor-
mands (2). Pour désigner l'endroit où se trouvait le cœno-
bium, il choisit une locution d'une acception très large et
que les partisans de Tune et de l'autre opinion pourraient
tirer à eux : « in agro Massiliensi, non procul a Sancti Victo-
ris templo (3). »
En effet, de quelque opinion que Ton soit, on peut inter-
préter dans son propre sens ces termes de la leçon. Si l'on
soutient que le monastère est à l'Huveaune, on se trouve dans
Y « ager Massiliensis (4) » et a non procul a Sancti Victoris
templo », car il y a à peine une heure de marche entre l'em-
bouchure de l'Huveaune et l'abbaye de Saint-Victor, et
1 « ager Massiliensis » comprenait ce que nous appellerions
la banlieue de Marseille . Si l'on préfère placer le monastère
près du port, on se trouve encore non loin de Saint- Victor,
-y
• • »i
— 268 —
et dans P « ager Massiliensis », puisque le quartier de
Saint- Victor ne se trouvait pas, au *V" siècle, dans l'en-
ceinte de la ville. On le voit, en s'exprimant de la sorte,
l'écrivain se tenait dans une réserve sage et prudente. Il ne
contredisait pas son ami de Rufû, qui ne voulait pas entendre
parler d'un monastère aux bords de l'Huveaune et surtout il
n'exposait pas une partie de l'office divin aux critiques sacri-
lèges des dénicheurs de saints, Launoy et ses successeurs.
Mais cependant il est facile de s'apercevoir que M,r de Bel-
sunce embrasse plutôt l'opinion contraire, la nôtre. S'il avait
été de l'opinion de Ruffi, il l'aurait dit en propres termes, sans
avoir à craindre de le contrarier. En admettant qu'il n'ait pas
voulu se prononcer catégoriquement en faveur de cette opinion
de Ruffi, il aurait du moins fait entendre qu'il penchait de ce
côlé. Or, les termes qu'il a employés ne sauraient indiquer
ni qu'il accepte l'opinion de Ruffi, ni même faire supposer
qu'il la croit acceptable. Pour désigner clairement que le
monastère était près du port, il y avait des termes tout trou-
vés : ceux de la charte 40 du XI* siècle : a non longe a ripa
porti », ceux des chartes de 1431 et 1446 : « o'iim sibi vici-
num (1) » ; et tant d'autres que le cartulaire aurait suggérés.
Mais jamais, il ne serait venu à l'esprit de l'évéque écrivain
de se servir des mots « in agro Massiliensi » pour désigner la
rive du port. Les termes employés sont trop vagues, pas assez
précis. Donc, Mgr de Belsunce n'accepte pas l'opinion de
Ruffi.
Ces termes ne font pas môme pressentir qu'il croit accep-
table l'opinion de Ruffi. S'il n'avait écrit que a non procul a
Sancti Victoris templo », on aurait pu y découvrir une insi-
nuation, en faveur de Popinion de cet historien ; et, comme
ce terme était encore bien vague, on aurait pu le faire accep*-
ter par les tenants de l'opinion adverse. Mais, à côté de ces
mots, il y a « in agro Massiliensi » ; et, comme nous le
disions il y a un instant, qui jamais a désigné la rive du port
par ces mots : « in agro Massiliensi » ? M'r de Belsunce donc
(1) Cartulaire de Saint-Victor, charte 40.— Chartes de 1431, 1446. —
Voir plus haut le chapitre : Les chartes de W34 et ihfà.
" .•' Vf
- 269 -
ne patronne pas l'opinion de Ruffi. Au contraire. Les termes
dont il se sert étant favorables à notre opinion, on peut dire
qu'il penche de notre côté.
La source à laquelle puise l'écrivain l'indique amplement
encore. Dans son ouvrage V Antiquité de VEgtise de Mar-
seille, à l'endroit où il parle du martyre de sainte Eusébie,
quel est l'auteur que M" de Belsunce cite, qu'il traduit, qu'il
suit? Mabillon(l). Or, celui-ci, on le sait, place le monas-
tère à l'Huveaune et il se sert du mot a propre Massiliam »,
pour désigner cet emplacement. Mgr de Belsunce, lui, emploie
dans la leçon l'expression : « in agro Massiliensi », qui dit la
même chose. De plus, cette locution a in agro Massiliensi »
se lit à la fois dans Chifflet. dans de Saussay, dans Arthur de
Monestier, dans le Père Lecointe et dans Guesnay (2) Or, ces
auteurs placent le cœnobium à l'Huveaune. Gomme Mgr de
Belsunce avait ces ouvrages sous la main et que les expres-
sions de ces ouvrages se retrouvent dans la leçon qu'il a com-
posée, on peut en insérer qu'il a puisé à ces ouvrages. Seule,
la locution « non procul a Sancti Victoris templo » ne se lit
pas chez ces auteurs, mais il y a l'expression toute synonyme :
éloigné d'à peine deux ou trois milles de Marseille (3). Donc
c'est là encore que M8r de Belsunce a puisé. Donc il accepte
plutôt notre opinion qu'il ne la rejette.
Qu'il en soit encore ainsi, l'ouvrage même de M|r de Bel-
sunce, cité tantôt, Y Antiquité de V Eglise de Marseille, le
démontre. A vrai dire, on s'attendrait à trouver dans cet écrit
postérieur aux leçons de l'office de sainte Eusébie, car les deux
premiers volumes parurent en 1747 (4), une affirmation caté-
'-*.*
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(1) V Antiquité de l'Eglise de Marseille par Mgr de Belsuuce, t. I,
p. 290.
(2) Chifflet : c Crucem sancti Andrœae collocataih censemus in agri
Massiliensis monasterio de Uveaune ». — Arthur de Monestier: « In
agri Massiliensis prœfato sanctimonialium monasterio de Uveaune ».
De Saussay : « In agro Massiliensi deposita apud Veaunenses virgines ».
Père Lecointe : « Siti in agro suburbano Massilise ».
(3) « Ad mare olim a B. Cassiano excitato duobus vel tribus tantum a
Massilia miliaribus dissito. » Arthur de Monestier, Chifflet.
(4) Dom Bérengier, Vie de Monseigneur ore Belsunce, t. II, p. 182;
18
— 270 —
gorique sur la question qui nous occupe. Or, voici cependant
en quels termes le prélat consigne dans cet ouvrage son opi-
nion sur ce point : a Cassien, dit-il, établit dans une forêt
qui aboutissait au port de Marseille deux monastères. Le pre-
mier fut la fameuse abbaye de Saint- Victor. Le second monas-
tère, qui fut habité par des religieuses, n'était pas éloigné du
premier. » — a Le monastère de filles établi par saint Cas-
Bien, auprès de celui de Saint-Victor. . . » — a Le monastère
de sainte Eusébie, qui portait alors le nom de Sanctus Cyri-
ctus ou Ceris, était hors de la ville et assez peu éloigné du
port. » — a Le monastère des religieuses fondé par saint Cas-
sien, près de Marseille (1). » On le voit, c'est assez sobre d'in-
dications topographiques.
Or, pourquoi révoque-écrivain, composant un ouvrage pu-
rement historique, et partant tenu à moins de réserve que
lorsqu'il rédigeait les leçons de l'office, n'a-t-il pas fait
connaître davantage sa pensée ? A notre avis, c'a été de la
part de M" de Belsunce un acte d'admirable délicatesse et de
prudence consommée. Il ne voulait pas d'abord, après s'être
tenu dans un juste milieu dans la rédaction des leçons du
Propre, avoir Pair de reprendre ses franches coudées dans un
ouvrage de science purement humaine. Un tel procédé aurait
certainement attiré sur son opinion des attaques qui forcé-
ment auraient atteint les leçons de l'office. On lui aurait repro-
ché de ne donner aux fidèles qu'une vérité diminuée, des
assertions timides, et de réserver à un écrit profane toute son
érudition. Il y avait une autre raison, nous semble-t-il. On
sait que Ruffi est catégoriquement opposé à l'existence d'un
monastère cassianite à PHuveaune. Il n'en veut à aucun prix.
Or, émettre une opinion diamétralement opposée et la prou-
ver, c'était attaquer à fond M. de Ruffi. Or, M«r de Belsunce
entretenait avec cet auteur des relations épistolaires assez
agréables. De plus, il s'était aidé, dans son travail, d'un ma-
nuscrit de M. de Ruffi lui-même sur les évoques de Mar-
seille (2). Enfin, comme à une époque il avait appris que
(1) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, pp. 101, 258, 290, 410.
(2) Dans le mandement par lequel Mgr de Belsunce annonçait à son
peuple la prochaine publication de son ouvrage, il écrivait : « Un ma-
- 271 —
M. de Ruffi allait écrire une critique de la Chronologie de
des Evêque8 de Marseille donnée par le Père de Saint Alban
en 1713, dans son Calendrier spirituel; le digne évêque
essaya de l'en dissuader, et le pria de n'être point trop sévère.
M. de Ruffi s'empressa de rassurer son évêque (1). Eùt-t-il
été délicat de la part de Mgr de Belsunce de venir, quelques
années plus tard, alors que M. de Ruffi n'était plus, attaquer
à fond les assertions de cet historien ? Il se contenta donc
encore d'une sage réserve et d'un juste milieu. Mais la preuve
en notre faveur, c'est qu'il ne se range pas à l'avis de Ruffi
d'une manière catégorique , puisque les locutions « près de
Marseille ; hors de la ville ; assez peu éloigné du port ; n'était
pas éloigné du premier (de celui de Saint-Victor) n sont d'une
signification très large, pouvant être acceptées aussi bien par
les tenants d'une opinion que par les tenants de l'autre.
Ainsi Mgr de Belsunce n'est pas contre nous dans Y Anti-
quité de V Eglise de Marseille. Il l'est bien moins encore
dans les leçons qu'il a rédigées pour l'office de sainte Eusébie.
Donc, nous ne nous heurtons pas de front à la tradition de
l'Eglise de Marseille. Que dis-je? elle nous est plutôt favo-
rable. Et c'est déjà quelque chose ! !
•
nuscrît de feu M. de Rufti le fils, que M. d'Artigues, son gendre, a bien
voulu nous communiquer, nous a été aussi d'un grand secours. » Man-
dement du 15 août 1741. (Vie de Monseigneur de Belsunce, par Dom
Bérengier, t. II, p. 181.)
(1) Dom Bérengier, Vie de Monseigneur de Belsunce, t. I, p. 139 et
suiv.
CHAPITRE III
La Oroix de saint André cachée à l'Abbaye
cassianite de l'Huveaune
TEXTES DE CHIPPLET, DE DU SAUSSAY, D'ARTHUR DE MONESTIER. — LÀ,
CROIX DE SAINT ANDRÉ TROUVEE A MARSEILLE, A NOTRE ÉPOQUE; ELLE
Y ÉTAIT DEJA EN 1494. — ELLE Y ÉTAIT AU XIII* SIÈCLE. BAS-RELIEF
DE HUGUES DE GLASINJS.— ELLE N*EST PAS ARRIVÉE A MARSEILLE
SEULEMENT A L'ÉPOQUE DES CROISADES, LORS DE LA PRISE DE
CONSTANT1NOPLE, EN 1198.— CETTE CROIX N'ÉTAIT A CONSTANTI-
NOPLE, NI AU VIe, NI AU IV° SIÈCLE. — NI MÊME A PATRAS AU IVe
SIÈCLE. — SAINT RÉGULFUS.
Nous trouvons dans Chifflet, du Saussay et Arthur de Mo-
nestier une preuve nouvelle de l'existence sur les bords de
l'Huveaune du monastère cassianite de vierges dans lequel
vécut et mourut sainte Eusébie (1).
Voici ce qu'on lit dans Jean-Jacques Chifflet (2) :
a Les Burgundes devenus chrétiens placèrent surleursensei-
gnes militaires une croix au lieu d'un dragon. Un grand nom-
Ci) On trouvera peut-être que c'est beaucoup de trois chapitres pour
traiter la question de la croix de saint André à Marseille, par rapport au
sujet qui nous occupe, l'endroit où sainte Eusébie a été martyrisée. C'est
vrai. Nous avons cru cependant bien faire en donnant quelque dévelop-
pement à ce point de notre, histoire religieuse locale. Il nous a semblé
que notre travail y gagnerait en utilité pratique. Ajoutons encore cepen-»
dant que cette étude est forcément incomplète. Il est bien d'autres argu-
ments, en effet, que l'on pourrait produire si l'on voulait établir d'une
manière plus précise que l'Eglise de Marseille possède vraiment la croix
de saint André.
(2) Vesuntio vivitas imperiali8t libéra Sequanoi'um metropolis, par
J.-J. Chifflet, p. 199, etc.:
t Christian» fidei lumine illustrât! Burgundiones ex draconnariis facti
sunt cru ci fer i. Ëxstantenim permulti apud nostrates rerum Burgundiaca-
rum commentarii galliéè conscripli, in quibus Stephanus quidem Bur-
gundiae rex dicitur, crucem saucti Andrseœ pro vexillo militari sibi ar
— 273 —
bve d'auteurs qui ont écrit de notre temps sur les faits et ges-
tes des Burgundes rapportent qu'un certain Etienne, roi de
Burgundie, avait le premier fait représenter une croix de saint
André sur ses drapeaux. Cette croix il l'avait apportée d'Achaïe
et déposée à Marseille. Cet Etienne, aucun roi de Bourgogne
ne s'appelant de ce nom, n'est pas autre, à notre avis, que
Gundioc, roi des Bourguignons, qui, devenu catholique, prit ce
suisprimus accepisse,eamque ex Achalà déporta ta m, Massiliao collpcasse.
Stephanum hune (quia nullus hujus nominis exstatin probatis Burgundiœ
chronicis) non alium esse suspicor a Gundioco Burgundiarum rege, qui
quondam cecidisse in pugnâdicitur,cum jam catholicus adversus Attilam
pro romano imperatore dimicaret, opinor eum Stephanum in baptismo
vocatum, qui tamen ab illius sévi scriptoribus Gundiocus semper dictas
fuit
c Eara vero crucem, Paradinus (De Aniiq. Statu Buvfjond.,ad
ann. éW) dicit a Stephano rege in Sancti Victoria massiliensem basili-
cam (in qu& nunc habetur) illatam ; nos ex certioribus monumentîs collo-
catam censemus in agri Massiliensis cœnobio sanctirnonialium de Uveau-
ne ad littus maris, altero circiter a Massilia milliario, quâ vero parte ad
Sanctum Victorem devenerit, habesic ex Massiliensium commentariis.
€ Cum Sarraceni Catalauniae incolœ Provinciam devastarent, moniales
dicti monasteriide Uveaune, B. Andraese cruci, quam religiose servabant
a flammis aliàve injuria cautum esse voluerunt. Igitur excavata humo,
crucem sepeliunt, rata) ni mi ru m ita barbarorum oculos, manusque eva-
suram. Barbaris deinde in monasterio irrumpentibus, veritae ne pudori suu
vim inferrent, nares sibi, aures et labia hic crudolitate praeciderunt, ut
déformes apparerent et sane omnes interfectœ sunt.Quarum corpora ali-
quo post tempore disquisita, in monasterium Sancti Victoris translata
sunt, et in sacello ecclesi» reposita sunt eu jus ingressu pontifleià aucto-
ritate sub pœnâ excommunicationis mulieribus interdictum est.
c Sollicité deinde disquisita est a monach's Sancti Victoris crux
Andreana, cumque nusquam occurreret crédita est aut sublata a Sarra-
cenis, aut concremata. Hugoni postmodum cuidam, ex eodem monaste-
rio, inter missarum solemnia Angélus tertio apparuit, crucemque in terra
abditam in monasterio de Uveaune revelavit. Quod cum super iori mani-
festasse t, ad eum locum a monachis piè processum est, quà crucem ini-
bi effossam in Sancti Victoris (ubi nunc cernitur) monasterium irapor-
tarunt.
« Bono huic Hugoni, qui sanctus vulgo habebatur, positus estpraeter
morem tumulus e marmore candido vermiculato, in quo expressus est,
quasi sacris operans ad altare, e quo B Andrœae crux sese il!i offerat.at-
que hoc epitaphiuoi adscriptum. (Suit Vépitaphe que Ruffl, donne dans
V Histoire de Marseille, t. //, p. /2£.J Hinc vides non multo ante annum
1250 illatam in Sancti Victoris monasterium B. Andraeae crucem. »
- 274 -
nom d'Etienne. Il combattit dans les armées romaines contre
Attila et mourut dans une bataille livrée à ce barbare (t).
a Au sujet de la croix de saint André, Paradin écrit qu'elle
fut portée en 401 à Saint -Victor par ce roi Etienne, et c'est là,
dans cette église, qu'elle se trouve. Mais, sur la foi de docu-
ments plus certains et plus autorisés, nous croyons qu'elle fui
placée dans un monastère de vierges situé sur les bords de
VHuveaune, près de la mery à peu près à deux ou trois milles
de Marseille. Comment de ce monastère de THuveaune vint-
elle à Saint-Victor? Le voici :
« Lorsque les Sarrasins qui habitaient l'Espagne eurent en-
vahi la Provence, ils attaquèrent le monastère de l'Huveaune
et massacrèrent les religieuses qui l'habitaient. Les dignes
filles deCassien, voulant mettre à l'abri la précieuse relique
qu'on leur avait confiée, creusèrent la terre, y enfouirent la
la croix, pensant ainsi la dérober à la vue et à la rapacité des
barbares. Plus tard, le calme étant revenu, les religieux de
Saint-Victor cherchèrent longtemps cette croix de saint André,
et, ne la retrouvant pas, ils crurent qu'elle avait été ou enlevée
ou brûlée par les Sarrasins. Or, un certain Hugues, religieux
du môme monastère célébrait un jour la messe, lorsque un
ange lui apparut et lui indiqua l'endroit du monastère de THu-
veaune où la croix de l'Apôtre était cachée.
« Tout heureux de cette communication, Hugues la fit con-
naître à l'abbé du monastère. On chercha la relique à l'endroit
indiqué, on la retrouva et on la rapporta à Saint- Victor. C'est
là qu'on la vénère maintenant.
« Le religieux du nom d'Hugues, qui est appelé saint, fut
déposé après sa mort, et cela contrairement à l'usage qui n'ac-
corde pas de tels honneurs à un simple moine, dans unmagni-
que tombeau de marbre blanc, couvert de sculptures. Et sur
la pierre fut gravée cette inscription :
« Hugues, sacristain, dont cette petite pierre recouvre la
a dépouille mortelle, se réjouit au ciel en compagnie des
« saints et de l'archange Michel. Il fut en cette abbaye l'hon-
(1) L'histoire mentionne une bataille livrée par les Bourguignons à Atti-
la. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 165.
— 275 —
a rieur, la gloire de tous les religieux. Il avait un culte pour
« les saints de nos cryptes. Aussi c'est à bon droit qu'il repose
« dans ce temple, qu'il a restauré de fond en comble. On le
« déposa dans ce tombeau le 8 novembre, Joignez à mille,
* deux fois cent et cinquante et vous aurez l'année qu'il est
a monté au ciel.»
« De plus le bienheureux Hugues est représenté sur cette
pierre tombale disant la messe; au-dessus de l'autel sur
lequel il célèbre, la croix de saint André lui apparaît. Il mourut
vers 1250. On voit que ce n'est guère avant cette année que la
croix de saint André fut portée à Saint-Victor. »
Arthur de Monestier a écrit, dans son Sacrum Gynœceum,
à la date du 30 décembre : « Le monastère actuel de Saint-
Victor est très célèbre à. cause de la translation que l'on fit de
la croix de saint André, Apôtre. Ce fut un roi de Bourgogne qui
l'y fit apporter. Mais des documents plus certains et d'une plus
grande autorité nous disent, et c'est là notre opinion, que
cette croix fut placée dans le monastère des vierges situé sur
les bords de l'Huveaune, près du rivage de la mer, à deux ou
trois milles de Marseille. » Et cet auteur emprunte à Chifflet
la page de son ouvrage où il raconte que les vierges de l'Hu-
veaune cachent dans la terre la pieuse relique. (1).
André du Saussay a traité le même sujet dans son Marty-
rologium gallicanum,b. la fête de saint André, «pridiè kalen-
das decembris », 30 novembre, a La croix de saint André, dit-il,
apportée d'Achaïe par Etienne, roi de Burgundie, fut déposée
en France dans le monastère des religieuses de l'Huveaune,
situé dans le terroir de Marseille, et transférée à Saint- Victor
un peu avant l'année 1250 (2).»
(1) « Célèbre ac notissimum exstabit praesens monasterium ob trans-
lationem crucis sancti Andraeae Apostoli in ipsum factam opéra régis
Burgondino ; ex certioribus siquidem monumentis collocatam censemus
in agri Massiliensis prsefato sanctimonialium de Uveaune monasterio ad
littus maris imo vel altero circiter a Massilià milliario. Cum autem Sar-
raceni Catalauoiœ incolœ . . . . (Ut supra apud Chiflletium.) » — Arthur
de Monestier, Sacrum Gynœcceum, 30 déc. Apud Uveaunense monas-
terium passio sanctœ Eusebiœ, notes.
(2) « Pridie kalendas decembris, Natalis sancti Andraeae.. . Crux sancti
— 276 —
k\xsuwlémmtAuMartyvologiu?ngallicanum,\e <* sexto idus
novembris», il ajoute (1): « Au monastère de Saint- Victor, à
Marseille, la fête de saint Hugues, confesseur à qui il fut révélé
pendant qu'il célébrait le saint sacrifice, à quel endroit se
trouvait la croix de saint André, qui avait été égarée et perdue.
Cette croix, rapportée d'Achaïe en France par Etienne, roi des
Bourguignons, fut placée dans le monastère des religieuses
situé sur le3 bords de l'Huveaune, dans le terroir de Marseille.
Mais, pour éviter qu'un si riche trésor devint la proie de quel-
que ravisseur, il fut porté à Saint-Victor et mis en lieu sur.
C'est là qu'elle est encore honorée.»
En résumé donc, d'après ces auteurs, la croix de saint André
aurait été, à une certaine époque, cachée dans un monastère
de religieuses situé sur les bords de l'Huveaune. Or, ce fait
est-il vrai ? Nous ne nous occupons pas pour le moment de la
valeur intrinsèque du témoignage que nous apportent ces au-
teurs. Nous l'avons jugée tantôt, en constatant qu'ils s'étaient
rencontrés de la même opinion avec le docte Mabillon, sur
ce point de notre travail : qu'il y avait un monastère de filles,
fondé par Gassien sur les bords de l'Huveaune. Nous ne vou-
lons qu'étudier au point de vue historique le fait relatif à la
croix de saint André. A-t-elle été cachée, ou non, dans un mo-
nastère aux bords de l'Huveaune ?
Si oui, nous avons une preuve de plus qu'il y a eu un
cœnobium cassianite sur les bords de l'Huveaune.
Que Ton ait la patience de nous suivre dans nos déductions,
et l'on verra la lumière se faire quelque peu sur ce point.
Andraeae a Stephano rege Burgondiœ ex Âchaià in Gallia deportata, apud
Veauuenses virgines (nam virgo et Andrœas luit et perstitit) in agro
Massiliensi deposita, indepaulo ante annum salu is 1250 ad Sancti Vic-
toria famosum cœnobium translata est.» Martyrologium Gallicanum,
par André de Saussay.
(1) « Massiliœ ad Sanctum Victorem, sancti Hugonis coniessoris,
cui divinam rem facienti revelatum est ubinam esset crux sancti Andraese
apostoli, quœ amissa fuerat. Hanc ex Achaià in Galliam delatam Stepha-
nus Burgondiœ rex apud Veaunenses virgines, in agro Massiliensi de-
posuerat, ac ne tam nobile pignus raptui pateret, Massiliam ad securio-
rem situm deportata, in Sancti Victoris templo monastico perpetuo cul-
tu conservenda deposita fuerat.» Du Saussay, Supplementum ad Marty-
rologium Gallicanum, sexto idus novembris.
— 277 —
D'abord, il est certain disons-nous avec l'abbé Magnan, qui a
écrit sur ce sujet, que la croix de saint André se trouve à Mar-
seille. La tradition qui nous la fait honorer dans les souterrains
de Saint-Victor repose sur des bases qu'il est difficile de con-
tester (1). Tillemont avoue que Ton prétend « que la croix qui
a servi d'instrument de supplice à saint André se conserve
encore à Saint-Victor de Marseille (2).» Un savant Dominicain,
Yepes, dit a que l'on montre cette croix de saint Andréa Saint-
Victor, et personne ne révoque en doute que ce monastère de
Marseille ne possède ce précieux dépAt et qu'Etienne, roi de
Bourgogne, lui en fit présent (3).» Jean Féraud, l'auteur de la
Disquisiiio reliquiaria, dit qu'il a « vu de ses propres yeux
cette croix de saint André à Saint- Victor (4).» Le Martyrologe
bénédictin (5) affirme « qu'une partie de cette croix se trouve
en l'église de Saint-Maurice, à Cologne ; quant au reste de la
croix, elle est à Marseille.» À ces autorités joignez que nul
auteur n'indique où peut se trouver cette précieuse relique, et
jamais ni ville ni contrée n'ont réclamé l'honneur de la pos-
séder (6) . Ce que nous honorons est donc sûrement la croix de
saint André.
Depuis quelle époque cette relique se trouve- t-elle à Mar-
seille ?
Sûrement elle y était en 1494, puisque un religieux prieur
de Saint- Victor, Lazare Barbani, en enleva une partie et ne fit
connaître son larcin qu'au moment de sa mort. On a le procès-
verbal de cette déclaration, Ruffi le cite en entier (7).
(1) Notice sur la croix de saint André, par l'Abbé Magnan, passim.
(2) Tillemont, Mémoires pour servir à V histoire ecclésiastique de
France , t. I, p. 337.
(3) Cité par M. l'abbé Magnan dans la Notice sur la croix de saint An-
drê, p. 5.
(4) t Tum nos ipsis oculis ad Sancti Victoris Massiliœ templum
in illo enim cœnobio sancti Andrœae crux ad angulos rectos compacta
ferreisque obtuta laminis » Disquisitio reliquiaria, par Jean Féraud,
p. 167.
(5) c Pars de cruce ejus in sancti Mauritii, Colonise; reliqua crux tota
in Sancti Victoris Massiliœ.» Festum sancti Andrœœ.
(6) Magnan, op. cit., p. 4.
(7) Magnan, op. cit., p. 7. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 121 .
- 278 ^
Avant 1494, cette relique se trouvait-elle à Marseille?
Oui, elle se trouvait à Marseille vers le milieu du XIIP siècle.
Nous avons entendu du Saussay et Chifflet nous dire que le
bienheureux Hugues de Glasinis, sacristain de Saint- Victor,
avait connu par révélation, pendant qu'il disait la messe, Ten-
droit où cette relique avait été enfouie (1). Cette tradition de
Marseille que ces auteurs nous ont transmise est appuyée sur
un monument lapidaire, la pierre tombale qui a recouvert la
dépouille mortelle de ce saint religieux. Il est représenté, nous
lavons dit, célébrant la messe, revêtu des ornements sacerdo-
taux, devant un autel antique, une large dalle reposant sur un
fût de colonne, et au-dessus de l'autel une croix à branches
égales de petite dimension. Mais, tout à côté de cette figure,
il y a une grande croix de Malte supportée par un pied, accom-
pagnée de deux chandeliers, et surmontée d'une étoile à six
rayons et d'un croissant (2). Ruffl ne fait pas de difficulté
d'admettre, à la suite des auteurs cités plus haut, que les fi-
gures de ce bas-relief autorisent la tradition (3). Et M. labbô
Magnan assure « que ce bas-relief serait une énigme inexpli-
cable sans l'histoire racontée par Chifflet (4). »
Nous le croyons aussi. Ce bas-relief, en effet, n'est pas autre
chose qu'une explication en image de l'inscription gravée en
l'honneur de ce religieux, « II était, dit celle-ci, le sacristain
de l'abbaye et il avait par ses soins et sa diligence rebâti ou res-
tauré de fond en comble le temple des saints, l'abbaye :
(1) a Hugonis cui divinam rem facienti revelatum est ubinam
esset crux sancti Andraeœ. » Du Saussay, Suppl. ad Martyr. GaU.—* Hu-
goni cuidam iuter missarum solemnia Angélus tertio apparuit. » Chif-
flet, Vesuntio.
(2) Kothen, Notice sur la crypte de l'abbaye Saint-Victor , planche II,
p. 58. — Ruffi, t. II, p. 128.
(3) La croix de saint André demeure ainsi cachée jusqu'à ce qu'un
ange révèle l'endroit où elle était, à Hugues, sacristain du monastère de
Saint-Victor, qui disait la messe, ce qui semble être autorisé par la
représentation de quelques figures qui sont sur le tombeau du saint. .
Rufll, Histoire de Marseille, t. II, p. 120. — C'est aussi l'opinion de
Guesnay : « ... Quod miraculum eu m epitaphio inscriptum est.» Sanc~
tus Joannes Cassianus illustratus^ p. 475.
(4) L'abbé Magnan, op. cit., p. 7.
— 279 —
<* Hugo sacrista. . . sepelitur sanctoram eorum templo quod
primo quasi totum fecit ab imo. » Aussi on représente sur la
pierre du sépulcre l'abbaye que Hugues a restaurée. Il était la
gloire, l'honneur des religieux, « flos etdecus monachorum ».
Il avait en grande vénération les saints qui reposaient dans les
cryptes, « cultor sanctorum ». fit on le représente célébrant
la messe sur un autel antique des cryptes, peut être celui de
Notre-Dame de Confession .
Que signifie maintenant cette grande croix gravée dans le
compartiment du milieu de la pierre tombale ? Admettez le
récit de Gbifflet et des autres auteurs, et vous aurez une expli-
cation toute naturelle de cette partie du bas-relif . Que ce soit
par révélation, que ce soit à la suite de longues recherches,
que le saint religieux ait pu découvrir la croix de saint André,
peu importe. On ne peut le nier, ce monument lapidaire est
une preuve certaine de la croyance que Ton avait à cette épo-
que, à Marseille, de l'existence de la croix de saint André dans
les cryptes de l'abbaye de Saint- Victor.
Pour nous, nous croyons sans peine à cette révélation ou à
ces recherches suivies d'un si heureux résultat. Toutes les
précieuses reliques de notre Provence, enfouies et cachées à
l'époque des invasions des Sarrasins, ont été découvertes à peu
près de la même manière : le corps de sainte Anne, à Apt, à la
suite, dit la tradition, de la guéiïson d'un aveugle sourd et
muet qui indiqua l'endroit où la relique se trouvait (1); le
corps de sainte Marthe, à Tarascon ; celui de sainte Marie-
Nagdeleine, à SaintMaximin ; ceux des saintes Maries, à
l'église de Notre-Dame de la Mer, à la suite de grandes fouilles
exécutées pour rechercher ces trésors insignes de notre foi.
Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour la croix de
saint André? C'est en 1187 que le corps de sainte Marthe est
découvert à Tarascon ; en 1279 que le fut celui de sainte
Marie- Magdeleine à Saint-Maximin (2). Pourquoi n'aurait-on
(\) Histoire de VEglise d'Apt, par l'abbé Boze, p. 69 et suiv.
(2) Légendes et traditions provençales par de Virieu: Saintes Maries,
p. 98; leurs reliques furent découvertes, en 1448, sous le roi René, qui
ordonna les fouilles ; — Sainte Marthe* p. 117; ses reliques furent
découvertes en 1187 ; — Sainte Marie-Madeleine, p. 144; ses reliques
— 280 —
pas fait à la même époque des recherches, à Marseille, pour
retrouver cette croix de saint André qu'une ancienne tradition
disait y être cachée ?
Depuis combien d'années cette relique se trouvait à Mar-
seille, lorsque Hugues de Glasinis la retrouva?
Guesnay raconte, dans son ouvrage intitulé Magdalena
Massiliensis advena, a qu'un certain roi de Bourgogne, du
nom d'Etienne, parti pour la croisade avec plusieurs princes
chrétiens, avait pris à Patras, ville d'Achaïe, la croix de saint
André, relique insigne qu'il appréciait grandement et qu'il fit
placer dans le monastère de Saint-Victor, à Marseille (1). »
Le môme écrivain, dans l'ouvrage intitulé Sanctus Joannes
Cassianus illustratus, a écrit : « La croix de saint André a été
apporté d'Achaïe, h Marseille, par un roi de Bourgogne
appelé Etienne. C'est ce que nos aïeux nous ont appris (2) ».
Ce serait donc à l'époque des croisades, que la croix de saint
André aurait été apportée en notre ville (3).
Darras, de son côté, écrit dans Y Histoire de V Eglise, au
sujet de la prise de Constantinople par les croisés en 1198,
a La croix où l'apôtre saint André avait consommé son
martyre fut recueillie et pieusement conservée par ses disci-
ples. Les croisés latins la retrouvèrent en Achaïe, d'où elle
fut transportée à la fameuse abbaye de Saint-Victor k Mar-
seille (4). »
furent retrouvées à Saint-Maximin en 1279. — Les Saints de l'Eglise de
Marseille, p. 49, 128. — Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de
Marie-Madeleine, 1. 1, pp. 1217, 1321, 869.
(1) « Constat equidem Burgundise regem nomine Stephanura, dum in
Orientem unà cum principibus christianis, tesserarià crucc decoratus
contendit D. Andraeae crucem, quam si n gui ari honore prosequebatur,
ex Patraco, urbe Achaiae ereptam, istud in monasteriuro, non modo
jam fundatum, sed etiam toto orbe terra ru m celeberrimum atque notissi-
mum, et ab ipso maxime religioni habitum transtulisse. » Magdalena
Massiliensis advena, par Guesnay, p. 107.
(2) « (Grux Sancti Andraeae) ex A chai à ad nos Rtephani Burgundionum
régis beneficio allata est, ut majorum traditionibus accepimus. » Cas-
sianus illusiratuSy p. 475.
(3) On lit dans VAlmanach des Saints de Provence pour l'année 1890,
au 30 novembre : « Lacroix de saint André était vénérée à Saint- Victor
de Marseille depuis le XIII ' siècle. »
(4) Histoire générale de l'Eglise, par l'abbé Darras, t. VI, p. 464.
— 281 —
L'assertion de Guesnay est aussi inexacte que celle de Darras.
En effet, quel est ce roi de Bourgogne, du nom d'Etienne, qui,
d'après Guesnay, prit à Patras la croix de saint André, à
Fépoqiie des croisades, et la donna à Saint-Victor ? De quelle
croisade veut-il parler? Quel est ce duc de Bourgogne mon-
trant une telle générosité à l'endroit du monastère de Saint-
Victor? Si un roi de Bourgogne avait eu pour sa part de butin
une telle relique, il l'aurait gardée pour ses Etats et ne
l'aurait pas laissée à Saint- Victor. Nous verrons tantôt que le
cardinal Pierre de Capoue lit présent du corps de saint André
à sa ville natale d'Amalfî. Or, quelle relation y avait-il entre
un roi de Bourgogne et l'abbaye de Saint- Victor de Marseille,
à cette époque ?
- Vers 1240, il est vrai, un duc de Bourgogne (1) vint s'em-
barquer à Marseille pour la Terre-Sainte, en compagnie
d'autres princes chrétiens. L'abbaye de Saint-Victor lui
prêta-t-elle quelques subsides, en reconnaissance desquels
ce duc de Bourgogne lui donna plus tard la croix de l'Apôtre ?
Mais rappelons-nous que Hugues de Glasinis a découvert
cette relique, à Marseille, à peu près vers cette époque* Si c'est
un roi de Bourgogne qui, vers 1240 a donné la croix de saint
André, on n'a pu la perdre en aussi peu de temps. Le fait donc
de sa découverte par Hugues de Glasinis serait faux. Et cepen-
dant il existe une tradition à ce sujet, appuyée sur le monu-
ment lapidaire dont on a parlé plus haut. La croix était donc
à Marseille avant 1240.
Ajoutons que ce môme auteur, Guesnay, dans le Sanctus
Joannes Cassianus illustratus, enlève toute valeur à sa
propre assertion. Parlant de Hugues de Glasinis il écrit : « Ce
religieux (2) vécut jadis dans ce monastère de Saint- Victor.
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 129. — Antiquité de V Eglise
de Marseille, par Mgr de Bel su n ce, t. II, p. 155.
(2) « Is (Hugo de Glasinis) in hoc monasterio œditui quondam obiit
mu nus, eoque inscio, crux Sancti Andraeœ non procul ab eodem virgi-
num monasterio ab aliis quibusdam religiosis de la ta est, ibique defossa,
ne a Vandalis aliisque barbaris Massiliam tum occupant! bus, alio
subduceretur. Nec ita multo post cum ejusdem monasterii religiosi
convenissent ut sacras reliquias suis locis ac sedibus restituèrent, jam
Or, un jour, à son insu, des religieux prirent la croix de saint
André, la portèrent au monastère des vierges de l'Huveaune
et l'y enfouirent, de peur qu'elle ne fût enlevée par les
Vandales et autres barbares qui ravageaient et occupaient
Marseille, à cette époque. Quelque temps après, les religieux
revenus au monastère, désirant remettre en sa place cette
relique, ne la trouvant plus, s'en prirent au bienheureux et
le menaçaient de châtiment pour une telle insouciance à
l'endroit du trésor dont il avait la garde. Mais celui-ci, divine-
ment inspiré d'avoir recours à Dieu, apprit par révélation du
ciel que la croix de l'Apôtre avait été enfouie non loin du
monastère des vierges de l'Huveaune. »
Ceci n'est qu'un joli petit roman bâti par Guesnay sur le
récit de Chifflet. Avouons d'abord que ces religieux s'y sont
pris bien maladroitement. Quand on fait une opération de ce
genre, on s'entoure de précautions capables de guider les
recherches futures. Puis ce n'est pas au bout d'un aussi court
laps de temps que l'on perd toute trace de ce que Ton a
caché.
Quel est ensuite ce monastère de filles, établi sur le bord de
l'Huveaune, auprès duquel, du vivant de Hugues de Glasinis,
on vint enfouir et cacher la croix de saint André ? Il n'y avait
pas de monastère de filles à cette époque, en cet endroit du
terroir. Dès l'an 1004, le monastère se trouvait à Saint-Sauveur,
au sein de la ville. Dès l'an 1204, les Prémontrés vinrent se
fixer à l'Huveaune, et en l'année 1405 les biens de ce monas-
tère des Prémontrés furent réunis au couvent de Sainte-Paule.
Qui sont, enfin, ces Vandales et ces barbares qui du vivant
de Hugues occupaient Marseille ? D'environ 1180 à 1250, Mar-
seille n'a pas eu d'invasion à subir. Elle a été occupée à se
défendre tantôt contre les comtes de Provence, tantôt contre
que viro illi secreto pœnam aliquam imponere decrevissent, quod eo
sacrarium procurante crux Ma sacra autdeperditaautaliotraductaesset,
divino afllatus spiritu vir sanctissimus impetrata divinam opem implo-
randi gralia, divinitus accepit crucem illam non procul a monasterio
B. Virginis de Veaune fuisse defossam. Quod miraculum cum sequenti
epitaphio marmoreo ejusdem sepulcro inscriptum est. > Cassianus
illustraluB, p. 475.
- 283 -
les évoques, qui voulaient y asseoir ou développer davantage
leur autorité. Mais, à aucun moment de ces luttes, en résumé
toutes pacifiques, il n'y a eu pillage et vol, au point de forcer
les religieux de Saint-Victor à cacher la croix de saint- André
qu'ils gardaient dans les cryptes.
A un seul moment cela aurait pu se' faire, c'est vers 1236
ou 1240. A cette époque, le comte de Provence, fatigué des
obstacles que Marseille mettait à reconnaître son autorité, vint
mettre le siège devant la ville. Mais le comte de Provence
pouvait en vouloir à la ville, sans en vouloir à l'abbaye de
Saint-Victor dont le terroir, on le sait, échappait à la juri-
diction de l'évêque et de la cité. De plus, rien dans les annales
de Marseille, ne rappelle une telle mesure, qui, le cas échéant,
se serait étendue à toutes les reliques de l'abbaye (1). Non,
Guesnay a fait erreur. Ce n'est pas vers 1240 que la croix de
Saint- André est arrivée à Marseille.
Ce que dit Darras n'a pas plus de valeur. En effet, lors de la
prise de Constantinople en 1198, par les croisés latins, les reli-
ques insignes que cette capitale de l'Orient possédait dans ses
églises furent enlevées, c'est vrai, par les vainqueurs. Mais la
croix de saint André ne faisait pas partie du butin. Les chro-
niqueurs qui racontent ce fait d'armes parlent de l'enlèvement
de la croix du Sauveur, des corps de divers saints qui échu-
rent en partage à tel ou tel seigneur, à tel ou tel évêque. Chez
aucun de ces historiens, cependant, il n'est fait mention delà
croix de l'Apôtre. Si on parle de saint André, c'est pour dire
que le corps de cet Apôtre fut donné au légat de la croisade,
le cardinal Pierre de Capoue, originaire d'Amalfi, qui le fit
porter dans sa ville natale et placer dans la cathédrale que l'on
dédia à saint André, à cette occasion (2).
*r
(t) Ruffi, Histoire de Marseille ', 1. 1, p. 125.
(2) « Petrus Capuanus cardinalis, ci vis Amalphitanus, confesslonem
propno aère sediflcavlt sub quâ corpus B. Andrœae Apostoli quod e Cons-
tantinopoli ubi apostolicae sedis legatum egerat et quod patriam
A mal phi m detulerat, reposuit, 1208. »
Ce corps de l'Apôtre se trouve dans la cathédrale ; il s'agit toujours de
« illa sac rata ossa, corpus B. Andraeœ ». Cette translation eut lieu le
8 mai 1208, durant l'épiscopat de Mathieu. — Ughelli, Jtalia sacra,
— 284 -
Or, peut-on croire que le cardinal de Capoue n'aurait pas
apporté avec lui la croix de l'Apôtre en môme temps que son
corps, si on l'avait trouvée à Gonstantinople? S'il l'avait appor-
tée à Amalfi en même temps que les autres reliques, est -il
croyable que les documents qui relatent la translation du
corps de l'Apôtre n'auraient fait aucune mention de sa croix ?
Si le cardinal avait cédé la croix à une autre église, ces docu-
ments encore se tairaient sur ce sujet? Et en supposant
qu'elle eût été le lot d'un autre évoque ou d'un autre seigneur,
et qu'elle ait été ainsi portée ailleurs, cette chronique qui
parle du corps de saint André n'aurait encore rien dit de sa
croix? Et si un roi de Bourgogne, à cette époque, l'eût cédée
à Saint Victor, comme on le disait tantôt, il ne resterait rien
d'écrit à ce sujet ? De plus on aurait perdu cette relique, dès
le lendemain de son arrivée à Marseille, au point qu'il aurait
fallu, quelques années plus tard, une révélation spéciale ou
des fouilles et des recherches compliquées, pour que Hugues
deGlasinis retrouvât ce trésor? Et si on avait dû l'enfouir, à
cette époque, on ne saurait pas à quelle occasion ce recel
aurait eu lieu ?
Non, Darras s'est trompé. La croix n'a pas été apportée de
Constantinople à Marseille, en 1198.
A cette date, d'ailleurs, cette croix n'était pas à Constantino*
pie. Et, non seulement elle n'était pas à Constantinople en
1198, un fait nous prouve qu'elle n'y était pas au VI* siècle.
Baronius raconte, dans ses A nnalee, à l'année 586, qu'au
départ de l'apocrisiaire Grégoire, plus tard le pape Grégoire le
Grand, de Gonstantinople, où il représentait le pape alors
régnant, Pelage (l\ l'empereur Tibère lui fit présent du chef
de saint André et de quelques ossements de saint Luc. N'est*
il pas croyable que l'on eût remis à Grégoire quelques par-
celles de la croix de l'Apôtre, si elle avait été en vénération
à Gonstantinople à cette époque? Est-ce que Grégoire lie
l'aurait pas sollicité et pour doter son monastère et pour en
histoire des évoques d'Amalfi, t. VII, col. 241, 272. — Darras» Histoire
de V Eglise, t. VI, p. 464.
(I) Saint Grégoire le Grand, par l'abbô Clauzier, p. 68. Baronius, ad
annum 686, n° XXV.
— 285 —
enrichir la ville de Home ? L'histoire cependant se tait sur ce
point, preuve que la croix n'était pas dans la ville de Constan-
tinople en 586.
Nous allons plus loin ; jamais, k aucune époque, cette ville
n'a possédé cette précieuse relique.
L'empereur Constantin le Grand avait fait édifier à Cons-
f antinople une magnifique basilique dédiée aux saints Apôtres
et destinée à lui servir de lieu de sépulture (i). Or, le fils de
Constantin, Constance, afin d'enrichir cet te église de précieuses
reliques, y déposa entre autres les corps de saint Timothée, de
l'évangéliste saint Luc et de l'Apôtre saint André. Ce fut
Tévéque de Patras qui fit connaître à l'empereur Constance,
que ces précieuses reliques de l'Apôtre reposaient dans une
église de cette ville. Un seigneur de la cour de Constance,
Artemius, plus tard un martyr, assista à l'exhumation du
corps de l'Apôtre, l'accompagna à Constantinople et, sous ses
yeux, il fit déposer 6e trésor auprès du sépulcre de Constantin
le Grand. Ceci se passait en Tannée 357, au témoignage de
Théodore le Lecteur et d'Idace le Chroniqueur (2). Or, si la
croix de saint André eût été à Patras, en 357, l'empereur
Constance l'aurait fait prendre pour en orner quelque église
de Constantinople, et l'histoire eût rapporté ce fait.
Nous en trouvons une autre preuve dans la vie de saint
Régulfus (3). Ce moine, d'une grande sainteté, s'était rendu
(l)Darras, Histoire de V Eglise, t. IX, p. 336; t. X, p. 118. — Acte
Sancii Arlemii, Bollandistes, 10 oct., pp. 861, 862. — Hergenroether,
Histoire de V Eglise, t. II, p. 545.
(2) « Goostantius, ûlius Constantini Magni,imperavit 24 annos, dies 5.
Hujus temporibus allât» sunt Constantinopolim reliquiœ sanctorum
apostolorum Timothsei ante diem octavam kalendas julias, Andraeœ
Apostoli et Lucse, ante diem quartam nonas murtias et depositœ sunt
in magna ecclesia sanctorum Apostolorum ab ipso dedicata. » Historia
ecclesiastica Theodori Lectoris, lib. II, col. 214.
« Gonstantio nonum et Juliano Csesare iterum consulibus, his consu-
Jibus introierunt Gonstantinopolim reliqui» sanctorum Apostolorum
Andrsese et Lucse, die V nonas martias. » Chronique d'Idace, annota-
tiones, col. 213.
c Anno 357, imp. Flavius Constantius AugustuslX, Flavius Claudius
Julianus Ccesar II. » Dictionnaire de Larousse, verbo: Fastes.
(3) Acta Sanctorum, Bolland., Vita sancti Hegulfi, 17 oct., t. VIII,
d'oct.,p. 163.
19
— 286 —
en pèlerinage à Patras, et, y ayant vénéré les reliques de
l'Apôtre saint André, il s'en constitua le gardien. Or, à un
moment, un ange lui apparut, lui ordonna de prendre une
partie des reliques du saint Apôtre et de les porter dans les
contrées lointaines de l'Occident Ce religieux obéit, il s'en
vint en Ecosse, portant avec lui ce précieux trésor. 11 était
accompagné d'un autre moine du nom d'Eusébius. Tous deux
déposèrent ces reliques dans la ville de Eileure, laquelle
prit plus tard le nom d'Andreanopolis.
Ce fait, la tradition ecclésiastique l'accepte, puisqu'on lit
dans l'office de saint Regulf us l'oraison suivante : a Seigneur,
qui par les mérites de votre très doux serviteur le bienheu-
reux Regulf us avez fait parvenir jusqu'à nous les reliques de
votre Apôtre saint André, etc. »
Ce fait se passait, disent les Actes de saint Regulf us, en 359.
Il est certain qu'il y a une erreur de date ; ce fait ne pouvant
être postérieur à la translation des reliques de saint André à
Constantinople par l'ordre de Constance, en 357. Il a dû se
passer quelques années auparavant, soit que Dieu ne voulût
pas que tous ces glorieux restes demeurassent entre les mains
de cet empereur arien, schismatique et persécuteur, soit qu'il
voulût que l'Occident joignit ses hommages et sa vénération
à ceux que l'Orient décernait à cet Apôtre. Mais, quelle que soit
la date de la mission et du voyage de saint Regulf us, il est
incontestable que la croix de l'Apôtre n'était déjà plus à
Patras, au IV0 siècle. Certainement Regulfus aurait pris
avec les reliques du corps de saint André une partie de sa
croix. C'eût été un moyen bien efficace de prédication, auprès
des peuples barbares, que de leur montrer, en racontant la
vie et la mort de saint André, l'instrument de son martyre. Et
s'il avait pris une partie de cette croix, les Actes de sa vie en
eussent fait mention.
Sûrement donc, au IV* siècle, la croix de saint André n'était
pas à Patras, et partant elle n'a pu être portée à Constantino-
ple, au IV' siècle ou plus tard.
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CHAPITRE IV
La Oroix de saint André
(Suite)
OU ÉTAIT-ELLE 1 — RÉCIT DE CHIPPLET. — CINQ AS8ERTION8. — SONT-
ELLES VRAISEMBLABLES? — LA PREMIÈRE. — MIGRATION DES PEUPLES
BARBARES. LES BURGUNDE8. — AU DÉBUT DU V* SIÈCLE, ILS SONT
CATHOLIQUES. — COMMENT LA FOI CHRÉTIENNE S'INTRODUISAIT CHEZ
LES PEUPLES BARBARES.— LA CROIX DE SAINT ANDRÉ A PU ARRIVER
JUSQU'A EUX. — LA DEUXIÈME. — LES BURGUNDB8 NE SONT VENUS A
MARSEILLE QUE DE 480 A 517.— LA TROISIÈME.— ILS ONT PU PLACER
LA CROIX A SAINT-VICTOR. — LES MOINES PLUTÔT LA LEUR ONT
RACHETÉE, PARCE QUE VERS 490 LES BURGUNDBS ÉTAIENT ARIENS. —
LA QUATRIÈME ET LA CINQUIÈME. — ON A PU CACHER CETTE RELIQUE
A 8AINT-VICTOR, OU A L'HUVEAUNE.
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Où se trouvait cette croix de saint André, si au IV* siècle
elle n'était pas à Patras ? Nul historien ne donne une réponse
à cette question. Seul Chifflet, appuyé sur Paradin et le com-
plétant, fait le récit que nous connaissons. La croix de saint
André était à Marseille dès le début du V* siècle. Est-ce pos-
sible ? Parfaitement.
Prenons le récit de Chifflet, étudions-le dans le détail, et
nous pourrons nous convaincre que toutes les assertions de cet
auteur, sauf de légères invraisemblances qui n'entament point
la véracité du fait lui-môme, que toutes les assertions, dis-je,
de cet auteur concordent avec les traditions, les événements
de Marseille dans ces temps reculés et sont la plus plausible
explication de faits et de traditions entourés d'obscurités.
Il y a cinq assertions dans le récit de Chifflet : 1# c'est un
roi burgunde, du nom d'Etienne, qui a porté la croix de saint
André à Marseille ; 2* c'est en 401 que cette précieuse relique
arriva dans notre ville ; 3* on la plaça à Saint- Victor ;
4# on l'enfouit auprès du monastère des vierges de l'Hu-
h\
1
L<&
— 288 —
veaune (1); 5' cette croix ayant été perdue, Hugues de
Giasinis apprit par révélation l'endroit précis où cette relique
était cachée et la rapporta à Saint* Victor.
C'est d'abord un roi burgunde, du nom d'Etienne, qui a
porté cette croix de saint André à Marseille. Or, rien ne s'op-
pose à ce qu'un roi burgunde ait agi ainsi.
A la suite de migrations successives qu'avaient opérées dans
le nord de l'Europe différentes peuplades de la Germanie, les
Golhs, qui descendaient de la Scandinavie, s'établirent sur les
deux rives du Dniester ; les Longobards, sur les bords de
l'Oder; les Marcomans, en Bohème; les Vandales, en Mora-
vie (2). Une tribu, d'origine vandale, quittant ses foyers, vint
fixer son séjour dans les vallées de la Saale et du Mein, c'était
la tribu des Burgundes, appelés plus tard Bourguignons.
Ceux-ci, avides de guerre et d'aventures, en 257 sous Gallien,
en 277 sous Probus, en 287 sous Dioclétien et Maximin, atta-
quèrent et pillèrent les provinces voisines relevant de l'empire
romain (3). Vers 370 cependant, sous l'empereur Valentinien,
ils se firent ses auxiliaires (4). Mais bientôt, chassés de leurs
cantonnements par les Huns qui montaient le long du Da-
nube, les Burgundes franchissent le Rhin dans la nuit du 31
décembre 406 au 1" janvier 407, en compagnie des Suèves, des
Alains, des Vandales, etc., etc. (5). Pendant que ces diverses
tribus ravagent la Gaule et se dirigent vers l'Espagne, les
Burgundes, d'un caractère plus paisible, moins féroces, pro-
fitant des dissensions qui régnent entre les généraux romains
(1) Nous suivrons pour le moment le dire de Paradin, car Ghifflet croit
pour sa part qu'elle a été placée au cœnobium de l'Huveaune. Nous le
verrons tantôt.
(2) Histoire des Romains, par Du ru y, t. VI p. 353 — Précis d'his-
toire de France, par Todiére, t. I, p. 51. — Darras, Histoire de l Eglise \
t. XIII, p. 445 — Histoire des Vandales, par Marcus, p. 24.
(3) Histoire des Vandales, par Marcus, p. 1. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 41. — Duruy, op. cit., t. VI, p. 353. — André Du-
chesne. Histoire des rois et ducs de Bourgogne, p. 4. — Alphonse
d'Elbene, De regno Burgundiœ, p. 29.
(4) Marcus, op. cit., p. 33. — Ducuy, op. [cit., t. VI, pp. 411, 511»
534.
(5) Duruy, op. cit. t. VI, p. 411.
— 289 -
'ùi
chargés de les battre et de les refouler, s'établissent dans la
Séquanaise entre la Saône et le Rhône (1), province que leur
cède l'usurpateur Jovin et dont, en 419, Honorius leur con-
firme la possession (2).
Or, de bonne heure, la tribu des Burgundes a connu les
lumières de la foi catholique. Sozomène atteste que sous Cons-
tantin le Grand l'Evangile commença à leur être prêché (3) ;
Orose atteste que dès 417 le gros de la nation avait des prêtres
catholiques ; en 530, toute la nation professait la religion
de Jésus Christ (4). Sous leurs rois Gondioch et Chilpéric, ils
demeurèrent fidèles,et ce ne fut que pour quelques années,sous
Gondebaud, vers 490, qu'ils inclinèrent vers Tarianisme. Dès
517, cependant, à la mort de Gondebaud, Sigismond son fils
rétablit dans ses Etats le catholicisme (5).
Comment la foi chrétienne avait-elle pénétré chez eux?
Nous avons ditque ce peuple vivait sur les bords de la Saale
et du Mein. Or, à deux pas de leurs cantonnements, il y avait
des fidèles, des prêtres, des évêques catholiques (6). Depuis
plus d'un siècle, en effet, la religion était florissante dans les
provinces de la rive gauche du Rhin : à Cologne, à Trêves, à
Toogres, à Laybach,à Pettau, il y avait des évêques,et non des
moins illustres, dont les enseignements ont pu arriver jus-
qu'aux Burgundes (7).
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(1) Marcus, op. cit , p. 58. — Todière, op. cit., p. 62. — Papou, op.
cit., t. II, p. 42.
(2) Todière, op. cit., p. 62.
(3) Sozomène, cité par M. l'abbé Magnan, op. cit., p. 14.
(4) Orose, livre VII, cap. 32.
(5) Socrate, Histoire ecclésiastique, VII, 30. — Darras, Histoire de
l'Eglise, t. XIII, p. 416. — Ozanara, t. IV, Etudes germaniques,
p. 50.
(6) Darras, op. cit., t. XIII, p. 44G.
(7) Les contrées avoisinant le Rhin ont été évangélisées de très
bonne heure. Mayence, Metz, Toul ont eu pour premier évêques des
disciples des Apôtres. (Ozanam, t. IV, Etudes germaniques, p. 18.) —
Un texte de saint Irénée ferait remonter la prédication de la foi dans la
Germanie antérieurement à l'an 200. (Ozanam, op. cit., p. 3.)— Sous
Marc-Aurèle, sous Maximilienil y eut des martyrs. (Ozanam, op. cit.,
p. 5 ) — Constantin appelle à un concile à Rome Tévêque de Cologne.
Au concile d'Arles, en 314, il y avait des évêques de Germanie. (Ozanam,
op. cit. pp. 8, 17.)
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— 290 —
L'historien Sozomène, racontant de quelle manière le chris-
tianisme s'était introduit chez les Goths, écrit : «C'est aux cap-
tifs que la guerre faisait tomber entre leurs mains qu'ils doi-
vent la vérité. Ils ramenaient de leurs excursions des évoques,
des prêtres, des fidèles dont ils faisaient quelquefois leurs es-
claves ; or, en voyant leur vie et leurs mœurs douces et pures,
les miracles qu'ils accomplissaient dans l'intérêt même de
leurs persécuteurs, ceux-ci étaient touchés (1). » Il a dû en
être de même pour les Burgundes.Que de fois, alliés à d'autres
peuplades, ou livrés à leurs seules forces, ils ont envahi les
contrées voisines, ramenant sur leurs chariots un butin abon-
dant, et traînant après eux de nombreux esclaves, qui peu à
peu les rendaient chrétiens !
Il y a quelque chose de plus particulier à rappeler au sujet
des Burgundes. I/Apôtre saint André a été martyrisé à Patras,
en Achaïe. Mais bien habile serait celui qui pourrait préciser
les villes et les nations qu'il a évangélisées (2).
Les Apôtres allaient devant eux, là où le Saint-Esprit les
unissait. Quand on dit d'une contrée qu'elle a été évangélisée
(1) Ozanan, t. IV, Etudes germaniques, p. 4; il cite Sozomène
Histoire ecclésiastique, t. II, chap. 6.
(2) Après l'ascension de Notre-Seigneur et la descente du Saint-
Esprit, saint André, suivant Origène, prêcha l'Evangile dans la Scylhie.
Sophrone, qui écrivait peu de temps après saint Jérôme et qui a traduit
en grec le Catalogué des hommes illustres et quelques autres ouvrages
de ce Père, le fait aussi apôtre de la Colchide et de la Sogdiane. Théo-
doret dit qu'il passa dans la Grèce. On lit dans saint Grégoire de Na-
zianze qu'il prêcha particulièrement en Epire; dans saint Jérôme, qu'il
porta le flambeau de la foi en Àchaïe ; dans saint Paulin, que sa parole
réduisit au silence les philosophes d'Argos ; dans saint Philastre, qu'il
vint du Pont dans la Grèce, et dans la ville de Sinope. .. Les Moscovites
sont persuadés que saint André a prêché dans leur pays jusqu'à l'em-
bouchure du Borysthène, jusqu'aux montagnes où est aujourd'hui la
ville de Kiew, et jusqu'aux frontières de Pologne. Si les anciens qui
font de laScythie le théâtre des travaux du saint Apôtre ont voulu par-
ler de la Scythie européenne, leur témoignage sera favorable aux Mos-
covites. Suivant les Grecs, s'il s'agit de la Scythie dans la Colchide, il
pourrait être aussi question de la Scythie européenne, puisque, selon ces
Grecs encore, saint André prêcha en Thrace et Byzance. {Vie des Saints,
par le Père Giry, p. 942.) — 30 nov., Martyrologe romain annoté par
Baronius.
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— 291 —
par un Apôtre, il ne faut pas croire que celui-ci s'est borné
à parcourir cette contrée seulement. Non, il est allé deçà et t
delà, répandant partout la bonne nouvelle de l'Evangile. La
région que Ton désigne est tout au plus celle où il a davan-
tage travaillé pour Jésus-Christ.
Or, il est dit, dans l'office de saint André, qu'il a prêché
l'Evangile dans la « Scythiam Europae (1 ) », c'est-à-dire dans
les contrées que le Danube borne à l'occident, le Volga ou le
Borysthène à l'orient. Le Martyrologe ajoute qu'il a prêché
dans la Thrace et la Scythie (2). On sait que les Russes ont une
grande dévotion à saint André et ils sont persuadés que l'Apô-
tre a porté la foi dans leur pays, et jusqu'aux frontières de
Pologne. Ainsi l'Apôtre aurait parcouru la Grèce, le Pont, tout
le nord de l'Europe.
Or, qui sait si dans le temps où les Goths, les Marcomans,
les Longobards, les Vandales, les Burgundes erraient dans les
steppes de la Germanie et de la Scythie, à la recherche d'un
campement fixe, qui sait si les Burgundes n'avaient pas vu,
pas entendu cet Apôtre*? C'était bien suivant un dessein de la
Providence que s'accomplissaient les migrations des peuples.
De même que les flots glacés des océans du pôle descendent
par des courants immenses vers les chaudes régions de l'équa-
teur, afin de s'y attiédir et de rapporter aux rivages d'où ils
viennent un peu de vie et éloigner la congélation complète au
sein de leurs abîmes, ainsi les peuples sauvages quittent suc-
cessivement leurs foyers, assis au sein des ténèbres du paga-
nisme et de la barbarie,pour se rapprocher des contrées où la
vérité et la foi brillent déjà d'un vif éclat, et rapporter, en re-
gagnant leurs forêts et leurs steppes lointains, un peu de foi,
un peu de religion.
Pour les Burgundes, leurs migrations et leurs courses ont
(1) «... Andréas, cum in Scythiam Europae, quae ei provincia ad
Chrisli fidem disseminandam obtigerat, venisset deinde Epirum ac
Thraciam peragrasset. » Officium Sancti Andrœœ, 30 nov., Breviarium
Romanum.
(2) htartyrologium Romanum, 30 nov. : c Apud Pat ras A chaise, na-
talis sancti Andrseae Apostoli, qui in Thracia et Scythia Christi evange-
Hum prœdicavit. »
— 292 —
pu leur apporter ce bienfait. Admettons qu'au début ils n'aient
pas accepté d'embrasser cette vérité que leur prêchait l'Apô-
tre. Mais on en a conservé un vague, un persistant souvenir,
qui se transmettait de famille en famille, de village en vil-
lage, de tribu en tribu. C'était le germe d'une semence qui
devait lever plus tard, à la première occasion favorable.
Or, qui sait encore si, dans leurs courses, ils n'ont pas ren-
contré cette occasion favorable ! Nous trouvons les Burgundes
occupés au pillage, à la guerre, en I 11 y rie, en Macédoine, en
Grèce, à plusieurs reprises durant le III* siècle (1). Les Goths,
peuplades alliées et voisines, désolent pendant vingt ans, au
IIP siècle encore, la Mésie, la Grèce, la Troade, l'Illyrie, la
Cappadoce, brûlant et saccageant Ephèse, Nicée, Athènes,Tré-
bizonde, etc., etc. (2j. Quand ils reviennent dans leurs cam-
pements, ce sont des longs convois de prisonniers, de lourds
charriots de butin qu'ils ramènent avec eux dans le Nord. Or,
Patras, lieu du supplice et de l'ensevelissement de saint André,
a dû être visité par les Goths; qui assurera que la croix de
l'Apôtre n'a pas été prise avec d'autres reliques, qu'elle n'a pas
été portée dans le Nord comme un vil butin, qu'elle n'a pu être
troquée contre quelque vile marchandise, et que de peuple
en peuple, de vente en vente, elle n'est pas arrivée aux
mains de quelque soldat, de quelque chef burgunde ? Qui as-
surera que, au souvenir de l'Apôtre qui avait jadis prêché
leurs pères, ces Burgundes n'ont pas reconnu cette relique et
ne l'ont pas eue en vénération ? Qui assurera que pour la croix
de l'Apôtre, comme pour celle de Notre-Seigneur, il n'y a pas
eu quelque fidèle, quelque prêtre, quelque évoque qui se soit
dévoué pour la suivre et la garder dans les pérégrinations
lointaines, et qu'arrivé à la suite de cette relique chez les
Burgundes, il n'en ait fait connaître le prix en leur préchant
la foi que l'Apôtre leur avait annoncée ? Qui assurera qu'il
n'y avait pas au milieu des Goths, durant ces courses, quelque
chef burgunde qui, se rappelant l'Apôtre de ses aïeux, se soit
fait attribuer, de préférence à tout autre butin, la croix, l'ins-
(1) Duruy, op. cit., t VI, pp. 411, 511.
(2) Ozanam, t. IV, Etudes germaniques, p. 22. — . Duruy, op. cit ,
t. VI, pp. 411, 435, etc.
— 293 —
trament de son supplice, et ne Tait rapportée au milieu de sa
tribu ? Et pourquoi cette relique ainsi en honneur n'aurait-
elle pas vu son image remplacer, sur les drapeaux guerriers,
le dragon qui les ornait auparavant ?
On le voit, il n'y a rien d'impossible dans Ja première asser-
tion de Chifflet et de Paradin : que c'est un roi burgunde
qui a donné cette relique à Marseille. Car, bien antérieure*
ment à 401, un roi burgunde a pu posséder la croix de saint
André. Si en 417 les Burgundes étaient chrétiens, ils pou-
vaient l'être dès 401, et à cette môme date il pouvait bien y
avoir un chef, un roi de cette nation qui fût baptisé, qui
s'appelât Etienne, quoique l'histoire ne le connaisse pas sous
ce nom (1) !
Poursuivons. C'est en 401 que le roi bourguignon Etienne
apporte cette relique à Marseille, dit Chifflet. Nous croyons
que sur ce point la tradition est fautive. Ce n'est pas en 401 .
En effet, en 405-406 les Burgundes franchissent le Rhin et
viennent en foule à la suite des Suèves, des Alains, des Van-
dales, etc. Pendant que les Vandales se dirigent vers l'Espagne,
les Burgundes s'établissent, sous leur roi Gondebaud, entre
la Saône et le Rhône. L'usurpateur Jovin en 411,. Honorius
en 413 les confirment dans la possession de cette province.
A cette époque donc ils ne sont pas venus jusqu'à Marseille.
Ataulfe et ses Visigoths, chargés par Honorius, en 412, de bat-
tre les usurpateurs de J'empire, Jovin et Sébastien, leur
auraient barré le passage. Et il n'y a pas de trace dans l'histoire
qu' Ataulfe ait eu à lutter contre eux.
Vers 413 et plus tard, c'est encore moins probable, Marseille
et Arles sont garnies de troupes. Boni face gouverne Marseille
et repousse Ataulfe et les Visigoths qui voulaient s'en emparer.
Il aurait repoussé aussi les Burgundes.
Vers 425 Àetius, vers 430 son lieutenant Littorius, vers 43 i
Aefius encore battent et repoussent les Visigoths. Pareille-
Ci) Raymond des Soliers, dans les Antiquités de Marseille, p. 167,
estime que c'est bien à tort que l'on a compté cet Etienne au nombre
des rois de Bourgogne. Mais ce u'est qu'une supposition encore qui est
bien contrebalancée par le dire de certains auteurs que ce nom d'Etienne
a pu être le nom de baptême donné à un de ces rois.
-294 -
ment ils auraient repoussé les Burgundes s'ils avaient tenté
de prendre Marseille.
Vers 453 cependant, profitant de l'absence d'Aetius, occupé
avec les Francs, et de Littorius, occupé avec les Visigoths,
les Burgundes s'ébranlent. Mais Aetius les atteint, les bat,
leur tue 20,000 hommes, et, pour faire la paix, il leur cède la
Savoie. En supposant qu'à cette date ils sont arrivés jusqu'à
Marseille, comme ils venaient pour piller, enlever des reli-
ques, ce n'est pas en cette circonstance qu'ils en ont laissé, sur-
tout une aussi précieuse que la croix de saint André.
Ils reviennent en 456, 457, 458, 459. Mais toujours repous-
sés, ils ne peuvent se fixer dans notre vHle (1). Vers 480,
Euric, roi des Visigoths, prend Marseille, qu'il convoitait de-
puis longtemps. Certainement, durant son règne, il aurait
chassé les Burgundes, s'ils s'étaient présentés. Mais en 484 la
situation change. Les Bourguignons viennent à Marseille. Euric
est mort. Alaric II, son fils, fait alliance avec le roi des Bour-
guignons, Gondebaud, et lui cède Marseille et la Provence (2),
eu 489 ou 500. En 506 elle lui appartenait encore (3). Mais,
reçusse du siège d'Arles, en 508, par Théodoric, roi des Ostro-
goths, accouru d'Italie pour défendre l'héritage de son neveu,
il dut à son tour rétrocéder à ce roi vainqueur la Provence et
Marseille (4)-. Depuis cette époque notre ville devint successi-
vement la possession des Ostrogoths jusqu'en 536, des enfants
de Clovis, puis de Clotaire, roi de Soissons, de Sigebert, de
Childebert, de Gontran, pour la moitié de la ville, de Chiide-
bert encore, et ne fit plus partie du royaume de Bourgogne.
(1) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 244 et suiv. — Fouque,
Fastes de Provence, t. 1, p. 213, etc. — Papon, t. II, p. 42 et suiv. —
Ruffi, Histoire de Marseille, 1. 1, pp. 36, 37.
(2) Fabre, A., op. cit., p. 255. — Statistique des Bouches- du-Rhône,
t. II, p. 88. — Ruffl, t. I, p. 36.
(3) Statistique, op. cit., t. II, p. 92. — Fabre, A., op. ciï.,t. I,
p. 260.
(4) Pour l'année 489, l'inscription de Nymphidius de Marseille, datée
par les consuls, le prouve ; pour 500, c'est la présence de l'évèque de
Marseille ati colloque de Lyon; et pour 506, c'est l'absence de ce même
évêque ou de son représentant au concile d'Agde. — V. Longnon, Gaule
au VI* siècle, pp. 47, 49.
— 295 —
Il y a donc un moment, de 484 à 500-506, où les Bourgui-
gnons sont les maîtres de Marseille. Si, comme on Ta vu plus
haut, la croix de saint André est en leur possesssion anté-
rieurement à 401, de 484 à 508 ils ont pu la donner à Mar-
seille. On le voit, l'assertion deChifflet et Paradin nous relatant
la tradition devient de plus en plus probable !
Poursuivons encore. La croix de saint André a été placée
dans l'abbaye de Saint-Victor, disent Chif flet et Paradin . Y a-
t-il sur ce point quelque invraisemblance? Aucune.
Dom Lefournier, pour réfuter Paradin affirmant qu'en 401
un roi burgunde déposa cette relique dans le monastère de
Saint-Victor, répond que l'église de Saint- Victor n'existait pas,
puisque Cassien ne l'a bâtie que vers 415 (1). Cette réponse n'a
aucune valeur. Saint Victor, disent les Actes de son martyre,
avait été enseveli dans une grotte et sur cette grotte les fidèles
construisirent une petite église, puisque Benoit IX, dans sa
bulle de 1040, dit qu'un petit monastère y avait été fondé du
temps de l'empereur Antonin (2). Ce terme de monastère signi-
fie église, lieu de réunion. Donc, à la rigueur, si les Bur-
gundes avaient pu venir à Marseille en 401, il leur aurait été
possible de déposer la croix de saint André dans cette église
primitive.
Mais, si cette relique n'a été portée à Marseille que vers 484,
toute difficulté s'évanouit. En 484, ou un peu plus tard, il y a
un monastère, une église. Gennade atteste que de son temps
ce monastère existait. Donc, en 484, un roi burgunde a pu
y placer la croix du saint Apôtre.
Mais, dira-t-on, comment peut-il se faire qu'un roi bur-
gunde cède à l'abbaye de Saint -Victor un trésor si précieux?
Effectivement il est difficile de croire que les Bourguignons
aient accepté de s'en dessaisir. Il a fallu nécessairement qu'à
un moment donné ils n'eussent plus pour cette relique
cette vénération que leurs aïeux avaient professée pour
(1) Dom Lefournier, cité par M. l'abbé Magnan, Notice sur la Croix de
saint André, p. 12.
(2) Cartulaire de Saint- Victor, charte 14, de 1040 : « Monasterium apud
urbem Massiliensium tempore Antonini fundatum. •
— 296 —
elle. Cette circonstance s'est-elle présentée ? Oui. Rappelons-
nous que les Bourguignons étaient passés à l'arianisme sous
leur roi Gondebaud, de 480 à 517 (1). Quand ils viennent
à Marseille de 484 à 508, ils étaient donc ariens. Et Ton com-
prend que les moines de Saint- Victor, voyant cette relique
insigne entre les mains des Ariens, aient sollicité de l'avoir
dans leur église, peut-être môme l'ont-ils achetée au poids de
l'or. Voilà comment s'explique tout naturellement que ce roi
burgunde du nom d'Etienne, ou de quelque nom que ce soit,
ait placé la relique de la croix de saint André dans l'abbaye de
Saint-Victor. Paradin et Chifflet ont-ils avancé une chose
invraisemblable ?
Voyons la quatrième et la cinquième assertions. A une épo-
que, cette relique fut enfouie dans le monastère des vierges de
l'Huveaune, et retrouvée plus tard par le bienheureux Hugues
de Glasinis, sacristain de l'abbaye de Saint-Victor.
Qu'à un moment donné la croix ait été cachée, rien de plus
vraisemblable, 11 fut un temps où, les Sarrasins menaçant la
Provence, on prit, à l'endroit des plus précieuses reliques, la
môme précaution (2). En 716, à Saint-Maximin, on déroba sous
un amas de terre la crypte qui abritait les restes de sainte
Marie-Madeleine. On fit de même à Tarascon, pour le corps
de sainte Marthe ; à Notre-Dame de la Mer, pour les corps des
saintes Maries; à Marseille, pour le corps de saint Lazare (3) ;
à l'abbaye elle-même de Saint-Victor, pour les corps des saints
martyrs que l'on y vénérait. A-t-on gardé à découvert la croix
de saint André dans l'abbaye ? Ce n'est pas croyable.
Ensuite, que plus tard Hugues de Glasinis ait découvert cette
(1) Gennade, De illustribus Ecclesiœ Scriptoribus : c Casstanus. ..
duo monasteria, id est virorum et mulierum, quœ usque hodie exstant,
condidit. » Patrologie latine, édition Migne, t. LVIII, Gennade, DeïUustr.
Script. t cap. 61.
(2) M. l'abbé Magnan, Notice sur la Croix de saint André, p. 14. —
Ozanara, op. cit., t. IV, p. 50.— Darras, op. cit. t. XIII, p. 446.
(3) C'est ce que l'on flt en Espagne, au rapport d'un historien de ce
pays: c Hoc DCGXV, in summà rerum inopiâ... sanctorum. corpora
veneranda trans Pyrsenœum et in editissima castella arcentur. » — On
S'î rappelle Tordre donné par un ange à saint Porcaire, de Lérins. . . —
Faillon, Monuments inédits, 1. 1, col. 681.
— 297 -
relique, c'est fort possible, puisque, à l'appui de la tradition
et du dire des auteurs, il y a un monument lapidaire « qui
est inexplicable sans le récit de Chifflet (l)» . On le voit, c'est
une tradition ancienne de Marseille que Chifflet et Paradin
nous rappellent. Et les faits, les événements de notre Provence
et de notre cité à cette époque, bien loin de lui être contraires,
lui sont favorables.
(1) Faillon, op cit., t. I, col. £81.
CHAPITRE V
La Oroix de saint André
(Suite)
LA CROIX DB SAINT ANDRÉ N*A PU BTRB CACHÉE A SAINT-VICTOR AU
VIII* SIECLE. — ON NE L'AURAIT PA8 PERDUE. — PA8 AU IX* OU X*
SIÈCLE, CAR AU X* SIÈCLB ON L'A PERDUE. '— BLLB N*A PAS ÉTÉ
CACHÉE HORS DB SAINT-VICTOR AU X* SIÈCLE. ON L' AURAIT VITE RE-
TROUVÉE. — BLLB A ÉTÉ CACHÉS HORS DE SAINT-VICTOR AU VIII*
SIÈCLE.— AU CŒNOBIUM DBS VIERGE8 C A8SIANITES, A L'HUVBAUNB.
C'EST LA PEUT-ÊTRE QU'ELLE A TOUJOURS ÉTÉ AVANT LB XIII* SIÈ-
CLE. — LBS PRÉMONTRÉS N'ONT PU LA RÉCLAMER. — IL N'Y A PAS
BU DB PROCÈS-VERBAL.
La question importante pour nous est celle-ci : Cette croix
de saint André a-t-elle été cachée dans un monastère de
vierges aux bords de l'Huveaune et Hugues de Glasinis l'y
a-t-il découverte ? Ou bien le recel et l'invention de cette
relique se sont-ils faits à Saint-Victor ?
Le recel et l'invention de cette relique n'ont pas été accom-
plis à Saint-Victor. Ce n'est pas dans cette abbaye qu'elle a été
cachée, perdue et retrouvée.
Si le recel de la relique avait eu lieu à Saint- Victor, il n'y
a que deux époques où il aurait pu être fait avec quelque
vraisemblance et quelque nécessité. Au début du VHP siècle,
alors que les Sarrasins menaçaient la Provence, vers 716, 730,
ou plus tard au IX* siècle, entre 838 et 924, époque de tribula-
tions pour nos contrées, à cause des incursions des Sarrasins
établis au Frazinet, vers 886.
Or, cette opération ne s'est pas faite au début du VHP siècle.
La conquête de l'Espagne avait été si prompte, que la frayeur
la plus grande s'empara de tous les cœurs, en Provence. Par-
tout dans la contrée on cache les reliques. A Saint-Victor on
dut faire de même et enfouir ce que l'on avait de plus pré-
— 299 —
deux. Mais rien ne sortit de l'abbaye. Le corps de saint Victor
y demeura. Les moines ne quittèrent pas le monastère. Où
seraient-ils allés ? A qui auraient-ils demandé secours et pro-
tection? On n'ignorait pas, à Marseille, que Mauronte, par
ambition, avait appelé les Sarrasins (1) ; on se confia aux
épaisses murailles de l'abbaye et, de fait, elle ne fut pas dé-
truite, quoique Marseille ait été prise et saccagée en 737 (2).
Mais, l'orage passé et les ennemis en fuite, toutes les reliques
durent être remises à leurs places dans l'abbaye. On ne con-
naissait pas les ennemis à qui on avait affaire et Ton crut que
tout était uni. Si donc, vers 716 ou 738, la croix de saint
André a été cachée à Saint-Victor, ce ne fut que momentané-
ment. Le calme revenu, elle a dû sortir de sa cachette. Et il
est impossible de supposer qu'elle a pu être perdue en un
aussi court laps de temps, les moines n'ayant pas quitté l'ab-
baye, et la relique étant par supposition cachée dans cette ab-
baye. Donc elle n'a pas été perdue au VIII* siècle.
Elle ne l'a pas été au IX* siècle. Les bandes sarrasines, arré -
tées par Charlemagne durant son règne, reprennent dès 814
leur marche en avant. En 813 elles avaient brûlé Nice, et
enlevé à Marseille, en 838, les religieuses qui y vivaient ; en
842, elles pillent la ville d'Arles et brisent le tombeau de
saint Césaire. Bientôt ce sont de nouveaux ennemis qui se joi-
gnent aux Sarrasins, les Normands. Ceux-ci, en 867 s'emparent
de Marseille, en 869 tuent l'archevêque d'Arles, Rotland, sacca-
gent la Camargue et désolent les deux rives du Rhône. En 885,
les Sarrasins s'établissent au Fraxinet, en 890 ils brûlent Fré-
jus. Toulon, Taurœntum, etc. subissent le même sort (3).
An milieu de tels périls, on devine la préoccupation des
moines, des prêtres et des évêques en Provence. Une seconde
fois on met à l'abri ce que l'on possède de plus précieux. En
(1) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 310. — Guesnay, Annales
Provinciœ Massiliensis, à l'année 730, n* 9, pp. 236, 237. — Ruffl, His-
toire de Marseille, t. I, p. 49.
(2) Fabre, op. cit., t. I, p. 312. — Faillon, op. cit. t. I, col. 684. —
De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 179.
(3) De Rey, op. cit., pp. 263, 265, 266, 288. Faillon, op. cit., col. 682.
Fabre, op. cit., pp. 342. 366.
— 300 —
870, on donne à Gérard de Roussillon le corps de saint Lazare,
à l'exception du chef que deux prêtres de Marseille conservent
à leur cité natale (1). Dans l'intervalle des années 841 et 904,
les moines de Saint- Victor transportent dans la ville le corps
du saint martyr protecteur de leur abbaye (2). On fait de
même pour les autres reliques. Ou bien on les enfouit dans les
cryptes, ou bien on les transporte hors de l'abbaye.
La croix de saint André, qui a déjà subi une fois cette opé-
ration du recel, demeura-t-elle à Saint-Victor ? Si on la cacha
dans les cryptes, on ne dut pas le faire sans témoins, carr la
crise passée, il fallait pouvoir exhumer cette relique et l'offrir
de nouveau à la piété des fidèle.
Or, l'abbaye de Saint-Victor est détruite vers 925. Mais,
lorsquelle sort de ses ruines, vers 965, les diverses reliques
qu'elle possédait, celles de saint Victor entre autres, re-
viennent au monastère. 11 aurait dû en être de même pour
la croix de saint André. On n'aura pas attendu Tannée 965 pour
la retirer de sa cachette ou faire connaître à d'autres religieux
l'abri qui la gardait. Que l'abbaye ait eu une fin violente ou
qu'elle ait péri par l'excès de la misère et de ia dureté des
temps, il sera bien resté quelque vieux moine, pour guider
les fouilles et retrouver la relique.
Et cependant, lorsque tout se relève, que de nouveaux
moines viennent habiter ces lieux purifiés, que les autels re-
voient les trésors précieux qui les ornaient jadis, seule la
relique de la croix de saint André ne reparaît pas I Ou a réédi-
fié la chapelle de saint André dans les cryptes, on élève du-
rant leXI# siècle des celles, des ermitages, des oratoires, des
(1) DeRey, op. cit., p. 267.— Faillon, op. cit., t. I, pp. 722, 728, etc.
— Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 164.
(2) La charte 12 suppose que les reliques de saint Victor sont encore à
Saint-Victor, puisque les moines y habitent encore : « Liceat servis Dei
ibidem consistentibus. . . », qu'il est dit dans cet acte que : « Teutpertus
est episcopus Massiliensis ecclesise quae in honore Maria? semper Virgi-
nis constructa ubi sanctus Victor corpore requiescit » et qu'il s'agit de
l'abbaye : c invenimus insertum qualiter ipsa casa Dei...» Gartulaire de
Saiot-Victor.
La charte 10, de 904, dit au contraire :« Ecclesise Dei Genitricis Maris
et gloriosi martyris Victoris, eu jus corpus in Massilift urbe requiescit.. »
- 301 —
chapelles en l'honneur du saint Apôtre, et cela non loin de
l'abbaye de Saint- Victor ( 1), et jamais un mot, dans les chartes,
qui ait trait à cette précieuse relique 1 On ne se sera pas con-
tenté, vers 965, de faire quelques recherches sommaires. Pré-
cisément parce que la dévotion à saint André est très vive à
Marseille et à l'abbaye, on a dû exécuter des fouilles nom-
breuses à Saint- Victor pour retrouver cette croix. On n'en
parle pas. Donc elle n'a pas été cachée à Saint -Victor au
IX" siècle.
Elle n'a pas été transportée non plus, au IX* siècle, hors de
l'abbaye .
Où l'aurait- on déposée dans ce cas, vers 840, au retour
des Sarrasins ? Dans la ville de Marseille ? Mais à qui Paurait-
on confiée ? Pas au premier venu. Il faut des mains sûres et
des personnes pieuses pour recevoir la garde d'un tel trésor ?
Et pas une de ces personnes pieuses n'aurait survécu à ces tri-
bulations ? C'est un peu difficile à croire.
L'a-t-on placée au monastère des filles cassianites ? Mais à
cette époque il est désert. En 838, les religieuses qui l'habi-
taient ont été enlevées par les pirates (2), et ce n'est pas au
lendemain de cette catastrophe que de nouvelles religieuses
se sont présentées pour habiter ces lieux dévastés.
L'a-t-on enfouie dans les ruines de ce monastère? Mais
cela ne s'est pas fait sans témoins ; précisément parce que
c'étaient au milieu des ruines que l'on déposait un tel trésor,
il y a eu cinq, six, dix moines présents à cette opération.
L orage passé, il en restera bien un qui pourra indiquer le
(1) Peut-être est ce bien là l'occasion de cette translation de saint
Victor dont la fête se célèbre, à Marseille, le 24 janvier. (Les Saints de
l'Eglise de Marseille, p. 9.)
Cartulaire de Saint- Victor, charte 40 du XI* siècle: «... Ab occi-
dente habens Geirennum fluvium, ibidem una semodiata de vinea quœ est
deecclesia Sancti And ne se. » — Charte 843, de 1079 : Cura capellis cir-
cum jacentibus, viceltcet. . Sancti Andraeae. » —Charte 841, de 1081 :
« Cum capellis circum jacentibus, videlicet... Sancti Andrsese. » —
Charte839.de 1089 :« Ei monasterio circum cellas subditas, id est...
Sancti Andraeae. » — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 197.
(2) Annales de Saint-Berlin, citées par de Rey, Invasions des Sarra-
sins en Provence, p. 263.
20
— 302 —
lieu du recel, et vers 950, alors que les Sarrasins commencent
à être refoulés; dès 965, alors que l'abbaye se relève, on exhu-
mera la relique, et on l'oflrira à la vénération des fidèles. Et
cependant, nous l'avons dit tantôt, le silence se fait sur elle.
Donc, au IXr siècle, elle n'a pas été cachée hors de Saint-
Victor.
D'autre part, elle ne Ta pas été, de 830 à 904, à Saint- Victor.
Donc il faut faire remonter à une époque antérieure au IX*
siècle le recel de la croix de l'Apôtre hors de l'abbaye.
Ce recel s'est fait au VIII* siècle, lors des premières inva-
sions, vers 716-737.
Et à cette époque ce ne fut pas dans les cryptes qu'elle fat
déposée. Nous l'avons dit, au départ des Sarrasins, en 740, on
l'eût retrouvée. Ce*ne fut pas dans l'intérieur de Marseille
qu'on la porta. On avait peur de Mauronte. Mais, comme il
n'y avait pas mains plus sûres, à qui on pût confier ce tré-
sor, que les religieuses cassianites, c'est à leur monastère
qu'on la plaça.
Or, où était ce monastère de filles ?
Pas auprès de Saint-Victor; car dans ce cas le recel aurait
été fait par-devant des témoins assez nombreux, puisqu'il
était facile de les réunir, l'abbaye de Saint-Victor étant à
proximité. Mais, dès le départ des Sarrasins, vers 739, le mo-
nastère cassianite de filles étant détruit, les religieuses mas-
sacrées, puisque l'abbaye de Saint- Victor avait échappé à la
destruction, il y aurait eu quelqu'un des moines témoins du
recel pour indiquer la cachette, exhumer la relique et la rap-
porter à Saint- Victor. Cette relique ainsi retrouvée et revenue
à Saint- Victor, au retour des Sarrasins vers 840 on aurait pu
la cacher de nouveau. Si on l'avait déposée dans Marseille, on
Ta dit tantôt, il y aurait eu quelque témoin, échappé à la
tourmente, qui plus tard aurait fait connaître où elle se trou-
vait. Si on l'avait placée dans les cryptes, lorsque la tran-
quillité serait revenue, que le monastère de Saint-Victor se
serait relevé de ses ruines, on l'aurait retrouvée et, en même
temps que l'on bâtissait des celles, des oratoires en l'honneur
de saint André, on aurait parlé de sa croix. Si on l'avait en-
fouie dans les ruines du monastère de Saint-Cyr, cela n au-
— 303 -
rait pas été fait sans témoins. En 950, 965' on l'aurait re-
trouvée. Or, aux IX# et X- siècles, on a perdu la trace de cette
religue. Donc le monastère cassianite auquel fut confiée la
croix de saint André, au VIII* siècle, ne se trouvait pas auprès
de Saint -Victor.
Où était-il ? Pas au bassin du Carénage, pas aux Catalans, pas
auprès du port, pas à la place de Lenche, pas aux Accoules,
pas à Sainte- Catherine, pas au Revest, pas à Saint-Loup, pas
à Saint-Cyr (Var) ; on l'a prouvé.
Reste un endroit que la tradition désigne, que plusieurs
preuves déjà nous insinuent, que le récit de Chifflet nous in-
dique : les bords de l'Huveaune !
S'il se trouve en cet endroit, tout s'explique, toute difficulté
s'évanouit. C'est au début des invasions sarrasines; le monas-
tère des filles étant loin de Saint- Victor, l'opération de l'en-
fouissement de cette relique se fait en présence de quelques
témoins seulement : les moines qui ont porté ce précieux far-
deau, et quelques religieuses du monastère de THuveaune.
Puis la tourmente s'abat sur le monastère, les vierges cassia-x
nites sont massacrées jusqu'à la dernière, Eusébie à leur tête.
Les quelques moines témoins du recel meurent, dans l'inter-
valle, sans avoir pu donner des indications précises à leurs
frères. Ainsi on perd la trace, on ignore l'endroit exact de la
cachette. La croix n'est plus retrouvée.
Allons plus loin encore. Peut-être que, pour ne pas donner
Téveil, ce sont quelques religieuses, qui viennent prendre à
Saint-Victor la relique, qui la cachent elles-mêmes. Qui aurait
prévu ce qui arriva plus tard : que toutes seraient massacrées!
Aussi, au lendemain du massacre, c'est en vain que Ton cher-
che, on ne retrouve rien .
Allons plus loin encore ; pourquoi Chifflet ne livrerait-il pas
le secret de l'énigme ? La croix de saint André n'a jamais peut-
être été à Saint-Victor. C'est au monastère de l'Huveaune
qu'elle aura été déposée, lorsque ce roi bourguignon l'eût
portée à Marseille, soit que les religieux de Saiht-Victor l'eus-
sent volontairement confiée à leurs sœurs cassianites, soit
que celles-ci l'eussent achetée de leurs propres deniers pour
l'arracher aux mains de ces Ariens. Aux jours de l'invasion
— 304 —
sarrasine, alors que les religieux de Saint-Victor cachaient
dans les cryptes les reliques dont ils avaient la garde, les
vierges de l'Huveaune, pour dérober à l'incendie ou à la pro -
fanation la croix de l'Apôtre, la cachent dans leur monastère
ou aux alentours. Mais les mauvais jours arrivent, tout est
massacré, pillé, saccagé, brûlé au monastère. Les témoins du
recel sont morts, puisque les vierges de l'Huveaune sont mas-
sacrées jusqu'à la dernière. Nul moyen de recouvrer ce trésor
précieux. Les moines de Saint-Victor opèrent des fouilles, font
des recherches, vains efforts. La croix de saint André est per-
due. Dans la pensée de tous, elle a été enlevée par les Sarra-
sins ou elle a été jetée au feu par ces mécréants (1). On a de
la peine à recueillir les membres éparsdes quarante victi-
mes. Quand on réédifie le cœnobium des vierges, on le rap-
proche de Saint-Victor. L'oubli se fait alors sur ce point du
terrain, et six cents ans se passe avant que Dieu, pour la croix
de son Apôtre, comme pour les reliques de Marie -Madeleine,
fasse connaître par quelque prodige là où se trouve caché ce
trésor.
Ainsi la vision de Hugues de Glasinis se comprend et s'ex-
plique. Paradin et Chifflet ont dit vrai. La croix de saint André
a été apportée vers 484 par un roi de Bourgogne. Peut-être
elle a été donnée à Saint-Victor à ce moment ; peut-être c'est
au cœnobium de l'Huveaune qu'on l'a confiée. C'est dans ce
monastère, dans tous les cas, que plus tard elle est cachée.C'est
là qu'au XIIIe siècle Hugues de Glasinis la retrouve. Donc, et
c'est pour cette conclusion qui lient en une ligne, que sont
écrites les longues pages qui précèdent, donc au VHP siècle, il
y avait un monastère de filles aux bords de l'Huveaune II!
Reste une difficulté à résoudre. La voici. S'il est vrai que la
croix de saint André ait été cachée au monastère des vierges
(1) c Nos ex certioribus monumentis collocatam censemus in agri
Massiliensis monasterio sanctimonialium de Uveaune. . . Moniales dicti
monasterii. . . B. Andraeee cru ci quam rcligiose asservabaot e flam-
mis aliâve injuria cautum esse voluerunt. Jgitur excavata humo crucem
sepeliunt. . . Disquisita est a monachis Sancti Victoris crux Andreaua.
cumque nusquam occurreret, crédita est aut sublata a Sarracenis aut
concremata. » Chifflet, Vesuntio civitas, p. 199.
- 305 —
de rHuveaune, et que Hugues de Glasinis l'y ait retrouvée,
comment se fait-il que les Prémontrés, établis à ce même
monastère de l'Huveaune dès 1204, aient laissé reprendre cette
relique sans protester? Comment se fait-il, en outre, qu'il n'y
ait aucune trace de cette invention de la relique, qu'il n'y ait
pas de procès -verbal, qu'il ne reste qu'un bas-relief interprété
par les auteurs dans le sens d'une découverte de la relique,
mais qui ne vaut pas un bon procès-verbal ? Voici notre
réponse :
Les Prémontrés, établis à l'Huveaune en 1204, n'ont pas ré-
clamé le droit de garder cette relique ! Mais de droit ils n'en
avait aucun. La croix de saint André était venue de Saint-
Victor, elle y retournait, les nouveaux habitants du cœno-
bium de l'Huveaune n'avaient aucune prétention à élever (1).
De plus, en quelle année Hugues de Glazinis a-t il découvert
la sainte relique ? On ne peut rien préciser à ce sujet. Il est
désigné, dans les chartes, par le titre de Sacristain de Saint-
Victor dès l'année 1212. Maisa-t-il fait cette découverte seule-
ment lorsqu'il remplissait cette fonction ? Qui empêcherait de
croire que ce fut bien avant ? Par conséquent, les Prémontrés
n'auraient pu rien dire, ils n'étaient pas encore arrivés aux
bords de l'Huveaune.
D'ailleurs, la croix avait-elle été cachée au sein du monas-
tère cassianite ? Peut-être que non, mais dans un coin retiré,
dans les champs, dans quelque dépendance du cœnobium à
l'époque. Que pouvaient réclamer les Prémontrés, si la décou-
verte n'était pas faite dans leur propriété ?
Il n'y a pas de trace écrite de cette trouvaille, pas de procès-
verbal de l'invention ! Et si on n'en a pas fait ? On a découvert
en 1187, à Tarascon, le corps de sainte Marthe : où est le pro-
cès-verbal d'invention de la relique ? Les auteurs disent que
(1) SI nous supposons que les religieuses de l'Huveaune aient toujours
eu la garde de la croix de saint André, les Prémontrés, en 1204, n'au-
raient pas eu plus de droit à réclamer pour eux cette relique. Il suffisait
que l'évéque du diocèse autorisât les moines de Saint- Victor à la pren-
dre. D'ailleurs, si elle revenait à quelqu'un, c'était au moines de Saint-
Victor dont Gassien avait été le fondateur, comme il l'était de l'abbaye
de l'Huveaume.
— 306 —
l'on ignore les détails de cette opération (1). Et si celui qu'on a
rédigé de notre relique a été détruit, perdu ? Si on le retrou-
vait un jour ? Le meilleur procès-verbal est la tradition, que
Chifflet et les autres nous rapportent. Où ces auteurs ont-ils
puisé ce qu'ils énoncent dans leurs livres? L'ont-ils inventé !
Et d'où vient que tout, dans les faits, les dates, les événements
concorde à peu près exactement avec leur dire? Ils ont lu
cette tradition chez d'autres auteurs plus anciens. Et ceux-là
où l'ont-ils puisée ? Quel intérêt avaient-ils à doter notre
ville, l'abbaye de Saint-Victor, l'abbaye de l'Huveaune de ce
trésor ? Ils n'étaient pas de Marseille, ce n'est donc pas un vain
amour-propre de clocher qui les a fait parler. Et s'ils étaient
de Marseille, ces auteurs primitifs que Chifflet et Paradin ont
copiés et suivis, serions-nous bienvenus de leur reprocher
d'avoir écrit ce que nous appelons une pure légende ! Maïs
sommes-nous sûrs qu'ils ne possédaient pas de titres, perdus
depuis ? D'où vient, enfin, qu'à six cent ans de distance nous
trouvons qu'il soit fort probable qu'ils aient dit la vérité.
Non, ces difficultés ne valent rien. La croix de saint André a
été cachée et découverte au monastère des filles, à l'Hu-
veaune. Donc, au VIII* siècle, il y avait un monastère aux bords
de l'Huveaune.
(1) Paillon, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Madeleine,
t. I, col. 1219.
CHAPITRE VI
L'église et la maison en ruines sur les bords
de l'Huveaune ou l'abbaye des Prémontrés
établie à l'Huveaune en 1204
CHARTE DE 1204. — ARGUMENT. — LES PRÉMONTRÉS NE SONT VENUS
A L'HUVEAUNE QU'EN 1204.— AUTEURS POUR ET CONTRE.— RAISONS
TIREES DU TEXTE DE LA CHARTE.— CHARTE DE 1218.— SAINTE-MA-
RIE D'HUVBAUNB.
Une autre preuve qui s'offre à nous ! Au commencement du
XIII* siècle, dit M. l'abbé Daspres, deux religieux prémontrés de
l'abbaye de Font-Caude, dans le diocèse de Béziers, demandè-
rent à l'évoque de Marseille de pouvoir relever de leurs ruines
une église et une maison situées sur le bord de la mer,- à l'em-
bouchure de PHuveaune. Ces deux religieux avaient nom Guil-
laume et Amansus ; l'èvéque de Marseille s'appelait Rainier.
Celui-ci ne crut pas devoir rejeter la demande qu'on lui
adressait, persuadé que ces religieux contribueraient à l'édifi-
cation de son peuple. Mais, pour prévenir les contestations qui
pourraient s'élever plus tari entre son chapitre et le nouveau
monastère, et empêcher que cet établissement ne portât quel-
que préjudice à son église, dont les. revenus avaient considéra-
blement diminué par des donations de dîmes et par d'autres
concessions, il régla que les Prémontrés donneraient à la
cathédrale « le tiers des rétributions pour les enterrements et
de ce qui lui reviendra des morts soit en meubles, soit en im-
meubles qui seront hors du diocèse, et dans ce tiers sera com-
prise la* part due à l'èvéque. . . Ils payeront la dlme de toutes
les vignes qu'ils posséderont dans le territoire de Marseille, à
l'èvéque et aux chanoines séparément. . . Ils payeront la dlme
du blé, des légumes qu'ils retireront de toutes les terres cul-
tivées, et de toutes celles dont une partie aurait été cultivée
— 308 —
autrefois. . . (1) .» Cet acte fut signé en 1204, au mois d'avril .
Or, nous disons : le fait seul de l'existence en cet endroit
d'une église et d'une maison en ruines est une preuve que là
s'élevaient jadis la chapelle et le monastère qu'Eusébie et ses
compagnes embaumèrent du parfum de leurs vertus et em-
poufprèrent de leur sang.
Il va nous suffire, pour le prouver, d'établir solidement les
deux points suivants : 1° que cette église et cette maison, res-
taurées par les Prémontrés, ne leur a point appartenu antérieu-
rement à l'an 1204 ; 2° que cette église, en ruines en 1204,
remonte à l'époque des premières invasions des Sarrasins. La
conclusion toute naturelle sera que, si à l'époque des invasions
sarrasines, vers 716, 738, il y avait là une chapelle ; si, d'autre
part, une tradition sérieuse affirme qu'en cet endroit vécut et
fut martyrisée sainte Eusébie; si, enfin, nous prouvons que
le monastère ou vécut notre sainte ne pouvait s'élever qu'à
ce point du terroir, il sera hien vrai de dire que le fait de
l'existence de cette église et de cette maison en ruines en
1204, en cet endroit, est une preuve en faveur de notre asser-
tion.
D'abord, les Prémontrés ne sont venus aux bords de l'Hu-
veaune qu'en 1204.
Quelques auteurs, entre autres Ruffi et M*r deBelsunce, ont
soutenu le contraire, a Dans l'acte de fondation cité plus haut,
(I) Daspres, Notice sur Saint-Ginies, p. 21, etc.— Ruffi, Histoire de
Marseille, t. II, p. 100. —L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, par M«r
de Belsunce, t. II, pp. 17et suiv.: « Innomme Domini... an no Incarnatio-
ns ejusdem MCCIIII, m ense aprili, ad evitaodum malum dissentioais,
quœ de superscripto negotio inter ecclesiam B. Mariae sedis et fratres
ordinis Prsemonstrati evenire possent in posterum, concedimus votis. . .
ut ad ho no rem Oeiet relîgionis augmentum et omnium in Christo cro-
dentium salutem, possitis in territorio Massiliae, citra amnem Huveau-
nse, juxta littus maris, secundum arbitrium et voluntatem vestrara, de
novoœdificare ecclesiam et domum ordinis vestri, et eam, prout vobis
dominus donaverit, episcopali et ecclesiastico jure per omnia salvo, juste
acquisitis ampliare. His tamen conditionibus et pactis... Et nos...
fratres ordinis. Prsemonstrati et dictidomûs fundatoresyvo nobis et suc-
cessoribus nobis omni privilegio vel indulgentiae quod modo habemus
vel in posterum habebimus contra praedicta, omni no renuntiantes.. . »
(Archives de Saint-Sauveur, H. 56, aux archives départementales.)
- 309 —
dit Ruffi, on peut remarquer que, comme ils avaient eu quel-
ques différends ensemble, on les obligea de transiger, et qu'on
leur permit de construire de nouveau une église et une maison
de leur ordre ; que ces religieux étaient logés en cet endroit
depuis quelque temps auparavant et y avaient une maison qu'il
était nécessaire de rebâtir, laquelle n'était pas néanmoins pour
lors fort ancienne, d'autant que leur ordre ne fut institué qu'en
Tan 1120(1).»
M" de Belsunce dit également : a II parait par la charte que
nous suivons ici que l'église et la maison leur auraient apparte-
nu avant que d'être ruinées (2).»
Papon cependant et l'abbé Daspres ont pensé comme nous.
« Ces mots, dit l'ancien curé de Saint-Giniez, « de novo aedifi-
care », ont fait croire à plusieurs auteurs que les religieux
étaient déjà propriétaires. Cette conclusion n'est pas très
rigoureuse (3) .» Papon est plus précis encore : « On lit dans
une charte de 1204, dit-il, que l'évoque de Marseille permit
aux Prémontrés de bâtir une église sur les ruines d'une autre
qui ne subsistait plus, et à côté desquelles on voyait encore,
suivant l'historien des évoques de Marseille, les masures d'une
maison détruite. Ce monastère n'avait point appartenu aux Pré-
montrés; leur ordre était trop récent dans les Gaules pour
avoir eu sur les bords de l'Huveaune un établissement que le
temps eût déjà détruit. Ils ne s'y étaient établis pour la pre-
mière fois qu'en vertu d'une charte, qui aurait été rappelée
dans celle de 1204, et il n'en est pas fait mention. Je remarque,
enfin, que les conditions stipulées dans celle-ci annoncent
que ces religieux n'avaient encore passé aucune convention
avec l'évêque, ni avec aucun de ses prédécesseurs (4) .»
M. de Rey parait être de cet avis; car, après avoir dit :
« qu'il y a eu , à ce bord de mer, à une époque antique, une
église et une maison dont l'histoire nous est complètement
inconnue : était-ce une paroisse rurale, était-ce un prieuré de
Saint- Victor ? nous n'en savons rien », cet auteur ajoute:
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 100.
(2) M«'de Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. II, p. 18.
i"3) Daspres, Notice sur Saint-Ginie*,p.2i.
(4) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 361.
- 310 -
a En 1204, les Prémontrés la reconstruisirent et en tirent une
abbaye sous le titre de Notre-Dame d'Huveaune(l) .» Nous
acceptons ce témoignage, et surtout nous trouvons concluantes
les raisons de Papon.
Les Prémontrés ne vinrent qu'en 1204 sur les bords de
l'Huveaune.
Nulle trace d'abord, dans cette charte de 1204, qu'il y ait eu
déjà des dissentiments entre l'évoque, le chapitre d'une part et
les Prémontrés de l'autre. Au contraire, on veut prévenir jus-
qu'à l'ombre d'un dissentiment: « ad evitandum malumdis-
cussionis, quod de subscripto negocio. . . eveuire posset in
posterum ». D'autre part, l'assentiment est complet entre les
parties contractantes: aassensuet voluntate ambarum par-
tium ». Ensuite, nulle allusion à un établissement antérieur,
aucun indice que les conditions imposées à cette heure sont
plus rigoureuses que d'autres concédées jadis. Au contraire,
ce sont des détails précis, des stipulations arrêtées, que les
deux religieux acceptent et jurent de garder inviolablement.
De plus quel est le titre que se donnent ces deux religieux :
Ils se disent : Dicti fundatorea domûs.
D'ailleurs, puisque Rufli parait avoir tant à cœur d'affirmer
que ces ruine3 avaieut appartenu autrefois aux Prémontrés,
pourquoi ne se donne-t-il pas la peine d'indiquer la date de
l'arrivée dé ces religieux à Marseille et de leur établissement
aux bords de l'Huveaune, de faire connaître la cause probable
de la destruction de cet établissement primitif ? Comprend-on
encore que cette charte de 1204, si elle n'est que l'autorisation
de rebâtir une église et un monastère en la possession déjà des
Prémontrés, comprend-on, dis-je, que ni l'évoque, ni les reli-
gieux prémontrés n'insèrent dans cet acte le titre, le vocable
de cette église? Quatorze ans plus tard, Honorius III le donne ;
il écrit : a Priori et fralribus ecclesiae Sanctae Mariœ de Ibelnâ »,
« Aux prieur et frères de l'église de Sainte-Marie de l'Huveau-
ne (2) ». Mais en 1204, pas un mot de ce sujet. Et cependant,
si les Prémontrés l'ont possédée avant 1204, la ruine de cette
(1) Les Saints de V Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 231.
(2) DeBelsimce, op. cit., t. Il, pp. 63,64.
— 311 —
église ne peut remonter tellement loin dans l'histoire, qu'ils
aient perdu le souvenir du vocable de ce monastère.
C'est en 1120 que saint Norbert fonde cet ordre des Prémon-
trés, au fond d'un vallon étroit, boisé, obscur, marécageux de
la forêt de Ooucy. 11 est vrai que cet ordre s'accrut d'une ma-
nière merveilleuse. A peine vingt ans s'étaient écoulés, dit
un contemporain, que déjà l'ordre comptait cent monastères.
Trente ans après,, le chapitre général comptait cent abbés (1).
Supposons que le monastère de l'Huveaune ait été fondé
dès 1130, en 1140, il faudra soutenir que dans l'espace de
soixante ou soixante-cinq ans l'ordre a fondé, bâti, fait vivre
et prospérer un monastère aux bords de l'Huveaune, puis, que
ce monastère a été détruit, abandonné au point que ni l'évoque
du diocèse, ni les frères Prémontrés ne peuvent en rappeler le
le vocable. C'est possible, mais peu vraisemblable et très
difficile à admettre 1
Non, les Prémontrés ne sont venus aux bords de l'Huveaune
qu'en 1204, et pas avant.
Deux expressions pourraient cependant prêter matière à
contestation. D'abord, « omni privilegio vel indulgentise quod
modo habemus. . . renun liant es». Les religieux renoncent à
tout privilège, à toute indulgence qu'ils auraient déjà. Ne
croyons pas que ce soit là une allusion à d'anciens droits.
L'évêque leur imposant d'être placés sous sa juridiction et celle
de ses successeurs, de donner à son église cathédrale le tiers,
de payer la dîme au chapitre, ils renoncent à tout privilège
toute exemption, facilité, accommodement que par les coutu-
mes de leur ordre, par la concession des papes, ils auraient ou
ils avaient dans d autres endroits.
L'autre expression est celle-ci : de novo aedificare ecclesiam
etdomum ordinis vestri». Il ne faudrait pas traduire cette
phrase latine, simplement par ces mots : « rebâtir l'église et la
maison de votre ordre ». Ce sens ne cadrerait pas avec la suite
de la charte, qui ne suppose pas, nous l'avons dit, un établis-
sement antérieur aux bords de l'Huveaune. Mais il faut tra-
duire, avec M. l'abbé Daspres : « l'autorisation de relever les
(1) Darras, Histoire de l Eglise, t. XXVI, pp. 191,256.
— 312 -
raines d'une église et d'une maison sur le bord de la mer, à
l'embouchure de l'Huveaune, et de l'affecter à votre ordre *.
Ainsi donc, cette église et cette maison en ruines, en 1201,
que les Prémontrés reconstruisirent, avaient une origine plus
ancienne. Ce point reste acquis.
CHAPITRE VII
L'église et la maison en ruines
des bords de l'Huveaune
(Suite)
LA «CHAPELLE DE L'HUVEAUNE, EN RUINES DÈS 1204, n'a PAS ÉTÉ BA-
TIE ENTRE 1044 ET 1204. — NI UN SIMPLE PARTICULIER, NI SAINT-
SAUVEUR, NI L'ÉVRQUE, NI SAINT-VICTOR, N'ONT PU LE PAIRE. —
DONC ELLE EXISTAIT DEJA EN 1044. — ELLE ÉTAIT DÉJÀ EN RUINES,
SINON ON L'AURAIT FAIT SERVIR AU CULTE DANS CETTE PARTIE DU
TERROIR. — CETTE CHAPELLE DE L'HUVEAUNE APPARTENAIT, EN
1044, A L'ÉVÊQUE, COMME PROPRIÉTÉ DE SA CATHÉDRALE.
Or, si cette chapelle est en ruines dès 1204, et si elle n'a
pas appartenu antérieurement aux Prémontrés, forcément son
origine remonte aux invasions sarrasines.
Ce point sera un peu long et difficile à établir. Nous espé-
rons cependant y arriver.
Voici, d'ailleurs, la série de nos affirmations que nous
éîayerons de preuves suffisantes, croyons-nous.
1* Cette chapelle de l'Huveaune, en ruines vers 1204, exis-
tait déjà en 1044, et déjà aussi elle était en ruines.
2* Cette chapelle, en ruines vers 1044, appartenait à cette
époque à l'évéque.
3* Cette chapelle de l'Huveaune, possession de l'évéque,
n'est pas postérieure à l'église de Saint-Giniez.
4* D'autre part, l'église de Saint-Giniez n est pas postérieure
à la chapelle de l'Huveaune. .
5* Cette chapelle de l'Huveaune est antérieure à 923 ; déjà
à cette date, elle était en ruines.
6° La chapelle de l'Huveaune n'a pas été bâtie vers 850, ni
vers 814, ni vers 771, ni vers 730. Elle existait déjà.
— 314 —
7' Cette chapelle était le cœnobium des vierges cassianites,
dans lequel vécut et mourut notre chère sainte Eusébie.
D'abord, cette chapelle des bords de rHuveaune, en ruines
vers 1204, et que les Prémontrés réédifient au XIIIe siècle,
existait déjà en 1044, et déjà aussi elle était en ruines.
En effet, en 1044, Tévéque de Marseille Pons II, désirant
restaurer les lieux destinés au culte du Seigneur, donna au
monastère fondé en l'honneur de Saint- Victor l'église de Saint-
Giniez, située non loin de la montagne de la Garde : « Cette
église est détruite maintenant. De concert avec les chanoines
de notre église, nous la donnons, afin que, la rebâtissant, les
moines de Saint-Victor la possèdent à perpétuité (1). »
Or, la chapelle de THuveaune, en ruines dès 1204, existait
en 1044. Elle n'a pu, en effet, être bâtie durant cet espace de
cent cinquante ans. Qui aurait pu la bâtir, à cette époque ?
Il n'y avait que quatre sortes de personnes : ou bien l'évo-
que de Marseille, ou le monastère de Saint Victor,, ou celui
de Saint-Sauveur, ou un simple particulier.
Ce ne pouvait être un simple particulier ; car l'évoque et
son chapitre, la cédant en 1204 à Tordre des Prémontrés, en
étaient propriétaires ; et cependant pas un mot, dans cette
charte de cession, n'indique que cette chapelle soit revenue à
l'évoque par le fait d'une vente ou d'une donation. Pas un
mot sur le môme sujet dans les chartes de l'époque, si fertiles
cependant en détails. Et ce serait merveille que ce fait eût
échappé à la connaissance de tous.
Ce ne pouvait être Saint-Sauveur, car, dès l'an 1077, celte
abbaye vend des biens qu'elle possède au quartier de Saint-
Giniez, aux bords de rHuveaune (2). En 1097 elle fait une
(1) a Ego Pontius, gratià Dei, sancte sedis Mas3iliensis episcopus,
cupiens restaurari loca servicio Dei apta, ecclesiara sancti Uenesii quse
est sita in comitatu Massiliensi, juxta montem quse dicitur Guardia, quse
nunc est destructa, cum consensu canonicorum ecclesise nostrae, dono
omnipotenti Deo, i psi us que monasterio in honore Sancti Victoris, apud
Massiliam fundato, et abbati Isarno, ut œdificantes praedictam ecciesiam
scilicet Sancti Genesii, perpetuô teneant et possideant.... » Carlulaire
de Saint- Victor, 1. 1, charte 73, de 1044. — M«r de Belsunce, Antiquité
de l'Eglise de Marseille, t. 1, p. 395.
(2) Carlulaire de Saint-Victor, 1. 1, charte 88.
— 315 —
convention avec Saint- Victor au sujet d'une terre située sous
l'église de Saint-Saturnin (1). Ces ventes de domaines indi-
quent un état de gène. Et de fait, à partir de cette époque
jusque vers 1163, ou a peu de détails sur la vie de ce monas-
tère ; les abbesses qui succédèrent à Garcende, sœur de Pons II,
sont inconnues, et ni les actes des évoques, ni les chartes de
Saint-Victor font mention de Saint-Sauveur (2). De 1163 à l'an
1200, la situation est un peu plus prospère.
Mais il serait assez curieux qu'une chapelle, un monastère
aient été bâtis par l'abbaye, aux bords de l'Huvéaune, vers
1160, qu'ils soient en ruines dès 1204 , sans qu'elle n'en
connaisse ni le titre, ni le vocable. De plus, il faudrait expli-
quer comment cette église a pu être cédée par Tévôque en
1204, aux Prémontrés, sans qu'il soit resté une trace quelcon-
que indiquant de quelle manière ce bien était venu en sa
possession.
Inutile d'ajouter que c'était un des biens placés sous la
dépendance de l'évêque, pareillement à ceux que mentionne
la bulle d'Anastase IV, dans laquelle, parmi les biens de l'église
de Marseille sont énumérées « l'abbaye de Saint-Sauveur et
l'église (3). » Car il ne s'agit là que d'une dépendance spiri-
tuelle. D'une part, en effet, une bulle d'Alexandre III
(1159-1181) permet aux religieuses de Saint-Sauveur d'avoir
des prêtres qui, autorisés par l'évêque, devront rendre compte
du spirituel à lui évoque et du temporel à labbesse (4j. D au-
tre part, elles vendent, contractent, cèdent, plaident sans que
l'évoque intervienne (5).
(1) Charte de 1097, citée par M. Daspres, Notice sur Saint-Ginies ,
pp. 136, 140.
(2) André, Histoire des religieuses de Vabbaye de Saint-Sauveur t
p. 24.
(3) André, Histoire des religieuses de Vabbaye de Saint-Sauveur ,
p. 24.
(4) « ... In parochialibus au te m ecclesiis quas tenetis, licitum sit vo-
bis presbyteros vel clericos eligere, et electosepiscopo prœsenlare, qui-
bus, si idonei fuerint, episcopus animarum curam committat. » André,
op. cit., documents en appendice, D, p. 210.
(5) La charte 88 du cartulaire de Saint-Victor, 1. 1, et celle de 1097,
citées plus haut, ne font aucune mention spéciale à ce sujet.
— 316 -
Ce ne pouvait être davantage l'abbaye de Saint-Victor. A
cette époque (1044) l'abbaye est florissante, c'est vrai. Elle
fait chaque jour de nouvelles acquisitions dans le terroir de
Saint-Giniez. Aussi, lorsque Pons H, en 1044, lui cède l'église
de ce quartier, pour la reconstruire, l'abbaye accepte. Ainsi
le culte divin est assuré en ces lieux. Mais, après 1044, pour-
quoi l'abbaye bâtirait-elle une nouvelle église aux bords de
l'Huveaune ? De l'emplacement que la tradition assigne à
cette chapelle à Saint-Giniez, il n'y a pas loin. L'abbaye
voudrait-elle établir un pèlerinage, perpétuer quelque sou -
venir que la tradition lui rappelle ? Et quel est ce souvenir ?
Quel est l'objet de cette tradition ?. . . En outre, jamais aucune
des nombreuses bulles de • confirmation que les papes
octroyaient à l'abbaye ne fait la moindre mention de cette
église, ni qu'elle fût un lieu de pèlerinage ou une simple cha-
pelle, ouverte aux colons du terroir. D'ailleurs toujours la
même question à résoudre. Comment a-ton oublié le nom de
cette chapelle ? Comment, si l'abbaye de Saint-Victor l'a
bâtie, l'évêque a-t-il pu la céder comme bien lui apparte-
nant, sans que l'on ait conservé le moindre souvenir de sa
mise en possession ?
Ce n'a pas été l'évêque de Marseille non plus. Quelle était
la nécessité d'une église en ce point du terroir ? A deux pas
s'élevait celle de Saint-Giniez reconstruite et embellie. Pres-
que tout le terroir appartient à Saint-Victor. Comment l'évê-
que fera-t-il bâtir une église, aux frais de sa cathédrale, pour
la satisfaction des habitants, tous vassaux presque de Saint-
Victor ? Cela n'était guère possible.
Or, si, d'une part, ni l'évêque, ni l'abbaye de Saint-Victor,
ni celle de Saint-Sauveur, ni un simple particulier n'ont pu
construire cette église de 1044 à 1204 ; s'il a été impossible,
dans l'espace de cent cinquante ans (de 1044 à 1204), de voir
une église se bâtir et tomber en ruines, sans que l'on en sache
le titre et l'origine ; si, d'autre part, elle est en ruines en
1204, une conclusion toute naturelle s'en dégage : elle exis-
tait déjà en 1044.
Mais en quel état se trouvait cette église en 1044 ? Elle était
— 317 -
en ruines déjà, comme en 1604, et ne servait plus aux céré-
monies du culte.
Si elle eût été en état, quel qu'en fût le possesseur en 1044
on en aurait tiré parti. L'évéque, en effet, afin de donner une
église aux habitants des bords de l'Huveaune, l'aurait cédée
à Saint-Victor, lui évitant ainsi d'avoir à reconstruire celle
de Saint-Giniez. La question du plus du moins d'éloignement
de cette église du centre habité ne pouvait tirer à conséquence.
L'important était d'assurer le service du culte. De nos jours,
d'ailleurs, les habitants de la plage vont à l'église de Saint-
Giniez. L'évoque cependant agit autrement : il cède Saint-
Giniez à l'abbaye de Saint-Victor. Pas un mot de la chapelle
de l'Huveaune.
L'abbaye de Saint-Victor, si elle en eût été possesseur,
aurait de beaucoup préféré l'adapter au service du culte que
d'avoir à rebâtir l'église de Saint Giniez. C'est cependant cette
église que l'abbaye réédifie !
L'abbaye, enfin, de Saint-Sauveur, si elle l'avait eue en
sa possession, ou bien l'aurait fait desservir par ses prêtres,
ou l'aurait cédée à l'évéque ou à Saint Victor pour le même
but. Et cependant c'est Saint-Giniez que l'on réédifie en
entier ! Incontestablement, en 1044, la chapelle des bords de
THiiveaune existe, mais déjà elle est en ruines î
On le voit, nous avançons à petits pas, mais nous avançons !
Allons de l'avant encore.
Cette chapelle de l'Huveaune, en ruines en 1044, appar-
tenait à cette époque à l'évéque.
Certainement elle n'appartenait pas à Saint-Victor, car l'ab-
baye, qui sort de ses ruines elle aussi, s'empresse de relever
les chapelles, les oratoires détruits, d'en bâtir d'autres à l'aide
de ses propres ressources, et à l'aide des libéralités des vicom-
tes de Marseille. C'est le cas de Saint-Pierre de Paradis, de
Sainte-Croix près de Saint-Pierre de Paradis, de Saint-André,
probablement de Saint-Ferréol, de Saint-Saturnin, de Saint-
Benoit (1). Or, peut-on croire qu'elle n'aurait pas relevé cette
(1) Saint-Pierre de Paradis est réédifiée en 1044 (charte 32). — Sainte-
Croix est bâtie en 1045 (charte 23). — Saint- André, Saint-Ferréol existent
21
- 318 —
chapelle de l'Huveaune, puisque Saint-Giniez ne lui appar-
tenait pas, et que celle-ci, d'ailleurs, était hors d'usage? Mise
en demeure par l'évoque de Marseille, Pons II, de fournir une
église aux habitants de ce quartier qui lui était soumis, est-
ce que l'abbaye n'aurait pas préféré relever une chapelle lui
appartenant que celle de Saint-Giniez qui ne lui appartenait
pas, et qu'on ne lui donne qu:en 1044 ? C'était, dira-t on,
une nouvelle acquisition d'une plus grande valeur que l'église
des bords de l'Huveaune et qu'elle a pféféré reconstruire !
Alors, pourquoi en 1204 l'évoque cède-t-il la chapelle de
l'Huveaune, en qualité de possesseur ? Qui la lui adonnée?
Quelle trace reste-t-il d'un achat, d'un échange, d'une ces-
sion quelconque ? Non, ces ruines, en 1044, n'appartiennent
pas à Saint- Victor.
Non plus à l'abbaye de Saint-Sauveur. Celle-ci vit pénible-
ment à cette époque. Depuis quarante ans, ses a moniales »
vont de maison en maison sans s'y fixer définitivement, de la
place de Lenche aux Accoules, des Accoules à la place de
Lenche (1). En ce moment dé 1041, elles viennent de s'établir
au monastère de la place de Lenche, que les vicomtes ont
restauré (2). Or, si cette chapelle de l'Huveaune leur eût
appartenu, elle l'eussent cédée à l'évoque ou à Saint- Victor
et l'indice de cette vente apparaîtrait quelque part. Si
elles l'avaient conservée comme le souvenir d'un passé qui ne
fut pas sans gloire, comment en 1204 l'évoque a-t-il pu la
céder comme bien lui appartenant ? Elle n'était donc pas la
propriété de l'abbaye de Saint-Sauveur.
Ces ruines appartiennent en réalité à l'évéque de Marseille.
Non pas qu'elles fissent partie de ces biens qu[, jadis la pos-
session de saint Victor, avaient, à la suile des invasions, été
unis à la mense épiscopale. Car Pons II, qui fait rendre à celte
abbaye des biens que l'on retenait injustement, et qui lui-
môme en restitue quelques-uns, môles à, ses biens propres et
m
en 1048 (charte 40), en 1079 (charte 841, etc ). —Saint-Saturnin existe en
1038-1048 (charte 33). — Saint-Benoit existe au XI» siècle (charte 42).
(1) André, Histoire des religieuses de V abbaye de Saint-Sauveur,
chapitre 3, p. 16. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 59.
(2) André, op. cit., p. 19.
— 319 —
«
personnels, aurait fait rendre à l'abbaye cette chapelle (l).
Avant d'accepter Saint-Giniez avec la charge de la reconstruire,
l'abbaye de Saint-Victor aurait prié l'évoque de lui rendre ce*
qui lui appartenait. Non pas encore que cette chapelle de
l'Huveaune fit partie des biens jadis la possession de l'abbaye
de Saint-Sauveur, unis à la mense épiscopale à la suite de la
destruction du monastère et des invasions. Saint-Sauveur se
relève difficilement, depuis 1004, du coup que les invasions
lui ont porté. En 1044, tout y est en souffrance et il aurait
fallu être bien dur et injuste pour ne pas restituer à ce pauvre
monastère ce qui lui appartenait, alors que l'on rendait à
Saint-Victor qui avait bien d'autres ressources.
D ailleurs, l'abbaye cassianite, qui souvent fut en lutte
d'intérêts avec le chapitre et l'évoque lui-même, aurait, à un
moment où à un autre, revendiqué ces ruines comme lui
appartenant. Nul vestige cependant d'une semblable reven-
dication. I/évêque détient donc cette église comme propriété
de sa cathédrale, au même titre qu'il détient Saint-Giniez,
dont il fit cession à Saint-Victor en 1044, avec le consentement
de son chapitre. Aussi, en 1204 il la cède aux Pr^ mon très,
et du consentement de son chapitre.
En 1044 donc cette chapelle des bords de l'Huveaune
appartient à révoque. De plus, en 1044 il y a deux églises
en ruines dans la même partie du terroir : celle de l'Huveaune
et celle de Saint-Giniez, toutes les deux appartenant à l'évêque,
à quelque cinq cents mètres l'une de l'autre.
(1) Cartulaire de Saint-Victor, t. I, chartes 18, 20, 30, etc.— Mgr de
BeUunce, Antiquité de VE alise de Marseille, t. I, pp. 398, 399, 402,
406, 408.
CHAPITRE VIII
L'église et la maison en ruines
des bords de l'Huveaune
(Suite)
LA CHAPELLE DK L'HUVEAUNE A EXISTÉ EN MÊME TEMPS QUE CELLE
DE SAINT-GINIEZ", ELLE N*A PAS ÉTÉ BATIE APRES. — L'ÉGLISE
DR SAINT-GINIEZ, D'AUTRE PART, N'A PAS ÉTÉ BATIE APRÈS CELLE
DE L'HUVEAUNE — TOUTES LES DEUX 80NT ANTÉRIEURES A 923.—
DEJA, EN 923, ELLES ÉTAIENT EN RUINES. — LA CHAPELLE DE
L'HUVEAUNE N*A PU ETRE BATIE VER8 850, NI DURANT LE RÈGNE
DK CHARLEMAONB (771-814). — ELLE EXISTAIT EN 720-740, ET
C'ÉTAIT L'ABBAYE DE SAINT CYR QUI L'AVAIT FAIT BATIR. — CE
N'ÉTAIT PAS UN ORATOIRE DE CAMPAGNE, MAIS LA CHAPELLE DU
CŒNOBIUM DE SAINt'-CYR.
Or, pourquoi ces deux églises en cet endroit du lerroir ?
Ont-elles existé simultanément, ou bien Tune a-t-elle été
bâtie alors que l'autre tombait en ruines? Laquelle des deux
est antérieure à l'autre? Questions importantes dont la solu-
tion va faire faire un pas à notre thèse.
La chapelle de l'Huveaune n'est pas postérieure à l'église
de Saint-Giniez.
D'abord, elle n'a pas élé édifiée alors que celle de Saint-
Giniez servait aux fidèles. Pourquoi bâtir une église à une si
petite distance de la première? Ce point du terroir,, l'em-
bouchure de l'Huveaune, n'était pas plus habité qu'il ne l'est
aujourd'hui. Etait-ce pour favoriser les habitants de Ligus
Pinis? Mais ils pouvaient venir à Saint-Giniez, comme ceux
qui les ont remplacés y viennent actuellement. Pour favori-
ser ceux de Romagnac? Mais il y a un marais à l'embou-
chure de l'Huveaune, mieux aurait valu la bâtir au-delà de
cette rivière, sur le terroir même de Romagnac.
Elle n'a pas été construite lors de la ruine de l'église de
— 321 —
Saint-Giniez. Celle-ci est démolie dès 104i. Or, si Ton en
reporte la destruction vers Tan 1000, et que Ton place à ce
moment la construction de celle de l'Huveaune, cette dernière,
qui est elle hors d'usage aussi dès 1044, on Ta dit, aura vu,
dans l'espace de quarante *ou cinquante ans, se perdre et
s'oublier jusqu'à son vocable, tandis que l'on a conservé le
souvenir du vocable de l'église de Saint-Giniez dont la destruc-
tion est dp cinquante ans plus ancienne. D'ailleurs, pourquoi, si
l'église de Saint-Giniez est en ruines, vers l'an 1000, ne pas
la reconstruire, au lieu d'aller en bâtir une autre à l'extrémité
du terroir, au milieu des marais? Et c'est l'évêque qui les
aurait fait élever toutes les deux, puisqu'elles lui appartien-
nent!
Si l'on fait remonter la destruction de l'église de Saint-
Giniez aux dernières invasions de 923 et que l'église de l'Hu-
veaune ait été bâtie pour la remplacer, les mêmes difficultés
se présentent. Comment a-t on perdu le souvenir du vocable
de cette chapelle, de 923 à 1044, et conservé celui de Saint-
Giniez? Pourquoi ne pas rebâtir une seconde église au même
endroit, sur les ruines de celle qui a été renversée, au lieu de
la construire au bord de la mer?
Si cette église de Saint-Giniez a souffert des pirates, la nou-
velle église sera-t-elle plus abritée?
De plus, qui l'eût bâtie, en ce moment, vers 923 ?
L'abbaye de Saint- Victor était « penitus ad nihilum redacla » ,
dit la charte. Le monastère des religieuses cassianites avait
disparu dans la tourmente. L'évêque de Marseille était obligé
de demander du secours à son métropolitain d'Arles. Ce n'était
guère le temps de reconstruire des églises rurales. Ce ne fut
qu'en 1044 que Pons II put y penser. Donc l'église de l'Hu-
veaune n'a pas été bâtie postérieurement à celle de Saint-
Giniez.
D'autre part, l'église de Saint-Giniez n'est pas postérieure à
celle de l'Huveaune.
D'abord, elle n'a pas été bâtie alors que celle de l'Huveaune
servait aux fidèles. L'église de Saint-Giniez en ruines,
dès 1044, sa destruction datant au moins de Tan 1000, c'est
dans la première moitié du X* siècle qu'on l'aurait édifiée.
— 322 —
Or, pourquoi bâtir une église à Saint-Giniez, à cette époque ?
•Celle des bords de l'Huveaune suffisait. Avec quelles ressour-
ces, d'ailleurs, l'évêque l'aurait-il fait construire, puisqu'il
manquait de tout pour ses clercs?
L'aurait- on bâtie lors de la destruction, pour une cause
quelconque, de la chapelle de l'Huveaune? Puisque la ruine
de l'église de Saint-Giuiez date au moins de Tan 1000, c'est
encore dans le cours du X" siècle qu'il faudrait en placer la
construction, vers 960 par exemple. La nécessité de donner
aux colons du terroir un édifice religieux aurait amené révo-
que à cette dépense. Soit. Mais, alors, notre chapelle de
l'embouchure de l'Huveaune est antérieure à 923. On n'a pu,
en effet, l'édifier vers 960, puisque celle de Saint-Giniez, nous
venons de le supposer, est bâtie à cette époque ; ni vers 923,
le moment est trop critique et l'évêque de Marseille est privé
de tous moyens. Elle existait donc en 923.
D'autre part, on ne peut lui faire traverser la crise de 923
sans encombre. La charte de 1005 dit que : « gens pagana
• cuncta vastavit, ecclesias et monasteria plurima destruxit. *
Il est plus que probable, donc, qu'elle ait été renversée vers
923. Donc elle est antérieure à 923.
En ruines dès 923, la chapelle de l'Huveaune n'a pas été
bâtie vers 850 par exemple. Qui l'eût construite, en effet?
L'abbaye de Saint-Victor ? Elle lui aurait appartenu en 923
et, aussitôt l'invasion passée, elle l'aurait réédifiée, comme
elle le fit pour d'autres chapelles du terroir. Et si, après 923,
cette chapelle fût passée dans le domaine de l'évoque par
suite de la destruction du monastère de Saint-Victor, l'évêque
l'aurait rendue en 1044, et Saint-Victor, au Heu de relever
l'église de Saint-Giniez, aurait préféré s'occuper de ce qui lui
appartenait déjà. Si c'eût été une acquisition nouvelle de
Saint-Victor, cette abbaye aurait réclamé quand même sa
propriété. Si c'eût été un échange, on en parlerait bien quelque
part dans les innombrables chartes de ventes et de cessions.
Sera-ce Saint-Sauveur? Encore moins; car, de 850 à 923,
l'état de cette abbaye est très précaire. En 838, toutes les reli-
gieuses ont été enlevées par les pirates normands. Si elle a pu
— 323 -
se relever de cette catastrophe, elle ne doit pas penser à bâtir
une chapelle si loin.
Sera-ce l'évêque? Peut-être. Mais, ou bien l'église de Saint-
Giniez existe déjà, inutile alors, semble- t-il, de bâtir une autre
église aux bords de la mer. Et si on en construit une, c'est qu'il
y a une raison spéciale!!! Ou bien cette église de Saint-
Giniez n'existe pas, il serait alors prouvé que vers 850 notre
chapelle de l'Huveaune existe. Mais pour quel motif bâtir
une église, à cette époque, en un endroit d'un acc&s si difficile
à cause des bois, des marais, du cours de l'Huveaune? Le
centre habité, c'est le Saint-Giniez adtuel. C'est là qu'il faut
une église et non pa3, au bout du terroir! Ajoutons que le
moment est critique. Les Sarrasins, en 842, 849, 850, 869;
les Normands en 859,860 désolent la Provence; comment
hâtir des églises au milieu des invasions? Non, l'église de
l'Huveaune ne date pas de 850. Elle existait déjà.
On ne l'a pas élevée, non plus, dans les années qui suivirent
la mort de Charlemagne,de 814 à 850. Toujours il faudra indi-
quer qui aurait pu la bâtir, et pour quelle raison.
Ce n'est pas l'abbaye de Saint-Sauveur ou plutôt de Saint-
Cyr, qui est auprès de Saint- Victor, à ce moment, et dont
en 838 les religieuses furent enlevées par les barbares. Si
elle bâtissait à lette époque une chapelle sur les bords de
l'Huveaune, on pourrait bien supposer qu'il y a autre chpse
que le désir d'avoir une ma;son de plus!...
Ce n'est pas l'abbaye de Saint-Victor. On lui vole ses biens,
et à ce moment elle passe sous la juridiction des évoques de
Marseille.
Ce n'est pas l'évoque lui-même; il avait assez de peine à
sauvegarder les biens de l'évêché et de l'abbaye, il aurait pu
bâtir régi i se de Sajnt-Giniez, si elle n'existait pas encore,
car ce point du terroir est habité. Mais aux bords de la mer,
impossible d'y penser. Ce n'est donc pas à cette époque, de
• 814 à 850, que remonte notre église de l'Huveaune. Elle est
dédale plift ancienne.
L'a-t-on construite durant le règne de Charlemagne, de
771 à 814? C'est une époque de relèvement, le calme se fait,
— 324 -
les Sarrasins sont tranquilles. C'est vrai. Mais qui a pu bâtir
cette église ?
Ce n'est pas le monastère de Saint-Cyr. Il sort de la crise
des invasions ; ou» s'il fait bâtir, c'est qu'il veut perpétuer le
souvenir de quelque fait important.
Ce n'est pas non plus l'abbaye de Saint- Victor, puisque
jamais il n'a été dit que cette chapelle lui eût appartenu ;
jamais d'ailleurs l'évéque ne la lui a rendue, ni en 1044, ni
plus tôt .
Ce n'est pas l'évéque de Marseille. A bâtir une église, c'est
au quartier actuel de Saint-Giniez qu'il l'aurait placée. Et si
déjà il y en a une, pourquoi en édifier une autre à l'embou-
chure de THuveaune, à moins de vouloir garder le souvenir
d'un fait important! ! Ce n'est donc pas de 771 à 814 que date
cette chapelle de l'Huveaune. Il faut monter plus haut encore.
Mais nous sommes alors en pleine invasion sarrasine, et
certes ce n'est pas à ce moment que l'on pense à construire
des églises. Donc notre chapelle de l'Huveaune existait
à l'époque des invasions. Et, comme tout a été bouleversé à
cette heure terrible (737-740), sûrement noire chapelle a
succombé à ce moment. Donc aussi elle est antérieure à 737.
Donc elle existait au début du VIII" siècle ! 1
Ici précisons davantage. Qui a pu faire bâtir, au début du
VIII* siècle, une église à l'embouchure de l'Huveaune? Seul
le monastère de Saint-Cyr.
Impossible de dire que c'a été l'abbaye de Saint-Victor. Si
c'eût été l'abbaye, elle l'eût élevée pour la commodité des colons
et des gens établis en ces lieux. Et si cette chapelle eût
été détruite sous la première invasion, celle-ci passée, Saint-
Victor l'eût relevée et l'eût gardée en sa possession. Si elle.fùt
demeurée debout, malgré la tourmente, jamais elle n'aurait
pu devenir la possession de l'évéque. En admettant que lors
de la destruction de Saint-Victor elle eût fait partie de la
mense épiscopale, tôt ou tard l'évoque l'aurait rendue. Or,
l'évéque la cède en 1204 comme propriété de son Eglise, et il
n'y a pas la moindre trace qu'elle ait été cédée ou vendue !
Impossible de dire que c'est l'évéque. Jamais celui-ci n'ira
bâtir un oratoire sur le rivage de la mer, au milieu des marais
— 325 —
et des bois, alors que le centre habité, les fouilles l'ont
prouvé, se trouvait à remplacement actuel de Saint-Giniez !
C'est donc Saint-Sauveur, ou plutôt le monastère de Saint-
Cyr, qui a élevé cette chapelle? Oui, quoique ne comptantque
trois siècles d'existence, le monastère cassianite, à l'époque
qui précède les invasions, est dans un état florissant. Au temps
de saint Césaire d'Arles, Césarie, sa sœur, y vient apprendre à
pratiquer les vertus que plus tard elle devra enseigner aux
autres. En 597, le monastère était agrandi par les soins de
Dynamius et d'Aurelius. La tradition nous dit qu'Eusébie y
avait quarante compagnes. A ce moment donc le monastère
de Saint-Cyr pouvait faire bâtir cette chapelle de l'Huveaune,
et cela à quelque époque que ce fût, de 420 à 720.
Mais pour quel motif le monastère de Saint-Cyr a-t-il fait
construire cette église aux bords de l'Huveaune? Etait-ceparce
qu'il n'y avait pas encore d'église dans le quartier de Saint-
Giniez, au début du VHP siècle ? Non, car l'église de Saint-
Giniez existait déjà. Dans un paragraphe précédent, nos dé-
ductions nous amenaient à dire que Ton pouvait signaler
l'existence de cette église à ce point du terroir vers 960, alin
de remplacer celle de l'Huveaune, en ruines dès 923. Mais il
est évident qu'il faut remonter plus haut. De tout temps, le
quartier de Saint-Giniez a été habité, de tout temps une
église a été nécessaire à cet endroit. Or, la chapelle de l'Hu-
veaune était démolie dès 850, dès 737. Donc, au début du
VIII* siècle, il y avait une église à Saint-Giniez.
Dès les temps primitifs, il y a eu en cet endroit un oratoire
de campagne dédié à je ne sais quel saint ou quel martyr.
Vers 420, les Câssianites arrivent sur les bords de l'Huveaune.
Leur premier lieu de prières, le dimanche, dut être cet ora-
toire de campagne, modeste et restreint. Peut-être tombait-il
en ruines déjà à cette époque. Alors, le monastère nouveau
aidant, on l'agrandit, et, étant donné que saint Genès est un
martyr d'Arles, que c'est un concile d'Arles qui a autorisé les
premières chapelles de campagne, que saint Césaire d'Arles a
eu de grands rapports avec le monastère cassianite de l'Hu-
veaune, à cause de sa sœur Césarie qui y était élevée, et
peut-être que saint Césaire avait enrichi de quelque relique
— 326 —
de saint Genès cet oratoire, on l'a dédié ce martyr!
Telle est l'origine probable de l'église de Saint-Giniez et de
son vocable. Dans tous les cas, la chapelle de l'Huveaune n'a
pas été bâtie au début du VIII" siècle, parce qu'il n'y aurait
pas eu d'église au quartier de Saint-Giniez.
Etait-elle un oratoire adossé à la maison des champs de
l'abbaye de Saint-Cyr ? Point du tout. Une tradition sérieuse,
difficile à contester, raconte qu'Eusébie et ses compagnes,
a leïs Desnarrados», ont été martyrisées en cet endroit. Si
cette chapelle n'eût été qu'un oratoire, joint à une maison de
ce genre, les religieuses n'y seraient pas mortes. Impossible
d'admettre qu'à cette époque troublée elles aient quitté leur
monastère pour se réfugier à la campagne. Leur départ aurait
été connu. D'ailleurs, elles étaient plus exposées hors de la
ville qu'aux abords de celle-ci.
Et encore, où s'élevait le cœnobium à ce moment? Il
n'était pas, nous l'avons prouvé plus haut, au Carénage, aux
Catalans, au Revest, à Sainte-Catherine, à Saint-Loup, ni
ailleurs. Restent les bords de l'Huveaune !
Cette chapelle de l'Huveaune n'était donc pas simplement une
maison de campagne pour l'abbaye cassianite. C'était, disons-
le, le monastère lui-même. Oui, c'est aux abords de notre
plage du Prado que la jeune Césarie se formait à la piété, qiie
Respecta, l'abbesse du temps de saint Grégoire, groupait son
essaim de servantes de Dieu, et qu'un peu plus tard Tillisiola
édifiait par ses vertus les vierges consacrées. C'est là que vécut
l'illustre religieuse, la grande servante de Dieu, la chaste
Eusébie ! ! Les échos de nos rivages ont entendu sa voix. Les
berges fleuries de l'Huveaune l'ont vue parcourir leurs prai-
ries verdoyantes. 0 sainte Patronne de ce coin béni de notre
terroir, laissez-moi vous saluer, baiser la trace de vos pas. Que
ne puis-je en retrouver les vestiges sur le sable doré de la
grève 1 C'est là aussi que vous avez souffert ! Le sol que nous
foulons, vous et vos généreuses compagnes l'avez rougi de
votre sang 1 Que vous devez aimer à venir encore, avec vos
vaillantes sœurs, visiter ces lieux témoins de votre héroïque
courage! Nous aussi nous les aimons, ces lieux, ces prairies.
— 327 —
•
ces rivages, tout y est plein de votre souvenir, 'ô sainte Eusé-
hie. Honneur et gloire vous soient rendus !
C'est donc l'abbaye cassianite qui était là sur ces bords.
Tout s'explique maintenant. Les Sarrasins ont attaqué le
monastère, l'ont saccagé, en ont massacré les humbles reli-
gieuses. On peut à peine, quelques jours après, recueillir et
emporter dans les souterrains de Saint-Victor les restes de ces
héroïnes. Plus tard, peut-être, après les invasions, on com-
pose l'inscription. Entre deux invasions, on essaie bien de
cultiver le petit domaine qui entourait le monastère incendié.
Mais une nouvelle invasion survient, il faut tout abandonner.
C'est l'heure de l'oubli qui commence 1 On perd peu à peu les
titres de possession. Ceux qui habitent en ces lieux ou sont
massacrés ou s'en éloignent. La chapelle est délaissée. Il n'y
a bientôt plus que des ruines. Avec les invasions, les biens de
.ce monastère comme les biens de celui de Saint -Victor passent
à la mense épiscopale et, en 1204, l'évéque, de concert avec le
chapitre, cède, en qualité de propriétaire, cette chapelle en
ruines aux Prémontrés.
D'où venait à l'évéque le droit de possession sur celte cha-
pelle ? Y a-t-il eu, à cette époque lointaine, un acte de vente
ou de cession de la part des religieuses qui relevèrent le mo-
nastère abandonné? Cela pourrait être. Car il n'est pas croya-
ble que Tévôque eût refusé de rendre plus tard cette propriété
au monastère qui se reformait. Peut-être aussi, et nous croyons
cette opinion préférable, que la terre sur laquelle le monas-
tère primitif était construit appartenait à l'évéque.
En 420, saint Cassien, voulant fonder un monastère de fem-
mes; avait obtenu de l'évéque quelques terres voisines de
Saint-Giniez, comme il avait obtenu pour son monastère
d'hommes les souterrains de Saint-Victor. Les invasions fai-
sant tout disparaître, l'évéque rentrait dans sa propriété.
Un fait semblerait venir à l'appui de cette opinion. En 597,
le pape Grégoire le Grand exempte l'abbesse Respecta et son
monastère de la juridiction temporelle de l'évéque, laissant à
celui-ci la juridiction spirituelle. Or, cette juridiction tempo-
relle que Ton enlève à l'évôquepouvait lui venir d'un double
titre : soit du concile d'Arles en 554, qui avait ordonné aux
_ ass —
évoques de prendre soin des monastères de filles (I ), soit de ce
que, comme nous l'avons dit, révoque avait donné à saigt
Cassien quelques terres pour y bâtir le monastère des filles.
Respecta voulut secouer ce joug, alors que Dynamius et Au-
relius agrandissaient le monastère. lie pape acquiesça en
537 (2). Mais, exécutée ou non, cette sentence fut annihilée par
les événements. Les invasions arrivèrent. Par la force des
choses, l'évéque rentra en possession des biens du monastère
de Saint-Cyr. Mais ce ne furent que des débris. La chapelle de
PHuveaune était du nombre. C'est ce qui permit à l'évéque de
la céder en 1204, sans qu'il ait été obligé de la rétrocéder
jamais à Saint-Sauveur.
Nous avions raison de le dire au début de ce chapitre. Il y
avait, en 1204, aux bords de l'Huveaune, une église et une
maison en ruines, c'est là que vécurent, prièrent et furent
martyrisées notre chère sainte Eusébie et ses illustres com-
pagnes.
(1) De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. Iw, p. 222.
(2) Voir la lettre de Grégoire le Grand a l'abbesse Respecta, dans
André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, appendice a, p. 205.
CHAPITRE IX
Eglise de Sainte-Marie de Sait,
aux bords de l'Huveaune
UNE ÉGLISE ANTIQUE A L'EMBOUCHURE OB L'HUVEAUNE. — SAINTE-
MARIE DB 8ALT. — DIFFÉRENTS DE CELLE DU TER HOIR DE POURRI È-
RBS.— GBTTB ÉGLISE DE SAINTE-MARIE DE SALT ÉTAIT BN RUINES
EN 1097.— ELLE APPARTENAIT A L'ÉVEQUB AU XI* 8IÈCLE. — ELLE
N'A ÉTÉ BATIE NI AU XI*, NI AU X% NI AU IX* SIÈCLE, MAIS, AU DÉBUT
DU VIII' SIECLE. COÏNCIDENCE AVEC LA TBADITION QU'IL Y AVAIT
UN MONASTÈRE CASSIANITB AUX BORDS DB L'HUVEAUNE.
« Il y a eu à ce bord de mer (à l'embouchure de l'Hu-
veaune), à une époque antique, une église et une maison
dont l'histoire nous est inconnue. Etait-ce une paroisse ru-
rale, était-ce un prieuré de Saint-Victor ? Nous n'en savons
rien. En 1204, les Prémontrés les reconstruisirent et en firent
une église sous le titre de Notre-Dame de l'Huveaune (1).»
Ainsi parle M. de Rey.
Bien avant M. de Rey, le Père Guesnay avait écrit, dans le
Cassianus illustratus, a que le monastère cassianite était aux
bords de l'Huveaune depuis une époque fort reculée, comme
on peut le voir dans des documents publiés, existant à Mar-
seille et datant de 710 (2) ». Il est fort regrettable que Gues-
nay n'ait pas cité in extenso ces documents dont il parle. Il y
a cependant un fond de vérité dans ce qu'il a écrit. Noua,
allons le prouver en donnant le nom de cette église antique,
située aux bords de l'Huveaune.
Quel est le nom de cette église, en effet ? Dans une charte du
(t) Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 231 .
(2) c Hoc perscriptura in monumentis publicis et tabulis veteribii9
Massiliae reperies editis instrument! anno 710 ». Guesnay, Cassianus
illustrât us, p. 400.
— 330 —
XI' siècle, que M. baspres a publiée, en la traduisant, à la tin
de sa Notice sur Saint-Giniez, nous lisons : a Les mêmes,
Damalcus d'AIbania et son épouse Dulciana, donnent (à Saint-
Victor) le décime qu'ils avaient sur les vignes qui sont de-
vant l'église de Sainte-Marie de Sait (1). »
Or, qu'était-ce que cette église de Sainte-Marie de Sait? Où
était-elle située? A l'embouchure de THuveaune, là môme
où les Prémontrés, au XIII* siècle, trouvèrent des ruines sur
lesquelles ils bâtirent leur monastère de Notre-Dame d'tfu-
veaune.
Ce qui le prouve, c'est d'abord la dénomination de cette
église : Sainte-Marie de Sait. Ce mot sait, écrit en abrégé,
signifie saltus, que Ton tradttit par forêt, bois.
De fait, le quartier des bouches de l'Huveaune était fort
boisé à cette époque antique. C'est là que se trouvait le Ligus
Pinis, bois ou forêt de pins qui des bords de ce cours d'eau
montait vers les collines de la Garde. Aujourd'hui encore, les
bois épais dès propriétés Talabot, Schuitz descendent pres-
que jusqu'aux environs de l'emplacement qu'occupait le mo-
nastère des Prémonlrés. De l'autre côté de l'Huveaune, le bois
ne devait pas être moins fourni. Il se continuait, par le collet
de Montredon jusqu'aux montagnes, interrompu çà et ta par
quelques clairières où poussaient les vignes, les arbres frui-
tiers et le blé.
Si l'on avait voulu donner à une église, située à cet endroit,
un nom en rapport avec l'état topographique de la localité, on
ne pouvait mieux faire que de l'appeler église de Notre-Dame
du Dois, de la Forêt. Or, c'est précisément ce nom que porte
cette église : Notre-Dame de Sait.
Il y a une autre explication que légitime fort bien l'état des
lieux. Saltu8 veut dire aussi défilé, ravin ; par extension, on
pourrait lui faire signifier gué, passage difficile. Or, presque à
l'embouchure de l'Huveaune, à l'entrée actuelle du château
(l) L'abbé Daspres, Notice sur SainUGiniez, appendice, p. 139.— « Ego
Damalcus de Albania et uxor me a Dulciana donamus. .. illam decimam
quœ habebamus in vineis quae suût ante ecclesiam Sanctse Marine de
Sait, ». — Charte de 1097, archives départementales, fonds de Saint-
Victor, n» 709, 317.
— 331 —
Borrély, se trouvait légué de Romagnac, legasd'Arculens*. Et,
depuis la hauteur du chemin actuel de Mazargues jusqu'à
l'embouchure de THiiveaune, s'étendait le palud d'Àrchulens. '
Si Ton voulait donner un nom à une église placée à deux pas
de ces marais et de ce gué, celui de "Sainte-Marie du Gué, du
passage difficile, de Sait aurait bien la couleur locale. C'est
celui que fournit la charte de 1097.
Bien^>lus, cette même charte parle des vignes qui se trou-
vaient devant l'église de Sainte- Marie de Sait. Or, l'état des
lieux tels que les documents postérieur* nous le dépeignent
permet de croire que devant l'ancienne église des Prémontrés,
à l'embouchure de l'Huveaune, s'étendaient des vignes. Un acte
du 27 octobre 15794 mentionné par M. Daspres(l), établit
« que l'église, alors la propriété des dames de Saint-Sauveur,
était environnée de vignes, excepté au couchant, où elle
était bornée par la mer ». Et par un acte du 5 décembre 1781,
a que la propriété des dames de Saint- Sauveur consistait en
terres cultes et incultes, vignes, arbres, bâtiments et puits,
située au dit lieu de Notre-Dame d'Huveaune (2) ». L'église
de Notre-Dame de Satt était donc à l'embouchure de l'Hu-
veaune.
Nous en trouvons une autre preuve dans le contexte de la
«charte de 1097. Damalcus d'Albania rend à Saint-Victor une
terre située à la fos d'Uvelne ; puis, au paragraphe suivant, il
cède la dime des vignes placées devant l'église de Sainte-Marie
de Sait. Immédiatement après, Iteiius deBorriana cède à Saint-
Victor une terre au gué de Romagnac (3). Peut-on croire que
dans l'espace de deux ou trois lignes on indique deux propriétés
presque contiguës et une troisième placée en tout autre en-
droit et bien éloignée des deux premières?
On pourrait objecter que sur le terroir de Pourrières il exis-
tait, à cette môme époque, une église dédiée à la Sainte
(1) Notice sur Saint-Giniez, par M. l'abbé Daspres, p . 30. — Par un
acte passé en 1320, une Béat ri x Gasqui vend une vigne sise proche le
monastère de N.-D. de l'Huveaune. (Fonds de Saint-Sauveur, H, 50;
archives départementales. )
(2) M. Daspres, Notice sur Saint-Giniez,ip. 31.
(3) Voir celte charte. M. Daspresr op. cit., p. 139.
— 332 —
Vierge sous le titre de Sainte-Marie de Sait, de Saltu, ad
Saltumy de Sauto (1); que, partant, il s'agit, dans la charte
de 1097, d'une chapelle située à Pourrières et non pas aux
bords de l'Huveaune.
Cette église de Sainte-Marie de Sait, à Pourrières, en effet,
fut donnée h Saint- Victor en 1065 par Iterius, fils d'Aice-
lene, épouse d'un vicomte de Marseille (2) ; en 1079, une
bulle du pape Grégoire MI en confirmait la possession à
Saint- Victor. En 1135, une autre bulle pontificale en parlait
dans le même ordre d'idées; en 1113, dans un autre docu-
ment, il s'agissait de la même église (3). Or, les donateurs
de cette église de Sainte-Marie de Sait, à Pourrières, sont
les mêmes que ceux dont il est parlé à plusieurs reprises dans,
la charte de 1097, qui donnent à Saint-Victor certains biens
situés sur les bords de l'Huveaune. Cette donation se fait à
l'époque où l'on parle de Sainte-Marie de Sait dans la charte
de 1097. De plus on n'indique pas dans ces documents qu'il
s'agit d'une église de SainteMariedeSalt différente de celle
de Pourrières. Il semble donc qu'il n'y ait jamais eu qu'une
seule église de ce nom : celle de Pourrières.
Et cependant, nous soutenons qu'il s'agit bien d'une église
située sur le terroir de Saint-Giniez, à l'embouchure de l'Hu-
veaune. Remarquons, en effet, que la charte 121, de l'an
1065, dit, de cette église de Pourrières, qu'elle est « in terri -
torio de Porrerias », la charte 843, de 1079, dit qu'elle est « in
episcopatu Aquensi»; la charte 848 de 1113, la charte 844 de
1135 emploient la même formule. Et notre charte de 1097 ne
dit rien ! Afin de n'amener aucune confusion, lorsque le bien
(1) Notre-Dame de Miséricorde, notice historique sur la statue
vénérée sous ce titre dans la paroisse de Pourrièrest par Ferdinand
André, p. 7.
(2) « Ego Joffredus Aicelene quondam fil i us. . . et ego Iterius. . .«Charte
21, de 1065, cartulairede Saint-Victor.
(3) Cartulaire de Saint- Victor, t. II, charte 843 de 1079, charte 814 de
1135, charte 848 de 1113. Cependant une charte de 1098, charte 224, qui
renferme la confirmation au monastère de Saint-Victor des chapelle que
cette abbaye possédait dans le diocèse d'Aix, ne parle pas de cotte église,
quoiqu'elle nomme l'église de Saint-Trophime a Pourrières, celles de
Saint-Pierre, de Saint-Jacques et de Saint-Etienne.
- 333 —
cédé, vendu, se trouve dans un terroir autre que celui où Ton
est, on indique l'endroit précis de ce bien, de cette terre. Or,
on rédige la charte de 1097 à Marseille ; il s'agirait d'une
terre à Pourrières, hors du terroir, hors du diocèse et l'on
n'indiquerait pas où se trouve cette terre, cette église de
Sainte-Marie de Sait? Cela semble difficile à croire.
Pourquoi, dira-t-on, ne pas mentionner que cette église
était dans le terroir de Marseille et différente de celle de Pour-
rières ? C'est que toutes les deux n'ont pas appartenu à Saint-
Victor. Si celle de Pourrières lui appartient, la charte de 1097
ne dit pas que celle de Marseille soit sa propriété. Il n'y a que
la dlme sur les vignes qui revienne à Pabbaye. L'église elle-
même à qui est-elle? Il n'en est pas question. Elle n'appar-
tient pas à Saint- Victor, en effet, nous le verrons bientôt. Le
moine-rédacteur de cette charte ne s'occupait que des biens
appartenant aux religieux de Saint- Victor. Il n'avait donc
pas à faire cette mention .
D'ailleurs, qu'est-ce que cette charte de 1097? Deux lignes
qu'elle renferme nous donnent la clef de l'énigme : « Toutes
ces donations ou ventes ont été faites ou inscrites en l'année
1097, dans l'église de Saint-Giniez. » (1) A notre avis, cette
charte désigne tou3 les biens cédés ou donnés à Saint-Gi-
niez, en l'année 1097, afin de constituer la même de cette
église. Nous sommes, en effet, en 1097; l'église en ruines de
Saint-Giniez, donnée à Saint- Victor par Pons II, évoque de
Marseille en 1044, a été rebâtie. Il faut maintenant y établir
un prêtre à demeure et fonder le service du culte divin. Cette
détermination est prise en 1097, et mise en exécution. Chaque
semaine de cette année, pendant plusieurs jours, le registre
est ouvert ; à chacun de s'inscrire pour la somme ou le bien
qu'il donne ou cède à Saint-Victor en faveur de cette œuvre.
A la fin de Tannée, le fonds était suffisant, la souscription
fut close.
Que telle soit la raison de la charte de 1097, un simple coup
(1) « Factse sunt autem hse carte harum donationum vel venditionum
an no aJb incarnatione Domini MXGVII, indictione V, in ipsâ ecclesià
Sancti Genesii feria V aut VI sive etiam sabbato. » Charte de 1097, fonds
de Saint- Victor, n« 789 ou n* 317, archives départementales.
22
— 334 —
d'œil le fait apercevoir. Si un religieux de Saint-Victor avait
voulu simplement dresser le sommier des possessions de l'ab-
baye dans le terroir de Saint-Giniez, il aurait d'abord daté le
document par une formule plus précise : le jour, le mois,
l'année. Ici Tannée seulement est indiquée. De plus, il aurait
suivi un certain ordre. Puisqu'il y avait des biens disséminés
dans les divers quartiers du terroir de Saint-Giniez, il fallait
mentionner les uns à la suite des autres tous les lots de terre
situés sur un même point du terroir et non pas joindre, à un
bien sis à Framau, près du Rouet, une terre voisine de l'embou-
chure de l'Huveaune, ni un champ placé sur la rive droite de ce
fleuve à un autre placé sur la rive gauche. Or, ce décousu dans
la rédaction est celui que nous offre la charte de 1097. On
parle d'abord des terres situées près de l'église; les biens si-
tués à Mazargues et à Montredon leur succèdent. Puis, du palus
de Framau on va à Consuas, de Consuas à l'Antignane, de
l'Antignane à l'embouchure de l'Huveaune I Autre remarque.
C'est qu'il y a ordinairement deux, trois, quatre propriétaires
du même quartier qui consignent à la suite les uns des autres
les biens qu'ils donnent, dans ces quartiers. Notre conclusion
est donc que cette charte est le livre dans lequel les proprié-
taires de bonne volonté se sont inscrits pour doter la nouvelle
église.
Mais, et c'est ici que se trouve la preuve de notre affirma-
tion : qu'il s'agit bien d'une église- de Sainte-Marte de Sait,
à Saint-Giniez, toutes ces terres, tous ces biens se trou-
vent dans le terroir de Saint-Giniez, ou aux environs. Donc,
les vignes, que la charte dit être placées devant l'église de
Sainte-Marie de Sait et dont Damalcus, d'Aubagne, donne la
dlmc à Saint- Victor, se trouvent dans le terroir de Saint-
■0 Giniez. Donc, l'église de Sainte- Marie de Sait s élève dans le
terroir de Saint-Giniez. Donc, il .ne s'agit pas de celle de Pour-
rières. Sinon il faudrait dire que, pour doter l'église de Saint-
Giniez, on donne des rentes et des biens situés en dehors du
territoire. Ce qui n'est guère probable. Dans ces deux lignes
donc de la charte de 1097, il s'agit d'une église de Sainte-Marie
de Sait, à l'embouchure de l'Huveaune (1).
(1) On pourrait alléguer encore, comme preuve qu'il s'agit, dans ce
— 335 —
Ce point bien établi, poursuivons notre étude.
En quel état se trouvait cette église de Sainte-Marie de Sait,
en 109/ ? La charte ne le dit pas. Mais on peut affirmer qu'elle
était en ruines. Il a été prouvé, au chapitre précédent, que
forcément elle Tétait en 1044; sinon, au lieu de faire
rebâtir Saint-Giniez, on se serait servi de cette église. De
plus, qu'en 1204 on ne puisse en dire ni le vocable, ni l'ori-
gine, c'est une preuve que depuis fort longtemps déjà elle
était hors d'usage 1
Or, à qui appartenaient ces ruines dès 1097 ? Pas à Saint-
Victor, car aucune des bulles pontificales confirmant à l'ab-
baye la possession de certaines églises ne fait mention de
Sainte-Marie de Sait (de Marseille) au nombre de celles qui
lui appartiennent. Appartenaient- elles à Saint-Sauveur ?
Nous ne saurions le dire. A l'évoque de Marseille? Oui, c'est
plus probable. Car, en 1204, celui-ci fait acte de propriétaire
en cédant cette église aux Prémontrés.
Mais qui donc avait bâti cette église, déjà en ruines, en 1097?
Ni Saint-Victor, ni Saint-Sauveur, ni l'évoque de Marseille,
aux X* et XP siècles (de 900 à 1097). Car les invasions des
Sarrasins, la destruction des monastères, la restauration de
Saint- Victor, le relèvement de Saint-Sauveur, les difficultés
que rencontrait l'évoque pour réparer tant de désastres dans sa
ville épiscopale, ne durent pas permettre de construire une
église en ce point du terroir. La preuve en est que l'évoque
cède l'église de Saint-Giniez à l'abbaye de Saint -Victor, en
passage de la charte de 1097, d'une église située non pas à Pourrières,
mais sur les bords de l'Huveaune, le terme dont on appela une tour,
bâtie prés de la mer, aux environs de l'embouchure de l'Huveaune, et
qui existait au XIV* siècle : la tour de Palbs, « ad turrem quse dicitur
Palbs ». D'une part, certains auteurs placent cet édifice non loin de la
plage actuelle du Prado. D'autre part, il y a une très grande similitude
entre Sait et Palbs ; ajoutez que l'on ne peut donner la signification de
ces deux noms. — Le Cassianus illustratus de Guesnay donne la bulle
d'Urbain V, où on lit ces mots : « Eundo per montem qui dicitur Mons
Rotundus parvus* veniendo directe usque ad turrem quse dicitur Palbs,
et veniendo directe a dicta turri per littus maris usque ad ecclesiam
sancti Nicolai. » Page 292. — De Ruffi, Histoire de Marseille, t. II,
p. 169. — Mortreuil, Dictionnaire iopo graphique, verbo : Palbas,
p. 257.
- 336 —
1044, pour que celle-ci puisse la rebâtir. Avant le X* ou XI*
siècle donc, l'église de Sainte-Marie de Sait existait.
Est-ce au IX* siècle qu'il faut placer sa construction ? Non
pas. Dès 814 ou 820, les Sarrasins, les Normands, un instant
contenus, ont recommencé leurs invasions. Ce n'est pas le
moment favorable pour bâtir des églises. Il faut remonter jus-
qu'au début du IX* siècle, à la fin du VIII*, pour rencontrer une
époque de tranquillité, le règne de Charlemagne par exemple.
C'est alors, croyons -nous, que l'on a construit l'humble ora-
toire de Sainte-Marie de Sait à l'embouchure de l'Huveaune.
Mais à la fin du V III* siècle, au début du IX*, pour quel
motif élever une église en cet endroit écarté ? Pourquoi la
dédier à la Sainte Vierge ? Qui le dira? Dans l'Atlas Maria-
nu8y cité plus haut, il est écrit, en parlant de limage de Notre-
Dame d'Huveaune, qu'il y avait là, dans le cœnobium situé
sur les bords de ce petit fleuve, une statue miraculeuse de
Marie. C'est aux pieds de cette image qu'Eusébie et ses com-
pagnes se mutilèrent le visage afin de garder leurs cœurs à
Dieu. Or, un tel acte d'héroïsme, ajoute-t-on dans cet ouvrage,
n'a pu s'accomplir sans un miracle de la Sainte Vierge, sans
une force, une énergie que la protection de Marie valut à ces
saintes âmes (1). Est-ce là une simple exagération ? Non.
Aussi nous dirons : il y a eu, à la fin du VIII* siècle, un
oratoire dédié à Marie sur les bords de l'Huveaune ; donc,
c'est sur ces bords aussi que sainte Eusébie a été martyrisée!
Jugez, en effet, si notre conclusion est en l'air 1
Une tradition dont nous avons donné des preuves, Gxe à cet
endroit le martyre d'Eusébie. Et il y a là une église : ecclesia !
La tradition assigne la fin du VIII' siècle comme époque de ce
martyre. Et cette église existe en cet endroit, à la fin du VIII*
Siècle, au début du IX* I Les auteurs s'accordent à dire que le
vocable primitif du cœnobium des Cassianites était la Sainte
Vierge. Et cette église des bords de l'Huveaune est dédiée à
sainte Marie ! Un sait que les religieuses cassianites, martyri-
sées aux bords de l'Huveaune ne furent pas ensevelies dans le
(1) c I nunc, et hoc sine Deiparœ miraculo fieri posse puta. » Atlas
Marianne, t. II, p. 3017.
— 337 —
cœnobium, mais dans les cryptes de Saint- Victor ; quelles ne
furent pas considérées comme de véritables martyres ; que dès
lors le peuple ne les invoqua point en cet endroit du terroir où
elles avaient subi la mort. Mais on comprend qu'il dut véné-
rer la maison, l'oratoire de ces héroïques vierges. Et le peuple
appelle cette maison, cette église, l'église « deis Desnarrados I »
Le peuple dut encore vénérer l'image de la Vierge Marie,
devant laquelle a leis Desnarrados » avaient souffert. Et le
titulaire de cette église n'est pas sainte Eusébie, mais la Sainte
Vierge, sainte Marie de Sait, la Sainte Vierge de la Forêt, la
Sainte Vierge des Bois, la Sainte Vierge du monastère du Gué,
Sainte Vierge de l'Huveaune. On sait, enfin, que Saint-Cyr fut
le vocable du cœnobium dont Eusébie était abbesse. Et dans
le monastère rebâti plus tard sur les ruines de cette église de
Sainte-Marie de Sait on professait une grande dévotion à saint
Cyr!!l
Que de coïncidences, en vérité, si le cœnobium d'Eusébie
ne s'éleva pas où fut plus tard cette chapelle de Notre-Dame
de Sait! !I
CHAPITRE X
Notre-Dame d'Huveaune, vocable de l'abbaye
des Prémontrés
VOCABLE DONNÉ PAR LBS PRÉMONTRÉS A UNIS ÉGLISE BATIE SUR LES
RUINES QU'ILS TROUVENT EN 1201, A L'EMBOUCHURE DE L*HUVEAJJNE.
— D'OU VIENT CE VOCABLE? — SAINTE MARIE DE 6ALT EN 1097. —
DÉVOTION ANTIQUE DES HABITANTS DBS BORDS DE L'HUVBAUNE. —
LES PRÉMONTRÉS CHANGENT CE VOCABLE EN CELUI DE NOTRE-DAME
D'HUVEAUNE. — ILS NE POUVAIENT PAS PRENDRE LE VOCABLE DE
SAINT-CYR.
Le vocable sous lequel les Prémontrés placèrent leur monas-
tère, bâti en 1204, aux bords de l'Huveaune, est une preuve
nouvelle à l'appui de notre assertion, que là se trouvait le
cœnobium où vécut sainte Eusébie.
Quel fut ce vocable ? La charte de fondation de r abbaye
d'Huveaune ne l'indique pas. Ce n'est que dans la bulle du
pape. Honorius 111, envoyée aux Prémontrés, en 1218, quatorze
ans après rétablissement de cette abbaye, que Ton trouve ce
monastère désigné sous le vocable de a Sanctae Mariae de
lbelnà ».
Il est fort remarquable que les Prémontrés de Font-Caude,
qui viennent fonder un monastère ayx bords de l'Huveaune,
n'aient pas au préalable choisi un titulaire. On ne se décide
pas du jour au lendemain à fonder une abbaye, on a donc
tout le temps d'en choisir le vocable !
Mais il est plus remarquable encore que l'évêq ne de Mar-
seille ne désigne pas à ces religieux le vocable qu'ils pourraient
donner à leur fondation. Il est parlé, dans la charte de 1204,
d'une église et d'une maison, que l'évoque permet aux Pré-
montrés de rebâtir pour en faire une maison de leur ordre et
l'évéque ne sait pas indiquer quel était le titulaire de cette
église. Il y a là quelque chose d'assez extraordinaire.
Au bout de quatorze ans cependant, le nom de Sainte-Marie
STATUE DE NOTHti-
— 339 —
d'Huveaune apparaît. D'où vient ce vocable ? Est-ce une simple
dénomination que les Prémontrés ont imaginée et qu'ils ont
attribuée à leur monastère? Non, le choix du patron d'un lieu,
d'une église se fait d'une manière plus sérieuse. Sont-ce les
Prémontrés qui d'eux-mêmes ont donné ce vocable à leur
abbaye? Sûrement ils l'auraient indiqué dans la charte de
fondation. L'ont-ils trouvé déjà attaché à celte église et à cette
maison en ruines? L'évoque, l'ordinaire du lieu, l'aurait
su, et lui aussi l'aurait fait connaître dans la charte de 1204.
Comment sortir de celte difficulté? Il y a un moyen !
Rappelons-nous qu'il y avait là, antérieurement à 1204,
une petite église, et que cette église portait le nom de
Sainte-Maïie de Sait. La charte de 1097 en fait foi. Or, cette
église, déjà au XI* siècle, était en ruines, et elle l'était depuis
fort longtemps. Voilà pourquoi Tévêque n'en rappelle pas le
nom dans la charte de 1204 Aucun titre peut-être ne le lui
apprenait sûrement et il ne voulait pas l'indiquer en propres
termes dans un document officiel, afin de ne pas paraître
l'imposer aux Prémontrés.
Or, ce titre de Sainte-Marie de Sait donné à cette église pri-
mitive, d'où venait-il? Nous le savons, c'était la dévotion
populaire qui l'avait imposé à cette chapelle, en souvenir
d'un fait merveilleux : l'héroïsme avec lequel les vierges
cassianites avaient souffert le martyre pour conserver leur
vertu. C'est aux pieds de la statue de Marie, dit le Père Poirey,
que cet événement s'était déroulé, c'est la Sainte Vierge qui
avait donné aux Cassianites le courage pour accepter la mort
plutôt que l'ignominie. De là vint la dévotion que le peuple
professa pour la Sainte Vierge en ce point du terroir.
Les Prémontrés trouvent donc celte dévotion implantée sur
ces ruines. On leur en parle dès leur arrivée aux bords de
l'Huveaune. Ils ne se pressent pas d'acquiescer au dire popu-
laire. Ils se donnent le temps de réfléchir et de mieux se ren-
seigner. Finalement ils l'acceptent. Seulement, comme c'est
une réédification, une fondation nouvelle, tout en conservant
la dévotion attachée à ces ruines, ils lui donnent un
nom nouveau, mais tout local. Impossible de garder celui
de Sainte- Marie de Sait. Il y a à Pourrières, dans le diocèse
— 340 —
d'ALx, une chapelle*portant ce nom. On ne peut le conserver
à l'église qu'ils restaurent. Cela donnerait lieu plus tard à des
difficultés.
Impossible encore de garder le vocable de Saint-Cyr, que
portait lecœnobium d'Eusébie quand elle fut martyrisée. Nous
sommes en 1204. Or, dans le courant du XI' ou du XII* siècle
on a vendu à l'abbaye de Saint-Sauveur des terres qu'elle
possédait jadis, elle les a consignées dans ses archives, sous la
rubrique de l'ancien vocable, la confusion va se produire dans
les biens des deux monastères.
Ces ruiues se trouvent aux bords de la mer. Mais l'église de
Saint-Giniez est déjà appelée : « ecclesia Sancti Genesii in ripa
maris ». Même difficulté que plus haut à prendre le nom de
Sainte-Marie a in ripa maris ». Elles se trouvent sur les rives
de l'Huveaune. Le vocable est tout trouvé : Sainte Marie d'Hu-
veaune. Ce sera celui du nouveau cœnobium. Ainsi se perpé-
tuera la dévotion à la Sainte Vierge établie en cet endroit (1).
(1) Elle serait délicieuse à lire l'histoire de la dévotion des habitants
de Saint-Giniez envers Notre Dame d'Huveaune ! Mais qui pourra jamais
la composer ? Les documents sur ce sujet sont si rares !
Quoiqu'il en soit, durant des siècles cette dévotion a fait le bonheur
de nos aïeux. Avant la Révolution, ils entouraient de leurs hommages la
slatue vénérée de Notre-Dame d'Huveaune, dans la chapelle de ce nom.
Après la Révolution, le souvenir qu'ils gardaient de la protection bien-
faisante dont Notre-Dame avait récompensé leur piété, était si durable,
qu'ils venaient encore visiter, à certaines fêtes de l'année, son antique
sanctuaire. Mais hélas! celui-ci était dépouillé maintenant de son plus
bel ornement : l'image bénie de la Sainte Vierge.
Qu'était devenu, se demandait-on souvent avec anxiété, ce précieux
trésor de la foi de nos pères ? On apprit enfin qu'aux plus mauvais jours
de la Révolution une main pieuse l'avait dérobé aux profanations
sacrilèges des Vandales de l'époque, et l'avait abrité dans un oratoire
domestique. Bien des sollicitations arrivèrent aux heureux Obédédoms
de la nouvelle arche d'alliance : elles ne furent pas écoutées. L'heure
marquée par Dieu n'était point encore venue de rendre à Marie son
église, son autel et son trône !
De fait, les curés de Saint-Giniez n'espéraient plus rentrer en possession
de la vénérable image. Après avoir, les uns reconstruit, l'église de ce
quartier, les autres l'avoir ornée, disposée et embellie, le curé actuel,
l'abbé Coudray, mettant la dernière main à l'œuvre, la fit daller en marbre,
et en annonça la consécration prochaine. Quinze jours à peine devaient
- 341 —
Or, cette dévotion, ne l'oublions pas, est l'écho d'un événe-
ment qui s'est passé sur ces bords: le martyre de sainte
Eusébie. Donc, le vocable de Notre-Dame d'Huveaune donné à
ces ruines que l'on restaure est une confirmation de la
croyance que là s'élevait le coenobium de sainte Eusébie.
s'écouler avant cette cérémonie . Quelque sainte âme plaida-t-elle auprès
de Dieu la cause de Marie ? Nous ne saurions le dire. Un jour on annonce
à l'abbé Coudray l'arrivée d'un colis et d'une lettre à son adresse. On
ouvre la caisse, on décacheté le pli ! O merveille 1 ! C'était la statue
antique de Notre-Dame d'Huveaune qui revenait de bien loin, à Saint-
Giniez, afin d'y présider, pour ainsi dire, les solennités que Ton préparait
en l'honneur de son Fils ! 1 Vite, avec joie et amour on lui dressa un
trône magnifique l Avec une douce émotion on la recouvrit de vêtements
somptueux. Et, au jour mémorable de la consécration de l'église, Notre.
Dame d'Huveaune était là sur son autel, gardant à ses pieds les saintes
reliques dont le nouveau temple allait être enrichi ; assistant aux longues
mais sublimes prières de la liturgie en cette cérémonie; voyant se
dérouler devant elle les rangs pressés dés fidèles, avides de la prier, de
la remercier d'être retournée au milieu d'eux ; entendant les exclamations
naïves de tous, tant on était fier et heureux d'avoir encore l'ancienne
Bonne-Mère du quartier l ! 1
La cérémonie achevée, Notre Seigneur reçut, parle fait de la consécration
de l'édifice, une demeure définitive à Saint-Giniez. Mais sa volonté était
manifeste. A la veille de ces jours de fête, il avait mandé sa Mère. Son
désir était donc que sa Mère demeurât avec lui.
A son tour, Notre-Dame d'Huveaune rentrait en triomphe dans la
nouvelle église. En qualité d'antique Heine de ces lieux, elle s'assit à la
droite de son Fils. A cette heure, du haut de son autel, que dans je ne
sais quel pressentiment secret on avait élevé riche et précieux, Notre-
Dame d'Huveaune sourit à nos chants, préside à nos fêtes, entend,
écoute, exauce nos prières, et, comme jadis elle avait béni et protégé nos
pères, elle bénit et protège leurs enfants! !
CHAPITRE XI
Coite de saint Oyr établi dans l'abbaye des
Prémontrés de rHuveaune
AFFIRMATION DE M.ANDRÉ.— INVENTAIRE DE 1388.— D'OU VENAIT AUX
PRÉMONTRÉS LA DÉVOTION A SAINT CYR?— D'CNE FÊTE LOCALE? D*ONE
RELIQUE ? — L'ABBAYB DE SAINT-SAUVEUR A DU EN CÉDER QUELQUE
FRAGMENT.
C'est une preuve que nous suggère M. André dans son His-
toire de l'abbaye de Saint-Sauveur (1).
« Les religieux Prémontrés établis à l'embouchure de l'Hu-
veaune, dit-il, honoraient le jeune martyr saint Gyr d'une ma-
nière toute spéciale. » Nous tirons de cette assertion une
conclusion naturelle et logique. Si les Prémontrés qui,
avant de venir aux bords de rHuveaune, n'avaient pas une
dévotion spéciale à saint Gyr, en professent une fbien grande
en y arrivant, sûrement l'ancien monastère de Saint-Cyr, où
mourut sainte Eusébie, se trouvait aux bords de rHuveaune.
D'abord, il est vrai que les Prémontrés de l'Huveaune pro-
fessaient une certaine dévotion à l'endroit du jeune martyr
d'Antioche. Dans un inventaire desornements de la chapelle de
Notre-Dame d'Huveaune, abbaye des Prémontrés, inventaire
rédigé en 1388, il y a cette note : « Indumentum sacerdotale
pulchrum pro festo Sancti Cyrici (2) .» La mention d'un
ornement affecté à un jour de l'année indique clairement que
l'on célèbre ce jour-là une fête solennelle. Or; comme l'on a,
dans une paroisse, l'ornement patronal, ainsi l'abbaye possède
l'ornement propre à la fête de saint Cyr. M. André a dit la vérité.
Mais, d'où venait aux Prémontrés cette dévotion à saint Cyr?
(î) André, op. cit., p. 15.
(2) Archives départementales des Bouches-du -Rhône, fonds Saint-
Sauveur, H, Prémontrés, inventaire fait en 1388.
— 343 —
D'abord, elle n'était pas spéciale à l'Ordre. Nous n'avons pu
voir les Annales des Prémontrés, ouvrage qui ne se trouve
pas à la bibliothèque de Marseille. Mais les Bollandistes, soit à
la vie de saint Gyr, soit à celle de saint Norbert, ne font aucune
allusion à une semblable dévotion, Il n'est guère croyable non
plus qu'elle ait été apportée de Font-Caude, d'où sortaient
les religieux fondateurs de notre abbaye de l'Huveaune. Car
il resterait quelque trace de cet emprunt. On aurait, dans un
acte ou dans un autre, insinué combien cette dévotion primitive
était chère à tous, puisqu'elle venait de l'abbaye mère. Très
probablement même le monastère de l'Huveaune, en dépit des
réclamations de Saint-Sauveur, eût été placé sous le vocable
de Saint- Cyr. Rien de tout cela cependant.
Donc cette dévotion leur provenait ou d'une tradition qu'ils
ont trouvée en cet endroit du terroir, tradition qu'ils ont gar-
dée ; ou d'une fête que l'on y célébrait avant eux, et qu'ils
ont continué de solenni-er comme l'on célèbre dans une pa-
roisse une fête antique; ou bien de quelque relique de saint
Cyr que l'on aura pu donner au monastère lors de sa fonda-
tion.
Si elle provient d'une tradition que les Prémontrés trouvent
implantée en ce point du terroir, notre cause est gagnée. Une
tradition place aux bords de l'Huveaune le monastère de Saint-
Cyr; une autre tradition, locale celle-là, nous montre, la
dévotion à saint Cyr vivante en ces lieux. La coïncidence
serait trop frappante pour qu'elle ne fût pas lavéflté.
Si c'est une fête antique qu'ils célèbrent chaque année, fête
propre à ce point du terroir, d'où peut provenir cette fête de
saint Cyr, à Saint-Giniez ? L'explique qui pourra. Bien hum-
blement nous disons : Une tradition rapporte qu'il y avait
jadis aux environs de Marseille un monastère cassianite sous
le vocable de Saint-Cyr, monastère dont une des abbesses, du
nom d'Eusébie fut martyrisée avec quarante de ses compagnes'
par les Sarrasins, à l'embouchure de l'Huveaune, à un endroit
appelé la chapelle « deïs Desnarrados » . Ne serait-ce pas la
raison de cette fête ?
Une telle explication, sans être une preuve péremptoire, est
cependant assez difficile à révoquer en doute.
- 344 —
Si cette dévotion à saint Gyr provient d'une relique que le
monastère possède, d'où lui vient cette relique? Les deux reli-
gieux fondateurs de l'abbaye de l'Huveaune ne l'ont pas
apportée de Font-Caude, on l'a vu plus haut. Serait-ce le don
d'une église, d'une abbaye? C'est possible. Mais de quelle
abbaye? On ne sait. Nous rappelons encore qu'il y avait
à Marseille, à cette époque, aux XII*, XIII*, XIV* siècles,
une abbaye de religieuses, celle de Saint -Sauveur, qui avait
remplacé l'antique cœnobium cassianite sous le vocable de
Saint-Cyr ; que cette abbaye de Saint-Sauveur possédait des
reliques de saint Cyr en 1204, puisqu'elle en avait en 1519 (1);
que probablement cette abbaye en a cédé une portion, si mini-
me soit-elle, à l'abbaye de l'Huveaune; qu'à cette occasion les
Prémontrés ont institué et célébré chaque année la fête de ce
saint. N'est-ce pas encore une explication plausible de l'exis-
tence et de la célébration de cette fête de saint Cyr à l'abbaye
de l'Huveaune?
Et voyez la force de cette explication ! saint Cyr et ses reli-
ques sont le palladium de Saint-Sauveur, son plu3 riche tré-
sor, ce qu'elle a sauvé de toutes les destructions. Or, l'abbaye
de l'Huveaune est construite tout récemment. Elle demande à
Saint- Sauveur des reliques de saint Cyr. Est-ce que Saint-
Sauveur acquiescera à ce désir? Â ce monastère qu'elle
ne connaît pas, elle donnera d'autres reliques. Celles de saint
Cyr? Jamais ! Si elle en donne, c'est qu'il y a eu entre ces deux
monastères une relation toute particulière. Laquelle? Précisé-
ment celle que notre tradition rapporte. Les religieuses de
Saint-Sauveur apprennent que les Prémontrés vont habiter là
où leurs sœurs cassianites habitèrent jadis, ce coin de terre
qu'elles ont rougie de leur sang. Or, le monastère antique,
témoin de tant d'héroïsme, était sous le vocable de Saint-Cyr.
Aussitôt elles divisent les reliques du saint martyr, et en
cèdent une partie à l'abbaye de l'Huveaune. Celle-ci, chaque
année, rappelle cette circonstance en célébrant la solennité de
ce saint. On ne donnera pas des reliques de sainte Eusébie, on
ne célébrera pas la fête de cette vierge et de ses compagnes .
(1) André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, y. 114.
— 345 —
Ce n'est que vers 1400 que l'abbaye de Saint- Victor vénérera
leurs restes et ce ne sera que sous de Belsunce qu'on rédigera
un office en leur honneur. Mais saint Cyr, dès le début du
monastère de THuveaune, sera honoré et fêté.
Voilà une preuve, convaincante selon nous, que nous em-
pruntons à M. André.
«
CHAPITRE XII
" Lois Desnarrados "
« LB1S DESNARRADOS ». — AUTEURS APPELANT DE CE NOM SAINTE
EUSÉBIB RT SES COMPAGNES. — EXPRESSION TRÈS ANCIENNE.
(Test le nom donné par les habitants du terroir de Saint-
Giniez à la chapelle qui fut, d'après la tradition de leurs aïeux,
le théâtre du massacre de sainte Eusébie.
Or, pour que cette expression provençale soit vraiment
une preuve de notre assertion: que sainte Eusébie a souffert le
martyre aux bords de l'Huveaune, il nous faut bien préciser
le sens de cette expression. Que signifie : chapelle « deïs
Desnarrados » ?
A-t-on donné ce nom à l'oratoire, à l'église qui se voyait
encore au début de notre siècle, parce que les religieuses de
Saint-Sauveur en ont été les possesseurs en 1528 ? Non, nous
l'avons prouvé. Cette expression ne les a pas suivies partout
où elles se sont établies: à Saint-Loup,à Saint-Marcel, à Sainl-
Victor, à Saint-Sauveur.
Par ce nom on appelle l'église, l'oratoire, l'endroit à Saint-
Giniez où sainte Eusébie et ses compagnes ont mutilé leurs
visages en se coupant le nez. Lisez, en effet, les auteurs. Qui
appellent-ils a leïs Desnarrados » ? Eusébie et ses compagnes.
De Rey : a Les corps des quarante victimes des Sarrasins,
que le peuple appelle du nom expressif de Desnar-
rados (1). » — De Rey : a Le fait de sainte Eusébie et des
quarante Desnarrados n'est donc pas de celle époque (2). »—
L'abbé Verlaque : a En disant ces paroles, elle se coupa le
nez... toutes les religieuses suivirent cet exemples... C'est
(1) Les Saints de VEglise de Marseille, p. 235.
(2) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 145.
— 347 —
pour cette raison qu'elles reçurent le nom de senso nas, sans
nez (1). » — L'abbé Cayol : a C'est peut-être là (à Saint-
Tronc), qu'habitaient les Desnarrados, c'est-à-dire des reli-
gieuses qui se coupèrent le nez pour échapper à la brutalité
des barbares qui avaient envahi leur asile (2). j> — Kothen :
« Les compagnes d'Eusébie imitèrent son exemple héroïque...
De là vient le nom de Desnarrados qu'on leur donne dans la
langue vulgaire (3). 9 — André : « Les restes des quarante
martyres étaient devant l'autel de Notre-Dame de Confes-
sion... L'action des religieuses Desnarrados vivra long-
temps dans le souvenir des Marseillais (4). » — C. Bousquet :
« On connaît le dévouement des religieuses de Saint-Sauveur
qui, pour échapper aux outrages des Sarrasins. . . L'asile de
ces saintes filles était situé alors près de l'embouchure de
l'Huveaune. . . De la vint cette tradition populaire qui fit long-
temps appeler les ruines du couvent et de l'église : tels Des-
narrados (5). » — Guindon et Méry : « Ce lieu (du martyre
d'Eusébie et des trente-neuf religieuses dont elle était la
supérieure) où était situé le couvent des Cassianites, à l'em-
bouchure de l'Huveaune, est encore désigné sous le nom deis
Desnarrados (6). » — Reinaud : « Eusébie et ses quarante
religieuses se mutilèrent le nez. . . d'où elles furent appelées,
dans le pays, les Desnazzados (7). » — La Statistique des
Bouches-du-Rhône : « L'exemple d'Eusébie fut aussi suivi par
les Cassianites de l'autre abbaye (celle de l'Huveaune). C'est à
cause de cet événement que les ruines de cette dernière
abbaye de l'embouchure de l'Huveaune furent appelées leïs
Desnarrado89 c'est-à-dire le monastère des religieuses qui se
(1) M. l'abbé Verlaque, Notice sur sainte Eusébie, p. 16.
(2) Cayol, Histoire du quartier de Saint-Loup, p. 26*
(3) Notice sur les cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille,
par Kothen, p. 55.
(4) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur
p. 13.
(5) Casimir Bousquet, La Major, p. 67.
(6) Guindon et Méry, Histoire des actes et délibérations du corps
municipal de Marseille, p. 202.
(7) Reinaud, Invasions des Sarraains en Provence, p. 137.
- 348 —
coupèrent le nez (1) . » — Papon : « Ce monastère (de l'Hu -
veaune) fut détruit par les Sarrasins ou les Visigoths. Les re-
ligieuses qui échappèrent à leur fureur ou qui la prévinrent
par la fuite, s'étant retirées dans le couvent qui était près de
Saint-Victor, eurent le sort de sainle Eusébie. De là cette tra-
dition populaire qui fait appeler ces vieilles masures leïs
Desnarrados , c'est-à-dire le monastère des religieuses sans
nez (2). »
On le voit, « leïs Desnarrados » ce sont, à proprement par-
ler, sainte Eusébie et ses quarante compagnes. Donc la chapelle
a deïs Desnarrados » c'est le monastère, l'église même des reli-
gieuses qui se sont coupé le nez. Il y a donc, dans le terroir de
Saint -Giniez, un point, un endroit dans lequel on place le
martyre de sainte Eusébie : la chapelle a deïs Desnarrados ».
Mais depuis combien de temps emploie -t-on, à Saint-Giniez,
cette expression ? M. Daspres écrivait que c'était a la tradition
constante et universelle de ceux qui se souviennent d'avoir vu
la chapelle de Notre-Dame de l'Huveaune ; ils ne la dénom-
ment jamais que sous le titre c deïs Desnarrados ». Nous ajou-
tons que les vieillards de Saint-Giniez, interrogés par nous sur
ce point, nous répondaient : Nous avons toujours entendu ap-
peler cette chapelle, par nos anciens, du môme nom : « lels
Desnarrados ». A Saint-Giniez donc, de tout temps, cette ex -
pression a été en usage. Hors de Saint-Giniez, à Marseille,
cette expression est regardée comme très ancienne. D'après les
auteurs cités plus haut, c'est le peuple, la langue vulgaire, la
tradition populaire qui emploient ce mot expressif. De fait,
c'est une formule provençale très archaïque, du vrai, du pur
provençal. Papon en 1776, au XVIII* siècle, la connaissait et
la citait comme transmise par la tradition populaire. De très
(1) Statistique des Bouches-du-Rhône, t. II, p. 324.
(2) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 362. — On voit l'étrange
contradiction dans laquelle sont tombés Papon et la Statistique pour vou-
loir admettre l'existence simultanée de deux monastères de filles, l'un à
Saint- Victor, l'autre à l'Huveaune. Et cependant, entraînés par la tradi-
tion populaire, ils appellent « lels Desnarrados » les religieuses qui se
coupèrent le nez, et l'église « deïs Desnarrados » le monastère ou l'ora-
toire de ces religieuses.
— ;U9 —
longue date donc on a employé cette expression, à Marseille, et
partant on y a cru, ce que Ton croyait à Saint-Giniez, que la
chapelle a deïs Desnarrados », située à l'extrémité du Prado
actuel, était bien le monastère, l'église oti sainte Eusébie et
ses compagnes avaient souffert le martyre.
Or, est-il possible «que des générations et des générations
soient dans Terreur, que des auteurs de Marseille qui ont étu-
dié nos traditions historiques n'aient pas relevé cette erreur ?
Pas un n'aurait rectifié l'écart de la tradition populaire, et
donné à la formule « lois Desnarrados » son sens vrai, un sens
autre que celui dont elle jouit et dont nous appuyons noire
opinion ! Nul ne Ta fait, que nous sachions, d'une manière
solide et convaincante La chapelle « deïs Desnarrados » est
donc bien, dans le langage du peuple et des historiens, le mo-
nastère des religieuses qui se coupèrent le nez. Or, cette cha-
pelle a deïs Desnarrados» se trouve toujours, d'après le
langage populaire, à Saint-Giniez ; à l'embouchure de
THuveaune. Donc c'est là qu'a été martyrisée notre sainte
Eusébie.
23
CHAPITRE XIII
« A casales » et la terre « ad Arabenz »
C A CA8ALB8 », t AD ARABENZ » DE LA CHARTE DE 1097. — EMPLA-
CEMENT PRÉCIS DE t A CASALES » A L'EMBOUCHURE DE L'HTJ-
VEAUNE. — RUINES ANTIQUES DU CŒNOBIUM. — EMPLACEMENT
PRÉCIb DE <l TERRA AD ARABENZ », AUPRES DE L'EMBOUCHURE DE
I/HUVBAUNE. — CE QUE PEUT felGNIFIER CE MOT f AD ARABENZ ».
II y a dans la charte de 1097, que M. l'abbé Daspres a placée
en appendice à sa Notice sur Saint-Giniez, deux expressions
qui nous prouvent que le monastère de sainte Eusébie se
trouvait bien à l'embouchure de l'Huteaune. Voici ces
termes :
« Moi Villelme Artaldus, je donne une pièce de terre, située
à l'endroit appelé Saint-Félix, qui est terminée par les
casales jusqu'au fossé d'eau, de l'autre côté par la mer, de
l'autre par l'Huveaune. De même je donne une pièce de
terre ad Arabenz, limitée à l'orient par la condamine de
Tévéque, au midi par la terre de Pierre Isnard, à l'occident
par la terre de Gantelme de Marseille.
« Moi, Autrannus, fils de Richau, je donne à Saint- Victor
six dexlairades de terre dans un autre lieu appelé A rabenz (1).»
(1) c Dono ego Villelmus Artaldus pro supradicto fllio meo, in unâ
pecia de terra medietatem in loco quidicitur ad Arabenz. . . Et termina-
tur ab oriente condamina episcopi et a meridie terra Pétri Isnardi et
ab occidente terra Gantelmi de Massilia. — Similiter dono de pecia
medietale in loco qui dicitur ad Sanctum Felicem et terminatur a
casales usque in iossatum aquae, ex alia parte mare et ex alià aqua
Uvelnae.
« Ego Bertrannus, filins Richau, dono Sancto Viclori pro anima mea
una quarlairada de vineâ in loco qui dicitur de Calcadis et in alio loco
ubi dicitur ad Arabenz in VI sextairadas de ipsa duas partes quae tertia
pars est fratris mei Aicardi, et terminatur ab oriente terra Ismidonis
quam dédit Villelmo fllio suo monacho, a meridie terra Sancti Victoris
— 351 —
Pour déduire une preuve en faveur de notre thèse, faisons
connaître remplacement exact des terres désignées par ces
expressions..
Et d'abord à quel endroit des bords de THuveaune se trou-
vait le monastère de saiute Eusébie, la chapelle « dexs Des-
narrados », d'après les auteurs qui nient ou affirment l'exis-
tence de ce monastère?
Nul n'est aussi exact et précis que M. l'abbé Daspres. Il fait
autorité à ce sujet, puisqu'il s'agit de l'histoire de sa paroisse.
Cet écrivain, qui, rappelons-nous, n'accepte pas noire
opinion, place cette chapelle « deïs Desnarrados » là où
s'éleva plus tard le monastère des Prémontrés, près de l'an-
cienne batterie d'Orléans, sur le bord de la mer, à l'embou-
chure de l'Huveaune. « L'ancienne chapelle des Prémontrés
d'abord, de Saint-Sauveur ensuite en 1529, se trouve dans le
local des restaurants Logos et Gontard et sert de cellier (1). »
Or, que lisons-nous dans la charte de 1097? « Moi, Villel-
mud Ârtaldus, je donne une pièce de terre située sur le lieu
appelé Saint-Félix, qui est terminée par les casâtes, jusqu'au
fossé d'eau, de l'autre côté par la mer et de l'autre, enfin,
par les eaux d'Uvuelne. »
Quel est le point précis du terroir où se trouve cette terre ?
Les termes de la charte précitée fournissent quatre points de
repère qui vont le déterminer. Cette terre est limitée par les
eaux de rHuveaune, puis par la mer, donc elle est située sur
quae fuit Pétri Isnardi, etab occidente terra Gantelmi. » (Charte de 1097,
aux archives départementales, cotée 789-317, fonds de Saint- Victor.)
(1) « Il y a au sujet de ce monastère de Notre-Dame d'Huveaune deux
erreurs historiques, assez communément répandues. La première est
celle qui place en ce lieu le fait glorieux du martyre de sainte Eusébie
et de ses compagnes... . » (Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé
Daspres, p. 20, p. 27.)
On se rappelle le texte de la lettre d'un ancien curé de Saint-Giniez,
qui appelle la chapelle de Veaune : la chapelle dédiée à sainte Eusébie.
(En 1831).
C'est le point qu'indiquent d'ailleurs les contemporains, et les anciens
de Saint-Giniez, que nous avons notis-même interrogés souvent.
Un acte du 21 mars 1791, au registre 176, de la vente des biens doma-
niaux, donne la description parfaite de cette propriété. ('Daspres,
op. cit., p. 31.)
— 352 —
le rivage, au nord de l'Huveaune ou au sud. Un fossé d'eau
lui sert aussi de limite. Le texte latin dit « fossatum aquae ».
Que faut-il entendre par cette expression ? Elle peut désigner
ou bien les deux béais qui, empruntant leurs eaux à l'Hu-
veaune, à la jonction de celle-ci avec le Jarret, reviennent les
y déverser : l'un, le béai de Paradou, à quelque cents mètres
du point de jonction du chemin de Mazargues et du Prado,
vers la mer(l); l'autre le petit béai, au parc Borély (2). Elle
peut désigner encore le ruisseau de Gironde qui, partant du
palud, du marais d'Ântignage au rond-point, vient se jeter à
la mer en dessous des Bains du Roucas-Blanc (3).
11 ne peut s'agir ici du petit béai, qui alimente le moulin de
Barrai, puisque ce cours d'eau ne date que de 1514 (4).
Ces mots « fossatum aquae » ne désignent pas non plus le
grand béai de Paradou (5). Il y a loin entre la mer et le point
de jonction de ce béai avec THuveaune. Cette terre de Vil-
lelme serait une terre immense si le « fossatum * était ce béai.
Or, nous verrons tantôt qu'entre la mer et ce point de rencon-
tre du béai avec le fleuve il y a d'autres terres ijue celle de
Villelme. Ainsi cette terre de Villelme n'est pas située au midi
de l'Huveaune, sur sa rive gauche.
Si nous voulons trouver un a fossatum aquae » pouvant
servir de limite à une terre déjà bornée par le rivage et
l'Huveaune, nous n'avons que le ruisseau de Gironde. Ainsi
l'emplacement exact de la terre de Villelme est bien désignée.
Elle se trouvait dans l'espace que l'Huveaune, la rive de la
(1) Notice sur Saint-Giniez, l'abbé Daspres, p. 80; voir sa carte du
terroir de Saint-Giniez.
(2) Notice sur Saint-Giniez ', l'abbé Daspres, p. 79; voir sa carte du
terroir de Saint-Giniez.
(3) Notice sur Saint-Giniez, l'abbé Daspres, p. 93; voir sa carie du
terroir de Saint-Giniez.
(4) Notice sur Saint-Giniez, l'abbé Daspres, p. 79; voir sa carte du
terroir de Saint-Giniez.
(5) Dans un acte de 131 1, on parle d'une vigne située proche l'Huveaune
et vendue au monastère de Notre-Dame d'Uuveaune. On lui donne pour
confronts : la terre de Pascal Urbain, d'une part ; la vigne de Solamos
Albareista ; d'autre part, l'Huveaune et le valat de ladite église. (Fonds
de Saint-Sauveur, H. 56, Prémontres. Archives départementales.)
• — 353 —
mer et les Bains du Roucas Blanc circonscrivent. Or, c'est bien
là que s'éleva plus tard l'abbaye des Prémontrés. L'abbé
Daspres le disait plus haut.
Cette terre de Villelme bornée à l'ouest pair la mer, au
midi par l'Uveaune, au nord parle « fossatum aquae » est
terminée, dit la charte, par les casales. M. Daspres n'a pu
s'empêcher de se demander quelle était la signification de ce
mot. A notre tour nous disons: que veut-il dire? Les chartes
de Saint-Victor vont nous fournir l'explication.
On lit.dans la charte 259 : « Ego Bonuspars de vineâ cultâ
ïmpono mediam quart airatam ad casales Martini Venelli. » Il
s'agit d'une vigne située auprès des maisons ou de l'habita-
tion dé Martin Venel. Plus bas, dans le même document :
• Uno fron te casales Sancti Pétri. » Ce sont ici des maisons
qui forment la dot de l'église de Saint-Pierre. Dans la charte
258, on lit : « Unum latus casai maximum prseter duos casales
quse sunt supra ecclesiam. » Ici encore il. s'agit d'une maison,
de deux habitations situées au-dessus, dans un terrain domi-
nant une église. Dans la charte 149 : « Ut in borgo suo domos
sive casales deberet concedere ubi sibi et monachis hospitium
posset honestum habere, dédit casales ad aediflcandos do-
mos (1).« Toujours des maisons, des habitations que l'on ap-
proprie à d'autres usages; c'est-à-dire les demeures, les habi-
tations que les colons ou cultivateurs du terroir occupaient.
Dans ce sens, les casales dont il est parlé dans la charte de
1097 sont des maisons ordinaires. Puisque ce coin de terroir
était appelé Saint-Félix, il pouvait y avoir là un oratoire sous
ce vocable, et tout autour, ces quelques huttes se dresser.
Cependant, comme le terme casales n'est accompagné d au-
cune autre dénomination, il nous paraîtrait avoir, dans ce
passage, unsens plus général, celui de vieilles masures, d'an-
ciennes habitations, de vastes dépendances, ce que nous a p pè-
lerions les communs d'un château. Mais en ce point il n'y a
(1) Gartulaire de Saint- Victor. — Glossarium de Ducange, ad verbum :
Casale : « Accipitur pro prœdio ruatico, casa videlicet cum porlione agri.
— - Casa tegurium : illic humile casale sibi erexit. (Vita sancli Nicolai
de Rupe.)— Certus numerus casarum.» — CamUs, même signification :
t civitatem et casales et omnia praedia occupavit. .. »
— 354 —
nulle trace de villa, de maison importante, en 1097. Ce sont
donc les dépendances d'une propriété ancienne, des casais en
ruine, et Ton se sert de ce nom vulgaire de casais pour déter-
miner remplacement que cet ancien domaine occupait
jadis.
Cette terre deVillelme qui va de THuveaune à la Gironde
et de la - mer aux casales étant connue, où se trouvaient ces
caèales? Non pas peut-être à l'endroit même de ces ruines
que les Prémontrés relevèrent en 1204 ; mais pas trop loin
cependant, car la terre de Villelme, tout en ayant une cer-
taine étendue, était limitée cependant par d'autres terres,
situées non loin de là, appartenant à d'autres propriétaires
que Villelme, et portant d'autres noms.
Or, qu'étaient ces casales sans nom, ces ruines en 1097, a
deux pas de l'église de Sainte-Marie de Sait; à deux pas de
l'endroit où s'éleva plus tard le monastère des Prémontrés ; à
deux pas de la chapelle que la tradition populaire appelait
« leïs Desnarrados », c'est-à-dire le monastère des religieuses
qui se coupèrent le nez ; à deux pas enfin de l'endroit que la
tradition désigne pour être le lieu du martyre de sainte Eusé-
bie? Si l'on disait : ce sont des dépendances de l'antique mo-
nastère de Saint-Cyr, les habitations ruinées et abandonnées
des colons, des fermiers de ce monastère, serait-on bien éloi-
gné de la vérité ? Qu'il y ait, au XI* siècle, à ce point du ter-
roir, des ruines, des maisons abandonnées, et que, d'autre
part, la tradition dise qu'il s'est passé là un événement tel
que celui de la dévastation d'un monastère et le massacre
odieux des religieuses qui l'habitaient, c'est, on l'avouera, une
coïncidence bien étonnante, si la tradition populaire ne dit pas
la vérité.
Une expression encore que nous trouvons dans cette charte
de 1097 va nous fournir une autre preuve en faveur de notre
opinion.
À trois endroits du contexte de cette même charte, on
trouve cette indication : « Moi, Villelme Artaldus, donne une
pièce de terre ad Arabenz, qui se termine, à l'orient, h la
condamine de l'évoque... Moi Autrannus, fils de Richau,
donne un pièce de terre dans un autre lieu appelé Arabenz...
— 355 —
Moi, Iterius de Borriana donne en, gage à Saint-Victor une
pièce de terre ad Arabenz.D Quel est donc l'emplacement de
ce lieu : ad Arabenz ? M. Daspres a dit qu'il l'ignorait (1) ;
cherchons cependant, il est peut-être possible d'en déterminer
approximativement la position.
La première pièce de terre ad A rabenz, celle de Villelme,
est bornée à l'orient par la condamine de l'évêque. Or, cette
terre devenue la propriété de Saint- Victor, quoiqu'elle portât
encore le nom de révéque,servaitde limite à une terre appar-
tenant à Ponlius Signoreti (2). Celle-ci, en effet, était limitée à
l'occident par la condamine de Saint-Victor, qui avait
appartenu à l'évoque, au midi par l'Huveaune, à l'orient par
la terre de Gaufredus le vicomte. Or, celui-ci possédait plu-
sieurs terres dans le quartier : une au-dessus de l'église, l'au-
tre dans le palud, une autre encore près de l'église (3). Toutes
les trois pouvaient servir de limite à la terre de Signoreti, à
l'orient par rapport à celle ci.
La seconde terre située ad Arabenz, celle de Bertranus,
fils de Richau, était bornée à l'orient par la terre qu'Ismido
donna à son fils Villelme le moine, au midi par la terre de
Saint-Victor qui appartint à Pierre Isnard, à l'occident par la
terre deGantelme. L'espace de terrain qui longe la rive droite
de l'Huveaune étant déjà occupé par la terre de Pontius
Signoreti, la condamine de l'évêque et la terre de Villelme
dont il s'agit ci-dessus, force est de placer la terre de Ber-
tranus, fils de Richau, plus au nord, vers le ruisseau de.
Gironde.
De sorte que, de Saint- Giniez en allant vers la mer, sur
la rive droite de rHuveaune, on trouve : la terre de Gaufredus,
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(1) « Arabenz, Saint-Félix... et quelques autres noms qui semblent
jusqu'à ce jour enveloppés d'un mystère impénétrable. « Daspres. op,
cit., p. 111. — Mortreuil (Dictionnaire topographique), au mot Ara-
benz, dit que c'est au quartier de Saint-Giniez.
(2) « Ego Pontius dono et vendo Sancto Victori unam peciam de terra
in terri torio Sancti Genesii et terminatur ab oriente terra Gaufredi vi-
cecomitis, a meridie aqua Uvelnœ et ab occidente condamina Sancti
Victoris, quae fuit Episcopi. » Ghaite de 1097, ut suprà.
(3) Charte inédite de 1097, publiée en français par M. l'abbé Daspres
(Notice sur Saint •Giniez), appendice, p. 136 etsuiv.
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celle de Signoreti, la condamine de l'évêque ou de Saint-
Victor, la terre de Pierre Isnard, celle de Gantelme, celle
qui appartenait à Rostand d'Amalric, et dont la dlme appar-
tenait au chanoine Amelius Candidia, enfin celle de Villelme
au bord de la mer. Au-dessus de ces terres, en lon-
geant la rive gauche de Gironde, on trouvait d'autre part : la
terre de Gaufred, celle de Signoreti encore (toutes les deux
allaient probablement del'Huveauue à Gironde), la terre qu'Is-
mido donna à son fils le moine Villelme, celle de Berlranus,
fils de Richau, celle de Gantelme et, peut-être contiguë à cette
dernière, la terre de Villelme au bord de la mer et du « fos-
satum».
Or, de ce plan cadastral dressé en petit, il résulte ceci : que
le quartier ad Arabenz était situé sur le Prado même, à cin-
quante, cent ou cent cinquante mètres de la plage, en tirant
vers le rond-point. Le Prado séparait, selon nous, ces deux
terres. Celle de fiertranus était au nord, vers Gironde, celle
de Villelmus, au sud, vers l'Huveaune II
Le quartier ad Arabenz était donc non loin de l'embou-
chure de l'Huveaune, non loin de l'emplacement qu'occupa
plus tard l'abbaye des Prémontrés.
Or, quelle peut être la signification de ces mots : ad Ara-
benz ? Ils ressemblent tellement au mot Arabes, que Ton peut ,
sans crainte de se tromper, les traduire par la terre des Ara-
bes, terre située près des Arabes. Et l'on peut, croyons-nous,
défier les érudits les plus perspicaces de donner une explica-
tion sérieuse de cette expression (1). Quels Arabes, avaut
1097, s'étaient fixés à Saint-Giniez? Quels Arabes y avaient été
ensevelis?...
Or, en regard de cette expression incompréhensible, placez
notre tradition. Est-ce que l'explication qu'elle fait jaillir n'est
»
(1) M. Mortreuil (Dictionnaire topographique de Marseille), au mot
Arabenz , dit qu'il ne peut rien apporter de précis sur l'endroit appelé
de ce nom.
M. Daspres (Notice sur Saint-Giniez) pense de même, p. 111. — Rap-
pelions-nous, d'autre part, que certains chroniqueurs, tels que Isidore
de Beja et Rodrigue de Tolède, ont employé les termes : « sera Arabum,
anno imperii Arabum; » en parlant des Sarrasins.
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pas surprenante? Est-ce que Ton ne découvre pas dans ce
mot le souvenir obscur que le peuple a conservé de quelque
fait, de quelque particularité concernant les lieux qu'il habite,
et qu'il a fixé à un coin de terre ! La terre des Arabes, est-ce
que de soi-même, instinctivement, on ne refait pas dans son
esprit les scènes de désolation et de Carnage que la tradition y
a placées ? Est-ce que Ton n'ajoute pas à cette expression terra
ad Arabenz: C'est là que sainte Eusébie fut martyrisée par les
Sarrasins I
Il y a là encore une coïncidence fort étonnante, si elle n'est
pas la vérité I !
CHAPITRE XIV
La Tradition
TRADITION GÉNÉRALE QUE SAINTE EUSEBIE A SUBI LE MARTYRE AUX
BORDS DE L'HUVEAUNE. AUTEURS. — TRADITION A MARSEILLE QUE
SAINTE EUSÉBIE A SOUFFERT LE MARTYRE A CET ENDROIT. AUTEURS.
— TRADITION DE L'ÉGLISE DE MARSEILLE ENCORE A CE SUJET.—
TRADITION DE 8AINT-GINIEZ AUSSI SUR CE POINT.— OR, CETTE TRA-
DITION EST ANCIENNE. — ELLE S* APPUIE, OU PLUTOT L'EXISTENCE
EN EST DÉMONTRÉE PAR L'ARRIVÉE A L'HUVEAUNE DES PRÉMON-
TRÉS, — PAR LEUR DÉVOTION A SAINT CYR, —PAR LE VOCABLE QU'ILS
DONNENT A LEUR MONASTÈRE,— PAR LE NOM « TERRA AD ARABENZ ».—
SAINTE EU8ÉBIB INVOQUÉE AUX BORDS DE L'HUVEAUNE AU DÉBUT
DU XIX* SIÈCLE.
Nous ne nous sommes pas trompés. C'est la tradition !
Il est de tradition générale, en effet, que sainte Eusébie a
vécu, a été martyrisée aux bords de l'Huveaune. Nous avons
vu tantôt bon nombre d'auteurs apporter leur témoignage.
Mabillon, qui affirmait que le monastère dans lequel la sœur
de saint Césaire d'Arles avait été formée à la vie religieuse
était celui que Cassien fit élever dans le terroir de Marseille,
sur les bords de l'Huveaune.
J.-J. Chifflet, qui, en racontant la venue à Marseille de la
relique de la croix de saint André, disait quelle avait été en-
fouie dans une des dépendances du monastère de l'Huveaune,
et il faisait à la suite le récit du martyre de sainte Eusébie.
André du Saussay, qui, mentionnant le fait relatif à la croix
de saint André, parlait du monastère de l'Huveaune.
Le Père Lecointe, qui citait aussi le monastère de l'Hu-
veaune au nombre de ceux que Marseille possédait à une cer-
taine époque.
L'Atlas Marianus et le père Poirey, dans la Triple Cou-
ronne de Marie, qui, parlant de la statue vénérée de Notre-
Dame d'Huveaune, racontaient le martyre de notre sainte
héroïne.
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Voilà les témoins de notre tradition. Et comme ces auteurs
ont écrit de 1618 à 1668, il s'ensuit qu'au début du XVII*
siècle, partant à la fin du XV?, il était accepté et dit partout
que notre sainte Eusébie avait vécu, avait été martyrisée sur
les bords de l'Huveaune. Sur quels faits, sur quels documents
ces témoins appuyaient leur témoignage, nous le verrons plus
tard.
Serrons davantage la question et disons : Il est de tradition,
à Marseille, que sainte*Eusébie a été martyrisée aux bords de
l'Huveaune. Nous avens entendu les historiens de Marseille ;
rappelons leur témoignage.
Guesnay. — Il est provençal, natif d'Aix, au courant des tra-
ditions de notre Provence. Or, il affirme à plusieurs reprises
qu'il y avait au bord de l'Huveaune un monastère de reli-
gieuses cassianites dont Eusébie était l'abbesse, et il raconte
son glorieux martyre.
H. Bouche. — Il est provençal encore, natif d'Aix, au fait
des coutumes et traditions de notre contrée. Et son Histoire
de Provence parle du monastère de THuveaune, habité par
les Cassianites, détruit par les infidèles et de leurs reliques
conservées à Saint- Victor.
. Guindon et Méry ont écrit : a Le lieu où était situé le cou-
vent des Cassianites, à l'embouchure de l'Huveaune, est encore
désigné sons le nom a de'ta Desnarrados ». Cette appellation
justifie pleinement le séjour des Cassianites dans cette localité.
Ruffi et Grosson se trompent quand ils avancent que les dames
de Saint-Sauveur n'ont jamais habité le quartier de Mont-
redon. »
Bousquet nous rappelle que : a L'asile de ces saintes filles
était situé près de l'embouchure de l'Huveaune, à une petite
lieue de Marseille. » Et il cite le martyre de sainte Eusébie.,
M. le chanoine Magnan offrait de discuter l'existence d'un
cœnobium aux bords de l'Huveaune, et affirmait que Cassien
en avait établi un à cet endroit du terroir, pour les filles.
Les deux de Iluffi, Grosson, André, Giraud Magloire, Das-
pres, M. de Rey, tout en combattant notre opinion, attestent
que beaucoup d'auteurs plaçaient le monastère des Cassianites
et de sainte Eusébie aux bords de l'Huveaune.
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Papon et la Statistique, tout en défigurant celle tradition,
en constatent l'existence d'une certaine manière.
Le premier affirme qu'il y avait aux bords de l'Huveaune
un monastère de filles, fondé par Gassien, détruit par les Visi-
gots et les Sarrasins: a Les religieuses qui échappèrent à leur
fureur ou qui la prévinrent par la fuite, s'étant retirées dans
le couvent qui était près de Saint-Victor, eurent le sort de
sainte Eusébie : elles se coupèrent le nez#». En dépit de l'idée
bizarre défaire courir les Cassianites des bords de l'Huveaune
à Saint-Victor, et de supposer deux monastères de filles, Papon
admet bien qu'il y ait eu un couvent de filles à l'Huveaune (1).
La Statistique des Bouches-du-Rhdne, elle aussi, raconte
qu' « à l'abbaye de Saint-Cyr, sainte Eusébie et ses compagnes,
après s'être coupé le